


Le temps a passé et Peter Pan a vieilli et oublié le Pays Imaginaire. Il a épousé Moira la petite-fille de Wendy avec qui il a eu deux enfants, et est devenu Peter Banning, un avocat d'affaires obsédé par son travail. Mais le Capitaine Crochet prend sa revanche en enlevant ses enfants. La fée Clochette le retrouve et l’emmène au Pays Imaginaire où il se retrouve nez à nez avec Crochet lui-même.
"En un sens, Hook est mon dernier sursaut vers l'enfance. Je ne suis pas sûr de revenir un jour sur ce territoire-là..." (Steven Spielberg)
L'envie de revoir Hook m'a prise depuis la conversation avec Cortez et hansolo, lesquels avaient fait part de leur affection pour cet opus mal aimé. Cela faisait quelques temps que je ne l'avais pas revu en entier et mon avis ne changera malheureusement pas, même si, à l'instar de mes deux collègues forumeurs, je voue également pour ce film une tendresse particulière, liée à des souvenirs d'enfance. Hook, loin d'être un mauvais film ni même d'être déshonorant, demeure un fascinant ratage de la part du cinéaste, et même un ratage somme toute assez prévisible au vu de la tournure plus grave de son cinéma à cette époque, lequel ne pouvait manifestement résoudre le tiraillement entre une volonté d'offrir un onéreux spectacle familial (disons même enfantin) et une conscience intérieure qui ne parvient plus à traiter une telle ode au merveilleux avec l'enchantement nécessaire. Le prisme adopté pour aborder l'œuvre de J. M. Barrie, que Spielberg désirait adapter depuis quelques temps (il a les droits depuis 1985), est en lui-même révélateur de l'incapacité du cinéaste, à l'orée des années 1990, de prendre à bras le corps un univers féérique en "bonne et due forme".
En choisissant d'inverser la perspective traditionnellement héroïsante des adaptations des grands héros de la littérature, en faisant de Peter Pan un homme ayant fait le choix réfléchi de grandir et de devenir par la même responsable et égal au commun des mortels, Spielberg manifeste d'entrée de jeu sa réticence à évoquer le monde de Barrie, et plus largement l'enchantement des contes, de manière littérale. C'est que l'aboutissement de ce projet intervient à un moment de l'existence du cinéaste qui rend malaisée une vision au premier degré, merveilleuse, insouciante. Au passage, il faut remarquer toute l'originalité de cette perspective particulière - le héros a vieilli et s'est construit une bulle de sociabilité telle qu'il en a totalement oublié, justement, son passé et son identité même de héros. Intentionnellement ou non, de la même façon que la condition de Pete Sanditch dans Always symbolisait la posture particulière de Spielberg cinéaste depuis la moitié des années 1980, Peter Banning se retrouve également être une sorte de projection de Spielberg, moins cette fois en tant de réalisateur qu'en tant qu'homme. Devenu père au milieu des années 1980, traînant sa procédure de divorce avec Amy Irving comme un boulet à la fin de la décennie, injectant dans ses films un regard plus amer, le cinéaste paraît partager de nombreux points communs avec ce Peter Pan vieillissant, boulimique du boulot, se posant des questions sur son rôle de père, sur la trajectoire que prend sa vie.



Dans le cadre de la progression logique qui lie La Couleur pourpre, Empire du Soleil, Always et bientôt La Liste de Schindler, Hook pourrait passer pour une surprenante régression infantile (l'univers de Peter Pan est une ode à l'enfance, au merveilleux) s'il n'y avait justement cette ambivalence, le fait que cette omniprésence de l'enfance soit tempérée par une approche finalement assez amère - ambivalence qu'on retrouvera d'ailleurs dans Jurassic Park, auto-critique lucide de l'entertainment hollywoodien. Hook est un film amer car, d'une part, l'enfant qui ne voulait pas grandir a bel et bien grandi et se révèle être un piètre père, froid et cynique. S'il apprendra à Neverland à redevenir le héros insouciant qu'il était, ce n'est que le temps de retrouver et ramener dans le monde réel ses enfants, donc fatalement d'assumer à nouveau sa vieillesse, sa maturité. La magie déployée dans Hook, aussi bien visuellement que musicalement, ne doit donc pas leurrer sur un sous-texte finalement fataliste et désenchanté, la part d'enfance n'étant exhumée que le temps d'un but défini, et ne pouvant constituer un mode de vie et de pensée pour le héros. Il faut redevenir l'être qu'on a été pour mieux tourner définitivement la page. Et d'autre part, dans ce film "tout exsude ce dégoût" (Clélia Cohen) de l'enfance, de son imagination, de sa façon de penser, que cela soit au travers du capitaine Crochet, ou de Peter Banning lui-même, toujours enclin à une réplique cassante quand ses enfants tentent de partager leur imagination avec lui.



Comme Peter Banning, Spielberg va donc faire sortir son âme d'enfant - une dernière fois. Le film se construit comme un immense terrain de jeu, dont l'artifice est souligné par le gigantisme de décors qui apparaissent volontairement peu crédibles, creux, comme dans un parc d'attractions. On donne la part belle à une bande d'enfants perdus que les situations du script rendent insupportables de niaiserie. Certaines scènes sont même franchement pitoyables tant les gags, qui se veulent drôles, ratissent larges et ne suscitent jamais la complicité du spectateur. Le grand enfant Robin Williams en fait des caisses, tout comme Dustin Hoffman. Mais comme Peter Banning, Spielberg vieillit... même le troisième Indiana Jones se montrait plus introspectif (au travers de la métaphore de la quête du Graal, c'est la quête du Saint-Père et donc de l'amour d'un père inaccessible). Et il ne parvient pas à faire un film uniformément positif et joyeux. Même si on peut supposer que ses intentions sont sincères, il bute contre le mur de sa propre évolution personnelle, cette trajectoire qui le conduit tout droit vers le point de non-retour qu'est La liste de Schindler.
Tout Hook s'articule sur cette dualité, sur cette impossible réconciliation, entre la pureté de l'imaginaire de l'enfance et la fatalité d'une réalité qui attend maturité et responsabilités, sur le plan professionnel comme parental. Toute la tragédie de Hook, au final, c'est cette incapacité qu'a Peter, l'immortel enfant déchu, de se faire aimer de ses propres enfants, lesquels devraient pourtant être en osmose avec lui. Dans la grande tradition des pères losers et/ou absents de Spielberg, Peter Banning se pose là. La démystification du personnage va jusque dans son assimilation inconsciente à l'ennemi qu'il a toujours combattu ("Quand une entreprise coule, il vogue vers elle et s'il rencontre la moindre résistance, il fait sauter le bâtiment", explique candidement sa fillette). Et tout le film se regarde de cette manière, en chaud/froid : une idée de mise en scène magnifique, suivie d'une scène pataude et indigeste ; un plan visuellement fantastique, suivi d'un cabotinage outrancier ; omniprésence de l'enfance, et dégoût de ce qu'elle représente ; etc. Du coup, difficile d'être vraiment sévère et impossible d'être véritablement enthousiaste. Hook est le film d'un fascinant tiraillement, qui paraît cependant résolu dans l'issue du film, qui scelle la consécration de la réalité, donc de la fin de l'insouciance. Constat que la suite de la filmographie de Spielberg ne fera qu'appuyer.



Quelques mots finaux sur les qualités cinématographiques de ce film qui n'en manque pas, loin de là ! La mise en scène de Spielberg respire une maîtrise constante qui fait plus d'une fois passer la pilule des énormités du script et de l'interprétation. Sa magie permet à plusieurs reprises de transporter littéralement le spectateur dans une euphorie grisante, à l'image de cet émouvant flash-back qui aboutit à cette envolée dans le ciel, sous les cordes émerveillées de John Williams (à quand une édition intégrale de ce chef-œuvre musical, bordel ?). Formellement, si les décors font carton-pâte, on ne peut en dire autant des incroyables matte-paintings qui peuplent le film, et des trucages optiques, qui, dans l'immense majorité, demeurent toujours sidérants. Je pense notamment à l'interaction de la Fée Clochette (Julia Roberts, qui ne constitue pas, hélas, un apport fondamental dans l'histoire) avec son environnement : tout simplement bluffant. Je me demande par exemple comment a pu être filmée cette scène où elle tombe dans la maison de poupées.