AlexRow a écrit :Ah non, c'est une rupture de la chaîne de causalité. Quand on mange trop on a mal au ventre, mais tous ceux qui ont mal au ventre n'ont pas forcément trop mangé. Et si les gens riches sont souvent tristes, les gens tristes ne sont pas souvent riches.
Certes, tu as raison de me reprendre sur cette nuance importante. Mais quand tu dis que "
la lucidité et le savoir absolus engendrent la mélancolie", cela nous renseigne bien sur la nature de la Vérité. A savoir que celle-ci est désespérante, et qu'elle empêche le bonheur. C'est sur cette pensée assénée comme une certitude, celle du film, celle de LVT, que j'achoppe.
Donc non, il ne suffit donc pas d'être mélancolique pour être lucide. Ce qui ajoute d'ailleurs au film la dimension mythologique du complexe de Cassandre, la voyante condamnée à ne pas être crue quand elle annonce l'avenir. Nous ne pouvons de toute façon pas prendre pour argent comptant les élucubrations de n'importe quel dépressif. Quelque part, il y a du Woody Allen dans ce LVT... un Woody qui aurait mangé un croque-mort.
Il ne suffit pas d'être mélancolique pour être lucide, mais il suffit d'être lucide pour être mélancolique... Retour à la case départ.
Evidemment que nous ne devons pas croire les délires égocentriques du dépressif, je suis bien d'accord là-dessus, mais le film m'affirme exactement l'inverse : c'est là tout mon problème. Et j'en reviens à cette fameuse scène des haricots, qui formalise ça très explicitement, à mes yeux. Lorsque Justine révèle à sa soeur qu'elle connaissait le chiffre exact, LVT nous dit que, si justement, le mélancolique doit être pris très au sérieux, parce qu'il sait les choses. Mais je commence un tantinet à tourner en rond.
La comparaison avec Woody Allen est intéressante, mais pour moi le new-yorkais est dénué de l'arrogance, des certitudes (il n'y a que des doutes chez lui), du nihilisme forcené de Von Trier. Ca change beaucoup de choses, voire à peu près tout. Là où LVT se place au-dessus de ses personnages, les juge avec condescendance, les condamne à la lie, sans rémission, sans espoir, Woody me semble, dans ses plus beaux films, à la fois amusé et chagriné par l'expérience de ses héros, et s'il leur dispense de vrais coups de griffe, il ne cherche jamais à en faire les pantins méprisables d'une démonstration.
Durer n'est pas un romantique, c'est un humaniste du 15e-16e siècle. La mouvance est donc la mouvance humaniste : celle d'une attention extrême aux rapports entre culture et société (à ne pas confondre avec le sens mièvre actuel du mot humanisme, confondu avec les actions humanitaires).
Oui bien sûr, je faisais davantage référence aux références plastiques et musicales du prologue, que le cinéaste me semble ensuite décliner à travers tout le long-métrage. Je crois que l'humanisme historique dont on parle vise à mettre au centre de sa conception éthique les notions de liberté individuelle, de solidarité, de développement intellectuel (notamment par le biais de la science), de valeur humaine (sans que jamais la relativité de l'homme dans l'ordre des choses ne soit remise en cause). Je n'ai pas perçu cela dans le film, qui me paraît être l'opposé d'une oeuvre humaniste (au contraire du cinéma de Tarkovski, par exemple, auquel on le relie de manière artificielle selon moi).
Pas besoin de revendiquer quoi que ce soit. Le cinéma offre des visions romantiques, nihilistes, existentialistes, constructivistes... du monde. C'est sa richesse. On n'est pas obligé d'épouser la vision d'un film pour en apprécier sa portée, sa réussite, ses apports. Ce film ne parle pas moins de l'homme qu'un film de Kurosawa.
Qu'un artiste exprime sa conception du monde, c'est évident. Et je ne nie pas à ce film le droit d'exister : LVT formalise sa pensée sans compromis, en cela
Melancholia est un film que je respecte tout à fait. Mais en tant que spectateur, j'adhère à une vision ou non (avec toutes les nuances possibles entre les deux). C'est normal de faire entrer sa sensibilité, son apport subjectif, dans la réception d'une oeuvre : c'est même tout l'intérêt. En l'occurence, non seulement la vision de Von Trier ne me touche et ne m'émeut pas, mais en plus elle traduit une philosophie qui m'apparaît fallacieuse. Je dirais ainsi que si ce film parle autant de l'homme qu'un Kurosawa, alors il me semble qu'il en parle moins bien (et c'est un euphémisme). Il évident qu'un spectateur nihiliste tiendra un discours opposé au mien, et c'est normal. La réceptivité d'une oeuvre implique un engagement, au-delà des considérations purement qualitatives. Pour le dire autrement, j'attaquerai plus facilement un chef-d'oeuvre que j'estime moralement "pourri" qu'un mauvais film que je trouve moralement "bénin".