Remarques intéressantes, cinephage, qui me poussent à m'expliquer davantage.
cinephage a écrit :Ce qui me surprend, dans ta démarche, Stark, c'est que tu places aussi haut des films qui sont tout aussi violents (Reservoir Dogs baigne dans le sang, et les séquences de l'arrière boutique de Pulp Fiction sont pour le moins peu ragoutantes), et tournent tout autant à vide (comprendre uniquement dans un univers filmique archiréférencé et totalement virtuel / fictionnel) que ses films suivants.
Toutes les scènes de violence de
Reservoir Dogs ne m'apparaissent à aucun moment complaisantes : elles sont filmées dans toute leur crudité douloureuse, et ne me procurent aucune jouissance. Voir Tim Roth se vider de son sang, voir le flic se faire taillader l'oreille (hors champ) sont autant de moments difficiles, conçus à mon avis comme tels par Tarantino. Rien de tel dans les tueries esthétisées de
Kill Bill, dans la sanglante leçon administrée par les nanas de
Death Proof à Kurt Russell lors de la dernière scène, dans les récurrentes séquences de torture de nazis d'
Inglourious Basterds, filmées avec une délectation gourmande. Ce n'est pas du tout la même approche, pou moi, et ça change tout.
Ensuite, je ne trouve pas que les enjeux de RD et PF tournent à vide, justement. Je donne juste un contre-exemple sur
Reservoir Dogs. Durant une longue partie de ce film, Mr Orange (Tim Roth) répète inlassablement, jusqu’à la perfection, le rôle qu’il va revêtir. On le voit, avec son boss flic, peaufiner encore et encore les manifestations du masque qu’il va porter : chaque détail de sa vie fictive, chaque dialogue est travaillé. Ce jeu sur le masque n’est pas là (que) pour le divertissement : il implique la notion de survie du personnage et aura des implications émotionnelles et affectives capitales pour la suite. La suite, la voilà : au cours de son aventure, Mr Orange s’est sincèrement pris d’amitié avec Mr White (Harvey Keitel), et se retrouve dans un étau. D’un côté, il doit accomplir son job, tenir le masque, de l’autre côté il est tenaillé par l’envie de dire la vérité à son ami. L’exacerbation de la situation va mettre à nu ce dilemme affectif : quand on voit Mr White réconforter Mr Orange qui pisse le sang, il y a quelque chose de très fort, un enjeu émotionnel, qui naît du jeu de masques qui s’est enclenché – et de sa possible révélation. Quand, à la toute fin, Mr Orange avoue la vérité à Mr White, et que le visage de celui-ci, qui est en train de l’étreindre, revêt la plus terrible expression, c’est quelque chose de l’ordre de la vérité intime des êtres qui se joue à l’écran. C'est juste un exemple, et je ne perçois absolument rien de tel dans les derniers films du bonhomme.
Dans
Pulp Fiction, on voit des êtres qui paient les conséquences de leurs actes : les tueurs doivent nettoyer leurs saletés, la camée a droit à une séance de réanimation hallucinante, un flingueur philosophe apprend le sens du psaume qu'il récite inlassablement... Ce n'est pas un film réflexif, c'est un divertissement sous-tendu par une morale (une morale de moraliste, pas de prédicateur). Tarantino ne fait pas la leçon : il nourrit ses personnages et ses enjeux de notations substantielles, qui donnent corps et chair à son récit. Alors le divertissement devient zénithal.
Surtout, si j'ai un vrai problème avec le traitement de la violence dans les derniers films de Tarantino, c'est surtout le processus de légitimation de la vengeance, entérinée par la trilogie
Kill Bill / Death Proof / Inglourious Basterds, qui me débecte. Une femme atteint l'épanouissement individuel en trucidant tout le monde ; des nanas font subir à un macho le sort qu'il leur réservait ; une juive et un commando rendent au nazi la monnaie de leur pièce. Autant de parcours montrés dans une logique de construction heureuse (elle devient mère ; elles se débarassent d'un psycho ; la guerre est terminée) qui ne laissent aucun doute quant à la pensée de Tarantino : la vengeance est saine, nécéssaire, appréciée dans toute sa jouissance. Pardon mais ça me fait vomir, et je ne vois (encore une fois) rien de tel ni dans RD ni dans PF.
C'est en cela que je suis réservé sur ta position : Tarantino n'a jamais cessé d'explorer des territoires fictionnels, très éloignés du réel, violents d'une violence graphique sublimée par une mise en scène hautement inspirée et une narration qui privilégie toujours la situation sur le personnage. Qu'il s'agisse du polar, du film noir ou du film de kung-fu, la démarche n'est vraiment pas très différente. Il lui a même fallu accentuer l'aspect fictionnel par un non sens historique dans son approche du film de guerre pour bien démarquer son film de toute démarche historique ou vraisemblable.
Mais comme je viens de le dire, je perçevais dans les trois premiers films de Tarantino bien autre chose : ce jeu avec les référents fictionnels servaient de tremplin et de carburant à une approche bien plus prononcée de la matière humaine et sentimentale qui m'intéresse. Ce que le magnifique
Jackie Brown portait à un sommet d'accomplissement inédit.
son oeuvre n'est en revanche pas à mes yeux incohérente, et je trouve beaucoup de points communs entre Kill Bill et Pulp Fiction, ou entre Inglorious Basterds et Reservoir dogs.
Complètement d'accord ; je n'ai jamais remis en cause la cohérence de sa filmographie.
Pourquoi as-tu noté si haut ses premiers films, qui ne sont pas moins violents ni moins fictionnels que ceux qui ont suivi ?
J'espère avoir donné quelques points de réponse.