L'Apollonide (Bertrand Bonello - 2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Flol
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Flol »

Stark a écrit :Bref, un spectateur éclairé ne saurait manquer d’aller le découvrir très vite au cinéma.
Ok. Donc il ne vaut mieux pas que je prête attention à la conversation d'une nana croisée dans la rue hier, disant à sa copine au téléphone qu'il ne fallait pas qu'elle aille le voir, parce que c'est horrible, ça se passe dans une maison close, tu vois quoi...
bronski
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par bronski »

Ratatouille a écrit :Donc il ne vaut mieux pas que je prête attention à la conversation d'une nana croisée dans la rue hier, disant à sa copine au téléphone qu'il ne fallait pas qu'elle aille le voir, parce que c'est horrible, ça se passe dans une maison close, tu vois quoi...
J'te mettrais ça au pas...
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Colqhoun
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Colqhoun »

Je lui collerais surtout un coup de baramine dans la nuque.
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Phnom&Penh
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Phnom&Penh »

Je suis généralement bon public et il est très rare que je sorte d'une salle avant la fin d'un film - je ne me souviens même pas que cela me soit arrivé depuis Gothic de Ken Russell en 1986. Bon, maintenant, je pourrai dire "jamais sorti d'une salle depuis l'Apollonide", ça fera plus sérieux.
Je n'ai pas pu tenir plus de trois quarts d'heure. Non que ce soit mal fait, bien au contraire. Non que j'ai détesté non plus. Je me suis simplement emmerdé comme si j'étais moi-même enfermé à attendre que le temps passe. N'ayant pas signé à la préfecture et n'ayant pas de dettes, j'ai pu déguerpir librement de ce sombre cloaque pour aller voir La piel que habito, un film qui m'a fait l'effet de sortir d'un cimetière pour me retrouver dans une rue bien vivante.
J'ai trouvé ça sombre, triste, nombriliste et surtout d'un ennui mortel. Cafardeux, tout simplement.
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Tancrède
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Tancrède »

Phnom&Penh a écrit :Je suis généralement bon public et il est très rare que je sorte d'une salle avant la fin d'un film - je ne me souviens même pas que cela me soit arrivé depuis Gothic de Ken Russell en 1986. Bon, maintenant, je pourrai dire "jamais sorti d'une salle depuis l'Apollonide", ça fera plus sérieux.
Je n'ai pas pu tenir plus de trois quarts d'heure. Non que ce soit mal fait, bien au contraire. Non que j'ai détesté non plus. Je me suis simplement emmerdé comme si j'étais moi-même enfermé à attendre que le temps passe. N'ayant pas signé à la préfecture et n'ayant pas de dettes, j'ai pu déguerpir librement de ce sombre cloaque pour aller voir La piel que habito, un film qui m'a fait l'effet de sortir d'un cimetière pour me retrouver dans une rue bien vivante.
J'ai trouvé ça sombre, triste, nombriliste et surtout d'un ennui mortel. Cafardeux, tout simplement.
OK!
Devant ce concert de louanges, de références à Max Ophuls, j'hésitais à aller voir un film de Bertrand Bonnello (un film de Bertrand Bonnello!), merci Phnomh de m'éviter le déplacement (et de débourser dix euros).
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par riqueuniee »

Phnom&Penh a écrit :Je suis généralement bon public et il est très rare que je sorte d'une salle avant la fin d'un film - je ne me souviens même pas que cela me soit arrivé depuis Gothic de Ken Russell en 1986. Bon, maintenant, je pourrai dire "jamais sorti d'une salle depuis l'Apollonide", ça fera plus sérieux.
Je n'ai pas pu tenir plus de trois quarts d'heure. Non que ce soit mal fait, bien au contraire. Non que j'ai détesté non plus. Je me suis simplement emmerdé comme si j'étais moi-même enfermé à attendre que le temps passe. N'ayant pas signé à la préfecture et n'ayant pas de dettes, j'ai pu déguerpir librement de ce sombre cloaque pour aller voir La piel que habito, un film qui m'a fait l'effet de sortir d'un cimetière pour me retrouver dans une rue bien vivante.
J'ai trouvé ça sombre, triste, nombriliste et surtout d'un ennui mortel. Cafardeux, tout simplement.
J'hésitais à aller voir le film. Je crois que, au vu de cette critique, je m'abstiendrai. Et tant pis si je risque un coup de barre à mine. :fiou:
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Dunn
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Dunn »

Pour ma part j'ai pas détesté mais l'ennuie se fait sentir, le film est trop long vu son sujet, et ne permet pas d'aborder en profondeur les personnages...franchement courez plutot voir "la brindille" une pêtite perle (oui je fais ma pub :D)
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Demi-Lune
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Demi-Lune »

aurelien86 a écrit :Pour la scène contemporaine finale, et même si la volonté de Bonello était de créer un échappatoire et permettre au spectateur de sortir du film plus "doucement" après avoir été enfermé dans une maison close pendant 2h (c'est ce qu'il dit en entretien dans les Cahiers), il me semble tout de même légitime que le spectateur puisse interpréter la scène dans une optique de parallèle entre deux époques. Je veux bien croire que l'objectif de Bonello n'était pas là, mais pourquoi avoir convoqué Céline Salette comme prostitué dans la scène finale... ? S'il souhaitait simplement créer un échappatoire, il aurait pu se contenter de filmer des prostituées inconnus (à nos yeux). J'ai un peu de mal à situer cette scène finale.
Personnellement, je pense justement que l'idée de cette conclusion est qu'il n'y a pas d'échappatoire. On peut se demander si cette séquence n'est pas un peu trompeuse. En effet, Bonello prend soin, durant tout le film, de rendre poreux les repères chronologiques, qui s'entrelacent, se chevauchent, parfois se répètent. C'est d'autant plus difficile d'arrêter une temporalité précise que s'immiscent dans cet ensemble indistinct et étouffant des éléments oniriques, s'intercalant très subtilement. Bref, quand le spectateur quitte brutalement le début XXe pour se retrouver en plein air en 2011, il voit évidemment la rupture chronologique ; sauf que cette rupture chronologique bute sur l'apparition du personnage de Clotilde, qui descend d'une voiture et se remet à tapiner. Cet illogisme temporel m'invite à interpréter cette fin comme une continuation savante de l'entremêlement narratif de Bonello, entre rêve et chronologie relativisée. Voilà comment je vois les choses : Clotilde, qui est le personnage répétant plusieurs fois qu'elle aimerait dormir 1000 ans, qui est le personnage sur lequel le réalisateur met le plus l'accent quant à la spirale inextricable de la dette, qui est le personnage qui se met à noyer sa détresse dans l'opium, n'a jamais quitté la maison close. Elle est toujours là, en 1900. Comme éventuellement Noodles dans Il était une fois en Amérique, les vapeurs de la drogue lui font rêver de l'avenir. On sait déjà que l'opium lui permet des visions puisqu'elle se trouve consolée par Julie, qui vient de décéder. Or, l'avenir dont elle rêve, comme dans le film de Leone si l'on accepte sa lecture onirique, reste cruel pour elle puisqu'elle se voit vivre le même travail par-delà les époques. Ce subconscient s'accorde en cela à son fatalisme quant à la dette, qui fait qu'elle ne croit pas qu'elle pourra un jour sortir de cet enfer, et s'y résigne. Son rêve lui fait certes s'échapper de cette prison dorée qu'est la maison close (première fois, si je ne m'abuse, qu'on voit la façade de l'extérieur), mais elle demeure inextricablement condamnée à vendre ses charmes, qui plus est dans une époque où les conditions de la prostitution sont encore plus avilissantes. Cela, c'est peut-être ce que son subconscient fabrique à partir de la vision horrifiante que la tenancière de l'Apollonide lui dresse à propos de la prostitution bas de gamme (à Marseille) dans laquelle elle pourrait bien atterrir si elle ne se ressaisit pas.
D'ailleurs, que l'on revoie le personnage de Clotilde au XXIe peut être lié à une question sous-tendue par le titre du film lui-même. Souvenirs de la maison close (titre qui est d'ailleurs le premier à apparaître dans le générique, avant que L'Apollonide ne vienne conclure). La question induite par ce titre, c'est : qui se souvient ?

En tout cas, j'ai trouvé L'Apollonide absolument superbe ; un voyage entêtant et délicat (Bonello évite tous les pièges que pouvaient supposer son sujet), bien que parfois lent. Je tâcherai de donner un commentaire plus détaillé.
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par aurelien86 »

Demi-Lune a écrit :
aurelien86 a écrit :Pour la scène contemporaine finale, et même si la volonté de Bonello était de créer un échappatoire et permettre au spectateur de sortir du film plus "doucement" après avoir été enfermé dans une maison close pendant 2h (c'est ce qu'il dit en entretien dans les Cahiers), il me semble tout de même légitime que le spectateur puisse interpréter la scène dans une optique de parallèle entre deux époques. Je veux bien croire que l'objectif de Bonello n'était pas là, mais pourquoi avoir convoqué Céline Salette comme prostitué dans la scène finale... ? S'il souhaitait simplement créer un échappatoire, il aurait pu se contenter de filmer des prostituées inconnus (à nos yeux). J'ai un peu de mal à situer cette scène finale.
Personnellement, je pense justement que l'idée de cette conclusion est qu'il n'y a pas d'échappatoire.
Pour l'idée d'échappatoire, ce sont les mots de Bonello en parlant de la séquence finale. Mais il parle d'échappatoire pour le spectateur, dans le sens que ça lui permet de revenir à la réalité et sortir de cette maison close dans laquelle il a été enfermé pendant 2h. Enfin, c'est sa justification de la séquence (interview des Cahiers et une émission ou il était invité).
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close

Message par wontolla »

Premier film que je découvre de Bonello.
Le ton est donné dès le générique d'ouverture : treize noms, que des noms de femmes !
C'est dire qu'elles seront actrices et sujet du film, qu'elle ne seront donc pas femmes-objets et que les hommes seront pour ces deux heures "objets".
On ne sort pas de cette maison close (sauf pour un déjeuner-natation au bord de l'eau et pour être "objet" d'attentions et de regards dans une maison bourgeoise)... Sauf (j'y reviendrai).
En fait on entre dans cette maison.
On n'y voit que les entrées: des hommes.
Une sortie cependant, à la fin, une fille, entrée très jeune, à peine seize ans en sortira (à tous les sens du verbe ?).

Le film est beau, très beau, superbe, comme les corps de ces femmes sauf lorsque l'on est contrainte par un sourire involontaire que seule une voilette peut cacher aux regards ou lorsque la syphilis marque le corps de ses pustules.
On parle, on rit, on souffre, on aide, on compte.
On espère pouvoir se racheter (je joue là sur le mot)!

Le film va et vient dans le cours du temps mais avance, inexorablement, lentement vers la fin.

Les hommes sont donc objets ici. Entendons de nouveau que je joue sur les mots. J'ai au moins reconnu l'un d'eux, Jacques Nolot, réalisateur, notamment de La chatte à deux têtes.
Nous sommes ici dans une ambiance feutrée. La patronne respecte ses filles, son capital mais sait ce qu'elle veut et sait surtout compter pour que ses filles lui soient toujours débitrices.

La maladie est là, présente, en sourdine, évoquée comme pouvant survenir. "Je suis saine". Mais l'une ne le sera pas ou plus.
C'est aussi l'heure de la revanche, celle, si l'on me permet, de la panthère noire sous le regard des filles.
C'est l'heure du bain au champagne, de l'amour fait dans celui-ci (baignoire et champagne !).
C'est l'heure de la peinture de l'intime de la femme, au sens réel: le peintre qui ouvre les cuisses de ces prostituées pour en peindre l'intérieur; au sens imagé: celles-ci qui se lavent et se désinfectent là où le sperme est présent,... des lèvres,...jusqu'aux dents, donc !
C'est l'heure de l'anthropologie réductrice (de têtes !).

C'est l'heure du temps qui passe et qui n'en finit pas... sauf à la fin.
Nous sommes dans un univers clos, comme peut l'être cette maison. Rien ne nous permet de de savoir heures et saisons, si ce n'est un intertitre qui nous signale le changement de siècle, où l'heure matinale qui ne convient pas au sexe mais reste ouverte pour le repos.

Le temps passe et semble long (et c'est probablement une des faiblesses du films; je me suis surpris, à plusieurs reprises à avoir les paupières lourdes !).
Je me demandais aussi sans cesse: mais comment Bonello va-t-il sortir de cette histoire ?
En fait, tout simplement, par la porte.
Spoiler (cliquez pour afficher)
La maison est fermée (le loyer devient beaucoup trop élevé et même un possible appui politique ne pourra changer les choses).
L'on sort donc (avec la caméra) de la maison.
Focus sur une lanterne que l'on éteint.
Paris aujourd'hui.
Des prostituées toujours.
Eternel métier.
Mais cette fois, nous ne sommes plus dans l'Apollonide.
Nous ne sommes plus dans une maison close.
Protectrice ?
Nous sommes dans la rue...
Fin.
Le réalisateur ne juge pas ici en ce film.
Très beau.
Il faut en accepter les longueurs!
Le film a parlé à ma tête mais celle-ci était disjointe de mon corps, assoupi parfois, qui trouvait le temps long. :oops:
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Demi-Lune
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Demi-Lune »

aurelien86 a écrit :
Demi-Lune a écrit : Personnellement, je pense justement que l'idée de cette conclusion est qu'il n'y a pas d'échappatoire.
Pour l'idée d'échappatoire, ce sont les mots de Bonello en parlant de la séquence finale. Mais il parle d'échappatoire pour le spectateur, dans le sens que ça lui permet de revenir à la réalité et sortir de cette maison close dans laquelle il a été enfermé pendant 2h.
Oui oui, j'avais bien compris. :D :wink: Je suis d'ailleurs d'accord avec cet aspect : ces dernières images permettent une vraie arrivée d'air après le confinement étouffant de la maison close. C'est un échappatoire sur la forme. Mais sur le fond... ben j'ai proposé ma petite lecture de la conclusion. :)
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par ballantrae »

Avec The artist ( je n'ai pu voir tomboy) , le film français de l'année en attendant Hors Satan.
Bonnello a su dépasser sa propension à la théorisation au profit d'un cinéma très physique, absolument sensoriel. Il ouvre son habitude des systèmes au profit d'un régime esthétique très variable ouvrant la porte à l'imprévu, à la figure inattendue ouvrant le film sur un indicible sur lequel Bonnello se garde bien de bavarder.
Le film certes se sait somptueux et intelligent mais je préfère de loin cette sophistication consciente au débraillé spontané que l'on surcote allègrement ces dernières années ( L'esquive,Entre les murs,les films des soeurs Le Besco, le non film de Ph Katerine Peau de cochon-un traumatisme de cinéphile!-,...arrêtons là la liste serait trop longue!).
Bonnello troue son film de citations ou références ( Ophuls, Eyes wide shut, Renoir,Hou Sia Sien pour le cinéma; Bataille, Klossowski,Schiele...pour la littérature et la peinture), affiche explicitement tel choix esthétique ( le split screen x 4 images ou en triptyque, les fondus enchainés, les travellings ou panos ostentatoires rappelant combien la caméra stylo demeure un concept riche et opératoire) et cela l'inscrit à mon sens aux côtés des plus belles trajectoires du cinéma français ces dernières années: Desplechin et Dumont bien sûr, les trop rares Philippe Grandrieux, Pascale Ferran et Patricia Mazuy...et j'ajouterai en outsider Philippe Ramos qui doit encore faire ses preuves même si Capitaine Achab était passionnant!Dans le lot des réussites je n'oublie pas les comédies intelligentes de qqs cinéastes: Podalydès (malgré un échec patent de Bancs publics), Hazavanicius ( the artist le place très haut) ou klapisch ( surtout pour L'auberge espagnole et Les poupées russes). Quant aux + de 60 ans talentueux, ils disparaissent l'un après l'autre...nous restent les indispensables Resnais, Rivette,JLG (m^me s'il est suisse), Tavernier.
J'attends beaucoup du retour aux affaires de Carax car Mauvais sang demeure un éclat poétique de mon adolescence, car Les amants du Pont neuf étaient magistraux, car Pola X mal aimé contenait bien plus d'idées que nombre defilms plebiscités ces derniers temps ( voir aussi la version longue).
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Demi-Lune
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par Demi-Lune »

Plusieurs semaines après sa découverte, L'Apollonide me titille encore. C'est un film qui s'enracine durablement dans ma mémoire grâce à la force sensitive et mystérieuse qu'il dégage, sa somptuosité (à la croisée de la peinture romantique ou des atmosphères de malaise de David Lynch), et son incarnation (c'est un concentré de magnifiques portraits féminins).
Je reste impressionné par le talent de Bonello à éviter tous les pièges potentiellement graveleux de son sujet, à faire exister ses différentes protagonistes, à enrichir cette galerie de portraits et ce regard sociologique d'un fort pouvoir d'envoûtement. La mise en images du réalisateur fait se chevaucher le réalisme d'un quotidien de prison dorée (mais représenté sans misérabilisme), à une strate plus évanescente, plus dérangeante, comme si un inquiétant voile onirique était ponctuellement, et indistinctement, jeté sur la narration. A la manière d'un Eyes Wide Shut ou d'un Blue Velvet, L'Apollonide invite le spectateur dans une inquiétante étrangeté, dans une odyssée feutrée et viscontienne aux allures de rêve suavement menaçant. Un curieux rêve peuplé de visions très étranges voire grotesques, allant du sanguinolent le plus choquant à une forme de lyrisme poétique incongru, teinté de mélancolie. Fascinant.

Un rêve qui exalte la beauté multiforme de la putain qui n'en est pas moins femme, avec un grand F. Un rêve en forme d'hymne à la féminité. Sans lourdeurs, sans manichéisme, le cinéaste touche à un questionnement historico-culturel sur la place sociétale accordée à la prostituée et sur la maculation (et incidemment l'infériorité) de l'être humain féminin qui exerce : il bat en brèche la dualité, ou l'incompatibilité, entre la prostituée et la femme, qui, vice et versa, ne peuvent décemment être les deux en même temps. Sublime scène que ces pleurs d'une prostituée lisant un traité à prétention scientifique qui établit, comme pour les races, une hiérarchisation de l'intelligence, dont n'est hélas pas affublée la putain... négation de l'humanité et de la sentimentalité de la femme jugée inférieure d'autant plus poignante que le film est littéralement porté par l'âme, et les états d'âme, des personnages féminins.
La beauté du film réside justement dans le fait qu'il ne présente pas le métier comme une renonciation à la féminité (comprendre : à la dignité). L'importance des séquences de jour notamment, qui dépeignent le rapport communautaire qui unit fraternellement ces femmes, permet de dessiner l'humanité, l'intériorité de chacune de ces femmes. Malgré la réification de ce corps d’Ève dans les fantasmes tordus du client, cette intériorité affleure, ne peut être effacée. Comme le disait Stark, ce processus de réification, pourtant épuisant psychologiquement pour les filles, atteint une étrange forme de beauté : cette fétichisation, qui revient à leur demander d'oublier d'être des êtres humains, rend finalement dignes et grandes ces femmes dans l'exercice de leur tâche ingrate. C'est très percutant. A la manière des clients qui les griment parfois en automates fragiles (scène ô combien déstabilisante et mémorable), Bonello fétichise ses actrices avec une incommensurable douceur. La patience dont il fait preuve, qui se retrouve dans le rythme exigeant du film, fige une beauté d'abnégation et de fragilité, une valeur, une noblesse ; une beauté elle-même prise dans les vertiges d'un univers séduisant mais sans véritable issue.

Comme selon un cycle diurne/nocturne, l'opacité qui enveloppe au crépuscule la maison close la fait comme rentrer aux frontières du fantastique : tout y semble bizarre, possible, irréel. Ce film dégage une exceptionnelle force, de celles qui travaillent longtemps la mémoire et les sens. A mon sens, un des très grands films de cette année. Je ne suis pas près d'oublier ce personnage de Femme-Joker.
MJ a écrit :C'est aussi un peu le sens des "larmes blanches": le foutre et les pleurs ne se contredisent pas nécessairement.
Je crois que tu as tout dit, là, mon cher MJ. :)
Dernière modification par Demi-Lune le 19 janv. 14, 17:29, modifié 1 fois.
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MJ
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par MJ »

Pour ceux qui voudraient prolonger l'expérience en salle par une lecture en lien direct, Bonello disait avoir fait lire La Vie Quotidienne dans les Maisons Closes de 1830 à 1930 de Laure Adler à ses comédiennes. C'est un livre très documenté, à l'écriture brillante et sensible (fait relativement rare pour un bouquin d'histoire) - et auquel le film doit en effet beaucoup. La quasi-totalité des détails sociologiques qui le rendent si justes doivent en venir pour tout dire (la lettre de la jeune fille voulant entrer au bordel y est citée tel quel, par exemple).
Il va sans dire que cette forte influence ne doit pas être vue comme amoindrissant la force du projet, qui va de toute façon au-delà d'un discours strictement social ou esthétique.
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
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Re: L'Apollonide - souvenirs de la maison close (Bonello - 2

Message par ballantrae »

Merci pour le renseignement.
Un grand film effectivement qui dès le prologue et le somptueux générique déploie sa beauté.
Bonnello a réussi sur la durée à distiller le charme vénéneux de Cindy sherman:The doll is mine qui était à mon sens son films le plus réussi jusqu'à L'Apollonide.
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