Helen Lyle (Virginia Madsen) est étudiante à l'université d'Illinois à Chicago. Avec son amie Bernadette, elle rédige une thèse sur les légendes urbaines et les croyances populaires. Au cours de ses investigations, elle est interpellée par une histoire récurrente, celle du mythique Candyman qui terrorise les habitants du quartier défavorisé de Cabrini Green depuis des décennies, assassinant des femmes et des enfants principalement. Helen sentant qu'elle tient là l'occasion rêvée de pimenter son travail, convainc Bernadette d'aller enquêter sur les lieux mêmes des crimes, dans la cité sordide de Cabrini Green, un ghetto noir livré aux gangs et à la misère.
Candyman bénéficie d'une bonne réputation, mais je ne m'attendais pas à être si agréablement surpris (avec cependant un gros bémol sur lequel je vais revenir ensuite).
Nous sommes ici face à un film fantastique de qualité, sobre, soigné, souvent hypnotique. La première heure est excellente (les 30 premières minutes sont limite un chef-d’œuvre du genre).
S'appropriant une nouvelle du tourmenté Clive Barker, le réalisateur Bernard Rose dégaine un slasher atypique, imprégné d'une atmosphère incroyablement anxiogène et porté par la présence lumineuse de Virginia Madsen. Cette atmosphère étouffante et noire, qui s'insinue par tous les interstices de ce film aussi poisseux que ses décors de HLM, happe le spectateur dès les premières images, impressionnant plan-séquence en plongée verticale qui sillonne les avenues de Chicago au son des chœurs quasi religieux de Philip Glass*. Avec une science du tempo particulièrement efficace, le réalisateur met très vite en place son intrigue tout en parvenant à imposer sobrement un rythme étrange, posé et incertain, proche du (mauvais) rêve.
La limite indéterminée entre la réalité et le rêve occupe d'ailleurs une bonne place dans l'intrigue, qui se montre plutôt originale. Cette réflexion sur l'origine des légendes populaires et effrayantes, et leur place dans notre quotidien superstitieux, interroge habilement notre propre perception sur les évènements ambigus du film, tout en nous renvoyant plus largement à notre rapport vis-à-vis du genre fantastique (genre "improbable" s'il en est, nécessitant de
croire), notamment au travers de la figure récurrente du miroir, outil réflecteur duquel émerge le surnaturel.
Œuvre auto-réflexive annonçant en quelque sorte les mises en abyme totales que seront
L'Antre de la folie ou
Freddy sort de la nuit,
Candyman n'en oublie pas d'être avant tout un saisissant film de terreur. Je commence à être exigeant mais là, j'ai clairement eu les jetons plus d'une fois. Avec une économie de moyens et des tours qu'on pensait éculés (l'intrusion d'un chien qui aboie à une fenêtre, par exemple) mais qui fonctionnent diablement bien ici, le film tricote un climat de peur et de malaise aux petits oignons, faisant de la première heure pratiquement un modèle du genre. Peu de musique, peu de bruitages ; le malaise s'installe en silences. De visions effroyables (ils ne lésinent pas sur l'hémoglobine dans ce film !) en scènes repoussantes (le fameux "baiser aux abeilles"), Virginia Madsen évolue dans un monde décrépi, sale, tagué, s'apparentant de plus en plus à un inextricable cauchemar peuplé d'indices funèbres. Les HLM bien en dur du début se mutent progressivement en monde parallèle incertain, tandis que les repères d'Helen (et du spectateur) deviennent de plus en plus aléatoires. Que l'actrice ait été apparemment sous hypnose lors de scènes cruciales ne m'étonne pas tant cette impression de trouble comateux vampirise tout le film. L'horreur est là,
Candyman fait peur, mais en écho à ce "désir de mort" qui envahit progressivement le personnage, il se dégage de cette atmosphère languissante et sacrée (les chœurs de Glass appuient cette filiation) une espèce de fascination morbide qui renverrait presque ce film à un autre conte macabre et somnambule :
Phenomena.
Cependant, là où je m'avoue frustré, c'est au niveau de la dernière demi-heure. C'est nettement plus pataud, plus prévisible et l'ambiance s'affaiblit dès lors que le film cesse de privilégier la suggestion. La scène finale referme logiquement la boucle mais le potentiel romantique de l'histoire reste très inabouti, sans parler de la faiblesse de la séquence du "bûcher" un peu nanardesque. On est vraiment très en-deçà de l'inspiration dont avait fait preuve jusqu'ici le cinéaste. Dommage, donc, car comme je le disais, sur 1H30 de film il y a une grosse heure incontournable pour tout amateur de fantastique.
*J'ai trouvé d'ailleurs que ce thème, au sein d'une composition envoûtante, évoquait le "
Herr, unser Herrscher" de la Passion selon Saint-Jean de Bach.
