Major Tom a écrit :La musique est mochissime quand même, à croire que c'est un hommage trop poussé à Michael Mann, le spécialiste du flinguage de sa propre bande-son [...] Nicolas Windfnifn Reufnef aurait dû se contenter de la bande originale de Martinez. Certes, il fait du Martinez, mais de la musique atmosphérique constante aurait été parfaite avec ce film.
En gros, tu aurais préféré du Shriekback renouvelé plutôt que du Red 7 ?
Moi la B.O. de Martinez elle m'a quand même vachement déçu. Je l'ai trouvée tout à fait quelconque, dans un pur rôle fonctionnel d'habillage sonore, alors que, puisque tu cites les choix musicaux de Michael Mann, il me semble que certains morceaux atmosphériques qu'on trouve dans ses films sont bien plus intéressants, voire beaux (je reviens vers l'utilisation de Shriekback dans
Manhunter, notamment). Pour moi, le vrai hic musical de
Drive se situe plus à ce niveau qu'à celui de l'utilisation de certaines chansons électro dont je conviens d'ailleurs qu'elles sont inégales. Rien de méchant, cependant, car je ne crois pas que le film soit plombé par ces quelques intrusions musicales qui sont très limitées... Par exemple je n'aime guère la chanson du générique d'ouverture, très faiblarde, en revanche je trouve pas mal du tout celle de la virée idyllique et du final (
A Real Hero). Musicalement, je retrouve bien dans celle-ci un certain esprit 80's.
Quant au film lui-même, j'ai adoré. Là encore, je le ressens comme un cadeau qui m'est fait. Évidemment, Refn n'invente pas la poudre avec
Drive, qui s'inscrit dans cette mouvance générale de revisitation admirative des années 1980 et se pose comme un héritier de l'âpreté des polars de Friedkin et des recherches plastiques et atmosphériques, nocturnes et bleutées, du Michael Mann des grandes heures. Ce sont les figures tutélaires les plus immédiates et les plus évidentes, cependant ce ne sont pas les seules. Le film ne Refn n'a donc rien de véritablement révolutionnaire, et son intrigue simple et gentiment clichée le confirme, mais il déroule son spectacle avec une telle maîtrise technique, un tel talent formel, une telle clarté dans la gestion narrative, que ce qui ne se veut qu'une série B se mue en un formidable néo-noir remarquablement troussé. Je le redis, c'est pour moi le meilleur du genre depuis
Collatéral. Mieux, il parvient, malgré l'arc référentiel qui le sous-tend, aussi bien formellement que spirituellement, à trouver sa propre beauté, sa propre voie. La conviction de Refn derrière la caméra transcende totalement les aspects un peu convenus de l'histoire : sa mise en scène transforme tout ce qu'elle touche en or, de l'iconisation d'un Gosling, samouraï fantasmatique des temps modernes et particulièrement charismatique (alors que je l'avais jusqu'ici toujours considéré comme une endive), à la relation amoureuse qui lie notre chauffeur/cascadeur à sa voisine de palier Carey Mulligan, que Refn nous narre avec une infinie douceur, tout en regards et en sourires. Pas besoin de discours et c'est très beau. Là encore, Refn semble avoir bien retenu les leçons de Mann, dont il retrouve aussi le soin maladif du cadrage. Dans ces scènes de romance tacite, il laisse parler tout son art visuel, capable de retranscrire poétiquement de nombreuses émotions sans une seule ligne de dialogue, sur la seule foi des expressions retenues des acteurs et de la stylisation (formelle comme musicale). La photographie solaire au diapason (léchée sans être alourdie par tous ces filtres dégueus du cinéma US actuel), et le montage hyper élaboré dans les scènes d'action, confortent la solidité technique de l'ensemble, qui passe de la délicatesse atmosphérique à la sécheresse la plus électrique avec le même brio. Il y a une vraie rutilance et un vrai aboutissement des aspects techniques de ce film qui font, par exemple, à mes yeux la différence avec une source d'inspiration comme le
Driver de Walter Hill, film pas inintéressant mais pataud et n'ayant aucun pouvoir d'envoûtement. Or,
Drive est un film très envoûtant, je trouve.
Concernant la question de la violence du film, je n'ai absolument pas senti chez Refn une tentation de son esthétisation. Il est indéniable que
Drive est un film très esthétique, mais les trouées de violence qui émaillent le film sont d'une brutalité et d'une sauvagerie incroyables, et même quand le réalisateur dilate le plan par un ralenti pour rallonger le choc de cette violence, c'est à mon sens non pour la rendre esthétique, mais au contraire pour prendre la mesure de son horreur, du dégoût. C'est-à-dire que je rejoins Ratatouille quand il évoque Peckinpah : les quelques ralentis sanguinolents de
Drive (et ils sont très très peu nombreux, en fait) ont pour moi un but édifiant et non complaisant. Par contre, complaisance il peut éventuellement y avoir dans le déploiement général de la violence dans ce film, avec des scènes quand même assez barbares même si certains hors-champ sont encore plus traumatisants. D'un autre côté, il suffit de se souvenir de la violence d'un
To Live and Die in L.A., avec ses coups de shotgun dans la face entre autres, pour comprendre qu'en accord avec sa démarche respectueuse, Refn appréhende cette même violence comme un phénomène imprévisible, frappant à tout moment, extrêmement rapide et hideux. Je remarque ainsi que la plupart des scènes violentes de
Drive sont le plus souvent brèves, fonctionnant sur la fulgurance et sur la fébrilité. Même dans les courses-poursuites automobiles, que Refn aurait pu étirer en longueur pour contenter le public et intégrer les guides de cinéma, la durée de la séquence reste relativement modeste ; mais les séquences n'en demeurent pas moins brillantes, électrisantes, superbement maîtrisées (la lisibilité du film, en général, est un véritable bonheur !).
Quant à Albert Brooks, c'est marrant mais je n'ai pas arrêté de penser à un Michael Mann empâté, justement.