Kevin95 a écrit :Pourtant le personnage de Michael Madsen est traité avec une réelle empathie. On y voit un personnage pitoyable pris dans un quotidien banal et la violence est ici sous-jacente, comme si une "normalité" pouvait être plus cruelle que le récit du film. De même que Black Mamba ne peut se défaire de son passé ensanglanté et protégé sa fille du torrent de violence qu'elle engendre directement ou indirectement (bourreau puis victime). Comme dans les Baby Cart, la violence du personnage de O-Ren Ishii n'est en fait du qu'à un environnement violent qui parce qu'elle en fut meurtrit enfant, devient dès lors son arme principal pour se défendre dudit environnement. Seul Elle Driver finalement est une personnage "pop", sans autre rôle que d'être un obstacle au parcours de Thurman (mais n'est-elle pas une femme jalouse ?).
Je ne suis pas en désaccord avec tout ça... j'aurais même plutôt tendance à te rejoindre là-dessus. Le monde de
Kill Bill est exclusivement régi par la violence, donnée, reçue, formatrice... J'en suis sorti avec l'estomac au bord des lèvres, mais je veux bien croire que c'est une question de limites personnelles : je n'en pouvais plus de ce bain de sang, d'étripages, de tortures, de mutilations, je n'en pouvais plus de cette conception des relations humaines constamment basées sur le meurtre, la vengeance, la destruction d'autrui. Je ne décèle pas de tendresse, de douceur, d'inclination à l'attachement dans ce dyptique, j'ai l'impression que QT y est incapable d'envisager qu'il est possible, entre deux êtres, de s'aimer, de se pardonner. Mais c'est le sujet du film, difficile de l'attaquer là-dessus. Je le répète, mon problème profond avec
Kill Bill ne vient tant pas de là que de la façon dont Tarantino raconte et s'approprie la trajectoire de son héroïne (qui est victime d'abord, puis bourreau ensuite, non l'inverse) : en la glorifiant. Mais je me répète, ça va devenir lassant...
Quand au personnage de Bill je n'en parle même pas, à la vue du film il est évident qu'il est aussi victime de Thurman. Pardon d’être aussi borné mais quand je pense au film, je ne peux le réduire à une simple farandole de références.
Bien sûr que Bill est victime de Thurman. Et Tarantino montre cet ultime meurtre comme l'accomplissement de sa quête, la porte de sortie nécéssaire pour atteindre la paix. Je sais pas, je trouve ça minable comme conception : tuer pour être en paix. Bref j'ai l'impression de me battre face à des moulins à vent !
Et je ne réduis pas le film à une simple farandole de références, je le trouve plus complexe et, de ce fait même, beaucoup plus problématique que ça.
jacques 2 a écrit :Mais je persiste à penser que ton erreur fondamentale est de décoder - au premier degré - le travail de QT alors qu'il s'agit toujours d'un cinéma de la distanciation ...
Tu n'imagines pas le nombre de fois qu'on m'a sorti ça, c'est dingue. Je comprends tout à fait l'argument, et je réponds toujours la même chose. Alors pour la 1000è fois :
Ok, c'est un cinéma de distanciation, qui implique d'oublier ses principes moraux pour jouir du spectacle. Soit. Mais alors comment est-il possible d'être ému ? Personnellement, quand je vois un film, c'est tout ou rien : soit je m'implique (émotionnellement ET moralement), soit je crée une distance entre le film et moi. Si je veux m'émouvoir pour les personnages, le récit (ce qu'un film comme KB appelle, il me semble), alors je ne peux pas oublier mes principes éthiques, ce n'est pas possible. L'un ne va pas sans l'autre : je ne peux pas avoir un pied dans l'investissement affectif, et l'autre dans la neutralité morale. Tout est lié. Si je veux jouir du spectacle sans m'embarasser de principes, alors il m'est impossible de m'attacher au récit, de m'émouvoir pour les personnages, parce que la déconnexion morale est aussitôt accompagnée d'une déconnexion émotionnelle. C'est coton à expliquer, ça peut sembler très théorique, mais c'est exactement comme ça que je fonctionne. Et je vois bien, à mon grand désarroi, que les fans de Tarantino (et de KB) ne fonctionnent pas ainsi, je vois bien que cet instinct réceptif de spectateur est incompatible avec le cinéma de Tarantino.
C'est comme ça que j'ai vécu KB : je sens que Tarantino crée un récit complexe, une véritable mythologie romanesque, creuse les personnages, alors je m'implique, j'ouvre les vannes. Ce faisant, bam, je me prends de plein fouet une conception éthique qui me fait vomir, et rejeter une héroïne que je trouve exécrable,
précisément parce que j'aurais voulu m'y attacher : mais comment m'attacher à une telle furie vengeresse, qui s'enivre du meurtre et de la violence ? comment m'attacher à une héroïne qui tue une mère après que celle-ci l'ait supplié de l'épargner au nom de sa fille, qui pousse même celle-ci à perpétrer le cycle de la vengeance ("
quand tu seras grande, tu sauras où me trouver") ? comment m'attacher à une héroïne qui trouve son accomplissement dans la loi du talion ? Désolé, je ne peux pas, et on peut bien m'arguer toute la distanciation du monde, ça ne marche pas, parce que si je me prend la distance du second degré, je ne peux pas être ému au premier degré (c-a-d être ému pour un personnage, pour ce qu'il vit).
Autre erreur de base : décrire ses personnages comme unidimensionnels et Kevin95, ci dessus, donne quelques exemples révélateurs à ce propos ...
Relis mes commentaires initiaux : je n'attaque pas KB sur ses personnages. Je pense au contraire qu'il est, avec
Jackie Brown, le film le plus satisfaisant de Tarantino à ce niveau-là. Mes griefs sur ce film sont autres, et je les ai longuement explicités.
Mai on ne se fâchera pas pour autant : au contraire car, effet "pervers" de la discussion, tu m'as donné envie de revoir "Inglorious bastards" et "Kill Bill" ...
J'en suis ravi, pour toi et pour les films.