Paul Verhoeven

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jericho
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Re: Paul Verhoeven

Message par Jericho »

Spike a écrit :Personnellement, j'ai eu l'impression que Verhoeven se moquait de l'histoire qu'il mettait en scène, notamment par cette accumulation grotesque de symboles (Ex. Christine : l'androgynie, le néon affichant "araignée", le cauchemar castrateur, le parallélisme avec Dalila, le peignoir au motif de dragon, ...).
Je ne sais pas s'il s'en fichait de l'histoire, mais pour cette abondance de symboles (au point d'en devenir risible) c'est fait exprès.
Je ne sais plus où j'ai lu ça, il avouait qu'il voulait se moquer de certains codes du genre, et qu'il était dans une période "je vais en mettre plein la vue à ceux qui aiment la masturbation intellectuelle".
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El Dadal
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Re: Paul Verhoeven

Message par El Dadal »

Un nouveau projet (encore un) pour Paulo:
http://twitchfilm.com/news/2011/09/paul ... talent.php
bronski
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Re: Paul Verhoeven

Message par bronski »

Demi-Lune, t'as oublié de mettre le titre du film...
Jericho
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Re: Paul Verhoeven

Message par Jericho »

El Dadal a écrit :Un nouveau projet (encore un) pour Paulo:
http://twitchfilm.com/news/2011/09/paul ... talent.php
J'ai pas tout compris, mais ça semble être unique voire révolutionnaire comme mode de production et mode de travail ?!
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Re: Paul Verhoeven

Message par Flol »

Certes...mais perso, je préfèrerais qu'il fasse un vrai film.
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Boubakar
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Re: Paul Verhoeven

Message par Boubakar »

Ratatouille a écrit :Certes...mais perso, je préfèrerais qu'il fasse un vrai film.
Mais en a-t-il seulement la possibilité physique ? Il a quand même eu plusieurs accidents de santé sérieux ces dernières années (dont une attaque cardiaque), et je ne suis pas sûr qu'on veuille l'assurer à cause de ça, même si je le déplore.
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Re: Paul Verhoeven

Message par Colqhoun »

Qu'il fasse un film d'animation alors.
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Re: Paul Verhoeven

Message par Anorya »

Colqhoun a écrit :Qu'il fasse un film d'animation alors.
+10. :D
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bronski
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Re: Paul Verhoeven

Message par bronski »

Anorya a écrit :
Colqhoun a écrit :Qu'il fasse un film d'animation alors.
+10. :D
L'idée est effectivement bien tentante. Mais il ne s'appelle pas Spielberg, et les sous faut les trouver, quand on se traîne une réputation telle que la sienne.
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Re: Paul Verhoeven

Message par Jericho »

Boubakar a écrit :
Ratatouille a écrit :Certes...mais perso, je préfèrerais qu'il fasse un vrai film.
Mais en a-t-il seulement la possibilité physique ? Il a quand même eu plusieurs accidents de santé sérieux ces dernières années (dont une attaque cardiaque), et je ne suis pas sûr qu'on veuille l'assurer à cause de ça, même si je le déplore.
Peut être qu'il y a de ça, mais je pense surtout parce que c'est un "emmerdeur" (dans le bon sens du terme), qu'il aime bien imposer sa vision des choses quitte à se brouiller méchamment avec les personnes qui financent ses films, et qu'il n'a pas forcément des potes dans le métier pour l'épauler dans d'autres projets.
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Re: Paul Verhoeven

Message par Flol »

Colqhoun a écrit :Qu'il fasse un film d'animation alors.
De la performance-capture, tu veux dire ?
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Re: Paul Verhoeven

Message par Harkento »

Jericho a écrit :
Spike a écrit :Personnellement, j'ai eu l'impression que Verhoeven se moquait de l'histoire qu'il mettait en scène, notamment par cette accumulation grotesque de symboles (Ex. Christine : l'androgynie, le néon affichant "araignée", le cauchemar castrateur, le parallélisme avec Dalila, le peignoir au motif de dragon, ...).
Je ne sais pas s'il s'en fichait de l'histoire, mais pour cette abondance de symboles (au point d'en devenir risible) c'est fait exprès.
Je ne sais plus où j'ai lu ça, il avouait qu'il voulait se moquer de certains codes du genre, et qu'il était dans une période "je vais en mettre plein la vue à ceux qui aiment la masturbation intellectuelle".
Soit mes souvenirs sont bons, soit j'affabule !
J'arrive un peu en retard sur la discussion, m'enfin !
Tu as raison Jericho. C'est dans le commentaire audio du film que Verhoeven explique qu'il voulait se moquer des intellectuels/élites de son pays qui jusque là, avait toujours descendus ses films. Pour ce film, lui et Jan de Bont (le Chef op') voulait mettre un max de symbole pour essayé de faire "bander" la presse intellectuel et ça a marché. D'après lui, quand le film est sortie, cette presse a clairement dit que c'était "le meilleur film de son auteur" .... en gros.
Et pour ma part, ces excès de symbolisme ne m'ont pas gâché le film, bien au contraire. J'ai trouvé le film très hitchcockien dans son rythme et son suspense.
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Re: Paul Verhoeven

Message par Demi-Lune »

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Katie Tippel (1975)

SPOILERS. Beaucoup aimé. Malgré la visibilité offerte par le coffret dvd Metropolitan, j'ai l'impression que Katie Tippel reste encore un peu méconnu, en tout cas dans l'ombre de Turkish Delight et Soldier of Orange. C'est très injuste, tant cette chronique sociale de la fin du XIXe siècle se pose comme une réussite. A vrai dire je le trouve bien plus intéressant et important dans l’œuvre de Verhoeven que le louangé Soldier of Orange. On pourra toujours reprocher à Verhoeven cette espèce de propension à faire passer ses personnages par les trucs les plus infamants, mais dans le cadre de ce film ce reproche échoppe face à la réalité d'une misère populaire représentée sans fard et sans concession. Les cartons finaux soulignent d'ailleurs que tout ce qu'on vient de voir est réel. Quelque part Katie Tippel m'évoque le réalisme littéraire des écrivains français contemporains aux évènements (Zola, etc). Un réalisme cru rehaussé par le pouvoir physique de la mise en images de Verhoeven, qui rend incroyablement prégnant le sentiment de misère et de dégradation morale et corporelle, et appréhende la sexualité non plus comme un jeu passionné et sain (comme c'était le cas sur son film précédent qui rétrospectivement, propose une vision désintéressée de la sexualité rare dans sa filmographie), mais comme une perversion écœurante : les corps nus ne suggèrent aucune beauté, aucun érotisme, mais au contraire l'image de viandes offertes et flétries pour subsister.

Toujours avec son style très alerte et vériste, Verhoeven investit le film à costumes pour délivrer un bouleversant portrait de femme tentant de survivre, interprété tout en douceur par la belle Monique van de Ven. Sa narration de la poussée socialiste hollandaise ayant été écartée pour des raisons financières par le producteur, toute l'attention de Verhoeven se focalise autour du parcours outrageant, avilissant, de la jeune Katie, jolie fille d'une famille nombreuse et sans le sou partie tenter sa chance à Amsterdam. Tanneuse, chapelière, prostituée, modèle de peintre, entretenue, chassée, humiliée, violée, Katie Tippel dans son chemin de croix est toujours contrainte, jusqu'à ce que sa rencontre avec la bourgeoisie ne nourrisse potentiellement en elle un désir d'élévation sociale dont elle prendrait l'initiative (symbolique est la scène où nue, elle brûle de joie toutes ses loques symboliques de son passé). Sans toiser son personnage, sans le juger, Verhoeven interroge ainsi la frontière entre la subsistance et l'arrivisme. Le corps de Katie est en effet un outil et les circonstances dans lesquelles elle utilise nous renvoie à l'ambiguïté de personnages comme Agnès dans La Chair et le Sang, Nomi dans Showgirls ou Ellis de Vries dans Black Book. Cependant, à ce stade de sa carrière, il semblerait que Verhoeven ne soit pas encore trop cynique puisque son portrait de cette jeune Hollandaise reste traversé par une vraie émotion empathique à son égard. Le personnage conserve une droiture morale qui est finalement récompensée, même si Verhoeven souhaitait apparemment ajouter une touche de nuance à cette conclusion (un post-scriptum situé plusieurs années plus tard montrant Katie devenue aristocrate fermant une fenêtre de sa résidence pour ne plus entendre les plaintes des pauvres).

P.S. : Je cherche à récupérer le beau thème à la harpe de Rogier van Otterloo, quelqu'un l'aurait ? :oops: Ratatouille ? Major Tom ? odelay ?
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Re: Paul Verhoeven

Message par Demi-Lune »

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Spetters (1980)

A l'orée des années 1980, Verhoeven est arrivé à une position quasi unique dans le paysage cinématographique de son pays. Turkish Delight a été le plus gros succès enregistré au box-office hollandais, Katie Tippel a bénéficié du plus gros budget alloué à une production hollandaise, budget record lui-même dépassé par sa fresque sur la Résistance néerlandaise, Soldier of Orange. Ce dernier film, vu par Steven Spielberg qui en sort impressionné, vaut à Verhoeven une invitation de sa part à travailler à Hollywood. Verhoeven saisira l'opportunité offerte par Spielberg et sortira entretemps son nouveau film choc, Spetters.

Après deux films historiques, Spetters renoue avec la contemporanité sociale de Turkish Delight, à ceci près que la tournure prise par le cinéma de Verhoeven semble s'acheminer progressivement vers une radicalisation. A mon sens Spetters n'est pas encore imprégné du cynisme ambiant qui enveloppera ses œuvres futures : c'est encore un film globalement régi par le premier degré. Mais alors que ses œuvres précédentes dénotaient une véritable empathie pour ses protagonistes, y compris dans leurs travers, je ressens ici l'amorce d'une distanciation glacée, se traduisant par une représentation plus sévère, plus brute. Celle-ci prend de telles dimensions dans le film qu'on peut considérer Spetters comme un aboutissement du style provocateur de l'auteur à cette époque, mais aussi comme un point de non-retour, si désespéré, si méchant, si douloureux, qu'on se dit que Verhoeven ne pourra pas aller plus loin dans la chronique sociale, qui caractérise sa période hollandaise. A l'inverse des teintes chaleureuses de Jan de Bont, la photo grisâtre de Jost Vacano appuie le sentiment d'impasse et d'oppression qui résume les destinées des jeunes personnages du film, prolos hollandais (garagiste, caissière, maçons, membres de la fanfare municipale, fils de barman, d'agriculteur...) à l'étroit dans une ville industrielle désespérante et rêvant d'un avenir meilleur dans leur passion commune pour le moto-cross, élévateur social symbolisé par la réussite fulgurante du héros local (Rutger Hauer). On pense forcément à la crise industrielle qui frappe le Nord de la France à la même époque. Les premières scènes du film évoquent une insouciance trompeuse, noyée dans les soirées en discothèque, les retrouvailles en moto et la drague tous azimuts, les parties de jambes en l'air (hilarante scène de double simulation). Film choral, Spetters déploie comme jamais le style vériste, quasi documentaire, de Verhoeven pour appréhender le quotidien ennuyeux de cette jeunesse néerlandaise machiste et arrogante qui se bat contre le déterminisme et cherche par tous les moyens à trouver un échappatoire à la vie médiocre qui leur semble toute tracée. Tous essuieront de terribles désillusions.

En filigrane, Spetters pose l'interrogation récurrente de l’œuvre de Verhoeven : jusqu'où est-on prêt par arrivisme, et d'ailleurs, qu'est-ce que l'arrivisme ? Emblématique est à ce titre le personnage de Fientje, la vendeuse de frites, qui se prostitue pour le moindre début d'espoir de vie meilleure - un personnage écœurant, a priori irrécupérable, mais dont l'arrivisme forcené (miser sur le bon cheval dès que le vent tourne) semble toujours plus ou moins tempéré par l'échec d'une vie malchanceuse et des sentiments qu'elle dissimule sous un masque dénué de scrupules. Verhoeven refuse le manichéisme et propose des portraits déplaisants, entiers, entre le futur champion prétentieux qui finira handicapé, ses deux amis, un garagiste voleur et homophobe mais en fait homosexuel refoulé, et un trompettiste qui se révèle un piètre motard, dont la phallocratie va jusqu'à la littéralité : le concours de celui qui a la plus grande pour avoir le droit de sauter la blonde aguicheuse. Côté femmes, le portrait n'est guère meilleur : Fientje est une Marie-couche-toi-là, une voisine blonde vient aguicher au garage en se mettant des balles sous le T-shirt pour faire croire qu'elle a de plus gros seins, les petites amies semblent être des groupies. Seule la caissière Maya possède une certaine dignité. Le portrait n'est pas encore assez chargé que Verhoeven l'assaisonne de scènes choquantes, frontales, cohérentes, qui accentuent la dimension naturaliste et polémiste de l’œuvre mais dénotent aussi un goût pour la provoc' bien connu et, dans le cas du viol homosexuel, problématique à mon sens. Trop, c'est trop. Mais le jusqu'au-boutisme de Verhoeven, son refus de la concession, n'en restent pas moins impressionnants et si la profonde dureté du film est éprouvante, jusqu'à verser dans le misérabilisme maladroit, et si je préfère l'humanisme de Turkish Delight et Katie Tippel, Spetters n'en reste pas moins un projectile enflammé pulvérisé à la face des spectateurs et dont le pouvoir subversif n'a absolument rien perdu de sa force (seule la musique a vieilli). Certaines scènes restent impensables encore aujourd'hui et même dans l'acuité de cet instantané de la jeunesse, le film demeure rare, si ce n'est unique. On peut en un sens le considérer comme le chef-d’œuvre hollandais de Verhoeven. Mais c'est trop... chanmé pour moi. Un peu trop long, aussi.

Le film entraînera une controverse comme jamais il n'y en avait eu en Hollande. Le public est scandalisé devant ce miroir de la société hollandaise, devant ces scènes de cul, de viol, de full-frontal, de fellation. Il faut dire que Verhoeven a joué au malin parce que les producteurs ne voulaient déjà pas de ce scénario, dont ils exigeaient une version expurgée - que Verhoeven leur donna, tout en filmant quand même la première mouture. Des associations féministes et des associations de handicapés déversent un flot de bile contre Spetters, qu'elles jugent irresponsable et malsain. Des comités "Anti-Spetters" manifestent devant les cinémas. Spielberg, qui découvre le film, est lui-même horrifié. :mrgreen: Mais l'esprit de Verhoeven est déjà tourné vers les États-Unis. A cause des problèmes entraînés par Spetters, son départ vers Hollywood est différé et il signera en Hollande un dernier film en forme de doigt d'honneur cynique et survolté : Le Quatrième Homme.
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Thaddeus
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Re: Paul Verhoeven

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Turkish délices
Ça commence comme une version trash et anticipée des Valseuses, avec un blond loubard de cité programmé sur l’efficacité de son chibre qui enquille les meufs, et ça finit comme Love Story, au chevet d’un lit d’hôpital, tandis que la dulcinée du même tombeur agonise crûment. Ce serait même triste et mélodramatique à pleurer si Verhoeven n’était pas si ouvertement porté sur les notations triviales, les détails putrides, les saillies provocatrices, et sur la charge à l’acide gastrique de la tartuffe petite bourgeoisie hollandaise. Selon la tolérance de chacun, on pourra donc trouver plus ou moins émouvante (ou rebutante) cette love story roulée dans les humeurs corporelles (sang, vomi, excréments), cette approche crado-porno-scato qui heurte la sensibilité autant qu’elle la stimule. 4/6

Katie Tippel
Fidèle à sa manière, Verhoeven roule les clichés du mélodrame historique dans la fange et nous plonge le nez dans les bas-fonds miséreux d’Amsterdam à la fin du XIXème siècle. La fille aînée d’une famille de pauvres hères y connaît un destin à la Cendrillon : partie du caniveau, elle passe de laveries sordides en bordels et en sanatoriums, toujours victime du désir que suscitent son corps et son innocence sur les autres, avant de rencontrer par hasard l’homme qui la fera accéder au monde de la haute. Si le cinéaste freine, de façon toute relative, son penchant pour la provocation, il injecte une bonne dose d’ironie sarcastique à une trajectoire qui n’a cependant rien de voltairien tant se manifeste comme souvent son attachement à une héroïne libre et fière, mais poussée dans ses derniers retranchements. 4/6

Le choix du destin
Aux commandes de la production la plus imposante procréée jusqu’alors par le cinéma néerlandais, le réalisateur lisse sensiblement son inspiration et rassemble dans un cadre qui lui est cher tous les ingrédients romanesques de ce qui, pendant trop longtemps, ne relève que d’un téléfilm de luxe. Amitiés contrariées, destins ballotés par l’Histoire, trahisons, relances et retournements dramatiques, louvoiements de l’intégrité et de la compromission… Rien ne manque à cette fresque moins réaliste que rocambolesque, si ce n’est l’essentiel : l’ironie cinglante, le goût du clair-obscur, l’ambigüité constitutive formant une vision du monde d’ordinaire imperméable aux conventions. La dernière heure a beau retrouver en partie cet esprit, il faudra attendre Black Book pour voir le grand film sur le sujet. 3/6

Spetters
Cette chronique rugueuse s’ouvre un registre bêtifiant (courses de moto et blagues potaches sur fond de disco) pour mieux déranger par son âpreté dès qu’apparaît la femme, garce fatale et cynique. Car si l’opportuniste n’est pas avare de ses charmes, elle réclame en retour une promotion sociale dont la quête oblige ses trois prétendants à oublier leur belle amitié et leurs doux enfantillages pour se frotter abruptement aux dures réalités de l’existence. Avec noirceur et crudité, Verhoeven dresse ainsi le portrait de trois adolescents déchus en n’épargnant rien de leurs sordides désillusions, illustre la désespérance et le quotidien sinistre d’une banlieue d’Amsterdam à la manière d’un Pialat batave, et souligne le destin étriqué de ces godelureaux censés perdre peu à peu les rêves fous de leur jeunesse. 4/6

Le quatrième homme
Une araignée piégeant les mouches dans sa toile, une rencontre incongrue avec un mystérieux cortège d’enterrement dans une gare de province, un bouquet de fleurs rouges associé à quelques baquets de sang d’abattoir… Autant d’images fascinantes, distillées le long d’un psycho-thriller fertile en visions maléfiques, fantasmes (homo et hétéro) sexuels et délires blasphématoires, et dont l’onirisme ésotérique n’est pas sans évoquer par anticipation le cinéma de Lynch. Construit avec une rigueur d’architecte, le film excelle à semer une multitude de petits cailloux pour mieux nous perdre dans un labyrinthe vertigineux entre cauchemar et réalité, chimère créatrice et paranoïa mythomane, et mêle avec une audace sardonique le symbolisme le plus cru et le fantastique le plus vénéneux. Énorme. 5/6

La chair et le sang
Chaos et violence dans l’Europe moyenâgeuse, où tortures et trahisons servent de toile de fond à un affrontement sans merci, où un prince abandonné par ses troupes assiste impuissant à la désintégration de son royaume d’ombres. Oubliées les images d’Épinal, la beauté propre des fresques médiévales : Verhoeven plonge dans les entrailles et les soubresauts d’une époque barbare avant qu’ils ne cèdent la place aux raffinements de la Renaissance. Sur les traces d’un groupe de mercenaires semant la mort et la désolation, il reconstitue le début du XVIè siècle avec un grand souci d’exactitude historique : entre la fureur des batailles sanguinaires et l’ombre menaçante de la peste, l’épopée impose une crudité presque nauséeuse, et dresse le beau portrait, à contre-courant, d’une femme libre. 5/6
Top 10 Année 1985

Robocop
Avec son ticket d’entrée à Hollywood, le cinéaste prend cette fois la direction du futur, un avenir suffisamment proche pour lui permettre d’achever une première peinture décapante de la société américaine contemporaine, entre dérives sécuritaires et fascisme technologique, surveillance publique et privatisation des institutions policières. Là encore, le film ne fait dans la demi-mesure : ponctuée d’éclats bien saignants, de piques sarcastiques, de réflexions acerbes dont l’humanisme désillusionné se cache sous une ironie presque vindicative, la dystopie sociale se double d’une fable amère sur l’humanité volée d’un héros à la recherche de son identité et de ses origines – nouvelle créature de Frankenstein hantée par la résurgence de ses souvenirs. Le tout servi avec l’efficacité brute d’un film d’action explosif. 5/6
Top 10 Année 1987

Total recall
Deuxième incursion dans la SF, deuxième réussite éblouissante (en attendant encore mieux). En posant la question de savoir si l’humain est maître du progrès technologique ou s’il en est la victime, le cinéaste orchestre une machination diabolique à base de retournements identitaires, de manipulations complexes et de contradictions perceptives : fantasmes schizophréniques d’un manipulé du cérébro-spinal, rêverie d’un cobaye lobotomisé ou réalité d’une mission commando contre un tyran planétaire, spectateur, régale-toi. Le spectacle, jouissif et emporté par l’humour musclé de Schwarzie, porte pleinement la marque du cinéaste : excès graphiques, décors criards, violence outrancière (les yeux exorbités, totalement abusé) ne sont pas gratuits, mais révèlent un goût mordant de la subversion et de la provocation. J’adore. 5/6
Top 10 Année 1990

Basic instinct
Curieusement (ou non), ce qui reste sans doute le film le plus fameux de l’auteur est peut-être le plus rentré, intériorisé, mental. Non pas qu’il abdique quoi que ce soit de sa sulfureuse personnalité, mais tout ici est calculé au millimètre, dans un jeu de dupes corsé d’érotisme (pas si torride que ça) et de perversité qui agence un suspense trouble et alambiqué juste comme il faut autour du meurtre, de la séduction et de la folie, où tous les personnages ont un passé qui ressemble à une poubelle mal vidée. Verhoeven décline les leçons du thriller hitchcockien en un puzzle fascinant, dont la sophistication froide renvoie à la servitude aux pulsions primaires (vieille histoire d’Éros et de Thanatos) et s’amuse à rejouer sur un mode progressiste l’éternel jeu des rapports hommes-femmes. 4/6

Showgirls
C’est un conte, bien sûr. Un Alice in Horrorland jouant de son décor, de ses protagonistes, de sa mécanique éprouvée, rivalités, ascension, conflits d’égo, épilogue on the road again, pour modifier en permanence, quasiment scène par scène, la ligne de partage entre bons et mauvais. En plongeant sa jeune danseuse dans le stupre infernal et la vulgarité marchande de Vegas, il désigne son exploitation, son mensonge et sa laideur monstrueuse mais ne ménage au public aucune position de repli ni de surplomb, et jette tout bonnement l’Amérique au bûcher de ses vanités. La grande beauté du film est de préserver le parcours de son héroïne verhoevienne en diable, qui s’immerge dans un monde obscène mais refuse de se compromettre, qui travers la fosse à purin, jusqu’à la gloire, sans trahir ses amis ni se renier elle-même. 5/6

Starship troopers
Comment pirater de l’intérieur l’idéologie lisse de l’industrie hollywoodienne, et dépenser des dizaines de millions de dollars pour la plus féroce et iconoclaste des attaques contre le système ? Supérieurement retors et intelligent, Verhoeven largue sa bombe à fragmentations en la masquant sous un hommage primaire à la SF bourrine des années 50. La satire est dévastatrice, fonctionnant par inversion : des garçons et des filles jolis comme des poupées californiennes, propagandistes d’un fascisme aux dents blanches, se font écharper par des monstres arachnéens. A travers le combat voluptueux de la silicone et du numérique, le cinéaste adopte une démarche quasiment brechtienne, dont l’incendiaire puissance de frappe n’est, aujourd’hui encore, sans doute pas très bien perçue par tout le monde. 6/6
Top 10 Année 1997

Hollow man
S’il freine quelque peu son ironie provocatrice, le cinéaste n’en trouve pas moins à exercer sa veine subversive à travers cette relecture moderne de l’homme invisible, qui insiste sur la dimension sexuelle puis criminelle du mythe (déjà présente dans le roman originel de H.G. Wells). Moraliste et pessimiste, Verhoeven s’approprie la technique la plus moderne pour la mettre au service d’un récit à l’ancienne. La volonté de puissance, la paranoïa et l’assouvissement des bas instincts en situation extrême nourrissent une réflexion cinglante sur la finalité du progrès, la nature de l’homme, les pouvoirs du désir une fois transgressées grâce à la science les limites de l’identité, sans que jamais cet aspect ne prenne le pas sur le suspense d’un divertissement supérieurement exécuté. 4/6

Black book
De retour dans son pays, le réalisateur aborde frontalement le sujet complexe de la Résistance, dont il dresse un tableau saisissant de noirceur et de lucidité carnassière. La trajectoire emblématique d’une héroïne animée par la rage de survie et meurtrie par le chaos de son époque dessine un superbe portrait de femme indépendante, qui oscille entre les codes romanesques du film de guerre, d’espionnage ou d’aventures. Sans compromis dans sa vision du monde et des êtres, l’auteur trouve dans la réversibilité permanente des pôles manichéens et des apparences, le jeu dérisoire des revirements idéologiques, la matière d’une fresque dense, feuilletonnesque, pleine de péripéties folles et de suspense échevelé, qui fait déplacer les positions théoriques et bouscule les idées reçues. Remarquable. 5/6

Elle
Dix ans d’inactivité n’auront pas entamé le tempérament iconoclaste et l’audace joueuse d’un artiste qui a rarement été aussi pleinement maître de ses moyens. Avec cet exercice d’équilibriste entre tableau de mœurs, thriller bizarroïde et portrait d’une femme transformant ses gouffres intérieurs en incoercible énergie, Verhoeven envoie valdinguer les codes d’un certain cinéma franco-bourgeois pour en faire jaillir un éblouissant bouquet de questions en suspens. Filmé au rasoir, avec une clarté rhétorique qui n’exclut ni le trouble ni la gravité, le film parvient à juguler névroses et faiblesses de personnages auquel il laisse toujours une chance – mieux, il célèbre leur faculté à se régénérer, à puiser dans l’épreuve et le conflit une force nouvelle, et promeut un humanisme vitaliste, paradoxal, tout à fait caractéristique de son auteur. 5/6
Top 10 Année 2016

Bendedetta
Il n’est pas de sujet plus verhoevenien que ce portrait de femme trempé dans l’ambivalence de la comédie humaine, qui rappelle que n’être (délibérément) pas subtil n’exclut pas d’être (foncièrement) très intelligent. L’auteur y travaille en actes la question de la croyance, sa mise à l’épreuve des institutions religieuses, son amplification par le spectacle, sa traduction matérialiste aux émois du corps – citadelle de chair et de sang, vecteur de jouissances, de douleurs et de désirs où tout s’active. La force franche et la beauté parfois déroutante du film résident dans ce prosaïsme irréductible par lequel le concret se nourrit au mystique, la manipulation se mêle au sentiment, le mordant de la satire ajoute à la gravité du drame. Il neutralise ainsi toute provocation pour atteindre, sans jamais la boucler, la plénitude du sens. 5/6


Mon top :

1. Starship troopers (1997)
2. Total recall (1990)
3. Elle (2016)
4. Showgirls (1995)
5. Robocop (1987)

Animé d’un esprit iconoclaste et sainement subversif, Verhoeven a su infiltrer la machine hollywoodienne pour y nicher sa vision acide et désenchantée, nourri d’un humour cinglant. Aux USA ou chez lui, son œuvre est celle d’un moraliste à la fois lucide et sarcastique, qui revendique la logique et l’expression du divertissement populaire tout en refusant le compromis. J’aime énormément.
Dernière modification par Thaddeus le 11 déc. 23, 17:47, modifié 17 fois.
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