Ken Russell (1927-2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Torquemada
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Re: Ken Russell

Message par Torquemada »

Merci Alphonse, je compte y rester pour longtemps, à moi de m'adapter. Pour l'instant, ça me plaît. :P
Ne rien faire qui puisse attenter à la grâce.
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Vic Vega
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Re: Ken Russel

Message par Vic Vega »

Ouf, milk soup a écrit :Bon Dieu, les Diables en DVD, ça pue l'Arlésienne.
Dispo en DVD espagnol, malheureusement 4/3 letterbox.

http://www.dvdgo.com/dvd-los-demonios-d ... 203/154275
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Jordan White
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Re: Ken Russell

Message par Jordan White »

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La sortie très récente du DVD m'a permis de découvrir pour la première fois en intégralité un des films défendus de mon enfance. Je ne me rappelle plus exactement l'année précise, ni le jour, ce devait être en 1988, quand la télévision diffusait en prime time des oeuvres de cet acabit, aujourd'hui relayées à 2h du matin (tout comme certaines émissions littéraires). Un soir je me souviens avoir zappé et être tombé sur le film, par hasard, enfin sur une séquence précisément, celle du premier jeu érotique entre Bobby et China Blue quand celle-ci lui retire ses chaussettes et qu'ils font l'amour en ombres chinoises. Pourquoi cette scène en particulier ? Je ne saurais dire mais elle m'avait marqué. Quelques bribes d'images qui restèrent dans un coin de ma mémoire, et ce de façon parfaitement claire, jusqu'à aujourd'hui.
Katleen Turner venait de sortir du tournage de A la poursuite du diamant vert, production de la Fox, grand public, et elle possédait un charme irrésistible et était surtout reconnue comme une actrice d'Hollywod donnant ses lettres de noblesse à un jeu somme toute classique, basé sur le comique d'aventures. Elle accepte alors de tourner pour Ken Russell et hérite du premier rôle féminin du film, en incarnant ici le double rôle de Joanna Crane, styliste réputée, bourreau de travail, et China Blue, prostituée de rue d'un quartier de Los Angeles, habillée d'une robe de flanelle bleue et montée sur des escarpins de la même couleur, la tête recouverte d'une perruque platine qui lui donne de loin, des faux airs de Blondie. Le rimmel, le rouge à lèvre prononcé et les joues rosées en plus. Son regard bleu en dit très long après le générique d'ouverture sur ses activités, et surtout sur leur nature, l'actrice jouant ici un rôle à la limite de la schizophrénie quand elle n'y plonge pas sciemment, avec d'un côté celui d'une femme à la recherche d'une perfection artistique, et de l'autre côté celle d'une femme qui prend sa vie sexuelle en main et en fait un métier, faisant fantasmer les hommes de passage comme les futurs amants éconduits. Sous l'oeil d'un cinéaste qui clame haut et fort que la place de la femme ici est bien plus importante symboliquement et thématiquement que celle des hommes qui se résument à des figures parfois patibulaires, parfois antipathiques, sinon paumées. Le sexe faible n'existe pas, et les dialogues drôles, incisifs, sarcastiques sont là pour le démontrer durant plus d'une heure quarante. Beigné dans une image certes frappée du sceau des années 80, China Blue se distingue par sa facture plastique de toute beauté et son étrange accompagnement musical, drappé de notes de saxophone et de jazz moderne soulignant les affects et les désideratas parfois fantasques de ses protagonistes. On y croise aussi les peintures de Klimt ou Millais (dont la célébrissime Ophelia) tout comme les morceaux de pop art, issus du graffiti d'une rue jonchée de quelques déchets baignant dans une lumière fluorescente. La rencontre entre l'eshétique urbaine la plus percutante parce que quotidienne, et les fantasmes liés à la littérature érotique américaine et asiatique classique (quelques estampes, des dessins osés, etc).

Les jours et les nuits de China Blue est un film à la gloire de Katleen Turner. A son image d'actrice versatile qui, dans l'intimité d'une chambre d'hôtel qu'elle loue toutes les nuits pour réaliser les fantasmes d'hommes qui viennent le lui demander, prend ici une nouvelle dimension. Celle d'une actrice qui en 1984 prend des risques et s'assume totalement dans un rôle courageux et sur nombre de points plus féministe que certaines féministes qui se revendiquent elles-mêmes d'en être. Ainsi, par l'utilisation judicieuse des inserts érotiques ou non, Russell cinéaste de l'excès mais aussi très humain, à fleur de peau, hypersensible dans sa démarche, souligne à quel point certains hommes ont considéré la femme comme simple objet sexuel, pour retourner les clichés éculés sur les prostituées victimes de leur condition, maltraitées, violentée et autres en en faisant ici un personnage fort, mieux, magnifique, parce que profondément humain, tout en étant joueur, parfois porté sur le sarcasme (mais pas la moquerie humiliante) sur le désir de satisfaire le partenaire tout en menant la danse et ce avec détachement mais aussi engagement. Point de glauque, de regard ou de corps "profané", ici on ne vend pas son corps contre de l'argent, ni son âme au diable, mais des services et des fantasmes sexuels, des jeux de rôles, dans lesquels China Blue ne perd pas sa propre identité mais au contraire la diversifie et se réinvente dans le jeu de rôles, tout en se confrontant à la vie : hommes qui jouissent ou peinent à jouir, hommes défriqués qui hallucinent en citant la bible et le remords du péché originel, hommes de passage qui sont là pour une seule passe, homme qui se cherchent et viennent pour un peu de compagnie. Dans le regard de China Blue, et intrinsèquement dans celui de l'actrice, il y a les deux versants d'une même personnalité : celle qui offre du plaisir et celle qui cherche à combler les vides de sa propre vie intime en soulageant celle d'un homme qui est confronté au silence de sa femme et à son absence de désir, le pire sentiment qu'un couple puisse exprimer. Dans sa chambre d'hôtel China peut répondre au désir des hommes, et dans sa vie professionnelle répondre à celle de son patron qui la soupçonne d'espionnage. Sans être une lecture moderne du mythe de Faust, car China n'a vendu son âme à quiconque, il s'agit avant tout du portrait, magnifique, érotique, parfois grandiloquent mais toujours inventif d'une femme dans la société, de son rôle de catalyseur d'énergies (positives comme négatives), avec cette croyance (d'autant plus forte et amusante quand on voit quels sont les traits du personnage masculin du pasteur) dans l'humain à pouvoir se réinventer et à tourner la page des pires moments de sa vie.

Outre sa facture plastique assez remarquable, son ambiance de désirs réfoulés ou consommés immédiatement et de tension sexuelle (peep-show alignés les uns derrière les autres, trottoirs où se donnent rendez-vous toutes les prostituées du quartier, cinémas pornos ayant pignon sur rue et ouverts en continu), le film révèle une alchimie stupéfiante entre les deux acteurs principaux, Anthony Perkins, halluciné et hallucinant en pasteur vociférant à qui veut l'entendre mais surtout à China que le monde va sérieusement de mal en pis, alors qu'il essaie de se repentir de ses péchés de chair et d'esprit. Et Katleen Turner habitée par son rôle, tout en érotisme, sans vulgarité crasse, mais au contraire avec panache et surtout beaucoup d'humour. Il tente en vain de raisonner China et de la ramener dans le droit chemin, lors d'un dialogue inaugural extraordinaire de drôlerie, dont je reprends ci dessous quelques uns des dialogues clés, qui mélangent humour au second degré très direct, crudité du propos et vulgarité jouissive :
"Do you recognize me child ?"
- "Sorry, I never forget a face, specially when I sat on it."
- "Save your soul, whore"
- "Save your money, shithead".
Le film est un jeu du chat et de la souris entre ces deux personnages. Un peu plus tard, une scène m'a fait rire aux éclats, lorsque le révérend après avoir indiqué que China était moins idiote qu'il ne le pensait car parfois elle résonne en terme de métaphores et se dit surtout libre de pouvoir lui donner du plaisir, celle-ci lui demande de déballer son sac. Apparaissent alors une série de sex toys, dont un gode géant, des menottes et autres friandises que China se délecteraient à voir pénétrer quelques orifices, notamment ceux du révérend lui-même. C'est un des points forts de Les jours et les nuits de China Blue : celui de dédramatiser la prostitution, pour en donner une image autre que celle de la victimisation, de la contrainte, mais au contraire ici, d'un choix mûri, celui d'une femme indépendante, sans maquereau, qui a un travail à côté, sans pour autant avoir trouvé l'homme de sa vie lorsqu'elle est Joanne Crane, la femme professionnellement stable, aguerri et créative. Russell ne condamne nullement les activités professionnelles sexuelles de China Blue qui n'est ni une occasionnelle, ni une escorte pratiquant des tarifs prohibitifs. Elle est aussi celle qui rend visite à un vieil homme chez elle, se déshabille, approche de lui, commence à jouer le jeu, puis se rend compte qu'il ne pourra pas le faire sans toutefois le railler, et s'en va, en ayant l'élégance suprême de rendre l'argent qu'on lui avait pourtant donné. Les jours et les nuits de China Blue offre ainsi une vision moderne, pas du tout cauchemardesque ou culpabilisatrice de la figure de la prostituée. Il montre également les sentiments de China, ses questions quand elle hésite à s'engager dans sa vie privée.

A l'inverse de bon nombre de productions qui en firent une victime d'office et qui sans doute contribuèrent à l'image négative, péjorative de la prostituée en France, China Blue oublié du marché de la vidéo, inédit en DVD jusqu'à présent, en montrait l'exact inverse en grandissant son personnage principal. En clin d'oeil ironique, Anthony Perkins qui fut mondialement connu pour son rôle dans Psychose, reprend ici la figure du psychotique travesti, dans une scène finale aussi bariolée, étrange, métaphorique, grotesque que superbe. Une part d'autodérision d'autant plus étonnante que c'est lui qui demanda de transformer le personnage initial de vendeur de chaussures (tout de suite ça enlevait du charme à la démesure de son personnage) en prêcheur tentant de sauver une âme qu'il jugeait souillée par tous les moyens, y compris ceux des objets sexuels pouvant se montrer contandants. Rare sont les films dans lesquels un gode peut devenir une arme léthale. Les jours et les nuits de China Blue est bien plus qu'une pâle série B érotique, aux couleurs bariolées et à l'ambiance très 80's (n'ayant cependant pas pris un si gros coup de vieux que cela, thématiquement il reste étonnamment moderne et inspiré sans être un pensum. C'est un très gand film, plus délicat qu'il n'y paraît, brossant le portrait d'une femme très forte, fantasmatique et pourtant accessible, qui est un peu toutes les femmes du monde et très atypique, un récit féministe. Je comprends que le film ait touché à ce point la belle Ovidie (qui intervient très pertinemment dans le seul bonus du DVD et explique à quel point le film l'a marqué dans son propre parcours de vie, aussi bien personnel que professionnel). Il m'a personnellement tiré des larmes. Une belle occasion de (re)découvrir ce film écarté de la cinématographie des années 80 avec un aplomb un peu facile, grâce au DVD et à la possibilité de le découvrir en version intégrale, avec cette hallucinante séquence de domination SM avec le flic à l'ambiance si particulière.
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julien
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Re: Ken Russell

Message par julien »

Je crois que c'est à partir de ce film que Ken Russell a commencé à faire dans le réchauffé. Son film fait un peu penser d'ailleurs à une version pataude de Looking for Mr Goodbar.
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Ken Russell

Message par Jordan White »

julien a écrit :Je crois que c'est à partir de ce film que Ken Russell a commencé à faire dans le réchauffé. Son film fait un peu penser d'ailleurs à une version pataude de Looking for Mr Goodbar.
China Blue qui est le premier Russell que je découvre m'a donné envie de voir ses autres films en particulier Love, Les Diables, Gothic.
Pour Altered States, ce que j'en ai vu m'a foutu sérieusement les jetons, notamment par rapport au bad trip (il y a certaines expériences que l'on n'aime pas retenter de sitôt). Mais dans quelques mois pourquoi pas...
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Re: Ken Russell

Message par gnome »

Jordan White a écrit :
julien a écrit :Je crois que c'est à partir de ce film que Ken Russell a commencé à faire dans le réchauffé. Son film fait un peu penser d'ailleurs à une version pataude de Looking for Mr Goodbar.
China Blue qui est le premier Russell que je découvre m'a donné envie de voir ses autres films en particulier Love, Les Diables, Gothic.
Pour Altered States, ce que j'en ai vu m'a foutu sérieusement les jetons, notamment par rapport au bad trip (il y a certaines expériences que l'on n'aime pas retenter de sitôt). Mais dans quelques mois pourquoi pas...
Altered States est un chef doeuvre... J'adore ce film que j'ai revu il y a un mois ou deux. Je ne m'en lasse pas. Et l'interprétation du toujours excellent William Hurt y est pour beaucoup, mais aussi le ton désenchanté du film... Puis, l'idée de départ tirée du roman de Chayevsky est excellente... Certaines séquences ont peut être un peu vieilli en regard de ce qu'on fait en matière de Fx actuellement, mais je trouve qu'elles n'ont perdu aucun impact. Seule la fuite en ville est un peu longue...
Je te le recommande chaudement !

Gothic, j'ai eu le malheur de le voir en VF. Je me prendrai le DVD un de ces jours pour le revoir, mais c'est une oeuvre baroque comme seul Russel sait en faire... Il a des faiblesses aussi, mais je le répète, la VF n'aide pas. Pas son meilleur film de tout ceux que j'ai vu, mais il est loin d'être déméritant.

Les diables, je ne l'ai pas encore vu en entier. Je l'avais en version intégrale VOST enregistrée sur arte il y a des années. J'ai toujours la VHS, faut juste que je fasse réparer le magnétoscope... :mrgreen: Enfin, il fonctionne toujours, mais je pense que les têtes sont particulièrement sales et j'ai peur de saloper la cassette de cette merveille. Mais ce que j'en ai vu est GRANDIOSE !!!
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Demi-Lune
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Re: Ken Russell

Message par Demi-Lune »

gnome a écrit :
Jordan White a écrit : China Blue qui est le premier Russell que je découvre m'a donné envie de voir ses autres films en particulier Love, Les Diables, Gothic.
Pour Altered States, ce que j'en ai vu m'a foutu sérieusement les jetons, notamment par rapport au bad trip (il y a certaines expériences que l'on n'aime pas retenter de sitôt). Mais dans quelques mois pourquoi pas...
Altered States est un chef doeuvre... J'adore ce film que j'ai revu il y a un mois ou deux. Je ne m'en lasse pas. Et l'interprétation du toujours excellent William Hurt y est pour beaucoup, mais aussi le ton désenchanté du film... Puis, l'idée de départ tirée du roman de Chayevsky est excellente... Certaines séquences ont peut être un peu vieilli en regard de ce qu'on fait en matière de Fx actuellement, mais je trouve qu'elles n'ont perdu aucun impact. Seule la fuite en ville est un peu longue...
Je te le recommande chaudement !
+1
Une expérience assez inoubliable en son genre et un grand film pour moi aussi. Je dirai même hypnotique :idea:

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AtCloseRange
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Re: Ken Russell

Message par AtCloseRange »

Jordan White a écrit :
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La sortie très récente du DVD m'a permis de découvrir pour la première fois en intégralité un des films défendus de mon enfance. Je ne me rappelle plus exactement l'année précise, ni le jour, ce devait être en 1988, quand la télévision diffusait en prime time des oeuvres de cet acabit, aujourd'hui relayées à 2h du matin (tout comme certaines émissions littéraires). Un soir je me souviens avoir zappé et être tombé sur le film, par hasard, enfin sur une séquence précisément, celle du premier jeu érotique entre Bobby et China Blue quand celle-ci lui retire ses chaussettes et qu'ils font l'amour en ombres chinoises. Pourquoi cette scène en particulier ? Je ne saurais dire mais elle m'avait marqué. Quelques bribes d'images qui restèrent dans un coin de ma mémoire, et ce de façon parfaitement claire, jusqu'à aujourd'hui.
Katleen Turner venait de sortir du tournage de A la poursuite du diamant vert, production de la Fox, grand public, et elle possédait un charme irrésistible et était surtout reconnue comme une actrice d'Hollywod donnant ses lettres de noblesse à un jeu somme toute classique, basé sur le comique d'aventures. Elle accepte alors de tourner pour Ken Russell et hérite du premier rôle féminin du film, en incarnant ici le double rôle de Joanna Crane, styliste réputée, bourreau de travail, et China Blue, prostituée de rue d'un quartier de Los Angeles, habillée d'une robe de flanelle bleue et montée sur des escarpins de la même couleur, la tête recouverte d'une perruque platine qui lui donne de loin, des faux airs de Blondie. Le rimmel, le rouge à lèvre prononcé et les joues rosées en plus. Son regard bleu en dit très long après le générique d'ouverture sur ses activités, et surtout sur leur nature, l'actrice jouant ici un rôle à la limite de la schizophrénie quand elle n'y plonge pas sciemment, avec d'un côté celui d'une femme à la recherche d'une perfection artistique, et de l'autre côté celle d'une femme qui prend sa vie sexuelle en main et en fait un métier, faisant fantasmer les hommes de passage comme les futurs amants éconduits. Sous l'oeil d'un cinéaste qui clame haut et fort que la place de la femme ici est bien plus importante symboliquement et thématiquement que celle des hommes qui se résument à des figures parfois patibulaires, parfois antipathiques, sinon paumées. Le sexe faible n'existe pas, et les dialogues drôles, incisifs, sarcastiques sont là pour le démontrer durant plus d'une heure quarante. Beigné dans une image certes frappée du sceau des années 80, China Blue se distingue par sa facture plastique de toute beauté et son étrange accompagnement musical, drappé de notes de saxophone et de jazz moderne soulignant les affects et les désideratas parfois fantasques de ses protagonistes. On y croise aussi les peintures de Klimt ou Millais (dont la célébrissime Ophelia) tout comme les morceaux de pop art, issus du graffiti d'une rue jonchée de quelques déchets baignant dans une lumière fluorescente. La rencontre entre l'eshétique urbaine la plus percutante parce que quotidienne, et les fantasmes liés à la littérature érotique américaine et asiatique classique (quelques estampes, des dessins osés, etc).

Les jours et les nuits de China Blue est un film à la gloire de Katleen Turner. A son image d'actrice versatile qui, dans l'intimité d'une chambre d'hôtel qu'elle loue toutes les nuits pour réaliser les fantasmes d'hommes qui viennent le lui demander, prend ici une nouvelle dimension. Celle d'une actrice qui en 1984 prend des risques et s'assume totalement dans un rôle courageux et sur nombre de points plus féministe que certaines féministes qui se revendiquent elles-mêmes d'en être. Ainsi, par l'utilisation judicieuse des inserts érotiques ou non, Russell cinéaste de l'excès mais aussi très humain, à fleur de peau, hypersensible dans sa démarche, souligne à quel point certains hommes ont considéré la femme comme simple objet sexuel, pour retourner les clichés éculés sur les prostituées victimes de leur condition, maltraitées, violentée et autres en en faisant ici un personnage fort, mieux, magnifique, parce que profondément humain, tout en étant joueur, parfois porté sur le sarcasme (mais pas la moquerie humiliante) sur le désir de satisfaire le partenaire tout en menant la danse et ce avec détachement mais aussi engagement. Point de glauque, de regard ou de corps "profané", ici on ne vend pas son corps contre de l'argent, ni son âme au diable, mais des services et des fantasmes sexuels, des jeux de rôles, dans lesquels China Blue ne perd pas sa propre identité mais au contraire la diversifie et se réinvente dans le jeu de rôles, tout en se confrontant à la vie : hommes qui jouissent ou peinent à jouir, hommes défriqués qui hallucinent en citant la bible et le remords du péché originel, hommes de passage qui sont là pour une seule passe, homme qui se cherchent et viennent pour un peu de compagnie. Dans le regard de China Blue, et intrinsèquement dans celui de l'actrice, il y a les deux versants d'une même personnalité : celle qui offre du plaisir et celle qui cherche à combler les vides de sa propre vie intime en soulageant celle d'un homme qui est confronté au silence de sa femme et à son absence de désir, le pire sentiment qu'un couple puisse exprimer. Dans sa chambre d'hôtel China peut répondre au désir des hommes, et dans sa vie professionnelle répondre à celle de son patron qui la soupçonne d'espionnage. Sans être une lecture moderne du mythe de Faust, car China n'a vendu son âme à quiconque, il s'agit avant tout du portrait, magnifique, érotique, parfois grandiloquent mais toujours inventif d'une femme dans la société, de son rôle de catalyseur d'énergies (positives comme négatives), avec cette croyance (d'autant plus forte et amusante quand on voit quels sont les traits du personnage masculin du pasteur) dans l'humain à pouvoir se réinventer et à tourner la page des pires moments de sa vie.

Outre sa facture plastique assez remarquable, son ambiance de désirs réfoulés ou consommés immédiatement et de tension sexuelle (peep-show alignés les uns derrière les autres, trottoirs où se donnent rendez-vous toutes les prostituées du quartier, cinémas pornos ayant pignon sur rue et ouverts en continu), le film révèle une alchimie stupéfiante entre les deux acteurs principaux, Anthony Perkins, halluciné et hallucinant en pasteur vociférant à qui veut l'entendre mais surtout à China que le monde va sérieusement de mal en pis, alors qu'il essaie de se repentir de ses péchés de chair et d'esprit. Et Katleen Turner habitée par son rôle, tout en érotisme, sans vulgarité crasse, mais au contraire avec panache et surtout beaucoup d'humour. Il tente en vain de raisonner China et de la ramener dans le droit chemin, lors d'un dialogue inaugural extraordinaire de drôlerie, dont je reprends ci dessous quelques uns des dialogues clés, qui mélangent humour au second degré très direct, crudité du propos et vulgarité jouissive :
"Do you recognize me child ?"
- "Sorry, I never forget a face, specially when I sat on it."
- "Save your soul, whore"
- "Save your money, shithead".
Le film est un jeu du chat et de la souris entre ces deux personnages. Un peu plus tard, une scène m'a fait rire aux éclats, lorsque le révérend après avoir indiqué que China était moins idiote qu'il ne le pensait car parfois elle résonne en terme de métaphores et se dit surtout libre de pouvoir lui donner du plaisir, celle-ci lui demande de déballer son sac. Apparaissent alors une série de sex toys, dont un gode géant, des menottes et autres friandises que China se délecteraient à voir pénétrer quelques orifices, notamment ceux du révérend lui-même. C'est un des points forts de Les jours et les nuits de China Blue : celui de dédramatiser la prostitution, pour en donner une image autre que celle de la victimisation, de la contrainte, mais au contraire ici, d'un choix mûri, celui d'une femme indépendante, sans maquereau, qui a un travail à côté, sans pour autant avoir trouvé l'homme de sa vie lorsqu'elle est Joanne Crane, la femme professionnellement stable, aguerri et créative. Russell ne condamne nullement les activités professionnelles sexuelles de China Blue qui n'est ni une occasionnelle, ni une escorte pratiquant des tarifs prohibitifs. Elle est aussi celle qui rend visite à un vieil homme chez elle, se déshabille, approche de lui, commence à jouer le jeu, puis se rend compte qu'il ne pourra pas le faire sans toutefois le railler, et s'en va, en ayant l'élégance suprême de rendre l'argent qu'on lui avait pourtant donné. Les jours et les nuits de China Blue offre ainsi une vision moderne, pas du tout cauchemardesque ou culpabilisatrice de la figure de la prostituée. Il montre également les sentiments de China, ses questions quand elle hésite à s'engager dans sa vie privée.

A l'inverse de bon nombre de productions qui en firent une victime d'office et qui sans doute contribuèrent à l'image négative, péjorative de la prostituée en France, China Blue oublié du marché de la vidéo, inédit en DVD jusqu'à présent, en montrait l'exact inverse en grandissant son personnage principal. En clin d'oeil ironique, Anthony Perkins qui fut mondialement connu pour son rôle dans Psychose, reprend ici la figure du psychotique travesti, dans une scène finale aussi bariolée, étrange, métaphorique, grotesque que superbe. Une part d'autodérision d'autant plus étonnante que c'est lui qui demanda de transformer le personnage initial de vendeur de chaussures (tout de suite ça enlevait du charme à la démesure de son personnage) en prêcheur tentant de sauver une âme qu'il jugeait souillée par tous les moyens, y compris ceux des objets sexuels pouvant se montrer contandants. Rare sont les films dans lesquels un gode peut devenir une arme léthale. Les jours et les nuits de China Blue est bien plus qu'une pâle série B érotique, aux couleurs bariolées et à l'ambiance très 80's (n'ayant cependant pas pris un si gros coup de vieux que cela, thématiquement il reste étonnamment moderne et inspiré sans être un pensum. C'est un très gand film, plus délicat qu'il n'y paraît, brossant le portrait d'une femme très forte, fantasmatique et pourtant accessible, qui est un peu toutes les femmes du monde et très atypique, un récit féministe. Je comprends que le film ait touché à ce point la belle Ovidie (qui intervient très pertinemment dans le seul bonus du DVD et explique à quel point le film l'a marqué dans son propre parcours de vie, aussi bien personnel que professionnel). Il m'a personnellement tiré des larmes. Une belle occasion de (re)découvrir ce film écarté de la cinématographie des années 80 avec un aplomb un peu facile, grâce au DVD et à la possibilité de le découvrir en version intégrale, avec cette hallucinante séquence de domination SM avec le flic à l'ambiance si particulière.
Je serai plus court que Jordan: j'ai beaucoup apprécié cette révision du film.
En fait, il faut vraiment prendre le film comme une comédie (mention pour l'auto-parodie de Perkins) et c'est pour ça que ça capote un peu dans la dernière partie quand le film se veut plus "sérieux" et émotionnel.

Je crois que je vais me refaire un petit cycle Russell prochainement.

A noter: je ne crois pas qu'on en a parlé mais Lisztomania est sorti en 2009 en Z2 UK (sans sous-titres malheureusement) ce qui complète un peu le maigre catalogue de ses films 70s sortis en DVD.
Jordan White
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Re: Ken Russell

Message par Jordan White »

AtCloseRange a écrit :Je serai plus court que Jordan: j'ai beaucoup apprécié cette révision du film.
En fait, il faut vraiment prendre le film comme une comédie (mention pour l'auto-parodie de Perkins) et c'est pour ça que ça capote un peu dans la dernière partie quand le film se veut plus "sérieux" et émotionnel.

Je crois que je vais me refaire un petit cycle Russell prochainement.
J'ai adoré le film parce qu'en plus d'être très drôle il est sentimental.
Une pute c'est aussi des sentiments nous dit Russell et il n'a vraiment pas tort.
Je l'ai regardé en VF dimanche. C'est fou comme les doubleurs s'amusent et en rajoutent, dans les intonations et dans les répliques à caractère sexuel. Turner parle de missile pour évoquer le vibro géant que possède le révérend. Je crois qu'il s'agit de la version d'origine française, ce qui est une excellente chose, mais je peux cela dit me tromper mon souvenir de VF remonte à une quinzaine d'années et je n'avais jamais revu ce film (enfin deux ou trois scènes) depuis cette date.
Il y a un moment durant lequel le film bascule entre le ton de la comédie et le ton du sentiment et de l'attachement de l'un et l'autre personnage. C'est après que Bobby se soit interposé face au révérend, après sa première rencontre sexuelle, quand China joue le rôle de l'hôtesse de l'air. Il se fait frapper par le révérend, elle le relève tant bien que mal, ils s'échangent quelques mots, puis il lui glisse une confidence qui est aussi le fil rouge de l'intrigue, celui de son insatisfaction, pire de son incompréhension dans l'intimité avec son épouse. Elle lui dit de retourner voir sa femme et il lui répond : "Si je pouvais lui dire ce que tu m'as fait connaître, les plaisirs que tu m'as donnés, elle croirait sans doute que c'est de l'imagination". Et elle de lui répondre "C'en était". Immédiatement après, la caméra part du plan rapproché pour zoomer légèrement en arrière sur le visage de China qui montre que manifestement elle a dû mal ou ne souhaite pas s'engager dans un rapport sentimental parce que son métier l'oblige à différencier les sentiments du sexuel. Elle peut jouer tous les rôles qu'il veut, mais être amoureuse et ne plus jouer, faire semblant, est bien plus difficile. Ce plan là est inoubliable (à mes yeux). Or, elle ne peut s'empêcher d'avoir des sentiments pour ce mec un peu paumé qui tombe amoureux d'elle. La fin du film peut paraître invraisemblable, par rapport à ce désir de ne plus renouer les relations du couple, mais c'est aussi un choix et une libération pour Bobby.
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johell
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Re: Ken Russell

Message par johell »

Grand Evénement!

A l'occasion d'un festival en Angleterre, voici une belle occasion de découvrir sur grand écran le film de Ken Russell LES DIABLES avec Olivier Reed et Vanessa Redgrave.

Le film sera présenté dans une copie particulière, un "Director's Cut" qui regroupera des séquences inédites et en donnera sa version la plus longue :



De plus, Ken Russell sera présent pour introduire son film au public. Tout ceci aura lieu à Londres le dimanche 1er Mai 2011.

Séance Unique

Détails

Je crève d'envie d'y aller! Un petit weekend à Londres, ça tente quelqu'un? :D

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Tom Peeping
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Re: Ken Russell

Message par Tom Peeping »

C'est très tentant en effet de voir The Devils intact sur grand écran. Mais je ne pourrai pas aller à Londres à ce moment là.
Le film est sorti en DVD chez Warner en Espagne dans une très bonne copie (non anamorphique) et le long documentaire passionnant "Hell on Earth" consacré au film est visible sur YouTube et montre toutes les séquences coupées dont The rape of Christ. En voyant l'un et l'autre, on a quand même le film dans son intégralité. Ce n'est pas l'expéreince de la voir sur grand écran mais c'est toujours ça. Kermode a raison, c'est l'un des sommets du ciné britannique de l'après-guerre, un film dont je ne me lasse pas et qui réserve des surprises à chaque vision. Si le boss de la Warner était moins bigot, le film complet serait déjà sorti en DVD depuis pas mal de temps. Mais ca viendra, tôt ou tard.
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Demi-Lune
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Re: Ken Russell

Message par Demi-Lune »

Question naïve : cette projection pourrait-elle augurer une édition dvd voire même blu-ray du director's cut ?
johell
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Re: Ken Russell

Message par johell »

Demi-Lune a écrit :Question naïve : cette projection pourrait-elle augurer une édition dvd voire même blu-ray du director's cut ?
Peut-être... Mais rien n'est sûr. Déjà dans sa version "cinéma", le film a déjà de la peine à voir le jour sur support DVD. Alors, le "Director's Cut", je te dis pas...

Par contre, j'irai ce weekend-là à Londres pour pouvoir le déguster sur grand écran... Si ça tente des forumeurs... Plus on est de fous... :wink:
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Spongebob
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Re: Ken Russell

Message par Spongebob »

Pour ceux que ça intéresseraient, le film Les Diables est dispo en SVOD ici : http://www.filmotv.fr/film/2431/les-diables.html

Je l'ai vu et ça a été un choc. Rarement vu un film aussi barré :shock:
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Re: Ken Russell

Message par Aemaeth »

Inscription sur le site juste pour vous prévenir que...

'Music Lovers' est enfin annoncé en dvd !!!

http://www.amazon.co.uk/Music-Lovers-19 ... 809&sr=1-1
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