Hollywood Ending (Woody Allen - 2001)
Val Waxman (1), cinéaste New Yorkais autrefois renommé mais aujourd'hui exclu des grands circuits du cinéma pour ses frasques névrotiques, est contraint à trouver son gagne-pain dans la réalisation de films publicitaires. Pour ne rien arranger, sa femme Ellie l'a quitté et vit désormais en compagnie de Hal Yeager, riche et célèbre producteur de cinéma installé à Los Angeles. C'est toutefois cette ex-épouse qui donne à notre "star" déchue sa dernière chance. Elle parvient à persuader son amant Hal, le producteur, de confier à Val la mise en scène d'un film à gros budget pour lequel il serait, selon elle, le réalisateur parfait. Hélas, juste avant le début du tournage le pauvre Val devient mystérieusement aveugle, et convenons qu'il est pour le moins difficile de diriger le tournage d'un film lorsqu'on n'y voit plus rien. Effectivement le film de Val Waxman sera pour le moins... bizarroïde.
Sur cette mise en abyme souvent invoquée dans le cinéma "Allenien" (cf.:
La rose pourpre du Caire,
Stardust memories et dans une moindre mesure
Broadway Danny Rose), l'ami Woody nous offre un feu d'artifice de situations loufoques et de quiproquos à l'avenant, le tout savamment emballé dans des dialogues "dingos" qui suivent une implacable logique absurde dont il a le secret. Si la mise en scène est brillante et si la photographie est à la fois sobre et travaillée comme à l'accoutumé, le film tire sa vraie réussite du scénario, complexe à souhait dans les moindres détails, scénario qui déborde d'imagination et sert de tremplin aux plus hilarantes répliques que le réalisateur-scénariste ait écrites de longue date. C'est cette complexité de la narration, au service de dialogues d'un burlesque époustouflant, qui différencie
Hollywood ending d'une simple comédie made in Woody Allen de plus. Et qui en fait tout simplement un très grand film.
Le casting est plus que discret, aucun nom très connu ne figure à l'affiche, mais c'est également une sacrée réussite. S'il faut féliciter tous les acteurs et actrices pour des prestations qui leur ont visiblement procuré du plaisir, et adresser une mention spéciale à Mark Rydell pour le personnage "maternel" de Al Hacks l'agent artistique de Val, c'est le père Woody qui met le feu à l'écran dans le rôle du metteur en scène aveugle, névrosé, hypocondriaque, drogué au divan psychanalytique et éternel amoureux délaissé. Rôle "type" qu'il endosse ici pour la Nième fois - entre clown et personnage au pathétique comique - mais rôle qui plus encore qu'à l'accoutumé nous fait rire et sourire, selon que le scénario fait vibrer d'un bout à l'autre du film l'image de cette "névrose" dans des méandres sympathiquement déjantés, pour conclure sur une happy-end amoureuse et une "guérison oculaire" hilarante.
Comédie jubilatoire que le spectateur dévore avec un plaisir immédiat, mais aussi réflexion sur la production "artistique" et sur l'industrie cinématographique en particulier,
Hollywood ending s'inscrit en filigrane comme un premier bilan que le réalisateur effectue sur sa vie de cinéaste. Le titre du film est d'ailleurs évocateur à cet égard, puisque cette réalisation précéda de peu la révérence que Woody Allen tira à sa carrière américaine pour partir d'un nouveau pied tourner en Europe. C'est certes dévoiler quelque peu la fin du film, mais il faut toutefois mentionner la dernière tirade qui vient confirmer sans ambiguïté la rupture que cette production constitue dans le parcours du cinéaste, sous la forme d'un hommage ironique à la France "des lettres et des arts". Extrait de cette tirade qui clôt le film (approximativement, de mémoire) : "
On est sauvés !!! Les français !!! Mon film est sauvé par les français !!! Vive la france, y'avait que les français pour pouvoir aimer un film pareil !!!". C'est tout bonnement à pleurer de rire.
Film "testament" qui clôture trente années de réalisations américaines (et quelques 35 à 40 films),
Hollywood ending est un monument burlesque qui pétille d'un humour de grande classe. A garder aux côtés de quelques autres joyaux tels
Crimes et délits ou
Annie Hall, et surtout, pour de multiples ressemblances, à placer à côté de cet autre chef d'oeuvre du réalisateur :
La rose pourpre du Caire.
(1) "Waxman" signifie "homme de cire", soit quelqu'un qui existe avant tout par sa représentation dans un musée. C'est bien ce qu'est le réalisateur joué par Woody Allen, et c'est peut-être un clin d'oeil de Woody Allen lui-même à son public indéfectible après trente années de cinéma New Yorkais, réglées au métronome (le "Woody Allen nouveau étant au cinéma ce que le beaujolais nouveau est au vin, soit : une représentation institutionnelle). A noter aussi l'homophonie entre "Val" le réalisateur, "Hal" le producteur, et "Al" l'agent artistique, homophonie qui renvoie (peut-être) en aimable camouflet à cette "grande famille unie" que formerait les professions du septième art.