Chris Marker (1921-2012)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Anorya
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Si j'avais quatre dromadaires (1966).

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« Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d’Alfaroubeira
Courut le monde et l’admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j’avais quatre dromadaires.
»
Extrait du "Bestiaire ou Cortège d'Orphée" de Guillaume Apollinaire, livré tel quel au début du film.


Ma connaissance de l'oeuvre de Marker se limitait comme pour beaucoup de gens à un visionnage de La Jetée (1962) et quelques courts extraits de Lettre de Sibérie (1957). Autant dire donc que la découverte (le choc) de Sans Soleil (dont je parlerais un de ces jours si j'ai le temps) dimanche dernier a réactivé en moi une petite fringale et j'ai commencé à chercher ce que je pouvais voir de Marker. Entreprise bien ardue étant donné qu'il existe peu d'oeuvres du monsieur en DVD. A l'instar d'une plongée dans le --devenu trop rare aussi-- Immemory sur cd-rom de 1999, chercher une oeuvre de Marker, c'est explorer des méandres inconnus, de nouvelles Zones. J'avais entendu dire que le cinéaste s'était fondu dans l'étrange monde de Seconde Life, échappant une fois de plus à toute captation, toute classification, ne livrant sans doute que des chroniques éparses sur le net (poptronics ?) quand il ne se cachait pas derrière le fantôme de Guillaume-en-Egypte (son chat, enfin ça l'était. ça va être compliqué pour les non-Markeriens je le sens). Le fait donc de trouver une oeuvre de Marker en VHS livrait donc une première jouissance. Ou plutôt deux jouissances avec le recul. La première, celle de savoir qu'on est en présence d'un objet rare qui aiguise d'autant plus le propos et la réflexion qu'on peut tirer de sa substantifique moëlle. La seconde, celle d'apprécier pleinement l'objet, son humour, sa subtilité, son intelligence.


C'est donc avec Si j'avais quatre dromadaires que j'ouvre cette mini rétrospective Markerienne, malheureusement pas dans l'ordre du visionnage (entre-temps je me suis revu Une journée d'Andréï Arsenevitch et Chats Perchés pas plus tard que cet après-midi), ce qui ne m'empêche pas de vous faire partager ma nouvelle passion pour ce cinéaste-documentariste de génie. Ici, la forme emprunte à La Jetée tout en anticipant d'une vingtaine d'années sur Sans Soleil : Le film se veut un commentaire (relecture, décryptage et remise en contexte d'images plutôt) de photographies noir et blanc de voyages incessants autour du monde, à 3 voix (2 hommes et une femme). Cela ferait presque discussion de comptoir amusé et charmante (ils sont très communicatifs) autour d'un verre de thé si les images n'appelaient pas de leur force à se pencher dessus plus précisément.

Le film (une heure, soit le double de La Jetée) se divise en deux parties parallèles et distinctes : Le Château puis Le jardin. Dès le début où l'on aperçoit furtivement un hibou et un chat, on est en terrain connu et la suite ne déçoit pas. Mais Marker frappe très fort dès le départ en jouant habilement sur le son, démontrant le pouvoir du verbe sur l'image, sorte de mise en garde faussement déguisée au spectateur : un même commentaire "Il est 6 heures sur le canal St-Martin" se répercute, amputé (on enlève "le canal St-Martin") sur d'autres photos, d'autres lieux. Un même matin est-il le même partout dans le monde ? Qu'est-ce qui permet de savoir justement que c'est bien le matin ? Qu'on ne nous truque pas l'image ? Marker ne dit rien, ne sous-entend rien, il laisse le spectateur seul juge de ce qu'il avait déjà génialement évoqué dans Lettre de Sibérie, à savoir que le commentaire d'une séquence peut très bien être différent selon le point de vue (historique, sociologique, politique) où l'on se place, enflant la richesse de la scène elle-même et son degré de compréhension.


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Pause-chat à la Marker.

Plus le film avance plus il saute pertinemment d'un pays à un autre, de l'Histoire à la sociologie ou de l'ethnologie à la politique, constamment avec humour. Par exemple, si Marker ne peut s'empêcher de revenir sur cette Russie qu'il aime tant (L'évidence est même prolongée jusqu'à Sans Soleil qui se voit orné d'un titre français, anglais et aussi russe comme le rappelait Phnom&Penh dans son excellente chronique sur le site), il a conscience qu'alors à l'époque, le pays est encore pleinement engoncé dans ses problèmes et le fait dire à l'un de ses commentateurs officiels. "La seule frontière de race, c'est le château. Les pauvres vivent à son ombre." La première partie se clôt sur un constat sombre, la seconde, plus légère n'en garde pas moins un certain malaise. A des photos d'enfants du monde se trouvent alternées des photos d'animaux en tout genre, jusqu'a une photo curieuse où un petit garçon joue avec un chat. De l'innocence et du jeu sous l'égide d'une des créatures mascottes de Marker, jusqu'a ce que le commentaire rectifie :

"Qu'est-ce qu'il fait celui-là ?
_ Il joue avec un chat. Mais le chat ne joue plus. Il est mort, étranglé par la ficelle.
"

Innocence et cruauté du monde qui justifient à la fois sa beauté comme sa douleur. Puis des luttes socialistes des autres pays (sur lesquelles Marker reviendra dans la somme Le fond de l'air est rouge --prochain visionnage), on change une nouvelle fois de lieu, d'endroit, de temps, direction la Suède. Sur les photos, des gens insouciants, des filles magnifiques, des villes robustes. Le commentaire lui-même ne tarit pas d'éloge sur ce pays à la pointe du progrès, des droits (des femmes notamment), de l'urbanisme, du travail. Malaise : ça semble presque parfait. "Un bonheur sans passion". Alors où est le problème ? Qu'est-ce qui leur manque ? "Sans doute une seule chose, mais essentielle, l'immortalité".

Au final, après avoir survolé le monde, les utopies politiques et sociales, voire artistiques (des photos déchirées et chaotiques vers la fin), le film pointe en conclusion qu'une certaine idée du bonheur reste possible. Sinon, il ne tient qu'a nous de l'inventer... Puisqu'on vous dit que c'est possible !

5/6. Grandiose.



(prochaines chroniques Markeriennes bientôt... ;) )
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Phnom&Penh
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Re: Chris Marker

Message par Phnom&Penh »

Anorya a écrit :(son chat, enfin ça l'était. ça va être compliqué pour les non-Markeriens je le sens).
Bienvenue au club des initiés et des amateurs de second degré obscur :mrgreen:

Un texte très agréable et markerien sur un film que tu as bien de la chance d'avoir vu!
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Mais il n'y a pas que les films. N'oublie pas que pour être adoubé dans l'ordre, il faut avoir lu l'intégrale de Giraudoux, collectionner les éditions Hetzel de Jules Verne, et guetter le chant matinal du merle du XXe arrondissement :)
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Phnom&Penh a écrit : Un texte très agréable et markerien sur un film que tu as bien de la chance d'avoir vu!
Merci. :)
Je viens de dresser une liste des films qu'il faut que je voie de lui pour les semaines à venir...
Saigon - Hanoi a écrit :
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Mais il n'y a pas que les films. N'oublie pas que pour être adoubé dans l'ordre, il faut avoir lu l'intégrale de Giraudoux, collectionner les éditions Hetzel de Jules Verne, et guetter le chant matinal du merle du XXe arrondissement :)
Oulà... Je vais déjà commencer avec son roman "Le coeur net" que j'ai eu la chance de trouver en bibliothèque. Les références à son univers, on verra sans doute après. :wink:
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Chats perchés (2004).
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Le cinéaste (écrivain, résistant, documentariste, poète, voyageur, explorateur du web... et j'en passe) qui affiche alors toujours une certaine vaillance alors (il a plus de 80 ans), se propose d'évoquer à la fois un étrange chat jaune souriant et omniprésent sur les murs tout en dévoilant deux à trois années assez chargées en France. Manifestations (anti-Raffarin, pro-Raffarin, sans-papiers, guerre en Irak et mensonges de Bush et la clique Blair and co --note pour moi-même, c'est fou ce qu'on manifeste en France. :mrgreen: ), disparitions (Schwartzenberg mais surtout Marie Trintignant où Marker ne juge jamais Bertrant Cantat, tout au plus constate t-il désolé la tragédie), une tendresse toujours actuelle pour les matous (même, surtout, ceux en graffitis, de Mr.Chat mais aussi un petit chat dans le métro "qui promène son humaine") mais aussi la jeunesse, en passant par un lynchage rapide de l'équipe de France ("11 milliardaires qui tapent sur une balle", phrase appelée à devenir culte :mrgreen: ), toujours dans ce style qui alternes idées et faits. On sent un ton toujours aussi précis et acéré même si, surprise, la voix s'efface devant des cartons très Godardiens. Ce qui n'empêche pas la concision brillante des tournures. Si l'ensemble a parfois quelques longueurs, il demeure que cette "synthèse" du début des années 2000 sur le monde (même si l'on parle essentiellement de la France) reste toujours passionnante, caustique et drôle.


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Leila Attacks (2007).

Pour ceux qui en doutaient, Chris Marker est toujours bien vivant (il va avoir ses 90 ans cette année si j'ai bien calculé :shock: ), en témoigne cette courte vidéo, faite-maison (c'est le cas de le dire), très cartoon et absurde. C'est évidemment mieux que rien même si l'on aimerait toujours plus de Marker, même quand il fait joujou. :mrgreen:

Apparemment, Marker se cacherait derrière le pseudonyme de Kosinki sur Youtube, d'après des gens sur Mubi. :o
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Re: Chris Marker

Message par julien »

Anorya a écrit :
Pour ceux qui en doutaient, Chris Marker est toujours bien vivant (il va avoir ses 90 ans cette année si j'ai bien calculé :shock: ), en témoigne cette courte vidéo, faite-maison (c'est le cas de le dire), très cartoon et absurde. C'est évidemment mieux que rien même si l'on aimerait toujours plus de Marker, même quand il fait joujou. :mrgreen:

Et puis un Marker qui fait joujou vaut toujours mieux qu'un Fincher qui fait du mou.
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

julien a écrit : Et puis un Marker qui fait joujou vaut toujours mieux qu'un Fincher qui fait du mou.
Concernant The social Network, je ne l'ai pas vu. :mrgreen:

----------------------


Une journée d'Andréï Arsenevitch (1999).


"Ils sont arrivés, Andrioucha et Anna Semionovna ! Anna Semionovna n'a pas du tout changé; elle était seulement fatiguée par le voyage et les émotions. Je n'aurais pas reconnu Andrioucha si je l'avais croisé dans la rue : 1,80 mètre à 15 ans ! De grandes dents, un bon, un adorable garçon ! Tout cela sort d'un conte de fées ! Il paraît que Léon a écrit une lettre à Miterrand, qui a écrit une lettre à Gorbatchev et Gorbatchev a aussitôt ordonné qu'on les laisse sortir immédiatement. Moi, j'ai écrit samedi dernier une lettre à l'ambassadeur --et une semaine après, ils sont là ! Incroyable !

Chris Marker est allé les chercher et il a tout filmé, à l'aéroport et ici. Je n'ai pas pu y aller. A Cheremetievo, on les a enquiquinés, bien sûr, on ne les laissait pas embarquer sous prétexte que leurs visas n'étaient pas en règle --et puis finalement, ils ont pu embarquer. Le résultat est qu'ils ont perdu le sac avec les affaires d'Andrioucha."
Tiré du Journal d'Andréï Tarkovski, 19 janvier 1986, p.529.


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Le miroir à gauche, Larissa l'épouse de Tarkovski à droite. Une même attente, typiquement personnelle et ...russe.

Cette journée d'Andréï Arsenevitch, c'est celle d'Andréï Tarkovski, plus précisément, celle du 19 janvier 1986 que filme Chris Marker, qui était déjà venu furtivement filmer le maître lors des derniers plans du Sacrifice (notamment l'ahurissant plan-séquence final du film) comme il avait déjà filmé peu de temps auparavant, Akira Kurosawa sur les pentes du Mont Fuji pour Ran (voir le beau documentaire A.K). Et encore plus précisément, cette fameuse journée, c'est celle qui marque les retrouvailles d'un père avec son fils, resté otage avec sa grand-mère en U.R.S.S, fameuse technique de pression d'alors pour éviter que les réalisateurs russes ne soient tentés de partir à l'étranger. Comme le rappelle Michel Chion dans son livre consacré au cinéaste (1), "en russe, la politesse veut, quand on s'adresse à quelqu'un dont on est pas le familier, qu'on l'appelle par son prénom suivi du rappel du prénom de son père : ainsi Tarkovski était-il Andréï Arsenevitch. Lui-même choisit de donner le prénom de son père à son premier fils (Arseni Andreïevitch) et le sien à son deuxième enfant". Par ce titre étrange, c'est donc en toute humilité que Chris Marker choisit d'évoquer cette journée étrange et bouleversante (pour qui connaît un peu l'histoire du cinéaste russe alors atteint du cancer). C'est aussi dès lors l'occasion de revenir sur les films du cinéaste, de les décrypter d'une manière très simple mais finalement bienvenue.

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Le cinéaste, sur son lit, ému, vaguement gêné, cherchant ses mots à gauche et, un extrait de Stalker à droite.
Sans esbrouffe et extraits de plusieurs films de Tarkovski à l'appui, Marker alterne entre la journée elle-même et, étrange coïncidence, ce qu'on retrouve dans les films. Un peu comme si la fiction avait pour un temps rejoint la douloureuse réalité. Dehors il pleut, et Larissa de sortir sous la pluie avec des larmes de joie, s'écriant : "C'est comme dans les films d'Andréï". Puis évocation du rôle de la terre et justement de l'eau dans le cinéma Tarkovskien, analyse de la mise en scène et notamment de la conception du fameux plan-séquence du Sacrifice, égrenant alors la difficulté d'un Tarkovski, concentré à l'extrême aussi bien au tournage que plus tard, lors du montage complexe du film (le Journal du cinéaste révèle en effet que ce ne fut pas une mince affaire, et ce, même si le film est plus linéaire que le poétique Miroir), même gravement malade, dans son lit, un bandeau comme un pirate autour de la tête pour cacher la perte des cheveux dûs à la chimiothérapie. Le documentaire se termine sur des photos prises lors de la messe donnée à l'enterrement du cinéaste. Seul instant où Marker utilise des photographies et où la douleur d'avoir perdu un immense cinéaste revient alors affluer chez le spectateur cinéphile, tout comme le voyageur Marker.


"Hier, Chris Marker a apporté le film en 16 millimètres qu'il a fait de l'arrivée d'Andrioucha et d'Anna Semionovna. J'ai une mine effrayante. Comme j'ai dû leur faire peur ! Larissa est toute empruntée. Elle monologue, profère des paroles en forme de toasts dont personne n'a rien à faire et elle cliquète avec ses bracelets aux poignets de sorte qu'on ne s'entend plus."
Extrait du Journal d'Andréï Tarkovski, 7 février 1986, p.534. (2)


4,5/6.








=======================



(1). Andréï Tarkovski - Editions Cahiers du cinéma/Le Monde, collection Grands cinéastes, p.89.
(2). Andréï Tarkovski : Journal 1970 - 1986, édition définitive. Editions des Cahiers du cinéma.
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Et pendant ce temps, que fait Chris Marker ? Il fait joujou. :shock: :mrgreen:
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Level Five (1997).


"Un jour je donnerai à Chris tout ça (...). On verra bien ce qu'il en fera lui, l'as du montage !"
(Catherine Belkhodja dans Level Five)

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D'emblée, Level Five se pose comme un défi et une réflexion, à la fois sur l'Histoire (on prend le point de départ d'un curieux jeu vidéo sur la Bataille d'Okinawa pour entrer dans d'étranges méandres) et la technologie (à travers l'idée même d'un jeu vidéo à plusieurs niveaux --levels--, Marker fait un parallèle saisissant et avant-gardiste avec le monde et une nouvelle fois, le Japon, pays qui semble le fasciner autant que la Russie). Le film/documentaire --à l'instar des niveaux, on navigue entre un mélange des genres, une confusion savamment entretenue qui passe autant par la narratrice/héroïne qui raconte son histoire (elle se lance dans le jeu vidéo suite à la mort de son mari, espérant trouver des réponses. On a connu des deuils qui prenaient des chemins de traverse autrement moins complexes il est vrai) que l'Histoire elle-même (des détails sont livrés, abondant sur la bataille d'Okinawa. Lettres d'Iwo Jima, c'est presque mignon à côté j'aurais envie de dire...) ou un portrait en creux de Chris Marker (qui parle pour la première fois à l'écran (2) ! :shock: )-- anticipe même sur l'internet naissant en proposant le concept du OWL (Optional World Link) (1). L'OWL, basé sur l'idée de réseau tel que William Gibson l'énonce dans son Neuromancien et que Marker cite même explicitement dans le film tient à la fois d'une sorte de gigantesque chat du net en direct comme d'un prémisse d'internet. Pour surfer dessus, pas forcément besoin d'un pseudo, mieux vaut prendre un "masque", se bâtir une autre identité. Et puis il y a les niveaux qui correspondent autant à un mode de vie qu'une éthique morale et spirituelle, comme une communauté avec ses grades sur le réseau OWL, comme un forum Classik avec ses modérateurs, ses administrateurs, ses forumeurs... Avec en toile de fond inquiétante, cette question au délà de la considération spirituelle : "Rien n'atteint le level 5. Faut-il être mort pour atteindre le level 5 ?" (3)


Level five s'avère une somme aussi importante que Sans Soleil, le chef d'oeuvre de Chris Marker. Mais aussi, avec La Jetée (auquel je pensais revenir en premier mais tant pis ce sera pour la prochaine chronique Markerienne (4)), il s'agit sans doute du film le plus étrange et noir, désespéré et pessimiste sur la disparition et la mort. Un grand film donc ? Non, hélas et ce pour quelques défauts mineur qui pourtant entravent grandement le film. Aussi prophétique et riche soit-il, on échappe pas à des bidouillages d'images et d'expérimentations vidéos qui, si elles passaient adroitement dans Sans Soleil (elles étaient justifiées au nom, et de la technologie nouvelle, et, d'un hommage sensé aux connections que créent le cinéma. Dans Sans Soleil, les bidouillages informatisées étaient une manière d'évoquer une nouvelle zone à la Tarkovski, une zone tournée vers le futur où chacun pouvait penser accéder un jour prochain), font grandement tache ici, vieillissent mal. On sent bien sûr le besoin de Marker d'essayer d'aérer son récit morbide (des japonaises qui se jettent dans les ravins filmées par la caméra en parallèle avec le premier homme qui va tenter de voler du premier étage de la tour Eiffel au début du 20e siècle avec ce regard vers la caméra de celui qui sait qu'il va mourir, que le pari est impossible mais qu'il faut le tenter pour le second comme la première, histoire d'honneur, d'humilité, de valeurs alors impossibles actuellement. Sans compter les soldats qui brûlent les grottes où se sont réfugiés les japonais ou cet homme en feu filmé en document d'époque et que L'Histoire ne juge pas de préciser qu'en fait il a survécu, ce que Marker explique posément...), mais rien à faire. Même si Level five reste une fiction riche et qui frappe là où il faut, le fait d'aller dans toutes les directions au travers de petits bidouillages ne le dessert pas forcément au mieux. Un grand Marker toutefois il faut le préciser.

4,5/6.








(1) OWL, la chouette. L'un des deux animaux préférés de Marker avec le chat. ;)
(2) En 1997, il avait donc 76 ans (né en 1921) et malgré la voix éraillée d'outre-tombe qui surprend, il n'en garde pas moins sa tête et son intelligence géniale sur les épaules. 8)
(3) En me relisant je m'aperçois que Marker fait aussi un clin d'oeil caché à un autre réseau, celui de Vidéodrome (David Cronenberg et chro formidable de Demi-Lune), autre avatar d'une nouvelle technologie bien plus en margeet anticipe du coup d'un certain Avalon de Mamoru Oshii, même si ce dernier est aussi une porte ouverte vers le Stalker de Tarkovski. Connections, connections... on y reviendra prochainement...
(4) J'ai des photos a recadrer de l'aéroport d'Orly de février 2011 notamment comme point de comparaison avec La jetée telle qu'on la connait de 1962.
Dernière modification par Anorya le 18 mars 11, 17:29, modifié 1 fois.
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Re: Chris Marker

Message par Demi-Lune »

Toujours aussi passionnantes, tes chroniques sur Marker, Anorya. J'imagine que Phnom&Penh doit se régaler à chaque fois. Et merci pour la pub. :mrgreen:
Je n'ai vu qu'un Marker pour le moment, La Jetée (1962). Voici ce que j'en disais en 2009 : "Ce moyen-métrage est incontestablement une œuvre audacieuse et visionnaire. Mais personnellement, je trouve qu'elle trouve sa propre limite dans sa forme même : il ne se dégage que peu d'émotion de ce roman-photo cinématographique, qui se regarde comme un beau livre d'images aussi glacé qu'une tombe".
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Re: Chris Marker

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit :Toujours aussi passionnantes, tes chroniques sur Marker, Anorya. J'imagine que Phnom&Penh doit se régaler à chaque fois. Et merci pour la pub. :mrgreen:
Je n'ai vu qu'un Marker pour le moment, La Jetée (1962). Voici ce que j'en disais en 2009 : "Ce moyen-métrage est incontestablement une œuvre audacieuse et visionnaire. Mais personnellement, je trouve qu'elle trouve sa propre limite dans sa forme même : il ne se dégage que peu d'émotion de ce roman-photo cinématographique, qui se regarde comme un beau livre d'images aussi glacé qu'une tombe".
Merci.
La "pub" est nécessaire (non mais bon, une manière de dire que j'avais adoré ta chro' même si je me manifeste pas trop ces jours-ci :mrgreen: ). Si on devait faire un topic sur les oeuvres évoquant des réseaux parallèles (pas forcément virtuels), il y a fort à parier qu'on retrouverait une bonne poignée de Cronenberg (Vidéodrome évidemment et accessoirement, Le festin Nu et eXistenZ pour les nommer), de Chris Marker et autres curiosités appréciables. ;)
Pour La jetée, je t'encourage bien sûr à le revoir, mais sans doute après avoir tenté de voir Sans Soleil (même dvd que La Jetée puisqu'Arte les a regroupés ensemble), impressionnant travail de réflexion qui tisse des liens avec beaucoup de choses (dont La jetée et Vertigo !). Le côté glacé n'est en soit pas un problème, c'est comme je l'ai dit, l'une des oeuvres les plus pessimistes sur la mort et le temps qu'aborde Marker (bien vu la tombe), donc on pourrait presque penser que c'est voulu. Dans Sans Soleil, il y a des passages plus contemplatif et parfois très drôle, voire osé, ce qui m'a agréablement surpris étant donné que je ne connaissais aussi que La Jetée au départ. Je pense qu'on débute tous par celui-ci puis progressivement, au détour d'une oeuvre qu'on découvre lentement, on y revient lentement avec le temps, à petite dose, comme si ce court de 30 mn était un monolithe du cinéma indépassable, une pierre angulaire à laquelle se ressourcer à l'instar de certains Blade Runner, Vertigo et 2001. :)
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Re: Chris Marker

Message par hansolo »

Chronique de Chris Marker sur @si
BEN LADEN ÉTAIT LE HÉROS DE MA JEUNESSE, ET JE NE LE SAVAIS PAS.
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Le grand saut - Joel & Ethan Coen (1994)
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Re: Chris Marker

Message par julien »

Chris Marker, artiste pluridisciplinaire est principalement connu comme vidéaste, pourtant son travail photographique reste également considérable, comme peut en témoigner cette rétrospective organisé à partir de lundi (jusqu'au 18 septembre) par le 42e été des Rencontres de la photographie, qui présente, pour la première fois en France, plus de 300 œuvres – essentiellement photographique - réalisées entre 1957 et 2010.

Tout au long de l'exposition, qui aura lieu au Palais de l’Archevêché, on pourra ainsi voir :

Koreans, réalisé en 1957, se compose d’une série de portraits, du peuple de la République Populaire de Corée. Chris Marker, alors jeune photographe, était alors l’un des seuls journalistes autorisés à explorer la Corée du Nord, cinq ans après la fin de la guerre de Corée faisant plus d’un million de mort et divisant le pays en deux États.

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Quelle heure est-elle ? (2004-2008), retrace la première expérience photographique de l’artiste réalisée dans le métro parisien. Ces photographies, en noir et blanc, constituent une série de portraits volés des passagers du métro parisien grâce à un appareil photographique dissimulé dans une montre !

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Avec Passengers, réalisé entre 2008 et 2010, Chris Marker continue son infiltration dans l’univers du
métro et RER parisien, dans une quête incessante des visages et des corps féminins. Les appareils de prise de
vue changent quelque peu : il n’utilise plus de montre mais bien des lunettes pour effectuer ses clichés et le noir
et blanc est abandonné au profit d’un travail sur la couleur.

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Le métro est d'ailleurs un thème assez récurrent dans le travail de Chris Marker. En effet, cet intérêt pour
les univers souterrains n’est pas nouveau et il y fait régulièrement référence dans plusieurs de ses œuvres
filmiques comme dans La Jetée ou Sans Soleil.

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En parallèle de ces travaux, on pourra également voir Crush-Art (2003-2008), installation photographique de seize visages d’une même femme ; After Dürer (2005-2007), hommage à l’artiste allemand Albrecht Dürer ; les deux installations vidéo Silent Movie (1995) et The Hollow Men (2005) ainsi que le célèbre court-métrage La Jetée réalisé en 1962 ; alliance parfaite entre le média vidéo et la photographie, qui sera projeté en continu dans une salle du parcours.

Ah oui, ce n'est pas à Paris mais à Arles.
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Re: Chris Marker

Message par Nomorereasons »

julien a écrit : pluridisciplinaire
Julien mon frangin, ôte-moi d'un doute: ce texte n'est pas de toi?
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Re: Chris Marker

Message par julien »

Bien évidemment que non. Je ne l'ai pas vu l'expo donc j'ai un peu pompé à droite à gauche ; en particulier dans la notule d'information du festival. Et puis tu croyais quand même pas que j'allais me fatiguer à écrire un texte un dimanche.
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Re: Chris Marker

Message par Flol »

julien a écrit :Ah oui, ce n'est pas à Paris mais à Arles.
Et voilà, y en a toujours que pour les Arlésiens ! :x
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