
A passage to India (La Route des Indes), David Lean, 1984
Pour ce qui sera son dernier film, Lean retourne aux adaptations littéraires et porte E.M. Forster à l'écran. Le résultat porte incontestablement son empreinte : photographie magnifique, art du montage poétique, harmonieux mélange entre intime et spectaculaire avec cette observation de quelques personnages au sein d'un paysage grandiose.
Le sujet c'est notamment la désillusion du rêve colonial. En débarquant en Inde, Adela et Mrs Moore pensaient voir deux communautés vivre ensemble, partager la même richesse d'un pays. Or les Britanniques rejettent toute promiscuité et n'imaginent pas une seule fois que le peuple indien puisse être leur égal. Entre appartheid et mépris presque instinctif, l'Indien est littéralement écrasé par la machine impérialiste, qu'elle soit mécanique ou judiciaire.
Mais La Route des Indes c'est aussi une histoire de voyages intérieurs, de rencontres avec une Terre et des individus qui peuvent vous changer à jamais. Le personnage du Dr Aziz apparaît d'abord de manière comique, entre le burlesque de sa chute, son comportement un peu agité, ses gaffes. Il en devient touchant et l'interprétation de Victor Banerjee est vraiment magnifique. Plus tard, lorsque les événements lui auront fait acquérir une mâturité nouvelle, sa transformation sera assez stupéfiante. D'ailleurs ici tous les acteurs sont excellents. Judy Davis apporte beaucoup de sensibilité et d'ambiguité à son personnage de jeune Anglaise qui hésite à prendre en main son destin. Dans le rôle de la "vieille" Mrs Moore, Peggy Ashcroft est peut-être le personnage avec lequel on s'identifie le plus, humaine et compréhensive. Sans oublier l'interprétation pleine de malice d'Alec Guinness en savant Hindou.
J'ai souvent pensé à Picnic at Hanging rock, et au Michael Powell de I know where I'm going et du Narcisse noir, avec ces personnages soudain confrontés à la violence et au mystère de la Nature. Entre les sculptures érotiques du temple envahi par la végétation et les singes, et ces grottes où il n'y a rien à voir mais dont l'écho provoque une sourde panique, Lean nous met dans des états de trouble souvent très beaux. Mais il semble céder parfois à une certaine rationalisation. Je dois ainsi avouer que les scènes de procès m'ont moyennement intéressé, comme si pour un temps le film empruntait la voie un peu trop balisée du film policier. Cependant l'épilogue absolument superbe vient heureusement tempérer cette impression, nous laissant avec un sentiment étrange. Le mystère demeure.