
The shooting
Le western selon Hellman. Soit l’aventure tragique de deux prospecteurs embauchés par une mystérieuse jeune femme et poursuivis par un tueur à gages dans un paysage nu, un désert de calcaire et de rochers. Durée ramassée sur un scénario impeccablement épuré, où les lieux communs du genre sont décrassés de toute enluminure pour ne laisser transparaître qu’une matérialité terrienne, un réalisme cru, une esthétique de la silhouette, du soleil et de la poussière. Et tandis que ces personnages s’enfoncent dans une traque de plus en plus absurde, qu’ils sont gagnés par l’épuisement et l’hébétude, la mort fait son œuvre, qui offre aux derniers plans une résonance métaphysique étrangement onirique. Le film suivant, tourné et sorti en même temps, lui est parfaitement jumeau. 4/6
L’ouragan de la vengeance
Il y a des jours comme ça. On se réveille un beau matin, parfaitement honnête, et on se retrouve pris pour des bandits, pourchassé par la justice approximative de l’Ouest afin d’être pendu, contraint de fuir pour survivre, de tout abandonner, de prendre une famille en otage, de tuer à son tour. Cela se passe dans une lente et lourde atmosphère de fatalité immuable, d’inquiétude en aboi, de perplexité hagarde. Aucune fioriture stylistique, pas d’ajout factice pour dramatiser des situations sèches et élémentaires qui s’étirent, et où la plus absurde des méprises enclenche un engrenage infernal. Aussi loin de la plénitude romanesque que du cynisme grinçant, cet autre western décharné affirme une voix propre et singulière, même s’il s’inscrit parfaitement dans un certain courant de son époque. 4/6
Macadam à deux voies
Ils sont quatre solitaires qui se permettant de tout échanger (véhicules, positions, affections) sauf leur rapport au monde : le conducteur et le play-boy dans une Chevrolet trafiquée, le mécano dans une Pontiac vrombissante et une auto-stoppeuse passant d’une bagnole à l’autre. Des nomades marginaux qui filent à toute berzingue sur la route, sans autre raison que celle de réinventer sa vie à chaque course. Pas d’anecdote ni de structure, seulement le culte de la voiture, la passion de la vitesse, l’ivresse de la liberté. Enroulé dans une temporalité cyclonique qui fait tournoyer les hiatus visuels et sonores, réfutant autant la convention sentimentale que le pittoresque du road-movie, ce film grisant et insaisissable épouse comme peu d’autres l’idée d’un certain cinéma de la liberté et de l’affranchissement. 5/6
Cockfighter
Hellmann pousse toujours plus loin le bouchon d’une approche fictionnelle erratique, relâchée, anti-dramatique, réfutant l’idée même de structure au profit d’une indolence invertébrée qui frise volontairement le dilettantisme. Un tel mépris des règles a son charme et ses qualités, ne serait-ce que celle de parvenir à préserver l’intérêt pour la trajectoire maussade de ce grognon et crasseux dresseur de coqs de combat dérivant de patelins minables en bleds paumés et faisant vœu de silence le jour, plus cafardeux que les autres, où trépasse son galliforme favori. Inutile évidemment de chercher quelconque marivaudage gracieux dans cette chronique de l’Amérique des bas-fonds, où la petitesse des aspirations et la trivialité des milieux décrits le disputent au renvoi de Budweiser bien gras. 4/6
Road to nowhere
De retour après vingt ans d’absence, le réalisateur goûte aux délices de la mise en abyme en faisant le récit d’un tournage de fiction parasité par l’intrusion du réel extra-filmique. Vue en coup de l’acte créatif donc, en même temps que miroir aux alouettes où la passion se donne rendez-vous avec la mort et où l’art éclaire d’une lumière maladive les turpitudes d’un thriller délibérément réduit à peau de chagrin. Plus qu’à tous les épigones du post-modernisme cérébral, ce puzzle méta évoque la réflexion sur l’image développée par Wenders dans L’État des Choses, à ceci près qu’il se situe dans une autarcie plus fétichiste, légèrement anachronique, non sans charme mais de moindre portée. Tout en jeux de miroir, zones d’ombre, glissements sinueux, l’exercice n’est pas déplaisant mais un peu trop théorique. 4/6
Mon top :
1. Macadam à deux voies (1971)
2. L’ouragan de la vengeance (1966)
3. The shooting (1966)
4. Road to nowhere (2010)
5. Cockfighter (1974)
Peu de cinéastes américains sont aussi marginaux que cet auteur sans antécédent ni héritier, dont les films ne firent l’affaire de personne si ce n’est de deux ou trois exégètes inventifs. C’est bien sûr dans cette inspiration errante, iconoclaste, volontairement relâchée, qu’il a su trouver sa voie.