Le cinéma japonais

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Et voilà fin des avis sur le cycle Takeo Kimura (dont j'aurais raté les films les plus récents) :)

Chacun dans sa coquille (Tomu Uchida-1955)

Un groupe de villageois se forme autour d’un homme apparemment mort allongé dans un petit tunnel. Il s’avère qu’il y a finalement dormi, lassé de la vie à la ville. Rentrant chez lui, il passe devant des usines et croise des manifestations contre l’occupation américaine.

Le film a commencé depuis 5 minutes et on se dit qu’on va être devant une excellente fresque sociale et engagée qui s’annonce d’autant mieux que la caméra de Tomu Uchida n’est pas avare en beaux travellings.

Et bien, mauvaise pioche, le film devient rapidement un mélodrame autour d’une jeune fille qui refuse de se marier même si elle aime un homme divorcé, qui lui amoureux de la belle-mère de celle-ci.
On se retrouve alors devant un film ennuyeux, très répétitif qui ne dégage que de la froideur. Un sentiment désagréable car sur le papier le scénario est assez moderne quant aux motivations des personnages, leurs comportements et les rapports qui les poussent les uns vers / contre les autres.
On ne retient alors que quelques scènes qui sortent du lot, une fin très pessimiste et quelques piques sur l’occupation américaine (qui apparaissent alors presque hors-sujet du coup).

Même la mise en scène ne retrouve pas le style virtuose du début… Bref, une déception qui dure en plus deux heures.


L’enfant favori de la bonne
( Tomotaka Tasaka – 1955 )

Bon, cette fois c'est définitif Tomotaka Tasaka confirme qu'il est un très grand 8)

C’est une comédie dramatique proche des chroniques attendrissantes et espiègle d’un Ozu ou d’un Naruse.
Dans le cas présent, on suit une fille de la campagne naïve et pleine de bonne volonté qui monte sur Tokyo pour y devenir une servante. Son naturel et son franc-parler lui attirent quelques problèmes d’autant qu’elle devient complice du jeune enfant turbulent de la famille où elle travaille.

Pas de grande trames narratives, pas (ou très peu) de moments forts dramatiquement mais une succession de moments simples, drôles et touchants qui évoquent des instantanés du quotidien en suivant les 400 coups que fait le garçon : le chien qu’il cache, des bagarres avec ses camarades de classes, une soudaine passion pour les trains ou la chasse etc…

Son innocence se complète bien sûr avec la personnalité fraîche et spontanéité de la bonne qui l’ouvrira sur la nature, l’environnement ou d’autres plaisirs simples. Une manière d’aborder l’éducation totalement différent de ses parents, des bourgeois un peu maniéré et rigide qui oublie l’éveil de leur enfant.
Bien-sûr l’opposition entre les gens de la ville et ceux de la campagne est un peu schématique mais elle n’est pas non plus trop manichéenne et elle ne dérange pas plus que ça.

On s’attache en tout cas très rapidement à ce duo qui donne lieu à quelque très beaux moments chaleureux et drôles : le piège pour les oiseaux, l’escalade dans arbres pour regarder les arbres, la course les yeux bandés, le petit chien.

Le dernier quart s’offre même un passage dans la campagne neigeuse pour une partie assez émouvante et une séquence irrésistible des ogres Oga (une sorte de variante à notre père fouettard où deux monstres viennent dans les maisons pour chercher les méchants enfants).

La seule fausse note arrive vers la fin qui s’avère prévisible avecc de plus une mise en appuyée et maladroite lors de travellings décadrés.
C’est un peu regrettable car jusque-là la mise en scène était un régal avec de très beaux mouvements de caméra, des compositions de plans très beaux tenant autant de l’impressionnisme que d’une certaine tendance néo-réaliste. Malgré tout, ça n’entame rien le charme indéniable de ce film admirablement bien racontée et fluide.
Une petite merveille qui met du baume au cœur. :D
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Re: Topic naphtalinippon

Message par shaman »

gnome a écrit : - Le révolté - Amakusa shiro tokisada (Nagisa Oshima) 1962
Avec ce film de commande, Oshima se penche sur le problème de la persécution des chrétiens sous l'ère des shoguns Tokugawa au travers de la destinée de Shirō Amakusa, chrétien japonais connu pour avoir mené une rébellion et avoir défendu une communauté chrétienne contre la répression du pouvoir en place en 1638. Certes, la mise en scène est assez classique, la narration est relativement linéaire et le film parait bien sage en regard des audaces formelles auxquelles l'auteur nous habituera dans les films suivants (je pense par exemple, pour ceux que j'ai vu, aux formidables Il est mort après la guerre et au Journal d'un voleur de Shinjuku) et qui à priori déjà bien présentes dans sa trilogie de la jeunesse et dans Nuit et Brouillard au Japon (pas encore vus), mais c'est sans compter sur le talent d'Oshima.
Par certains aspects, le film se rapproche d'Une bête à nourrir, avec une construction lente, la volonté de maintenir du plan séquence, de traduire un choc des croyances... Sauf que j'ai l'impression qu'Oshima se fout royalement de son sujet dans Le Révolté, qu'il s'amuse surtout à casser du genre populaire de studio pour finalement délivrer un film mou et rapidement torché (d'où l'abus de plan-séquences).

En comparaison, quand Shinoda détourne du chambara, ça donne L'Assassinat, soit une déstructuration complète des codes du genre transformant le samouraï en figure fantomatique, tout en bousculant l'Histoire officielle du pays. Un brin hermétique, c'est clair, mais toujours plus respectueux d'un public qu'un lourd détournement à la Oshima.

D'ailleurs, à ce niveau-là, tu peux jeter un coup d'oeil sur les premiers films de Yoshida, histoire d'avoir une idée de ses oeuvres de commande, et de son approche de certains genres (du drame au polar). Je préfère cette période là du cinéaste à ses futurs films indépendants, dont les trouvailles visuelles et propos sont parfois difficiles à digérer (plus une petite tendance à imiter les gimmicks d'un cinéma européen de l'époque, de Godard à Antonioni).
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Re: Topic naphtalinippon

Message par magobei »

Dans un autre registre, quelqu'un a-t-il vu Matango, d'Ishiro Honda?

Il est mentionné dans Mon effroyable histoire du cinéma de Kiyoshi Kurosawa, et ça a l'air d'un petit B assez intrigant, datant de 1963. Le plot:
After a yacht is damaged in a storm and its boarders stranded on a desterted island, the passengers take refuge in a mysterious fungus-covered boat. While using the Mushrooms for sustinance, they find in the ship's journal that the mushrooms are poisonous. However some members of the shipwrecked party continue to ingest the mysterious fungi, transforming them into hideous fungal monsters.
D'où son titre anglais, Attack of the Mushroom People. L'affiche, elle, ressemble à un énorme rip-off de Planète interdite :lol:
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Une énième version sur la thème de la "femme portée", pour citer Chion.
Dernière modification par magobei le 6 févr. 11, 00:27, modifié 1 fois.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par gnome »

Voilà ce que j'avais écrit dessus :
- Matango (Attack of the Mushroom people) (Ishiro Honda) 8.5/10
Voilà un petit film d'aventure bien plaisant et plus intéressant qu'on ne peut le penser. Le but premier du film est de divertir et il y arrive très bien. Encore une énième variation nippone sur le thème des radiations nucléaires direz-vous? Oui... et non. On a bien Ishiro Honda aux commandes (Monsieur Godzilla), mais pas de bestiole préhistorique géante ici. Plutôt des hommes champignons (sujet encore plus casse-gueule il est vrai), mais Honda s'en sort admirablement bien et évite le ridicule et le kitch en montrant finalement très peu ses créatures.
C'est vraiment un chouette film.
Ça vire à un certain moment à Koh Lanta. Les naufragés livrés à eux même, seuls sur l'île devant se débrouiller pour survivre à l'hostilité de l'île et à la cohabitation avec leurs propres congénères qui n'ont pas toujours le même avis qu'eux... Honda se livre ainsi à une bonne analyse de caractère. Puis ça tourne un peu au jeu de massacre à la 10 petites nègres...
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Re: Topic naphtalinippon

Message par magobei »

Merci pour ton avis. Je vais tenter le coup!
Ce qui me donne envie aussi, c'est que le trailer m'a fait penser un peu à Lost Continent, petite pépite assez méconnue de la Hammer...
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Message par Eigagogo »

J'avais fait un p'tit texte dessus:
http://eigagogo.free.fr/Critiques/matango.htm

Excellent film pessimiste et poétique, loin d'un simple "film d'aventure tropical au charme désuet", on est en plein dans son cycle des métamorphoses/mutations.
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gnome
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Re: Topic naphtalinippon

Message par gnome »

Eigagogo a écrit :J'avais fait un p'tit texte dessus:
http://eigagogo.free.fr/Critiques/matango.htm

Excellent film pessimiste et poétique, loin d'un simple "film d'aventure tropical au charme désuet", on est en plein dans son cycle des métamorphoses/mutations.
C'est exactement ce que je pense aussi...
Beau petit texte. :D
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Eigagogo »

gnome a écrit :
Eigagogo a écrit :J'avais fait un p'tit texte dessus:
http://eigagogo.free.fr/Critiques/matango.htm

Excellent film pessimiste et poétique, loin d'un simple "film d'aventure tropical au charme désuet", on est en plein dans son cycle des métamorphoses/mutations.
C'est exactement ce que je pense aussi...
Beau petit texte. :D
il y a bouquin de sorti récemment sur le réal, ça a pas l'air mal, traitant aussi de sa filmo non-Godzillesque (la littérature kaiju, c'est soit typé "fan" ou "universitaire" .. manque tjs un juste milieu. Dommage car c'est un genre assez riche!). Son Half-Human a aussi été récemment soustitré par des fan (un screener de la version Toho originale, verrouillée par le studio et pour le coup vraiment invisible, même au Japon).

http://www.amazon.com/Mushroom-Clouds-M ... 1449027717
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Message par Alligator »

Yaru! (Yasuharu Hasebe, 1978) :

http://alligatographe.blogspot.com/2011/02/yaru.html

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_______________

Yasuharu Hasebe est un nom dans le genre du roman porno. Je rappelle qu'il n'a de "porno" que le nom, il s'agit d'un genre très particulier, spécifiquement nippon dans lequel l'érotisme est le principal et non l'unique argument pour attirer les mâles dans les salles d'un cinéma japonais en perte de vitesse à l'époque, un genre où de nombreux talents ont pu faire leurs armes en créant de très jolis objets.

Yasuharu Hasebe revient souvent dans les discussions sur le genre. Des quatre ou cinq films que j'ai vu de lui, je confesse que son style, parfois très beau et élégant dans sa manière de filmer, jure avec une thématique volontairement glauque, voire vulgaire. J'ai trouvé certains de ses films beaucoup trop complaisants, plus primaires que profonds, plus putassiers que poétiques, les autres renversants totalement le jugement grâce à des personnages désaxés, malades, mystérieusement à la monstruosité touchante, humaine pour les meilleurs et interpellante pour les pires ("Stray Cat Rock: Sex Hunter", "Okasu!", "Assault! Jack the Ripper", "Reipu 25-ji: Bôkan" et "Osou!".

Sur celui-là, on suit les mésaventures d'une jeune femme qui est le jouet sexuel de tous les personnages qu'elle rencontre sur une route semée de mille embuches. Elle ne déambule pas dans le monde réel. Il n'a de réel que les apparences. De Charybde en Scylla, son périple aux allures sadiennes évoque celui de Justine, on ne peut que difficilement échapper à la comparaison, cette infernale succession de tableaux où des personnages tous aussi violents et pervers les uns que les autres semblent s'acharner à lui pourrir la vie, en une inexorable destruction de ses illusions, celles de l'enfance. Tous paraissent se liguer contre elle, pour abuser d'elle. Il n'est pas un seul personnage qui consente à faire de son enfer un temps et un espace un peu plus doux, juste humain. Pas un. L'univers est pourri, les hommes sont des animaux, l'argent corrompt toutes les puretés. Voilà.

Contrairement à certains de ses confrères et de ses œuvres précédentes, Hasebe n'esthétise pas ici à outrance son propos. Et c'est justement ce que l'on pourrait lui reprocher, une réalisation visuellement acceptable mais assez peu intéressante.

Heureusement les acteurs jouent assez bien, avec une louable efficacité. Mais le film n'emporte pas mon adhésion pour autant.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par magobei »

Take Aim at the Police Van, de Seijun Suzuki

Un polar racé signé en 1960 par le jeune Seijun Suzuki: on est loin des fulgurances pop, des inventions visuelles de ses films suivants. N'empêche, c'est assez enlevé (grâce aussi à un joli score de Koichi Kawabe), malgré une intrigue assez alambiquée, une sombre (et assez obscure) histoire de traite des blanches.

7/10
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Message par beb »

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Dernière modification par beb le 31 mars 23, 16:42, modifié 1 fois.
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Re: Topic naphtalinippon

Message par magobei »

beb a écrit :
magobei a écrit :Take Aim at the Police Van, de Seijun Suzuki

Un polar racé signé en 1960 par le jeune Seijun Suzuki: on est loin des fulgurances pop, des inventions visuelles de ses films suivants. N'empêche, c'est assez enlevé (grâce aussi à un joli score de Koichi Kawabe), malgré une intrigue assez alambiquée, une sombre (et assez obscure) histoire de traite des blanches.

7/10
Tu l'as vu où ce film..... DVD :?:
Oui, il est dans le coffret Nikkatsu Noir sorti chez Criterion
http://www.criterion.com/boxsets/655-ec ... katsu-noir
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Re: Topic naphtalinippon

Message par bruce randylan »

Et on est parti pour la rétro Toei :D


Ino et Mon (Sotoji Kimura-1936)

Un frère volage vit très mal le fait que sa sœur tombe enceinte après avoir été séduite et abandonnée par un fils fortuné.

Le cycle commence plutôt bien avec un mélodrame qui doit ses qualités à sa beauté visuelle et à l'utilisation du cadre et de l'espace. C'est même très moderne pour son époque avec un sens de la composition bluffant usant autant de la profondeur de champ, des focales et de la géométrie.
L'ouverture est époustouflante dans son mélange d'Eisenstein et de néo-réalisme avec 20 ans d'avance. On y suit des hommes travailler le long d'une rivière dans une succession de gros plans, de mouvements de caméra et de plan larges d'une beauté picturale à couper le souffle. Sans parler d'un noir et blanc qui, la aussi, ne fait pas du tout son âge.

Cette introduction est assez trompeuse car le film abandonnera rapidement cette dimension documentaliste pour se recentrer sur la famille du chef du chantier. On peut le regretter car cette partie annonçait un film qu'on ne verra pas et qui aurait pu être fantastique.
Il faut donc se contenter d'un mélodrame des années 30 japonais moins guindé que d'habitude. Il faut certes faire avec une musique très envahissante et presque omniprésente (chose courante à l'époque), de situations rabâchées et de personnage curieusement effacés (la deuxième sœur) mais la réalisation de Sotoji Kimura parvient a faire oublier à plusieurs reprises la banalité d'un scénario.
Son talent est de mettre en adéquation la psychologie et les rapports de force des protagonistes avec sa manière de les cadrer : scènes intérieures aux perspectives bouchées lors de la présence du père, les plans commencent à dévoiler de la nature quand le climat se réchauffe avec l'arrivée de la mère ; plan où l'on voit la fille enceinte dans sa maison avec au loin derrière un store des paysans passant sur un sentier en hauteur pour évoquer les rumeurs qui pèsent sur elle ; un gros plan sur un pied pour évoquer des sentiments incestueux etc...

Le cadrage possède toujours cette intelligence et cette inventivité pour une excellente utilisation du format 1.33. Les échanges y gagnent une intensité et une dureté inhabituelle dans le genre d'autant que Mon (la sœur enceinte) est bien mieux écrite qu'à l'accoutumée. Elle ne cherche pas à être une victime, elle n'est pas un caractère passive qui se lamente sur son sort ou qui se soucie des qu'en-dira-t-on.

Ne pas croire cela dit que le cinéaste ne s'épanouit que dans le cadrage fixe, il maitrise à merveille les travellings qui donnent lieu à deux formidables passages. La première est une poursuite à pied à l'ambiance étouffante et la seconde une très longue conversation entre les deux sœurs évoquant leurs visions de l'amour et des hommes. Vraisemblablement un plan-séquence filmé sur le bord d'un ruisseau, le plan possède 2-3 plan de coupe qui n'atténuent pas le tour de force technique, qui une nouvelle fois n'a rien de gratuit.

Bref, un pur film de réalisation qui permet de dépasser les codes d'un genre en développant un univers visuel original à l'image de l'ouverture et de la conclusion.

Et en plus, ça ne dure qu'une heure. :D
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Message par bruce randylan »

Cadre de troisième classe (Masahisa Sunohara - 1952)

Une comédie (de mœurs) assez amusante sur l'univers de l'entreprise japonais entre les ambitieux, les lèches-bottes, les histoires d'amour et les rivalités avec les épouses.
On devine que le film est inspirer d'un roman ou d'une bande-dessinée car la structure est une succession de sketch sans présenter une ligne narrative définitive.

Ce n'est pas très gênant pour sa première partie qui présente des situations assez inspirée qui brocarde gentiment la société nippone avec ces arrivistes, ces épouses qui chercher à se montrer bien habillées aussi souvent que possible ou ces employés caricaturaux. On sourit de bons cœur devant les ruses de patron pour offrir des occasions à sa femme pour se faire bien voir, la tête ahuri d'un prétendant à un mariage ou des problèmes causées par les primes offertes aux salariés (et que les épouses aimeraient bien récupérer).
Mais tout ça ralentit par la suite car les scènettes sont moins originales, trainent un peu en longueur ou se contentent de décliner des idées du début.

La mise en scène par ailleurs n'est pas fabuleuse et mise plus sur ses acteurs assez sympathiques il est vrai. Le film n'a de toute façon pas des ambitions démesurées, juste de divertir. Ca a du marcher car une suite fut réalisée l'année suivante et plusieurs épisodes s'enchainèrent jusqu'au début des années 60.


Cadre de troisième classe 2 (Hideo Suzuki-1952)

Et voilà justement la suite du précédent.
On reprend exactement là où le premier s'était arrêté (ou presque) : même personnages, même acteurs, même genre de situations.

Le début laisse à croire que ce deuxième opus sera de meilleur qualité grâce à l'arrivée d'un nouvel employé qui dynamise un peu les gags en faisant monter la compétitivité moribonde de la société (très drôle séquence chorégraphiée sur les 2 salary-man effectuant les mêmes gestes).
L'illusion ne durera pas longtemps malheureusement, la mise en scène se révélant bien vite d'une médiocrité tristounette. Suzuki est incapable de bien exploiter les gags qu'on lui offre : aucun sens du timing et du tempo, pauvreté de la direction d'acteur, réalisation peinant à mettre en valeur une situations.
Il n'y rien de plus rageant qu'un scène prometteuse mais qui tombe à plat car personne ne sait quoi faire.
Ca s'étire en longueurs, ça gesticule dans le vide, ça place sa caméra n'importe où.

Le résultat devient même parfois affligeant comme cette scène très ratée où un homme qui rentre saoul essaye de convaincre sa femme de lui ouvrir la porte. Gros potentiel comique mais on est vite consterné par le manque de talent général. Tout juste arrive-t-on à quelques sourires forcés.

Quelque part, on se dit qu'en rasant le nouveau personnage, le film devient barbant :arrow:
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cinephage
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Re: Topic naphtalinippon

Message par cinephage »

Le jour le plus long du Japon, de Kihachi Okamoto (1967)

Ce film, vaste fresque initiée pour fêter les 35 ans de la Toho, réunit un casting masculin de premier plan : Toshiro Mifune, Takashi Shimura, Tatsuya Nakadai (en voix off), Chisu Ryu, et quelques autres têtes d'affiches que je n'ai pas su reconnaître...

Ce qui surprend en premier lieu, dans ce film, c'est le sérieux avec lequel il traite du nationalisme japonais. Il faut dire que son sujet s'y prête bien : on est en août 1945, le Japon est exténué par la guerre, et, après la déclaration de Potsdam en juillet, ne parvient pas à se décider en faveur d'une reddition. Alors que le gouvernement hésite toujours et que les négociations piétinent, l'arme atomique a frappé deux villes. L'empereur intervient directement en annonçant à son gouvernement qu'il veut mettre fin à la guerre. Le film décrit précisément dans le détail la journée du 14 aout 1945, entre le moment où l'empereur va lire une annonce officielle qui sera enregistrée sur disque et celui où cette proclamation sera diffusée.

Réalisé par un cinéaste qui a fait la guerre, le film frappe par son ton qui traite de valeurs aujourd'hui désuètes ou dénoncées avec le plus grand sérieux. Les ministres sont en larmes lorsque l'empereur annonce son intention de se rendre, les militaires ne comprennent pas ce qui se passe, et l'on voit un gradé affirmer avec sérieux que si 20 millions de japonais étaient utilisés en kamikazes, la guerre ne pouvait pas être perdue. On est souvent pris de court par le nationalisme aveugle des soldats d'un pays qui n'a jamais été vaincu auparavant, et l'on observe comment l'annonce de l'empereur peut être bloquée pendant des heures suite à des discussions sur certains termes qui pourraient ne pas suffisamment honorer les soldats nippons. Autre élément étonnant, et sans doute juste, l'indignation larvée des ministres japonais lorsque l'empereur annonce qu'il s'exprimera à la radio. Un tel procédé est bien disgracieux pour un dieu vivant...

Bref, le film est aussi, et peut-être aujourd'hui avant tout, le témoignage historique d'une période et d'un état d'esprit difficile à comprendre aujourd'hui. On voit donc combien il est douloureux pour le Japon de reconnaître sa défaite, alors qu'occidental, on ne peut que constater l'impérieuse nécessité de la chose, et qu'une voix off décrit les nombreux sacrifices subis par la nation en déroute. En même temps, on peut se souvenir que les experts américains de l'époque pensaient que le Japon ne se rendrait jamais, tellement l'idéologie prégnante rendait toute défaite inenvisageable. On peut d'ailleurs trouver une critique incrédule du film qui juge, à mon avis à tort, que les réactions sont ridicules et sciemment caricaturées par le réalisateur (sur wildground.fr, site très sérieux sur le cinéma asiatique, mais qui fait ici, je pense, contresens). Je crois pour ma part tout le contraire (le film a d'ailleurs connu un immense succès, et donné naissance à une série de films sur ce thème, sortis chaque année aux alentours du 15 août). Lors de la projection, un type a d'ailleurs quitté la salle en protestant contre un film fasciste (le fait est qu'à aucun moment le film n'évoque les torts du Japon, ni ne suggère même que les uns ou les autres aient tort. La fatalité les oblige juste à accepter la défaite, une terrible épreuve pour un peuple qui se croit destiné à la victoire).

Okamoto dédie d'ailleurs ce film aux morts de la guerre. Le film m'apparait au final bien plus tragique que cynique : la tragédie d'une lutte vaine hante le film, qui évoque maintes fois que si le Japon se rend, il déshonore les millions de soldats et de civils tombés pour lui. La tragédie d'une nation qui y croyait, et doit s'arrêter parce que les faits l'y contraint, et que "vaincre ou mourir", à l'échelle d'un peuple, implique en cas de défaite la disparition de ce peuple. Okamoto restitue avec respect l'état d'esprit d'un peuple galvanisé, intégralement convaincu que la victoire était sienne, porté par des valeurs auxquelles, pour survivre, il faudra renoncer. Il n'y a donc pas de vrai méchant, mais des hommes qui choisissent chacun différemment de réagir à une situation à laquelle ils ne sont pas prêt.

Passée la surprise du spectateur devant cet état d'esprit particulier, l'intrigue est serrée et tendue, on suit les réactions de divers soldats d'état major, les uns décidant de prendre le pouvoir pour continuer la guerre, d'autres s'en prenant aux politiques qu'ils jugent lâches ou décident de se suicider, d'autres, enfin, désobéissent simplement en attaquant les forces américaines. Un montage parallèle serré et multipliant les morceaux de bravoure tient le film en tension dans toute sa seconde moitié, et l'on ressent autant les motivations de ceux qui refusent de se rendre que celles de ceux qui acceptent la défaite "pour sauver le peuple japonais". Enfin, on évoquera aussi le superbe cinémascope du film, fort bien exploité par le réalisateur.

Bref, un film atypique et étonnant, très bien fichu dans son récit et étonnant par son ton convaincu, qui existe en dvd Z1 avec sous-titres anglais.
7/10
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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