La leçon de piano (1993)
In the Cut (2003)
Bright Star (2009)
Jane Campion est une cinéaste que, assez curieusement, je ne connaissais que de nom. Pourtant, sa carrière m'est contemporaine mais...les secrets de la jeunesse masculine ont du faire que j'ai été plus sensible à la Palme d'or 1994 qu'à son (ex-aequo) prédécesseur...
Pour achever de m'enfoncer, j'ajouterai que le seul film que j'avais vu d'elle jusqu'ici était In the Cut. J'avais bien aimé d'ailleurs, mais mes contemporains comprendront pourquoi je préfère dire que j'avais vu le film par hasard
Sweetie (1989)
Surpris par les commentaires très élogieux au sujet de Bright Star, j'ai commandé le BluRay, mais, ayant zappé la carrière de la réalisatrice depuis le début, je me suis dit qu'il était aussi bien de refaire les choses correctement, et j'ai donc commandé tous ses films. Et j'ai visionné d'abord le premier, Sweetie.
Ceux qui connaissent le film ne seront pas surpris si je dis l'avoir été très fortement. J'ai passé la première demi-heure à hésiter à fermer le film pour passer à autre chose. Sauf que l'image à l'écran était si bien photographié, si bien cadrée, avec des angles et des cadrages souvent si originaux que je ne pouvais me résoudre à mettre fin à l'expérience.
Le film n'était d'ailleurs pas ennuyeux, il était surtout fort étrange.
Et puis, petit à petit, la magie s'est faite.
Sweetie est un film sur une carrière qui aurait pu être brisée. Pas par accident, au contraire, mais par la médiocrité du monde. Commencer une carrière de réalisateur par un tel sujet pourrait être assez casse-gueule, prétentieux, voire un peu ignoble (je fais référence à la dédicace de fin).
Sauf que le film se met volontairement en équilibre très périlleux dès le départ et non seulement y reste mais se maintient en position avec grâce. Aucun cassage de gueule.
Pour la prétention, le procès est vite tenu. Certes le sujet est complexe et certes, la réalisatrice prend son public par les oreilles pour le transporter là où il n'avait pas du tout prévu d'aller se promener. Mais la maîtrise technique, le métier, l'originalité du propos sont tels, et d'autant plus qu'il s'agit d'un premier film à un million de dollars, que la prétention s'appelle ambition et celle-ci est aussi grande qu'honorable.
Tant qu'au côté possiblement ignoble (j'emploie le mot à dessein, Jane Campion est quand même très roublarde), il est évidemment totalement absent quand on finit par comprendre le film. Non seulement le personnage faussement principal est traité avec une gentillesse et une humanité dignes de Jean Renoir, non seulement le personnage réellement principal est d'une grâce légèrement bunuelienne qui rend Kay absolument et définitivement adorable, mais tout le film respire la tendresse. La dédicace finale pourrait faire un peu peur (histoire un peu vécue?) mais quand on apprend la finalité de celle-ci, et donc que le sujet n'est que le résultat d'observations et d'imagination, on se dit que oui, Jane Campion est vraiment une grande artiste.
Reste le symbole de la liberté nécessaire à l'artiste qui passe par ce formidable mouvement de caméra, à la fin du film, sur les petits chevaux cassés, avec la tête de l'artiste en arrière plan (pas Sweetie comme sur l'affiche ci-dessus, mais Kay, bien sûr). Une séquence absolument magnifique qui symbolise:
- le rêve d'enfant
- les rêves brisés
- la volonté du créateur
Et Jane Campion étant d'un pays des chevaux, je termine sur ce qui est pour moi une des plus belles citations sur la maîtrise de la liberté par le créateur et maître des forces de la nature:
« Visite chez Nuncio : on entendait l’impulsion. Ses chevaux sont plus brillants que ceux qui se défendent. Premier cheval dans son manège (taille d’une chambre de bonne) : un véritable tourbillon, complètement sur les hanches. Sûr et maître absolu de son équilibre, il pirouette, démarre, s’arrête, va de côté, change de pied dans le plus grand calme. C’est la perfection idéale. Gorge de pigeon, hanches près du sol. Nous sommes ensuite allés dans son arène. Là, j’ai tout vu. Le trot à extension soutenue, le même que celui de Beudant ; passage de gazelle, galop sur trois jambes, sur deux jambes, terre à terre. Avec la sueur, la robe des chevaux devenait argentée. C’est la domination totale, absolue, sur des rênes sans tension. Le cheval cherche encore son équilibre. Ses mains sont d’une agilité folle. Par moments, les rênes glissent entre les doigts puis il les raccourcit avec la main droite. Dès que le cheval est au maximum de son impulsion, il n’y a plus de main devant lui. »
Non, l'art n'est pas intellectuel, il est sensation, et les femmes ont un don pour le rappeler.
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