C'est le premier long-métrage d'Herzog mais déjà tout semble à sa place, tout son univers est déjà inscrit en creux et pour un bon moment : l'inaction, la folie, la solitude, la tentation de l'homme de se rebeller contre quelque chose qui le dépasse, le temps qui s'effrite, un filmage documentaire... Pour relier les scènes, la voix-off (qui ressurgira très présente aussi dans Aguirre) qui appuie avec plus de lyrisme désabusé qu'il n'en faut des images pourtant banales. A contrario, quand la voix-off se tait, le silence et les plans contemplatifs envahissent avec magie l'écran livrant parfois de fort belles visions (des rues désertées avec des chèvres qui sortent d'un bus au loin, une plaine immense de milliers de moulins, des poissons dévorant du liège...).
Ces "signes de vie" qu'offre alors la caméra, c'est aussi ce qu'aperçoit le soldat Stroszek en des plans parfois subjectifs ou suffisamment décalés, souvent au ras du sol. Ce pourrait aussi être toutes les petites activités qui bordent la vie inactive et ennuyeuse des soldats, cloîtrés dans cette forteresse, attendant vainement quelque chose. Loin de la guerre, si elle ressurgit encore, c'est bien chez le héros Herzogien qui se laissera aller à sa folie et à ses rêves de grandeur au point de se perdre dans quelque chose qui le broiera inexorablement. Les images sont fantastiques, dans un noir et blanc doux et parfois contrasté que vient souligner l'ambiance sonore décalée du film, entre guitare mélancolique (ça n'en renforce que plus l'aspect grandiosement pathétique de son anti-héros) et bourdonnement inquiétant.
Comme dit Emmanuel Carrère dans un bel ouvrage qui était consacré alors au cinéaste en 1982 au moment de Fitzcarraldo (*), Signes de vie nous conte l'histoire d'un homme qui scrute un paysage, et, en filigrane, l'histoire d'un paysage qui s'empare d'un homme. Cette progression souterraine, insensible, procède par cercles concentriques et aussi par l'éclat même de la lumière. Le film est dévoré par la blancheur. On ne saurait pas si bien dire. C'est écrasés sous cette surexposition que lentement, presqu' imperceptiblement, l'inactivité casse le personnage et c'est à la vue de la blancheur totale d'une "armée" de moulins que Stroszek va défaillir et sombrer définitivement jusqu'a sa chute inéluctable. Pourtant, vite expédiée, ce n'aura pas été celle-ci qui aura intéressé le cinéaste mais un homme au faite de sa propre intensité. Stroszek n'a pas fait la guerre finalement, il a choisi de faire une guerre, coupée du monde humain.
Pour un premier film, Herzog livre un travail saisissant et passionnant.
4,5/6.
(*) Werner Herzog, par Emmanuel Carrère, éditions EDILIG, 1982, p.15. Il semble que l'ouvrage ne soit pas réédité actuellement.
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