Josef Von Sternberg (1894-1969)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Cathy
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Cathy »

Shanghai express (1932)

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En Chine, les passagers du Shanghai express sont pris en otage par le chef de la Rébellion.

Shanghai express est un film étrange, à la fois comédie, film de guerre ou d'espionnage et film d'amour. En effet, le film débute comme une pure comédie avec ces occidentaux qui quittent Pékin pour rejoindre Shanghai à l'abri de la guerre civile, on y retrouve un officier français, une vieille anglaise et son chien, un américain, un médecin, un pasteur, un infirme, et deux femmes séductrices, une chinoise qu'on imagine courtisane et Shanghai Lily, une occidentale, il y a aussi ce chinois qui va se révéler être tout à fait autre que celui qu'il prétend être. Le film bascule alors dans l'horreur de la guerre civile, et dans la prise d'otage du Docteur anglais, le seul intéressant car il doit sauver la vie de quelqu'un d'important à Shanghai et semble être une bonne monnaie d'échange. Une fois cet épisode passé, on retombe dans la comédie et dans l'histoire d'amour pure.
On admire le génie de Sternberg dans les prises de vue de ce train, que ce soit dans l'esthétique rigide de l'exterieur des wagons ou la force locomotrice de la machine, dans la multitude de détails, cette foule grouillante qui va dans tous les sens. Il y a tellement d'action en même temps dans les scènes de foule qu'on ne sait plus où regarder, il y a aussi l'expressionnisme évident de la fusillade et cet enchainement de séquences les unes sur les autres, des fondus enchainés très lents, avec superposition des scènes.
On admire aussi la manière dont les cadrages sont faits à travers des poutrelles, des vitres, des voilages, amplifiant ainsi le côté "bizarre" et oppressant de cet arrêt prise d'otage. Il y a aussi cet humour qui semble plus anglais qu'américain avec cette vieille dame et son chien. Sternberg alterne en plus admirablement le huis clos du train et de la prise d'otage avec la grandiloquence des scènes de gare.

Et puis il y a Marlène Dietrich qui n'a jamais été aussi belle et bien photographiée que par son mentor, que dire de ses gros plans, la main tremblante tenant une cigarette, ou cette main et ce visage collés derrière une vitre. Elle est certes parfois un peu too much dans certaines expressions, mais passe quand même admirablement du drame à la comédie. Clive Brook fait irresistiblement penser à Herbert Marshall, et on se dit que ce dernier aurait sans doute mieux su rendre l'ambivalence de l'homme d'honneur et de l'homme amoureux, il y a aussi un tout jeune Eugene Pallette, grand second rôle du cinéma américain. Anna May Wong se montre ambivalente à souhait dans son rôle de "courtisane".

Sternberg réalise une fois de plus un film à l'esthétique magnifique, à l'exubérance assumée. Bref un superbe film.

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someone1600
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Message par someone1600 »

Je ne l'ai pas encore vu celui-la, faudrait bien que je le trouve quelque part. :?
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Alcade »

Agent X 27 — Josef Von Sternberg — 1931

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(achtung spoilers)

Un film très bien ! Dans cette adaptation de Mata Hari en Autriche, Marlene Dietrich joue le rôle d'une prostituée recrutée comme espionne pour le compte de son pays. Ce faisant, elle tombera amoureuse de son homologue russe, chose que ne lui pardonnera pas la cour martiale.

Ce film ne comporte quasiment pas de défauts et enchaîne avec vivacité, et en musique, des scènes mémorables (la fête du début, la scène du piano et du message codé), et les scènes intimistes, où naît un amour impossible. Marlene Dietrich, tout en nonchalance langoureuse, s'éprend petit à petit d'un rusé Victor McLagen, toujours prêt pour la chose. :mrgreen:

Le film ne manque pas d'humour (la scène où X 27 imite un chat), mais au fur et à mesure, l'on sent l'inéluctable arriver, depuis l'opération en Russie jusqu'au moment où X 27 assurera la fuite de l'espion russe. Si le sort réservé aux espions ne fait aucun doute (le métier le plus odieux qui soit, dixit le chef des Renseignements autrichiens), leur influence sur la guerre est juste suggérée par deux-trois plans fondus ; ne reste que leur métier, jeu mortel, qui connaît forcément une fin funeste (mais une mort honorable, après une vie de déshonneur...).

Le gros plan sur le visage de X 27, habillée en courtisane, faisant face à la mort... :cry:
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Ann Harding
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Ann Harding »

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Crime and Punishment (Remords, 1935) de Josef von Sternberg avec Peter Lorre, Marian Marsh et Edward Arnold

L'étudiant en criminologie Raskolnikov (P. Lorre) assassine une prêteuse sur gage. L'inspecteur Porphyre (E. Arnold) enquête sur le meurtre...

En 1935, Sternberg a quitté les studios Paramount, où il a réalisé ses meilleurs films muets et parlants, pour la Columbia. En s'attaquant au chef d'oeuvre de Dostoievski, on pouvait attendre de Sternberg des merveilles. Il faut bien l'avouer, le film est une grosse déception par rapport à ses films précédents. Certes, la cinématographie de Lucien Ballard joue intelligemment avec les ombres et les lumières, mais la composition est terriblement académique. On dirait que Sternberg se contente de filmer le scénario en ne faisant aucun effort dans les mouvements de caméra, ni dans les cadrages. S'il s'agissait d'un film de Sam Wood, on serait peut être moins déçu par ce film de commande qui offre une vision hollywoodienne de la littérature russe. Mais, c'est bien Josef von Sternberg qui a réalisé The Last Command qui est aux manettes. Peter Lorre offre ce qu'il y a de mieux dans ce film. Son Raskolnikov sue la peur et réussit à nous faire croire au personnage. Mais, le reste n'est qu'une illustration académique. Le film est d'autant plus décevant que la même année, en France, Pierre Chenal a réalisé un Crime et Châtiment d'un tout autre calibre. Le jeu du chat et de la souris entre Raskolnikov (Pierre Blanchar) et Porphyre (Harry Baur) est fascinant, plein de tensions et de menaces. Chenal utilise les cadrages pour créer la peur et la tension, cette tension qui manque totalement au film de Sternberg. De même, les rapports entre Sonya (la superbe Madeleine Ozeray) et Raskonikov sont infiniment plus complexes que le laisse supposer le film américain. Chenal sait également canaliser ces deux monstres sacrés que sont Blanchar et Baur qui peuvent se lancer dans le cabotinage s'ils ne sont pas tenus. En fait, je vous recommande de découvrir le film de Chenal plutôt que celui de Sternberg !
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par allen john »

Quatre films muets de Josef Von Sternberg, 1925-1928

En fait, les quatre films dont il va principalement être question ici sont les derniers survivants de l'oeuvre muette du metteur en scène. On a beaucoup de chance de les avoirs, mais on ne peut pas se réjouir de la perte d'autres films, et non des moindres, apparemment... C'est la raison pour laquelle je mentionne aussi les autres.

Salvation hunters (1925)
La carrière de Sterberg commence avec un film que d'aucuns pourraient qualifier d'expérimental, voire d'amateur. Les "stars" en sont George K. Arthur et Georgia Hale (The gold rush), ce qui explique peut-être le soutien de Chaplin à un film qui très honnêtement ne le vaut pas. C'est par le biais de United Artists que le film est distribué nationalement. Statique, prétentieux, le film conte les "mésaventures" de marginaux dans une zone portuaire, et il faut souffir pour le voir... il faut bien commencer par quelque chose! le film permettra à Chaplin qui lui a vu plus que moi (Avec raison) dans le film de proposer une collaboration avec Sternberg...

The seagull / Woman of the sea (Perdu) (1926)
Projeté une fois, jamais sorti, le film a -t-il déplu à son éminent producteur? Edna Purviance, tournant un film sans la direction de son mentor, a-t-elle déplu? Sterberg a-t-il déçu Chaplin? Le film a été détruit, devenant probablement un graal particulièrement important auprès de million de rêveurs...

The exquisite sinner(Perdu) (1926)
Echoué à la MGM, Sternberg aurait fini seul un seul film, celui-ci... et encore, on parle de retakes effectuées par un tiers. en tout cas ce film d'aventures romantiques a déplu à la hiérarchie et entrainé le renvoi du metteur en scène de son film suivant, The masked bride...

Underworld (1927)
C'est donc à la paramount que Sternberg va trouver un studio qui le laisse déployer sa vision. Il va aussi parfois être amené à travailler sur les films des autres: It, de Clarence Badger, par exemple, ou encore le montage de The honeymoon, deuxième partie de The wedding march...
L'invention du film de gangsters, lorsqu'un scénario échoue à la Paramount, et qu'en désespoir de cause le film est confié à un quasi-débutant qui décide de jeter toute notion de réalisme aux orties, de privilégier l'atmosphère, l'image, le style quoi! Enorme succès, largement mérité, ce film est non pas l'ancètre du film noir, il en est la naissance! Indispensable.

The last command(1928)
Jonas Sternberg, pas plus Von que moi, savait ce que le dégiusement, ou son équivalent l'uniforme, peuvent faire à un homme. Jannings, vedette Allemande du film de Murnau Le dernier des hommes, qui traitait précisément des effets de la perte d'un uniforme sur un vieil homme, le savait aussi. cette fable noire et souvent tragique est basée sur l'industrie de l'ilusion à Hollywood; un réalisateur voit arriver un jour sur son film un figurant qui n'est autre que l'homme qui l'a arrêté en Russie, en pleine révolution. L'un et l'autre ont aimé la mmême femme, et le réalisateur va se repaître de l'inversion des rôles: il est désormais en position de force. l'un des premiers films majeurs basé sur un flash-back, The last command est aussi un chef d'oeuvre tout court, absolument envoûtant.

The dragnet (perdu)(1928)
L'expérience de Underworld avait porté ses fruits, et un autre film de gangsters s'imposait. il parait qu'il était excellent...

The docks of New York(1928)
Dernier des films muets disponibles de Sternberg, Docks of New York fait partie de ces nombreux films passés inaperçus, justement parce qu'ils étaient muets, à l'époque ou on allait voir n'importe quoi du moment qu'on y parle. Et comme beaucoup de films de cette miraculeuse année, il est devenu un classique. A voir pour la poésie crapuleuse, peuplée et fêtarde, de ces bouges portuaires, pour l'éclosion d'une incroyable histoire d'amour entre un gros baraqué et une fragile petite dame suicidaire, et bien sur pour la science de l'image qui transforme, comme dans les autres muets de Sternberg, absolument tous les plans en des photographies sublimes.

The case of Lena Smith (perdu) (1929)
Encore un film qui a tout d'une grosse perte. régulièrement, des rumeurs font état de la découverte de fragments... peut-être qu'un jour...

http://allenjohn.over-blog.com/article- ... 74921.html
The Eye Of Doom
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Message par The Eye Of Doom »

allen john a écrit :Salvation hunters (1925)
La carrière de Sterberg commence avec un film que d'aucuns pourraient qualifier d'expérimental, voire d'amateur. Les "stars" en sont George K. Arthur et Georgia Hale (The gold rush), ce qui explique peut-être le soutien de Chaplin à un film qui très honnêtement ne le vaut pas. C'est par le biais de United Artists que le film est distribué nationalement. Statique, prétentieux, le film conte les "mésaventures" de marginaux dans une zone portuaire, et il faut souffir pour le voir... il faut bien commencer par quelque chose! le film permettra à Chaplin qui lui a vu plus que moi (Avec raison) dans le film de proposer une collaboration avec Sternberg...
Cher Allen John, je ne souscris pas (du tout) à ce jugement severe. Je me cite (voir precedement sur ce topic)
"De son premier film « Salvation hunters », on trouve une mise en scène exceptionnelle (les scènes de la grue qui charrie sans fin la boue du port où les personnages traînent leurs désespérance et leur misère sur la moitié du film. la scène où la jeune femme se prépare à se prostituer en utilisant une allumette grillée pour se maquiller les yeux, …)"
Comme l'explique Marcel Oms dans les 1eres pages de son exelent opuscule sur Sternberg dans l'Antologie du Cinema (Avant Scene) : "Toute l'univers moral et la vision de l'artiste sont deja dans Salvation Hunters". Il site aussi un critique particulierement enthousiaste de l'époque (1924), F. Pinney Earle : "c'est le premier grand film symbolique jamais realisé : il traite de la maniere la plus original des forces qui gouvernent la destinée humaine. Il y a la des scènes qui sont des métaphores poignantes, d'autre qui font l’effet de belles phrases éloquentes. Son message est puissant, terrible, magnifique, chargé d'une force élémentaire qui nous submerge. C'est un inoubliable sermon qui grave son texte en traits brûlant dans l'esprit et qui nous laisse dans l'exaltation et l'émotion la plus étrange"
J'ai vu ce film quatre sur 25 ans et il m' a toujours ému et fasciné. Je regrette que Criterion n'ai pas jugé bon de l'integrer dans son coffret.
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Watkinssien
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par allen john »

The Eye Of Doom a écrit :
allen john a écrit :Salvation hunters (1925)
La carrière de Sterberg commence avec un film que d'aucuns pourraient qualifier d'expérimental, voire d'amateur. Les "stars" en sont George K. Arthur et Georgia Hale (The gold rush), ce qui explique peut-être le soutien de Chaplin à un film qui très honnêtement ne le vaut pas. C'est par le biais de United Artists que le film est distribué nationalement. Statique, prétentieux, le film conte les "mésaventures" de marginaux dans une zone portuaire, et il faut souffir pour le voir... il faut bien commencer par quelque chose! le film permettra à Chaplin qui lui a vu plus que moi (Avec raison) dans le film de proposer une collaboration avec Sternberg...
Cher Allen John, je ne souscris pas (du tout) à ce jugement severe. Je me cite (voir precedement sur ce topic)
"De son premier film « Salvation hunters », on trouve une mise en scène exceptionnelle (les scènes de la grue qui charrie sans fin la boue du port où les personnages traînent leurs désespérance et leur misère sur la moitié du film. la scène où la jeune femme se prépare à se prostituer en utilisant une allumette grillée pour se maquiller les yeux, …)"
Comme l'explique Marcel Oms dans les 1eres pages de son exelent opuscule sur Sternberg dans l'Antologie du Cinema (Avant Scene) : "Toute l'univers moral et la vision de l'artiste sont deja dans Salvation Hunters". Il site aussi un critique particulierement enthousiaste de l'époque (1924), F. Pinney Earle : "c'est le premier grand film symbolique jamais realisé : il traite de la maniere la plus original des forces qui gouvernent la destinée humaine. Il y a la des scènes qui sont des métaphores poignantes, d'autre qui font l’effet de belles phrases éloquentes. Son message est puissant, terrible, magnifique, chargé d'une force élémentaire qui nous submerge. C'est un inoubliable sermon qui grave son texte en traits brûlant dans l'esprit et qui nous laisse dans l'exaltation et l'émotion la plus étrange"
J'ai vu ce film quatre sur 25 ans et il m' a toujours ému et fasciné. Je regrette que Criterion n'ai pas jugé bon de l'integrer dans son coffret.
Cher the eye of doom, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Je m'entiens à ce que j'ai dit, tout en sachant que je le reverrai, sans aucun doute, et qu'il y a des chances pour que je l'aime, ou pas. il m'a profondément ennuyé la première fois que je l'ai vu cet automne, et je lui laisse plus d'une chance de me faire changer d'avis, sinon, eh bien, je suis un imbécile. J'apprécie par ailleurs ta courtoisie dans cette réponse, sur un film que j'ai allègrement fichu à la poubelle, au mépris de tous ceux qui l'ont trouvé plus intéressant que moi. j'aurais pu aussi bien m'en prendre une, aussi virtuelle soit-elle!
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Rick Blaine
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Rick Blaine »

Underworld (Les Nuits de Chicago - 1927)

En se voyant confier ce film, un peu par défaut d'ailleurs, par la Paramount, Josef Von Sternberg devait se dire qu'il s'agissait de sa dernière chance de réussir en tant que metteur en scène, dans son ambition de concilier ambition esthétique et succès populaire. Il n'est pas besoin de faire durer le suspense, il a saisi cette chance! D'une part le succès populaire fut au rendez-vous - Underworld fut le plus gros succès Paramount de l'année, obligeant le studio à bouleverser sa stratégie de distribution pour ne pas sevrer le public - d'autre part le film est un miracle stylistique, un film exceptionnel qui fera date dans l'histoire du film de gangster et du cinéma.

A la vision du film, l'ambition de Sternberg se ressent, chaque plan semble avoir été pensé pour être beau et efficace, une efficacité renforcé par un montage qui privilégie la vitesse et le rythme, au point que le seul tout petit reproche que l'on pourrait faire au film est de parfois aller trop vite (j'ai eu du mal à reconnaitre le personnage de Rolls Royce dans sa mutation d'un clochard vers l'avocat brillant). Évidement cette recherche d'efficacité sert majoritairement le film, comme lorsqu'il s'agit de filmer le braquage d'une bijouterie en quelques secondes et quelques plans, d'un dynamisme incroyable car Sternberg a su préparer habilement le terrain lors des scènes précédentes.

Underworld contient beaucoup d’éléments qui feront le film de Gangster dans les années suivantes. On pense bien évidement à Scarface, autre scénario de Ben Hecht, avec lequel on peut établir des rapprochements immédiats comme la fusillade dans l'appartement barricadé ou encore l'inscription The City is Yours, qui deviendra The World is Yours dans le film de Hawks, et qui fait ici l'objet d'un parallèle pertinent entre les gangsters en Amérique et les Huns à Rome. Mais cet aspect matriciel ne doit pas faire oublier qu'Underworld reste un film atypique pour le genre par son aspect épuré, quasi onirique et hors du temps, par son refus de l'approche documentaire, il se distingue nettement de la vague qui va suivre. En épurant l'histoire de Ben Hecht, notamment par la réduction drastique du nombre de personnages, Sternberg se concentre sur les individus, sur l'isolement paranoïaque dans lequel les pousse des activités qui pourraient paraitre glamour. En ce sens, le rapprochement le plus net pourrait être fait avec un autre film de gangster qui n'en est pas un : Le Parrain, l'isolement, la folie paranoïaque de Bull Weed semblant notamment être précurseur à celle de Michael Corleone.
Cette volonté d'opposé les fastes de la vie du gangster et l'absurdité et l'isolement qui en résulte, elle éclate dans la scène de la fête de la pègre, magnifique danse de la mort quasi-surréaliste, qui n'est pas sans évoquer, par son style et par son sens, la fête de la Règle du Jeu.

En réduisant le nombre de personnages, Sternberg fait évidement la part belle à ses acteurs. Les trois principaux sont magnifiques. Evelyn Brent très touchante, George Bancroft dominant l'écran de sa puissance physique. Mais c'est Clive Brook qui m'a le plus marqué, dans un cinéma muet ou le physique doit se substituer à la parole, il parvient à imposer un personnage complexe en étant presque dans l'underplaying, choix évidement facilité par la science des gros plan de son metteur en scène, sa performance est magnifique, et inoubliable.

Trépident, émouvant, d'une beauté à couper le souffle, Underworld est une extraordinaire claque cinématographique, qui fut un légitime succès public à sa sortie et imposa Sternberg comme l'un des réalisateurs qui comptait à Hollywood. A découvrir absolument.



allen john a écrit : The seagull / Woman of the sea (Perdu) (1926)
Projeté une fois, jamais sorti, le film a -t-il déplu à son éminent producteur? Edna Purviance, tournant un film sans la direction de son mentor, a-t-elle déplu? Sterberg a-t-il déçu Chaplin? Le film a été détruit, devenant probablement un graal particulièrement important auprès de million de rêveurs...


Petite parenthèse à ce sujet, dans le bonus du DVD d'Underworld du coffret Criterion, Janet Bergstrom semble dire que Chaplin a détruit les copies du film dans les années 30, pour ne pas avoir à payer d'impôts dessus (le film semble avoir connu un certain succès lors de sa ressorti à l'occasion du triomphe d'Underworld). Elle ajoute également que des indices laisseraient à penser que d'autres copies existent, et que la recherche de ce film continue.
Dernière modification par Rick Blaine le 7 juin 11, 14:29, modifié 1 fois.
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

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Dernière modification par Murnaldien le 11 nov. 18, 05:42, modifié 1 fois.
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Ann Harding »

Murnaldien a écrit :
allen john a écrit :The case of Lena Smith (perdu) (1929)
Encore un film qui a tout d'une grosse perte. régulièrement, des rumeurs font état de la découverte de fragments... peut-être qu'un jour...
Le site Silent Era fait état qu'un court fragment existerait :
The Case of Lena Smith
Survival Status: The film is presumed lost : A 100-metre fragment of a 35mm positive was recovered by Komatsu Hiroshi (Hiroshi Komatsu) of Tokyo’s Waseda University
Ce fragment existe bel et bien. Il sera même projeté à The Academy of Motion Picture Arts and Sciences le 8 août prochain:
a fragment from the 1928 lost film THE CASE OF LENA SMITH, directed by Josef von Sternberg, courtesy of the Austrian Film Museum, Vienna.
http://www.oscars.org/events-exhibition ... l#foursons
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Rick Blaine »

Je poursuis mon mini-cycle Von Sternberg en DVD. Quelques courts avis:

The Last Command (Crépuscule de Gloire - 1928)
Comme l'a noté Allen John, un film qui entretient une certaine parenté avec Le Dernier des Hommes, tant dans sa thématique que par la présence à l'écran d'Emil Jannings. Un film tragique et émouvant, d'une grande beauté plastique. Je regrette peut-être que le flash-back soit d'un seul tenant, la mode n'était pas encore aux flash-backs fragmentés, dommage car le film y aurait il me semble gagné en puissance. Emil Jannings est parfait dans ce rôle taillé pour lui. On retrouve également la très belle Evelyn Brent et un WIlliam Powell impeccable. Pas un chef d’œuvre pour moi, mais un très bon film.

The Docks of New York (Les Damnés de l'Océan - 1928)
Encore une photographie miraculeuse pour ce film poétique et émouvant, qui ne sombre jamais dans un pathos de mauvais aloi. George Bancroft est magnifique dans son rôle de grande brute tombant amoureux de la fragile Betty Compson. Si je devais un tout petit reproche au film, je dirais que je le trouve un peu trop dialogué (via les cartons évidement), il aurait presque gagné à être parlant en ce sens. Un très bon film tout de même.

Ces trois films muets sont des indispensables (je recommande le coffret Criterion), et me font amèrement regretter la disparition de Dragnet, qui promettait d'être intéressant.


Der Blaue Engel (L’ange Bleu - 1929)
Au regard e son statut dans l'histoire officielle, la vision de ce film a été une déception. Tout n'est pas a jeter évidement, on retrouve quelques très beau plans, et le personnage de Jannings est finalement touchant. Mais l'ensemble baigne dans une certaine vulgarité, dans une certaine forme de masochisme aussi, au point qu'il devient pénible de voir les humiliations subies par Jannings. Et puis Marlene n'est pas encore tout à fait Marlene à mon sens, il lui manque un peu de mystère, un peu de glamour aussi. Ce film n'est pas raté, il est correct, c'est une étape importante car Marlene Dietrich rejoint le cinéma de Sternberg, mais ça ne me semble absolument pas être un film indispensable.

Morocco (Coeurs Brulés - 1930)
Filmant pour la seconde fois Dietrich, Sternberg a cette fois trouvé la clé. Par le choix des costumes et de la lumière, Dietrich a changé, le mystère et le glamour se sont créés et c'est tant mieux. La trame scénaristique est certes parfaitement quelconque, mais il se passe cette fois quelque chose à l'écran par la fascination que crée l’héroïne, et aussi par l'alchimie qui se noue entre Dietrich et Cooper, qui sera magnifiquement exploité dans Désir par Borzage (et Lubitsch...). Cette fois le mythe est né, Sternberg a retrouvé une certaine légèreté et ses talents esthétiques. malgré certaines longueurs voici un bon film. L'essai sera confirmé dans le film suivant du duo, que j'ai déjà vu il y a quelques mois et que je trouve très bon : Agent X27.
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Watkinssien »

Rick Blaine a écrit :Je poursuis mon mini-cycle Von Sternberg en DVD. Quelques courts avis:




Der Blaue Engel (L’ange Bleu - 1929)
Au regard e son statut dans l'histoire officielle, la vision de ce film a été une déception. Tout n'est pas a jeter évidement, on retrouve quelques très beau plans, et le personnage de Jannings est finalement touchant. Mais l'ensemble baigne dans une certaine vulgarité, dans une certaine forme de masochisme aussi, au point qu'il devient pénible de voir les humiliations subies par Jannings. Et puis Marlene n'est pas encore tout à fait Marlene à mon sens, il lui manque un peu de mystère, un peu de glamour aussi. Ce film n'est pas raté, il est correct, c'est une étape importante car Marlene Dietrich rejoint le cinéma de Sternberg, mais ça ne me semble absolument pas être un film indispensable.
Peut-être qu'une deuxième vision beaucoup plus tard fera passer mieux la pilule. :wink:

Pour moi, c'est un chef-d'oeuvre absolu : le sens implacable de la tragédie, la vision cruelle et sarcastique d'une déchéance pathétique, l'utilisation dramatique du son, la ligne métaphorique de l'érotisme à travers des éléments volatiles, le mélange des styles allemands et américains parfaitement digéré, la puissance de l'interprétation et des incarnations en font, à mes yeux, une oeuvre indispensable du septième art...
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Rick Blaine »

Watkinssien a écrit : Peut-être qu'une deuxième vision beaucoup plus tard fera passer mieux la pilule. :wink:
Peut-être. je l’apprécierais surement mieux aussi débarrassé des grandes attentes que j'avais. Peut-être aussi n'était-il pas mis en valeur à la suite des chef d’œuvres muets, par rapport aux attentes que j'avais développé, je ne sais pas.

Je lui redonnerais une chance c'est sur, d'autant que tout ne m'a pas déplu dans ce film.
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Re: Josef Von Sternberg (1894-1969)

Message par Rick Blaine »

Je continue ma petite promenade chez Sternberg:

Dishonored (Agent X27 - 1931)
Je suis un tout petit peu moins emballé que lors de ma première découverte du film, l'histoire m'ayant un peu moins emportée, j'y ai vu quelques longueurs dans le jeu du chat et de la souris entre McLaglen et Dietrich. Il y reste beaucoup de scène mémorable, notamment tout ce qui tourne autour du piano, et des messages codés, et surtout l'inoubliable final, Marlène faisant face au peloton. Rien que pour ce plan, il faut voir ce film.

Shanghai Express (1932)
Un régal! Sternberg réussi une alternance habile entre comédie et romance, le tout baigné dans une atmosphère historique que l'on perçoit souvent plus que l'on ne voit. Réussite du montage aussi, donnant un film extrêmement dynamique qui rappelle en cela l'efficacité des nuits de Chicago. Coïncidence, Sternberg retrouve Clive Brook, que j'ai trouvé encore une fois impeccable (par parenthèse, il m'a fait penser à Pierre Fresnay, physiquement mais surtout par sa voix, c'est à s'y méprendre). Et puis surtout il y a Dietrich, qui n'avais jamais été aussi bien filmée, sensuelle à souhait, d'une beauté extraordinaire, un miracle se produit à chacune de ses apparitions. Shanghai Express est l'un des films les plus parfaits esthétiquement que je connaisse, un très grand film.

Blonde Venus (La Venus Blonde - 1932)
Voilà un film probablement plus touchant que les précédents. Il y a beaucoup d'émotion dans la quête de cette mère pour son bonheur, celui de son fils, et la survie de son mari. Sa descente aux enfer nous touche, sa remontée nous ravi. Mention spéciale au jeune Cary Grant, qui insuffle un grand dynamisme au film et légitime parfaitement le dilemme de DIetrich. Très bon.

The Scarlet Empress (L’impératrice Rouge - 1934)
L'arrivée du Code (très récente, le certificat du film est le numéro 16) change la donne, plus de chanteuse ou de prostituée pour Dietrich, mais Catherine II. Un changement probablement salutaire, Dietrich ayant fait le tour du rôle dans les cinq films précédents. Le film commence sur les chapeaux de roues et avec beaucoup de drôlerie, et au final, malgré un léger temps mort au milieu du film, ne quittera jamais ce rythme. Ce tourbillon d'humour, d'amour, qui se conclut par la charge époustouflant des chevaux de l'armée portant Catherine II au pouvoir, est un film fort réjouissant. Soulignons la performance de Sam Jaffe, extrêmement convaincant dans son interprétation de l'un des abrutis les plus marquants de l'histoire du cinéma. Excellent.

The Devil is a Woman (La Femme et le Pantin -1935)
La dernière collaboration Dietrich/Sternberg est une légère déception. Il y a, évidement, la réussite esthétique, c'est presque un pléonasme chez Sternberg, et elle était d'autant plus inévitable que le contexte carnavalier donnait tout ce qu'il faut à Sternberg pour exprimer son art: décors chargés, jeux de masques et de costumes, tourbillons humains, tout est au service d'une nouvelle réussite stylistique. Le problème est plutôt dans l'histoire, et surtout dans les personnages, qui attirent peu la sympathie : un Cesar Romero très lisse, un Lionel Atwill agaçant par sa lâcheté, et surtout, au milieu des deux, une Dietrich souvent antipathique. On aurait aimé se sentir complice de l’héroïne, sa beauté nous y appelle, mais son attitude est bien difficile à suivre. Il en ressort un film agréable à regarder, sympathique, mais tout de même un peu décevant.

La collaboration Sternberg/Dietrich est terminée, elle contient de grandes réussites, mais il semble, au vu du dernier film, qu'on était arrivé au bout de ce qu'elle pouvait apporter.
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