Mais cette citation (que je ne connaissais pas, d'ailleurs) contient une réalité qu'on peut appliquer à des tas de films et de réalisateurs. Le cinéma muet n'obéissait-il pas à la même démarche ? Je ne vois pas vraiment ce qu'elle a de choquant. Car que dit-elle vraiment ? Elle dit que la musique de film sublime les images qui peuvent en elles-mêmes être porteuses d'émotion. Par exemple, qui s'insurge de la fin du Parrain 3, où Coppola rajoute au déchirement vécu par les personnages, et atteignant le paroxysme avec le hurlement de Pacino, la musique bouleversante de Mascagni ? Personne. Parce que tout s'agence de manière symbiotique et que de cette symbiose naît une rare magnificence.AtCloseRange a écrit :Sauf que la phrase de Spielberg sur Williams, je ne l'ai pas inventée (artistiquement, elle me choque) et elle n'a fait que confirmer après coup ce que je pensais notamment d'ET.
Ce que Spielberg dit ici au sujet de l'impact émotionnel de la musique de Williams (dont l'association est fusionnelle, Williams a souvent dit que Spielberg pensait sa mise en scène en termes musicaux : "Il ne ressent pas comme un échec l'arrivée de l'orchestre dans une scène. Pour lui, il fait partie de la nature du cinéma"), me semble tout autant vrai par exemple de l'association Leone/Morricone où la puissance lyrique et/ou opératique de la musique transporte définitivement les moments où l'émotion est censée se produire. Dans Il était une fois dans l'Ouest que j'ai revu pas plus tard qu'hier, des morceaux bouleversants comme "Jill's America" ou l'envolée des cordes et des chœurs de "Man with an harmonica" sont autant porteurs d'émotion brute que l'est le finale musical d'E.T.. Alors, y a-t-il un "chantage à l'émotion" comme tu dis quand la musique éclate avec le travelling arrière dans Monument Valley, avec le frère pendu ? L'utilisation de la musique chez Leone et Spielberg est assez similaire dans la mesure où la musique fournit des informations-clés au spectateur : elle n'est pas là en simple accompagnement, elle bat le tempo de l'histoire et est partie prenante de la narration. Car si l'on enlève la musique de Morricone, les images de Leone sont belles, très travaillées, mais l'émotion, la puissance, n'est indiscutablement pas la même - et pour cause, puisque la musique fait office de narrateur. C'est pareil pour E.T. où le chagrin d'Elliot de voir partir E.T. est mieux traduit par le crescendo symphonique que par le dialogue, volontairement minimaliste, ou l'intimisme de ces adieux.
Pierre Berthomieu, dans le monumental Hollywood moderne, consacre une longue analyse (pp. 583-588) sur les caractéristiques et la philosophie cinématographiques de la musique de John Williams, qu'il défend avec admiration et conviction ; voici un extrait en lien avec tes critiques :
"Max Steiner rappelait que la musique composée pour l'écran doit se faire remarquer. Il en vantait la valeur musicale et professait que l'oreille devait entendre ce que l'oeil voyait. Le pouvoir de la grande musique parut terrible à beaucoup de cinéastes modernes. Ainsi naquit un nouveau cliché : le manque de confiance dans l'image nourrissait le recours à la musique. La musique de John Williams qui, avec celle de l'immense Jerry Goldsmith, domine le paysage musical cinématographique américain pendant plusieurs décennies hérite en toute conscience de ces débats classiques. Mais, avec Steven Spielberg, il démontre sans difficulté la vacuité du cliché. La musique manipule ? Les autres aspects du cinéma le font-ils moins ? [...] Spielberg a confiance en ses images : aussi peut-il accueillir la voix forte de John Williams. [...] Sa conception musicale a ravivé le symphonisme de Steiner et Korngold, dont il conjugue le lyrisme et le dynamisme, tout en retrouvant probablement une nostalgie du muet et de l'accompagnement constant."