Joe Wilson a écrit :Je suis sorti de la salle très déçu, alors que je n'attendais pas grand chose du projet. Mais je n'ai rien trouvé à sauver : la mise en scène est au mieux maladroite (des effets de foule calculés et désincarnés), bien trop souvent hors-sujet (manie incompréhensible des plans panoramiques, ce qui fige le discours dans un didactisme et une pesanteur regrettables).
Le scénario ne rétablit pas vraiment l'équilibre : l'esclave Davus ne sert que de prétexte à un délire mystique sacrificiel, avec à la clef plusieurs scènes grotesques...et aucun protagoniste masculin ne parvient à sortir du lot, l'interprétation restant uniformément médiocre (entre Oscar Isaac particulièrement falot dans le rôle d'Oreste, et un Michael Lonsdale qui parvient à gâcher à lui seul la première demie-heure).
Sur le fond, Amenabar s'essaie au film à thèse, mais sa démonstration reste gratuite et tourne complètement à vide. Car s'il a pu profiter d'un contexte historique aux sources fragmentaires (on connaît presque plus Hypatie pour le contexte de sa mort, que pour sa vie et ses compétences), la déformation peu subtile des travaux de son héroïne (entre les ellipses et Kepler avant l'heure, pas un développement scientifique n'apparait crédible) ne sert qu'à évoquer un cliché historique rebattu, celui d'une rupture du savoir entre l'Antiquité et la Renaissance. Avec en prime cette contre-vérité grossière d'un déclin de civilisation au Vème siècle.
Sur le fait religieux, Amenabar multiplie également contresens et approximations. Hypatie fut l'otage puis la victime d'une lutte d'influence entre Oreste et Cyrille, certes...en recoupant toutes les sources, l'hypothèse semble assez claire. Mais en faire un martyr d'une foi portée par la raison face à un fanatisme religieux relève du pur fantasme. Comme d'ailleurs la séquence de la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie (à supposer qu'elle ait été rasée en 391, il n'y a aucune certitude par rapport aux volumes qu'elles contenait).
Je viens de découvrir le film. J'ai été conquis mais je souhaitais rebondir sur le commentaire de Joe parce qu'il me semble pertinent à plus d'un titre.
L'ambition du film n'échappe, en effet, pas toujours à certaines maladresses lorsqu'il s'agit de s'aventurer dans la réinvention du personnage historique qu'est Hypatie. Je pense comprendre ce que cherche à faire Amenabar. Il veut articuler son idée d'une chute de la civilisation romano-hellénistique, face à la montée du dogme religieux, avec l'opiniâtreté scientifique d'Hypatie de telle manière à créer un parallèle, une tension, entre d'une part la démarche de doute méthodologique, pré-cartésienne, de notre jolie savante, et d'autre part l’irrationalité par essence de la Foi qui gronde à ses fenêtres... avec en ligne de mire cette problématique, qui structure le film, sur la place et la faculté de l'homme à se penser dans l'Univers. Aussi le réalisateur va-t-il plus loin que ce que les sources antiques nous ont fait parvenir du portrait d'Hypatie en lui prêtant des compétences hors-normes en astronomie. La prise de libertés avec l'Histoire (d'autant plus aisée que les sources restent très parcellaires) reste toujours quelque chose de délicat mais tacitement acceptable si le propos reste intelligent - ce qui est pour moi le cas d'
Agora, fort heureusement. Le problème, c'est que par nécessité pragmatique et théorique, le scénario tend à faire d'Hypatie une sorte de génie visionnaire qui anticipe avec plus de mille ans d'avance les découvertes de Copernic, Kepler ou Newton. De ce côté-là, je tique comme Joe. L'existence du savoir astronomique hellénistique est indéniable et leurs questionnements très avancés (le film rappelle à juste titre les travaux de Ptolémée ou d'Aristarque) mais en faisant d'Hypatie la découvreuse des lois physiques de notre système solaire, et donc fatalement l'ennemie fondamentale du dogme chrétien, Amenabar entretient quelque chose d'un peu fantasmatique sur la Sagesse et la Connaissance antiques, en l'occurrence proprement visionnaires, qui est un peu gros à avaler même si l'intention demeure belle et profonde (montrer que ces savants de l'époque moderne, qui ont également eu maille à partir avec l’Église dès lors que leurs découvertes bouleversaient sa cosmogonie théologique, sont des héritiers d'une femme qui connaît les mêmes problèmes d'obscurantisme, obscurantisme ici coloré de "féminophobie" sur laquelle est en train de se construire la doctrine chrétienne - le IVe siècle est également celui des conciles de Nicée ou de Constantinople).
Une autre faiblesse réside également dans le personnage de Davus, qui reste trop schématique pour convaincre (dans sa conversion comme dans son tiraillement).
Les acteurs masculins sont quand même très fades, surtout à côté de Rachel Weisz. Et la mise en scène d'Amenabar souffre ça et là de quelques faiblesses stylistiques (les plans en flash-back lors de la scène finale, mon Dieu quelle horreur). Quant à la B.O. de Marianelli, c'est de la soupe.
Mais
Agora surmonte ces défauts grâce à un propos en forme de parabole d'une richesse et d'une intelligence remarquables. Comme
Kingdom of Heaven, le film nous tend bien sûr un miroir sur notre propre époque. L'ambition d'Amenabar est colossale et sa réalisation globalement à la hauteur des enjeux : péplum philosophique, sciences, Savoir, religion, politique, amour, obscurantisme, Histoire... L'ensemble est hors normes et ne croule pas sous son propre poids. Mieux, c'est vibrant, poétique. Sa direction artistique en dur (signée Guy Hendrix Dyas, responsable des décors pourtant fadasses du dernier Indy), monumentale et d'un niveau de finition affolant, n'a pas à rougir à côté de classiques comme
La Chute de L'Empire romain ou
Spartacus.
Je recommande vraiment parce que malgré les imperfections, ce n'est pas tous les jours qu'on a un grand cinéma épique de cette qualité et de cette profondeur.