Reunion in France - Jules Dassin (1942)
Mai 1940 à Paris. Michèle de La Becque (Joan Crawford), française fortunée, et Robert Cortot (Philip Dorn), riche industriel français, vivent une vie luxueuse malgré la progression et la proximité des troupes allemandes. Après un séjour à Biarritz, la jeune femme revient à Paris, désormais occupée, et découvre que son fiancé s'est allié aux officiers nazis et fait fonctionner ses usines pour l'Allemagne. Outrée de le voir pactiser avec l'occupant, elle ne veut plus vivre avec lui et se voit contrainte de trouver du travail pour survivre. Un soir elle accueille chez elle un américain membre de la RAF, Pat Talbot (John Wayne), dont l'avion a été abattu et qui doit retourner au plus vite à Londres...
Reunion in France est un film de propagande réalisé en 1942 à la gloire de la Résistance française et mélangé à un (gros) soupçon de Women's picture comme la MGM a su en faire dans les années 1930. Basé sur un casting vendeur et sur lequel on pense que le film repose (Joan Crawford et John Wayne), le film souffre néanmoins de plusieurs défauts qui l'empêchent d'être vu comme un film de propagande solide mais plutôt comme un triangle amoureux prenant pour cadre un Paris occupé.
- Tout d'abord,
Reunion in France souffre de la comparaison avec le petit bijou de Michael Curtiz qu'est
Casablanca. Même si le film de Dassin, qui prend place dans la vie parisienne pendant l'Occupation, est difficile à opposer au film de la Warner, on ne peut s'empêcher de les comparer et de se rendre compte à quel point le film de Curtiz lui est supérieur dans bien des domaines : histoire, mise en scène et même casting. Sorti peu de temps après le film de la MGM,
Casablanca a su se bonifier avec le temps à la différence de
Reunion in France.
- Ensuite le casting n'est pas à la hauteur de ce que l'on pouvait espérer :
Joan Crawford est difficilement crédible en bourgeoise française qui se transforme petit à petit en modeste résistance. Toujours aussi belle et superbement habillée par Adri....Irene, l'actrice est loin d'être mauvaise dans son personnage mais on a du mal à y croire surtout qu'elle donne parfois l'impression de participer à un défilé de mode quand on regarde les tenues
John Wayne apparait quant à lui au bout de 40 minutes dans un personnage plus proche du second rôle que du premier. Ses apparitions sont assez limitées, surtout vis-à-vis de la présence de Crawford à l'écran, et on ne peut pas dire qu'il soit spécialement à l'aise dans ce rôle de pilote américain, intégré à la RAF, qui doit rejoindre l'autre rive de la Manche. Le couple ne fonctionne pas aussi bien que le classique
Gable-Crawford et on sent parfois que les 2 interprètes ne sont pas à l'aise avec le scénario. Pour rebondir sur la comparaison entre Casablanca et ce film, on pourra dire que Michael Curtiz sera bien meilleur pour diriger Joan Crawford dans
Mildred Pierce et John Wayne dans le méconnu
Trouble along the way (et si il y a un film véhiculant un message de propagande à voir avec John Wayne, il suffit de jeter un oeil au
pur chef d'oeuvre qu'est
They were expendable de John Ford
).
- Comme beaucoup de film de propagande,
Reunion in France souffre des classiques défauts liés à ce type de film (
Casablanca ou
Passage to Marseille également) : les allemandes bien rondouillardes se ruent dans les boutiques de luxe pour être habillées à la mode de Paris, la France a été envahie non pas à cause de sa gestion militaire ou politique mais simplement parce qu'elle a été trahie, tous les français semblent être des résistants, ils tiennent tête aux allemands comme si de rien n'était et enfin tout le monde parle en anglais et aucun acteur ne fait d'efforts pour parler français (les officiers allemands parlent anglais entre eux, Joan Crawford doit aligner 3 mots en français sur les 1H40 du film, Robert Cortot, industriel français, est interprété par l'acteur d'origine néerlandaise Philip Dorn et parle anglais avec un accent germanique bien présent). En fait le film baigne dans un mélange d'accents anglais, américaine et européens mais jamais français.
En résumé on est face à un film de propagande assez mineur, vraiment dispensable au regard de la filmographie de Joan Crawford(*) et de John Wayne, au scénario assez faible et qui ne fait clairement pas le poids face à
Casablanca. Si a réalisation de Jules Dassin n'a rien d'exceptionnelle (sans doute justifiée par le fait que c'est un de ses premiers films), la photo de Robert Planck, certes loin d'égaler celle de William H. Daniels à la MGM ou celle de Arthur Edeson à la Warner (
Each Dawn I die,
They drive by Night,
Le Faucon maltais ou
Casablanca), sauve un peu la donne (surtout dans la seconde partie du film) avec quelques plans intéressants...
(*)
Joan Crawford qui a avoué quelques années plus tard lors d'une interview : "Si il y a une vie après la mort et que je dois être punie pour mes péchés, c'est un des films que je serai obligée de regarder pour l'éternité"...
...et quelques beaux close-up sur le visage de Crawford.
Reunion in France est l'avant dernier film de Crawford pour la MGM (le dernier étant
Above Suspicion de Richard Thorpe) avant qu'elle ne la quitte et on sent réellement que la major n'est plus aussi amoureuse de son actrice comme ce fut le cas dans le milieu des années 20 et durant les années 30 (rupture du contrat en 1943 pour rejoindre la Warner Bros. et remporter un oscar en 1945 grace au
Mildred Pierce de Curtiz). La major ne lui offre pas les rôles qu'elle souhaite (le genre de rôles offerts à Shearer et à Garbo dans la décennie précédente) et la magie du couple MGM/Crawford a pris fin en 1941 avec le très bon
A Woman's Face...
NB : à noter le minuscule rôle d'une toute jeune Ava Gardner dont le seul texte est "Guten Tag"