Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott, 1983)

Message par Demi-Lune »

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SPOILERS. Enormément de choses ont déjà été écrites sur ce film dans les pages précédentes, aussi tâcherai-je de rester relativement concis à son encontre. Echec financier et critique à sa sortie en 1983, rareté dont le culte grandit progressivement au point de permettre au film aujourd'hui d'être considéré comme un classique des années 1980, Les Prédateurs rénove intelligemment le mythe du vampire et fait, dans le même temps, figure de manifeste esthétique de la décennie, aux côtés d'autres titres référentiels tels que Blade Runner (Ridley Scott, 1982) ou Manhunter (Michael Mann, 1986). Même s'il serait regrettable de résumer ce film de Tony Scott à sa foudroyante qualité picturale, on ne pourra nier que la beauté visuelle permanente qui y est imprimée constitue bien un atout de premier ordre. Film en "noir et bleu", Les Prédateurs est en effet une expérience formelle hypnotisante, requérant du spectateur une adhésion totale, au risque, au mieux, de le perdre très vite, au pire, de l'agacer au plus haut point devant ce qu'il pourra éventuellement percevoir comme du maniérisme futile et toc. Son rythme volontairement lent, atmosphérique et lancinant, ainsi que la simplicité de son intrigue (qui n'en demeure pas moins efficace), permettent en effet de mesurer très rapidement le degré d'importance accordé à l'esthétique générale, essentielle, substantielle. Tout passe par le visuel. Il y a peu de dialogues et la compréhension de l'histoire, notamment ce qui a trait à la nature vampirique des Blaylock et le passé de Bowie, se fait par le biais de l'image, toute-puissante. Volutes de fumée s'étirant dans des larges bans de lumière bleutée, froideur des couleurs, photographie sous exposée enveloppant opaquement les décors, telles sont notamment les caractéristiques visuelles déployées tout du long par Scott - et son directeur photo Stephen Goldblatt - qui entre expérience personnelle du monde du clip et influence déterminante des univers esthétiques façonnés par son frère, imprime sur pellicule une succession ininterrompue de plans tous entiers tournés vers la recherche du beau. Recherche de l'esthétique qui, soit dit en passant, occupe autant le réalisateur que les Blaylock, racés, toujours tirés à quatre épingles et vivant dans un luxueux immeuble de Manhattan, où se mélangent styles antiques ou Louis XV. Cette suresthétisation, qui fait des Prédateurs une oeuvre si magnifique et stimulante pour l'oeil, rebutera les allergiques des 80's et constitue pour le film lui-même une limite potentielle : si Tony Scott gère magistralement ses atmosphères, il succombe épisodiquement à une lourdeur kitschoune qui vient rappeler que le style visuel 80's est un exercice de funambule : bien dosé, cela touche à la grâce ; mal dosé, ça fait un peu grincer les dents. Si les réfractaires citeront pour exemple l'ouverture du film au son de Bela Lugosi is dead (qui est pourtant pour moi un sommet de montage) ou la scène saphique entre Deneuve et Sarandon, quelques détails me semblent personnellement bien plus embarrassants, tels que l'utilisation des colombes ou les ralentis saccadés pas toujours très heureux du finale. Des défauts qui demeurent marginaux au sein d'un tableau de maître, qui réussit à rendre Catherine Deneuve plus belle que jamais.

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Splendeur visuelle, Les Prédateurs a également acquis ses lettres de noblesse de par sa présentation originale du vampire. Je ne reviendrai pas sur ces caractéristiques, déjà bien développées antérieurement sur ce topic, mais rappelerai au passage que Scott s'était tourné vers l'adaptation de l'oeuvre de Whitley Strieber parce qu'il n'avait pas mener à bien celle d'Entretien avec un vampire d'Anne Rice, là aussi une lecture dépoussiérante du mythe. A une époque où le virus du sida commence à être connu, le tragique et soudain vieillissement de Bowie, atteint d'un mal inconnu et inéluctable, se lit comme une parabole dérangeante. Le film baigne en effet dans une obsession sanguine qui n'aurait peut-être pas autant interpellé s'il n'y avait pas eu le dépérissement physique de Bowie, ou la relation homosexuelle et audacieuse entre Deneuve et Sarandon, scandée au rythme du Lakmé de Délibes et d'inserts subliminaux de globules rouges en ébullition. Les deux niveaux du film (l'émouvant destin de Bowie et l'amour lesbien déçu entre Deneuve et Sarandon / la parabole sur le SIDA) font ainsi des Prédateurs une oeuvre très atypique et osée pour son époque, même si la fameuse scène d'amour saphique se révèle, pour les yeux d'aujourd'hui, étonnamment poétique et sobre. Au sein d'une logique esthétisante qui aurait pu être étouffante, l'émotion surgit régulièrement par le biais du trio d'acteurs et de leurs tourments mélancoliques, illustrés par l'utilisation des morceaux de musique classique dont le rôle important sera signifié au détour d'un plan admirable (le sang tachant progressivement le feuillet de partition musicale). Sorte de quintessence esthétique du style 80's, Les Prédateurs, film superbe mais exigeant, lent et singulier (il ne me vient que peu d'exemples à l'esprit de films traitant si judicieusement de la peur de vieillir), parfois expérimental, parfois too much, est le seul grand film de Tony Scott, qui signait ici une perle du fantastique, tragiquement sensuelle et visuellement à pleurer. Très fortement recommandé.
Anorya
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott, 1983)

Message par Anorya »

Les prédateurs (Tony Scott - 1983).
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De nos jours, Miriam Blaylock (Catherine Deneuve) et son mari John (David Bowie) mènent une vie luxueuse et oisive seulement troublée par des cours de violoncelle ou des passages en boîte de nuit. En réalité, ce sont des vampires vieux de plusieurs siècles qui s'octroient une bonne petite pinte de sang de temps en temps. Seulement voilà, un jour, John remarque qu'il se met à vieillir en accéléré, contrairement à Miriam, n'ayant pas la même force de vie. Le temps le rattrape et Miriam commence alors à chercher un autre compagnon...

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Plutôt que redire ce qui a déjà été dit bien mieux que je ne pourrais le faire, je vais revenir à un avis basique qui traduit bien mon étonnement et ma fascination envers ce film que j'ai toujours voulu voir depuis un bon moment. Il faut dire que les captures visibles un peu partout (surtout grâce au Major Tom) avaient plus qu'aiguillé ma curiosité. Si je ne nourrissais pas d'attentes particulières envers ce film, je m'attendais à un manifeste de plans colorés avec des bleus comme je les aime chez Michael Mann ou James Cameron et je fus plus que servi. Pour son premier film, et même malgré une esthétique assez clipesque et une ambiance très années 80, la fascination a plus que marché : montage alternant diverses images de la mort (d'un singe comme de proies humaines) quand elle ne sert pas un malaise lié à la contamination du sang (les inserts de globules, assez violents), musique desservant incroyablement le propos (le gothique de Bauhaus comme Ravel ou Delibes), complètement en diapason, sons froids et métalliques qu'on jureraient issus d'opus Vangeliens ou Tangerine Dreamiens parus il y a peu chez d'autres réals dont le frangin de Tony à peu de distance, et qui renforcent sourdement l'oppression de la ville comme de ses créatures vampiriques.

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Le plus étonnant est sans doute qu'a l'instar de Near Dark, Aux frontières de l'aube, pas une seule fois le mot vampire ne soit prononcé, le vampirisme même y étant là aussi traité comme une maladie. Quand ce ne sont pas les inserts globuleux lors d'une scène saphique qui évoque subtilement la contamination dans l'un, c'est un vétérinaire, une transfusion sanguine et le refus de soins médicaux en hôpital dans l'autre. Et là aussi, une présence de médecin dans ce docteur joué par Susan Sarandon (Sarah Roberts) qui se rapproche progressivement de Miriam, mais qui n'acceptera pas forcément de se rapprocher de cet inquiétant milieu sous peine de peur de perdre une bonne part de son humanité. A cet égard il faut dire d'ailleurs que nos "vampires" immortels et new look en imposent. Deux figures glamour à travers Bowie et Deneuve qui, à travers leurs froids visages traduisent à la fois un détachement de cette réalité bien humaine comme la froideur d'une esthétique propre à une époque qui va se propager en bien comme en mal pour une bonne décennie. Les gestes sont lents et aussi calculés que le rythme du film. C'est tout à son honneur, l'action ne fait pas dans l'esbrouffe, ni dans la surenchère et les scènes horribles où le sang gicle se comptent sur les doigts de la main. Tout le film, à l'instar de sa photographie brumeuse et en contrejour légèrement opaques (le travail de Stephen Goldblatt sur le film est vraiment de toute beauté et me rappelle celui de Jordan Cronenweth par moments) joue sur l'ambiance qui en devient légèrement malsaine. A ce titre, la lente séquence de dégénérescence de David Bowie, toute en sobriété, lenteur et puissance (les cadrages et la lumière sont plus que maîtrisés, quand aux maquillages, ils restent encore hallucinants) reste un des sommets les plus marquants du film.

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Le film est aussi très fort, car très juste dans la psychologie de ses personnages : foin de multiples personnages à loisirs, on se concentre uniquement sur un trio (et quelques acteurs secondaires dont le temps de figuration dans le film doit être d'à peine 10 mn au maximum) et l'on voit les interactions produites, le lien les reliant restant alors la question douloureuse du vieillissement, le sujet préoccupant naturellement le docteur Roberts (qui vient de sortir un livre dessus), comme John (qui s'inquiète et commence à prendre peur dès qu'il voit ses cheveux tomber) et Miriam (qui ne peut vieillir mais à vu ses autres compagnons mourir au fil du temps). En filigrane, la dégénérescence par le biais du sang n'est nullement évidente car reliée au sida qui émerge alors. Face à un si grand sujet qui dans le fantastique et l'horreur n'a alors été que traité par David Cronenberg, je loue pleinement le film, et ce malgré quelques petites erreurs qu'on peut bien lui passer tant le résultat final reste d'une flamboyance peu commune.
Dans mon top 5 direct de mes films de vampires préférés. :D

5,5/6.
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Major Tom
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott, 1983)

Message par Major Tom »

Anorya a écrit :Dans mon top 5 direct de mes films de vampires préférés. :D

5,5/6.
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Très content que tu l'aies vu (et apprécié). ;) C'est Lune-demi qui a fait tes captures?
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par riqueuniee »

Vu et apprécié. Mais je n'aurais peut-être pas autant aimé si Bowie n'avait pas joué dedans (peut-être même que je ne serais pas allée le voir...)
Anorya
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott, 1983)

Message par Anorya »

Major Tom a écrit :
Anorya a écrit :Dans mon top 5 direct de mes films de vampires préférés. :D

5,5/6.
Ben tiens. 8)

Très content que tu l'aies vu (et apprécié). ;) C'est Lune-demi qui a fait tes captures?
C'est bien parce qu'il me fallait un 5e film de vampires pour avoir un chiffre comme les cinq doigts de la main, il m'en manquait un et là c'est bon. :D
Les 4 autres sont le Nosferatu de Murnau, Near Dark, le Dracula de Coppola et Morse.

Sinon non, j'ai trouvé les captures sur un blog qui en proposait pas mal et d'une bonne qualité ce qui est assez rare. J'ai plus eu qu'a me recadrer tout ça avec 'toshop par la suite. :wink:

Au passage je remarque que ta sign' et ton avatar sont en adéquation avec ma récente découverte. :D
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par riqueuniee »

Je n'avais pas remarqué la signature. Non seulement elle est en parfaite adéquation, mais en plus j'aime beaucoup le groupe (Bauhaus) , qui fait d'ailleurs une apparition au début du film. Si je ne me trompe pas, ils y chantent She's in parties.Ils ont d'ailleurs enregistré une chouette version de Ziggy Stardust (la chanson, pas tout l'album...)
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par jacques 2 »

Je crois plutôt que Bauhaus chante "Bela Lugosi's dead" au début du film (scène de la boîte de nuit) ...

Non ? :wink:
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par riqueuniee »

Tout à fait... Confusion de ma part. D'ailleurs, le clip de Bela Lugosi... utilise des images du film.
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par Major Tom »

Puisqu'on en parle, hop, le début du film :
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El Dadal
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par El Dadal »

A noter que Les Prédateurs n'est pas le premier film de Tony Scott. La place revient à Loving Memory (1970), un film qui risque de surprendre ceux qui ne connaissent du monsieur que les productions Bruckheimer. Le film est par ailleurs disponible en BR chez BFI.
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par Watkinssien »

El Dadal a écrit :A noter que Les Prédateurs n'est pas le premier film de Tony Scott. La place revient à Loving Memory (1970), un film qui risque de surprendre ceux qui ne connaissent du monsieur que les productions Bruckheimer. Le film est par ailleurs disponible en BR chez BFI.
Je ne l'ai pas vu, qu'est-ce que cela donne ?
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par Major Tom »

El Dadal a écrit :A noter que Les Prédateurs n'est pas le premier film de Tony Scott.
Non, mais son premier long-métrage, oui. ;)
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par riqueuniee »

Petit HS Sont considérés comme films à part entière, les longs métrages, c'est à dire les oeuvres faisant plus d'un heure. C'est ainsi que La vie des morts de Desplechin n'est pas toujours considéré comme son premier film, car il ne fait que 54 minutes.
Fin du HS.
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par Watkinssien »

riqueuniee a écrit :Petit HS Sont considérés comme films à part entière, les longs métrages, c'est à dire les oeuvres faisant plus d'un heure. C'est ainsi que La vie des morts de Desplechin n'est pas toujours considéré comme son premier film, car il ne fait que 54 minutes.
Fin du HS.
:shock:
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Re: Les Prédateurs (Tony Scott - 1983)

Message par Bugsy Siegel »

C'est un vieux débat...Ce serait comme de dire que les réalisateurs de films de moins d'une heure n'ont rien réalisé du tout.
on faisait queue devant la porte des WC comme au ciné lors du passage de l'Atlantide à l'écran. Jean Ray, Hôtel de Famille, 1922
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