Cinéma muet français

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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pak
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Re: Cinéma Muet Français

Message par pak »

Parti sur ma lancée à créer des sujets sur le cinéma français, j'allais créer un topic sur notre cinoche national avant 1930... Mais en me baladant dans les divers sujets du forum, je suis tombé sur celui-ci, qui est déjà incroyablement fourni ( :shock: : bravo ! ), si on tient compte et de l'intérêt relatif que cette période suscite chez les cinéphiles de tous poils, et de la rareté des films abordés (faut dire, pour les trouver, aussi... ).

Je vais aborder ici un grand ancien, historique à plus d'un titre...

1. Le voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902) :

Avec Victor André, Bleuette Bernon, Brunnet, Jeanne d'Alcy, Henri Delannoy, Depierre, Farjaut, Kelm, Georges Méliès... Scénario de Georges et Gaston Méliès d'après Jules Vernes (De la Terre à la Lune) et H.G. Wells (Les premiers hommes dans la Lune) – Genre : science-fiction – Date de sortie : 01/09/1902
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Mon avis :

Un groupe d'astronomes monte une expédition sur la Lune. Ils y rencontrent alors ses habitants, les Sélénites...

Avant d'aborder le film en lui-même, un petit retour en arrière s'impose. Entre l'invention d'un concept technique et son application au quotidien, il se passe un certain temps durant lequel il est parfois difficile d'attribuer la vraie paternité de techniques utilisées ou d'attribuer une date précise au premier événement majeur (ici, celle de ce que l'on peut considérer comme le premier film de cinéma).

Par exemple en France on parle d'histoire du cinéma alors que les américains c'est plutôt d'histoire du film. D'où le débat opposant Thomas Edison à qui l'on attribue l'invention du film en 1893, avec le 9 mai, la présentation au public du Kinetoscope, à Louis Lumière (ou devrait-on dire la famille Lumière), à qui l'on attribue l'invention du cinématographe en 1895, avec le 22 mars la première projection publique sur écran (le fameux La sortie de l'usine Lumière à Lyon). Avant de trancher, il faut garder en tête que l'invention d'Edison était un appareil individuel sur lequel un unique spectateur se penchait pour observer une image animée grossie par une lentille. Que cette invention déclencha les travaux de Lumière. Que l'invention de ce dernier permettait la projection d'images animées sur un écran visible par une assemblée.

Le Kinetoscope d'Edison : Image ... et comment l'on s'en sert : Image

Le cinématographe Lumiere, premier appareil de projection sur écran : Image

Avant et parallèlement à ces deux hommes, de nombreux autres se sont penchés sur la possibilité d'animer des images, et chacun a nourrit le travail des autres ou s'est inspiré des résultats d'autres pour finalement arriver au 7ème art que l'on connait aujourd'hui. On peut considérer 1895 comme l'année de naissance du cinéma français.

Mais au-delà de la technique, quid de cet art justement ? Les premiers films sont assimilables à des documentaires, montrant souvent des scènes du quotidien. La première fiction serait due à une femme, à la fois première française réalisatrice et pionnière du cinéma, aujourd'hui bien oubliée et redécouverte récemment : Alice Guy, qui signe en 1896, La fée aux choux. Mais avec Le voyage dans la Lune en 1902, Georges Méliès propose ce qu'on peut considérer comme le premier « long métrage » de fiction (malgré sa durée d'un quart d'heure environ à la vitesse de 16 images / secondes, pourtant exceptionnelle pour l'époque). D'autres cinéastes leur emboiteront le pas : Louis Feuillade, Léonce Perret, Max Linder, Emile Chautard, etc... Ils feront du cinéma un art, le septième, inventant un langage, créant des techniques de tournage, relevant de nouveaux défis, inventant tout ce qui fait la moelle du cinéma actuel.

Et les salles de cinéma ? Elles apparaissent très tôt. En 1897, les frères Lumière ouvrent à Paris, porte Saint-Denis, la première salle conçue spécialement pour des projections. Mais ce n'est qu'en 1906 qu'un véritable réseau nait, quand Charles Pathé décide de maitriser la diffusion de ses films, de la production à la projection au public. Gaumont va suivre. Ainsi, les salles de cinéma vont faire partie du paysage urbain des grandes villes.

Après cet aparté, revenons à notre balade sur la Lune. Ce film est considéré comme le premier film de science-fiction, et tout simplement comme le premier ayant une vraie narration. S'il est difficile de distinguer véritablement qui fut le premier dans tel domaine, en particulier pour le cinéma dont beaucoup d'éléments des débuts ont définitivement disparu, on peut toutefois repérer ce qui fut la première vraie synthèse de différentes techniques. C'est le cas pour ce voyage lunaire. Film pionnier avec différents décors, des effets spéciaux, un scénario posant les bases d'un genre qui utilisera les mêmes artifices sous d'autres formes, l'œuvre de Méliés est sans contestation une pierre angulaire du cinéma français et une étape importante pour le cinéma en général.

L'auteur s'inspire de Jules Vernes (le début du film et le « canon spatial ») et H.G. Wells (la partie sur la Lune et ses Sélénites), deux pères fondateurs de la science-fiction, mais aussi apparemment d'un spectacle de cabaret qu'il avait créé en 1891 intitulé Les farces de la Lune et les mésaventures de Nostradamus pour son célèbre théâtre Houdin. Car avant de s'intéresser au cinéma, Georges Méliès fut un artiste de scène et un touche à tout : prestidigitateur, décorateur, auteur, acteur... Pour le cinéma il sera en plus réalisateur, producteur, scénariste, directeur de la photo, créateur de trucages...
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Il est toujours assez difficile d'exprimer un avis subjectif sur une œuvre pionnière qui est le symbole des balbutiements du cinéma et de l'esprit créatif des débuts, symbole qui (me) rend indulgent. Objectivement, la caméra est encore trop statique (il faut encore attendre quelques années pour voir des cinéastes la rendre mobile), l'humour est vieillot, les acteurs sont en roue libre et contrairement aux auteurs dont il s'inspire, Méliès ne se soucie guère de crédibilité scientifique en signant plutôt une fantaisie.

Mais la narration est fluide et l'absence de cartons explicatifs ne gêne en rien la compréhension du récit, des éléments posent certaines bases du cinéma fantastique en général comme les savants fous ou la rencontre extraterrestre peu amicale, et les trucages (on ne parlait pas d'effets spéciaux à l'époque) sont assez époustouflants vu les techniques limitées d'alors : fondus, surimpressions, animation, décors en trompe-l'œil, éléments posés au premier plan et en arrière plan pour créer de la profondeur, effets de montage... En fait, ces techniques existaient déjà, mais dans de très courts films dont le trucage était le centre d'intérêt. C'est le premier a les utiliser comme éléments de narrations, variant les effets, aidant et animant l'action en cours mais sans être une fin en soi (ce qu'oublient aujourd'hui régulièrement les blockbusters américains, favorisant les énormités numériques au détriment du scénario).

La patte de Méliès, c'est aussi l'incroyable magie qui habite son film : la lune dans le ciel est un visage, le clair de Terre vu de notre satellite, le rêve des étoiles, la chute de neige sur la Lune... Une patte qui influencera un Terry Gilliam pour ne citer que lui.

Tranchant résolument avec les productions de l'époque, tant pour sa durée que pour son scénario, sa technique, sa folie, son inventivité, sa poésie même, ce film est important dans notre patrimoine et dans le cinéma, et fait regretter que Georges Méliès dû arrêter prématurément le cinéma en 1913 complètement ruiné.

Étoiles : * * * . Note : 15/20.
Georges Méliès : Image
Autour du film :

1. Une version complète du film a été colorisée à l'époque, image par image, qui a été retrouvée en 2002, ce qui en fait un des premiers films en couleur du cinéma.

2. Le voyage dans la Lune est le premier film sur la liste du patrimoine mondial du cinéma, qui est aussi reconnu comme le premier film de science-fiction par l'UNESCO.

3. Le film fut projeté dans le monde entier où presque et a connu un gros succès. Méliès comptait sur l'exploitation aux USA pour faire des bénéfices (à l'époque, déjà, réaliser un film coûtait cher) mais il fut devancé par Thomas Edison qui aurait volé une copie du film pour en tirer des copies et l'exploiter en son nom.

4. Ce film fut d'abord mal accueilli par les forains. Il faut savoir qu'à l'époque, les salles dédiées au cinéma étaient très rares. L'un des principaux vecteurs de diffusion du cinéma était alors les foires qui se déplaçaient de ville en ville, et projetaient des films contre argent (il existe encore un peu ce genre de chose, avec des cinémas itinérants qui font la tournée des campings et centres de vacances l'été en projetant des films sous des chapiteaux ou en plein air, mais c'est de plus en plus rare). Diffuser un film d'environ 15 minutes alors que la plupart des films faisaient moins de 3 minutes équivalait à perdre un certain nombre de séances et de spectateurs payants dans la journée. On ne peut que avoir à l'esprit ces producteurs qui charcutent les films ou qui mettent la pression à un réalisateur pour que son long métrage ne dépasse pas une certaine durée et assure ainsi un maximum de séances par jour. Là encore, le film de Méliès fut un précurseur...

5. Deux dessins préparatoires du tournage :
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Méliès aurait-il inventé le storyboard ?

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Le cinéma : "Il est probable que cette marotte disparaîtra dans les prochaines années."

Extrait d'un article paru dans The Independent (1910)

http://www.notrecinema.com/
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Ann Harding
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De G à D; Tih Minh (Mary Harald), J. d'Athys (René Cresté) et Sir F. Grey (Edouard Mathé) entourent la cuisinière Sidonie, une espionne.

Tih Minh (1918, L. Feuillade) en 12 épisodes avec René Cresté, Edouard Mathé, Mary Harald, Gaston Michel, Louis Lebas, George Biscot et Jane Rolette

L'explorateur Jacques d'Athys (R. Cresté) revient d'un voyage avec une jeune annamite, Tih Minh (M. Harald). Mais, à son arrivée sur la côte d'azur, il est épié par trois mystérieux criminels, Kistna (L. Lebas), Gilson (G. Michel) et Dolorès (G. Faraboni)...

Ce serial de Louis Feuillade a été tourné à la même époque que Vendémiaire avec une distribution similaire. Les deux films reflètent leur époque en évoquant les espions allemands infiltrés sur le territoire français. Mais, à part cela, les deux films sont totalement différents. Tih Minh est un suspense criminel dans la lignée de Judex et des Vampires où l'on retrouve un groupe de criminels aguerris qui utilisent tous les moyens pour arriver à leurs fins : séquestrations, enlèvements, empoisonnement, vol et meurtres. L'héroïne du film, Tih Minh, interprétée avec talent par l'anglaise Mary Harald, est une eurasienne qui a suivi Jacques d'Athys en Europe où elle devient la proie des criminels. Elle est enlevée par Kistna et sa bande qui lui font prendre une drogue violente. Elle perd la mémoire et la raison. Le début du film se situe à la Villa Circé qui porte bien son nom. Des femmes en chemise de nuit sont enfermées au sous-sol de la villa et semblent avoir subi le même traitement que Tih Minh. Pour lutter contre l'organisation criminelle, qui veut s'emparer d'un document codé que possède Jacques d'Athys, l'explorateur d'Athys (R. Cresté) et son ami le diplomate Sir Francis Grey (E. Mathé) reçoivent le renfort d'un médecin aliéniste. Nos héros n'utilisent même pas la police pour les aider dans leur lutte. Après tout, c'est la guerre et les citoyens doivent se débrouiller pour lutter contre les espions ennemis. Le film comprend de grands morceaux de bravoure (il faut saluer le courage des acteurs!) avec des escalades de façade et une descente vertigineuse en wagonnet pendu à un câble. Mais, ce qui retient l'attention, comme dans Les Vampires, ce sont les éléments oniriques tels que cette vision des femmes demi-folles qui errent dans le jardin de la Villa Circé. L'héroïne vient des lointaines colonies d'Indochine et apporte une touche d'exotisme au milieu des aloès géants des villas majestueuses sur la côte d'azur. D'ailleurs, Feuillade utilise au mieux les décors naturels (près de Nice) comme il l'avait fait pour Paris dans Fantômas. Les à-pic du bord de côte sont le prétexte à des glissades vertigineuses et les petites routes escarpées à des poursuites en automobiles. Comme toujours, Feuillade apporte une touche d'humour avec les domestiques, Placide (G. Biscot) et Rosette (J. Rolette) qui manient revolver et intelligence en aidant leurs patrons dans leur lutte. René Cresté, tout auréolé de son succès dans Judex, apporte son charme et sa haute silhouette au personnage de d'Athys. Il mourra en 1922 à l'âge de 41 ans, déjà oublié par le public. Mais, les acteurs de Feuillade restent immortels : ils sont naturels, dépourvus de théâtralité et campent leurs personnages avec un engagement sans limite. Encore un merveilleux serial qui mériterait une édition en DVD.
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Ann Harding
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Je me suis lancée hier soir à la Cinémathèque dans un nouveau marathon en 10 épisodes.

Image(René Navarre: Vidocq)

Vidocq (1923, Jean Kemm) avec René Navarre, Elmire Vautier, Genica Missirio et Rachel Devirys

Episode 1 : L'évasion
Episode 2 : Manon-la-blonde
Episode 3 : La truite qui file

1809, Le forçat Vidocq (R. Navarre) s'échappe du bagne. Les policiers et le chasseur de forçat sont à ses trousses. Hébergé chez un couple de paysans, il se souvient de son passé. Jeune homme, il s'est engagé dans l'armée révolutionnaire et est devenu lieutenant. Revenant chez lui lors d'une permission, il découvre que sa femme et ses deux enfants ont disparus. Il déserte pour partir à leur recherche et devient un bandit...

La destinée de François Vidocq semble tenir plus du roman-feuilleton que de la réalité. Le bagnard devenu policier à la Sûreté a inspiré nombres de grands écrivains tels Hugo et Balzac. Il n'est donc guère étonnant que le cinéma se soit intéressé à un tel personnage. Le scénario de ce film en épisodes est d'Arthur Bernède, un collaborateur de Louis Feuillade (Judex). Le premier épisode d'exposition est nettement plus long que les suivants, env. 70 min, comme c'était la coutume à cette époque-là. Nous découvrons un paysage rocailleux au bord de la mer où le bagnard Vidocq fait de l'escalade pour échapper à ses poursuivants. La qualité de la copie étant au rendez-vous, on peut vraiment apprécier la beauté de la cinématographie. Mais, malheureusement, le metteur en scène Jean Kemm n'est pas un Louis Feuillade. Il n'a pas son sens du rythme inné et la poursuite n'engendre pas le suspense voulu. Kemm se contente de filmer les événements assez platement. L'arrivée chez les paysans montre un peu plus d'inventions en utilisant le flash-black (précédé d'un fondu avec floutage) pour nous raconter brièvement le passé du forçat. Il n'était pas à l'origine un criminel ; il l'est devenu à cause la disparition de sa femme. René Navarre, l'immortel Fantômas de Feuillade, a ici un rôle en or qui lui permet de montrer son habilité au travestissement (il se déguise même en vieille femme pour échapper à la police!). Mais, contrairement à son jeu contenu et intense chez Feuillade, il se laisse aller par moment à des excès théâtraux regrettables. La confrontation avec son épouse retrouvée donne lieu à une scène mélodramatique peu crédible. D'ailleurs, ce sont toutes les scènes en studio qui ont le plus vieilli. Heureusement, les deux épisodes suivants sont plus rythmés. Vidocq rejoint Paris où il retrouve deux anciens compagnons du bagne, Bibi-la-Grillade et Coco-Lacour. Les deux comédiens apportent une touche comique avec le gand échalat Coco et le petit Bibi. Puis d'autres protagonistes nous font entrer dans la pègre parisienne à l'époque de l'Empire, en particulier la bande de l'Aristo (G. Missirio). Vidocq décide de rejoindre la police et va dénoncer l'Aristo et sa bande pour se faire accepter. Jusqu'à présent, je trouve ce serial largement inférieur aux films de Feuillade et même à La Maison du Mystère (1922, A. Volkoff). On verra avec les épisodes suivants...
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Ann Harding
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Image (Elmire Vautier: Manon-la-blonde)

Vidocq (1923, Jean Kemm) avec René Navarre, Elmire Vautier, Genica Missirio, Dolly Davis et Rachel Devirys

Episode 4: L'Espionne de Vidocq
Episode 5: L'Homme au domino rouge
Episode 6: Dans la gueule du loup

1822, c'est la Restauration. Vidocq est devenu chef de la Sûreté. Il emploie comme lieutenant d'anciens bagnards de ses amis. Il recherche toujours, en vain, ses enfants disparus. L'Aristo (G. Missirio), que l'on croyait mort, réapparait sous une nouvelle identité: le Marquis de la Roche-Bernard. Lui seul connaît le sort des enfants de Vidocq...

Dans ces trois épisodes, nous changeons d'époque. L'Empire est mort ; la France revient aux valeurs de l'ancien régime. Dans ce changement, Vidocq trouve facilement sa place. Il est un chef de la Sûreté efficace et reconnu. Il utilise cependant des méthodes assez peu traditionnelles: travestissement, passages secrets, infiltration du milieu. Son ennemi juré reste l'Aristo (très bien campé par Genica Missirio) qui s'est lui aussi refait une conduite en se créant une nouvelle place dans la société. Il convoite la main d'une héritière issue de la meilleure aristocratie, Marie-Thérèse de Champtocé (la jolie Dolly Davis). Avec un tel sujet, on pouvait espérer un récit nettement plus vif et plus intéressant que celui que nous offre Jean Kemm. Décidément, ce réalisateur ne semble pas avoir la moindre invention visuelle, ni même le sens du suspense. Tout ce qui aurait pu créer la surprise ou un retournement soudain de situation est éludé. Au contraire, on prend un malin plaisir à nous 'télégraphier' quinze minutes à l'avance tous les événements. :? Toutes les situation sont archi-préparées et tellement dépourvues de sens visuel que l'on commence à trouver le temps un peu long. Chaque déguisement de Vidocq (en baladin, en ivrogne ou en vieille femme) est deviné à l'avance par ses ennemis avec la plus grande facilité. C'est vraiment décourageant de voir un chef de la Sûreté aussi nul !!! :mrgreen: La scène du bal masqué est filmée avec une banalité affligeante. Il y avait pourtant là matière à créer une ambiance, une atmosphère. Et c'est là que le bât blesse encore plus. Après plusieurs épisodes en extérieurs, le film retourne en studios et il respire de plus de plus le renfermé....
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Ann Harding
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Image (Rachel Devirys:Yolande)

Vidocq (1923, Jean Kemm) avec René Navarre, Elmire Vautier, Genica Missirio, Dolly Davis et Rachel Devirys

Episode 7: Le Bandit gentilhomme
Episode 8: La Mère douloureuse
Episode 9: Vers la lumière
Episode 10: La Bataille suprême

Vidocq (R. Navarre) a été capturé par son ennemi juré, L'Aristo (G. Missirio). Mais, ses fidèles lieutenants Bibi-la-grillade et Coco-Lacour, en compagnie de son espionne Manon-la-Blonde (E. Vautier) partent à sa recherche...

Pour les quatre derniers épisodes de ce film, l'action s'accélère un peu. Maintenant, Vidocq reserre ses filets autour de l'Aristo pour enfin savoir ce que sont devenus ses deux fils. Mais, auparavant, il se retrouve en mauvaise posture face à son ennemi et sa bande qui s'apprête à lui faire passer un mauvais quart-d'heure. Ficelé sur une planche et entouré des malfrats de la bande de l'Aristo, il va être torturé jusqu'à ce que mort s'en suive, lorsqu'un auxiliaire de police inattendu vient le sauver. Il s'agit de son petit singe apprivoisé Zohio qui vient lui dénouer ses liens discrètement. Il peut ainsi s'extraire de la cave où il retenu par une trappe à l'aide d'une corde tendue par ses lieutenants. Ce sauvetage in-extremis est certainement le meilleur moment de ces quatres épisodes. Le reste ressemble plus à un mélo sentimental. Certes, Vidocq découvre l'identité de ses deux fils ; mais, il ne cherchera pas à se faire connaître pour ne pas empêcher l'ascension sociale d'un de ses fils. Tout chef de la Sûreté qu'il est, il reste un ancien bagnard. On retrouve là la morale bourgeoise qui était encore répandue dans la France des années 20. De même, les deux fils ont suivis une trajectoire différente. L'un est un honnête homme et l'autre est un gredin criminel. Il devra payer sa dette à la société. Je pense que la vie de Vidocq aurait pu donner lieu à un scénario plus fouillé qui aurait permis d'ancrer le personnage dans les différentes périodes de l'histoire. Ici, le sujet est à peine exquissé. Quant à la mise en scène, Kemm fait du théâtre filmé. Certes, les acteurs font de leur mieux ; mais, les personnages restent assez plats. Au total, c'est un serial qui aurait mérité un bien meilleur metteur en scène comme Henri Fescourt qui a réalisé un palpitant Mathias Sandorf (1921) qui n'existe plus qu'à l'état de fragments, hélas.
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Ann Harding
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Image(Léonce Perret)

L'Empire du Diamant/The Empire of Diamonds (1920-22, Léonce Perret) avec Robert Elliott, Léon Mathot, Lucy Fox, Laurent Morlas, Marcel Lévesque, et Henry G. Sell

Une compagnie new-yorkaise dans le commerce du diamant s'inquiète de l'afflux de faux diamants sur le marché européen. Elle envoie M. Versigny (R. Elliott) à Paris pour enquêter sur ce trafic. Il part avec sa fille (L. Fox). Il soupçonne l'anglais Arthur Graves (L. Mathot) d'être à l'origine de l'escroquerie...

Ce film de Perret a pour particularité d'être une co-production franco-américaine avec une distribution cosmopolite. Perret était partie en Amérique en 1919 et il amorce là on retour sur le vieux continent avec ce film de long métrage qui ressemble à un serial. La France était le producteur N°1 de films avant la guerre détenant 75% du marché mondial. Après celle-ci, elle re représente plus que 10%. La guerre a ruiné la production cinématographique européenne au profit des Américains. Ces derniers ont plus d'argent et du matériel plus moderne. Perret veut offrir ici un film qui puisse plaire autant au public américain qu'au public français. Le rythme est vraiment trépidant. Il y aurait matière à un serial à épisodes avec cette intrigue criminelle parsemée de kidnappings, meurtres et poursuites. Mais, ici, tout est condensé en 78 min. Nous passons à une vitesse folle de New York à Paris, puis à Londres, Nice et Monte-Carlo. A chaque fois, le film est réalisé en extérieurs, évitant pratiquement totalement les studios. Cela donne au film une atmosphère particulière qui accroit la crédibilité d'une intrigue échevelée. On reconnaît les techniques des serials Gaumont des années 10 réalisés par Feuillade et Perret. D'ailleurs, deux anciens acteurs se sont glissés dans la distribution: Laurent Morlas, un cascadeur émérite qui saute sur un train en marche dans Barrabas et l'hilarant Marcel Lévesque qui est ici un huissier qui répond au doux nom de Pigeon. Le film comporte plusieurs moments de frisson pur avec Morlas qui s'échappe d'un moulin à vent en flammes par ses ailes ainsi que des plongeons à haut risque dans la Méditerranée depuis des falaises à pic. Mais, ce qui m'a séduit plus que tout, c'est la composition des images qui rappelle les meilleurs Perret chez Gaumont. Son opérateur n'est plus Georges Specht, mais René Guissart qui réalisa là des plans de toute beauté: plans en ombres chinoises sur le bord des falaises, encadrement des fenêtres qui s'ouvre sur la Tour Eiffel, véranda ombragée, etc. C'est la véritable poésie de Perret qui s'exprime là. Certes les personnages n'ont pas le temps d'être défini avec précision, mais, les acteurs jouent avec naturel et sans charge. Léon Mathot est ici un criminel, lui qui jouait souvent les héros. Les acteurs américains apportent un jeu dépouillé et rapide qui sied au film. Dans l'ensemble, un bon Perret. La copie est malheureusement assez granuleuse.
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Re: Cinéma Muet Français

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Un portrait de Suzanne Grandais est maintenant disponible sur mon Blog.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Hier la Cinémathèque a ouvert son cycle Albatros avec Le Brasier Ardent. Le choix de films de ce cycle est assez étrange. On n'a pas choisi les meilleurs films produits par la Compagnie Albatros, mais ceux dont une nouvelle copie teintée a été tirée. On trouve donc des films fragmentaires comme Justice d'Abord (1920) et La Nuit du Onze Septembre (1919) qui sont largement inférieurs à des chefs d'oeuvres tels que Les Nouveaux Messieurs (1928), La Maison du Mystère (1922) ou Un Chapeau de paille d'Italie (1927). Pour un public non averti, je ne vois pas trop l'intérêt de montrer seulement quelques titres obscurs au lieu de promouvoir les meilleurs films. D'autant plus, qu'il n'y a jamais eu de rétrospective Albatros complète à la Cinémathèque. Enfin, ne boudons pas notre plaisir de pouvoir voir sur grand écran avec de la musique -oh miracle!- certains grands films Albatros.

Le Brasier Ardent (1923, Ivan Mosjoukine) avec Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko et Nicolas Koline

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Une femme (N. Lissenko) fait un cauchemar affreux où elle croise un homme sous diverses identités. Son époux (N. Koline) plus âgé craint de la perdre et embauche un détective (I. Mosjoukine) pour l'aider à recouvrer son 'âme'...

Si mon résumé paraît obscur, c'est qu'Ivan Mosjoukine avec ce film crée un OVNI cinématographique qui ne correspond à aucun genre précis du cinéma français de l'époque. Il utilise les clichés du mélo mondain (avec le mari âgé, la femme et l'amant), les décors surréalistes et une dose de parodie de sérial à la Feuillade. Contrairement à ce qu'un générique entaché d'erreurs indique, le film est bel et bien l'oeuvre de Mosjoukine lui-même. Alexandre Volkoff n'y a pas participé. Et l'opérateur Mundwiller s'appelle Joseph-Louis et non pas Jean-Louis. Pour cette projection, nous avons pu voir un tirage teinté et viré réalisé par la Cinémathèque Royale de Belgique. J'avais déjà vu le tirage N&B de la Cinémathèque et cette nouvelle copie apporte certainement une nouvelle profondeur au film. Les séquences du cauchemar gagnent en intensité avec leur flamboiement rouge-orangé. Seuls les virages bleu pour les scènes nocturnes sont décevants car l'image perd tout contraste. Cette oeuvre de Mosjoukine réussit à conjuguer l'effroi et le comique. Il joue habilement de son physique magnétique et se travestit sous de multiples identités. De l'homme enchaîné sur un bûcher qui tire par les cheveux Nathalie Lissenko au noceur suprêmement élégant qui passe au milieu d'une foule de femmes droguées à l'opium, il habite l'écran comme peu save le faire. Certes, le film a une hétérogénéité certaine. D'ailleurs, il ne fut pas un succès lors de sa sortie. Il contient des éléments avant-gardistes comme le montage rapide (à l'instar de La Roue qui sortit quelques mois auparavant) qui sont utilisé à bon escient. Une des meilleures scènes est celle du bouge de Montmartre où Mosjoukine assis au piano joue un air endiablé et propose 1000F à celle qui arrivera a tenir la cadence en dansant. Les 'apaches' jettent leurs compagnes sur la piste. Et s'en suit une scène au rythme infernal qui hier soir prenait un relief particulier avec le superbe accompagnement du pianiste britannique Neil Brand. Et c'était certainement un des clous de la soirée. Pour ceux qui n'ont pas la chance d'aller à Pordenone ou dans d'autres cinémathèques, le jeu tout en nuances de Neil Brand a dû être une découverte et un plaisir. Il faut bien le reconnaître, en France, nous n'avons pas d'accompagnateurs de cette trempe et de ce professionnalisme. Il apporte au film ce qu'il faut de dynamisme et sait chuchoter quand il le faut. Il sait reconnaître immédiatement le plus petit changement d'atmosphère dans une scène et le met en musique. Une très bonne soirée.
Les captures d'écran que vous voyez sont issus d'un enregistrement sur Ciné-Classic. Hier soir, on nous a annoncé que certains films Albatros seront diffusés sur Arte (mais sans dire lesquels).

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garbitsch
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Re: Cinéma Muet Français

Message par garbitsch »

J'ai trouvé Neil Brand très bon, très élégant, c'était la première fois que je l'entendais, et franchement il est hyper rodé, pas un moment de flottement, des enchaînements bien maîtrisés, c'était vraiment brillant.

Par contre, quand tu dis qu'en France, nous n'avons pas d'accompagnateurs de cette trempe et de ce professionnalisme, je ne suis vraiment pas d'accord : il y a Jacques Cambra, au moins !!!

Et pour tout dire, même si la comparaison est un peu rapide, je préfère Jacques Cambra à Neil, parce que je l'ai entendu sur des films très différents les uns des autres et selon moi il arrive à rendre un film magique, quelque soit le genre, il arrive à vraiment transcender un film en une expérience inoubliable. Avec Neil Brand je n'ai pas eu ce frisson là : c''était impeccable, subtil, parfait peut-être, et c'est là qu'une telle performance atteint ses limites : j'ai eu l'impression que ce n'était pas vraiment de l'improvisation. Pour moi il manquait ce supplément d'âme qu'un être humain apporte dans son jeu, dans son interprétation des images, et que la machine n'a pas. Ok comparer Neil brand à une machine est assez maladroit je l'avoue, mais c'est le sentiment que j'ai eu à la fin du film.

A part ça, Le Brasier Ardent est un superbe film avec un Ivan Mosjoukine phénoménal : non seulement je lui ai trouvé de faux airs de Lubitsch (dans son jeu et dans son physique), mais dans la réalisation également, dans l'inventivité débordante. A cet égard, la scène à l'agence de détectives est juste un petit bijou. Pour ce qui est de la multiplication des objets typique chez Lubitsch, il y a la scène où Nathalie Lissenko téléphone en même temps à sa dizaine d'admirateurs qui se partagent un seul téléphone avec une dizaine d'écouteurs ! La scène de la danse effrénée est également très frappante, tous ces corps en mouvement (on pense à So this is Paris de Lubitsch). Et que dire des décors, extraordinaires, ces portes coulissantes, ces trappes, ces panneaux pivotants. Un mélange de La Princesse aux huîtres et de La Chatte des montagnes.

Après un début tonitruant (le cauchemar, très expressionniste sur les bords) et la scène formidable donc à l'agence de détectives, le film perd un peu en intensité et le scénario se rapproche de quelque chose de beaucoup plus conventionnel avec malgré tout des moments de bravoures inoubliables et un Ivan Mosjoukine hypnotique.

Une vrai découverte et un énorme coup de coeur !



Sinon je viens de rentrer de la projection de Double Amour de jean Epstein, pfff, ma première impression est très négative : scénario baclé voire risible voire complètement ridicule, réalisation hasardeuse avec et à part les scènes d'océan une quasi totale absence de poésie et quasiment aucun extérieurs (pourtant Epstein sait superbement utiliser la lumière, et là, rien !!!). A noter un accompagnement musical au piano par Jean-François Zygel que j'ai trouvé totalement raté voire terriblement insupportable par moments (malgré une intro sublime qui laissait présager quelque chose de fascinant). Au milieu de tout cela, Nathalie Lissenko m'a fait une nettement bien meilleure impression que dans Le Brasier ardent où je l'ai trouvée quelconque. Et Jean Angelo a des faux airs de De Niro. Nino Constantini est un peu palot et de manière générale les acteurs ont été très mal dirigés. Autre point : les teintes n'apportent rien, contrairement au Brasier ardent, mais il y a tout de même un plan intéressant (de la côte et de l'océan) qui donne vraiment l'impression de voir des VRAIES couleurs, c'est assez bluffant. Pour ce qui est des teintes bleues, c'est effectivement totalement inintéressant. Dernière chose avant que j'oublie : les intertitres ! La réalisation est tellement paresseuse que ce sont les intertitres qui racontent quasiment toutes l'histoire, avec pourtant parfois des doublons très irritant lorsqu'enfin les acteurs arrivent à tirer quelque chose d'une scène.
Pour résumer ce film est un pur mélo vraiment inintéressant, avec un réalisateur aux abonnés absents.
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Par contre, quand tu dis qu'en France, nous n'avons pas d'accompagnateurs de cette trempe et de ce professionnalisme, je ne suis vraiment pas d'accord : il y a Jacques Cambra, au moins
Merci de le mentionner. Je n'ai jusqu'ici entendu Cambra que pour son enregistrement de la musique de Lady Windermere's Fan que j'avais trouvée bonne. Il faudra que je l'entende en direct. Mais, sache que Neil Brand a aussi composé des partitions orchestrales comme pour Blackmail de Hitchcock et qu'il accompagne des films fort différents. J'ai eu la chance de l'entendre au Festival de Pordenone. Et il y a beaucoup d'autres pianistes comme lui: Stephen Horne, Donald Sosin, Philip Carli, etc. qui sont des professionnels de l'accompagnement.

En tous cas, à te lire, je n'ai aucun regret de ne pas être allé voir Le Double Amour. Zygel est souvent très décevant comme accompagnateur. Mes dernières expériences avec lui ont été catastrophiques. Il ne semblait pas préparé et il ne faisait pas l'effort de 'lire le film'.
Cinéfil31
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Cinéfil31 »

Merci à Ann et aux autres forumeurs pour leurs contributions récentes, comme toujours instructives et intéressantes. J'ai pris un peu de retard dans ma réponse, car je voulais réagir à la critique de Mauprat. Je suis d'accord avec Ann : Jean Epstein soigne l'image, aime tourner en extérieur et fait volontiers appel à des "trognes" qui évoquent l'expressionnisme, ce qui se fait souvent au détriment de l'intrigue et du scénario, je le reconnais. Toutefois, il y a aussi des fulgurances admirables chez ce cinéaste très connu mais qui a peut-être perdu de son aura aujourd'hui. Il reste une référence citée dans les ouvrages spécialisés, deux salles portent son nom à la Cinémathèque française et au Théâtre de Montreuil , mais il me semble que les plus jeunes cinéphiles le connaissent et l'apprécient moins que d'autres réalisateurs "d'avant-garde" de la même époque.
Je n'ai pas encore vu Mauprat, mais ce qu'en dit Ann m'a donné envie d'en savoir plus. En revanche, je pourrais très prochainement vous faire part de mes impressions sur d'autres réalisations de J. Epstein : La Chute de la Maison Usher, La Glace à trois faces, et Cœur fidèle. A bientôt !
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

Merci Cinefil31. Je compte aussi aller voir un film d'Epstein bientôt. Mais, avant cela, j'ai passé hier une soirée formidable à la Cinémathèque.

Image

Feu Mathias Pascal (1924, Marcel L'Herbier) avec Ivan Mosjoukine, Lois Moran, Marcelle Pradot, Michel Simon et Pauline Carton

Mathias Pascal (I. Mosjoukine) issu d'une famille riche -maintenant endettée- vit dans l'oisiveté. Son ami, le timide Pomino (M. Simon) lui demande de demander la main de Romilde (M. Pradot), une jeune fille dont il est amoureux. Mais, Romilde aime Mathias. Ils se marient, mais, la vie devient vite infernale pour Mathias entre une belle-mère acariâtre et son épouse qui le délaisse...

Cette adaptation de Pirandello est l'un des meilleurs films produit par Albatros et de Marcel L'Herbier. En 171 min, nous suivons la destinée de Mathias Pascal qui veut se réinventer une autre vie pour échapper à l'enfermement de la sienne. L'Herbier a à son service un acteur hors du commun dans le rôle titre: Ivan Mosjoukine. Il réalise là, ce qui est, à mon avis, une des plus belles performances d'un acteur du cinéma muet. Il est d'abord jeune homme timide qui vit dans la poussière de ses bouquins, puis un père aimant qui pouponne sa fille. Mais, la mort subite et simultanée de sa mère et de son enfant vont le plonger dans les affres d'une douleur indescriptible. Loin de sujouer la douleur, le visage de Mosjoukine reflète comme un rayon de folie qui l'envahit face à ce malheur qui l'anéantit. Soudain libéré de ses chaînes conjugales et de son odieuse belle-mère par cet événement, il part à l'aventure. Devenu riche en jouant au casino, il atterrit dans un meublé à Rome où il rencontre la douce Adrienne Paléari (L. Moran). La 'nichée' de la pension Paléari se révèle particulièrement cocasse: un faux chevalier, son frère maladif et une médium alcoolique. Mathias ayant été déclaré mort, il pense pouvoir se faire une autre vie. Mais, il a perdu son identité. Le film a été tourné à San Gimignano et à Rome et les extérieurs sont superbement utilisés par L'Herbier qui profite même des fêtes locales pour ajouter à l'ambiance du film. Le film est inclassable: ce n'est ni une comédie, ni un mélodrame. Il y a pourtant des moments de franche hilarité quand Mathias chasse les rats avec ses deux chats ou quand la tante de Mathias (P. Carton) 'entarte' à coup de pâte à pain le visage de l'odieuse belle-mère. De même, Mosjoukine passe facilement du rire aux larmes. Son corps agile rappelle Buster Keaton alors quil poursuit Lois Moran dans les escaliers de la Piazza di Spagna à Rome. On retrouve cette même verve débridée dans Les Ombres qui passent (1924, A. Volkoff) où Mosjoukine offre aussi cette image Keatonienne décalée. Mais, il y aussi ces pulsions de suicide qui envahissent un Mathias Pascal qui ne sait plus qui il est vraiment. L'Herbier utilise alors les doubles expositions où le nouveau Mathias se confronte à l'ancien. Il faut aussi mentionner la présence d'un jeune débutant nommé Michel Simon qui campe un Pomino fort amusant avec sa chevelure bouclée en bataille sous son canotier. Vu la complexité du film, il fallait une partition musicale à la hauteur. Et elle le fût. Le compositeur américain Timothy Brock a composé une partition orchestrale pour le Festival de Bologne en 2009, lors d'une projection spéciale au Teatro Comunale di Bologna (l'opéra de Bologne). La musicale a été enregistrée live et l'enregistrement a été diffusé hier soir à la cinémathèque. Il réussit brillamment à suivre les multiples changements de ton du film du comique débridé au drame le plus noir. La couleur orchestrale rappelle les musiciens baroques italiens, sans sombrer dans une couleur locale exagérée. C'est dansant, léger et suit le rythme des scènes. Pour les moments dramatiques, il se tourne vers un orchestre essentiellement à cordes qui rappelle les couleurs sombres d'un Bernard Herrmann. Revoir ce film -que j'avais vu muet auparavant- dans ces conditions fut un immense plaisir. La copie présentée était numérisée. Elle est composée de nombreux fragments de qualité diverses, mais dans l'ensemble, elle est tout à fait correcte (surtout les parties teintées). J'espère que la Cinémathèque va publier rapidement ce film magnifique en DVD. Ce doit être facile vu que la copie est déjà numérisée et la musique enregistrée!
Dernière modification par Ann Harding le 21 nov. 10, 13:25, modifié 1 fois.
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Major Dundee »

Ann Harding a écrit : Feu Mathias Pascal (1924, Marcel L'Herbier) avec Ivan Mosjoukine, Lois Moran, Marcelle Pradot, Michel Simon et Pauline Carton
Superbe compte-rendu encore une fois qui nous fait regretter de ne pas avoir été là. Merci encore Ann Harding :D
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Re: Cinéma Muet Français

Message par bruce randylan »

J'étais aussi à la séance du Brasier ardent que j'ai adoré. Les 20 premières minutes sont époustouflantes d'inventions et d'humour surréaliste. Après, ca se calme un peu avant de repartir avec la scène mémorable du concours de danse qui lance un dernier tiers merveilleusement romantique soutenu par une musique tout en délicatesse de Neil Brand.

Je regrette d'avoir raté le L'Herbier mais avec de la chance, il sera sur Arté ou fera partie des films sortant en DVD. Car oui, la cinémathèque va enfin sortir des films du studio Albatros en DVD, en partenariat avec Arté. :D


Sinon
Gribiche (Jacques Feyder - 1925)

Jacques Feyder retrouve son jeune acteur du formidable Visages d'enfants pour un drame presque aussi juste dans son écriture, sa psychologie et sa direction d'acteurs. Dans le cas de ce film-ci, Feyder évoque un enfant qui accepte d'être adopter par une bourgeoise célibataire pour permettre à sa mère de se remarier.

Comme dans visages d'enfants, ce qui étonne est l'intelligence du trait : pas de manichéisme, pas de personnage faussement idiot, pas (trop) de facilité dans le scénario. Les personnages sont tout à fait crédible que ce soit dans leurs préjugés, leurs orgueils, leurs malaises et leurs compassions. Tout juste le réalisateur charge t-il le trait dans le portrait qu'il fait d'une société bourgeoise où philanthropie sert à se mettre en avant auprès de ses amis, le jeune Gribiche étant réduit à un "trophé" qu'on exhibe égoïstement. Il n'y a pourtant aucun calcul de la part de Françoise Rosay, seulement une vieille fille qui a été trop longtemps coupée du monde et qui s'imagine un destin de dame au gros coeur en sauvant du ruisseau un pseudo Oliver Twist.
La réalité est moins glauque qu'il n'y parait car l'enfant même s'il vit modestement avec sa mère n'a rien de misérable ni miséreux.

Le réalisateur fait en tout cas passer cette "vérité" à double vitesse dans deux flash-back irrésistibled où Rosay croise Gribiche en vagabond affamé, aux vêtements en loque, tandis que sa maman occupe un véritable taudis indigne d'un bidon-ville. Cosette avait meilleur allure.

Feyder témoigne au passage d'un excellent sens de la réalisation où les cartons se font très très rares et ne paraphrasent que très rarement l'action ou la psychologie. Son utilisation des décors et de l'espace est également très habile que ce soit les grands magasins, l'immense demeure de Rosay ou la fête populaire du 14 juillet. Sa réalisation ainsi qu'une direction d'acteur d'une grande finesse et subtilité suffisent à faire comprendre 80% des situations et prouve au passage que son histoire n'a pas vieilli le moindre du monde.

On pourra toujours faire la fine bouche devant le dernier 1/4 qui se montre un peu plus explicatif avec de surcroît un changement dans la nature du personnage de Rosay trop rapide. Mais dans l'ensemble la cohérence et la justesse sont toujours de mises sans jamais tomber dans la surenchère et le mélodrame forcé. Il suffit par exemple de voir les quelques plans sur le nouveau mari de la mère de Gribiche pour réaliser le soin de Feyder de rester à une dimension humaine et réaliste. C'est un homme simple, au bon fond, qui va chercher discrètement de l'eau pour laisser une mère et son fils se retrouver, enfin, tels qu'ils étaient avant leur séparation.

Pour l'accompagnement, je suis assez plutôt mitigé. Les parties aux pianos étaient dans l'ensemble assez dans le ton, à quelques moments un peu trop énervées. Par contre le musicien aux percussions et aux autres bidouillages sonores me laissent bien plus perplexes avec des bruitages hors-sujet à l'émotion du moment. Par contre, les voix qu'il chuchotait et passait en boucle lors de la lecture de la lettre sur le mariage fonctionnaient très bien je dois avouer.

Cet accompagnement sera logiquement celui qu'on aura lors de la diffusion du film sur Arté en Mars :)


PS : ça ne fait pas de mal de rappeler Visages d'enfants est disponible en DVD, justement chez Arté ;)
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Ann Harding
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Re: Cinéma Muet Français

Message par Ann Harding »

bruce randylan a écrit :Gribiche (Jacques Feyder - 1925)
Pour l'accompagnement, je suis assez plutôt mitigé. Les parties aux pianos étaient dans l'ensemble assez dans le ton, à quelques moments un peu trop énervées. Par contre le musicien aux percussions et aux autres bidouillages sonores me laissent bien plus perplexes avec des bruitages hors-sujet à l'émotion du moment. Par contre, les voix qu'il chuchotait et passait en boucle lors de la lecture de la lettre sur le mariage fonctionnaient très bien je dois avouer
J'ai vu Gribiche il y a deux ans au Musée d'Orsay avec un accompagnement au piano absolument lamentable. Le pianiste pinçait les cordes de son instrument par moment. (Peut-être qu'il s'ennuyait ???) J'avais regretté d'avoir oublié mes boules Quies. :mrgreen:
Quant au film lui-même, j'avais vraiment adoré ce Feyder comme Visages d'Enfants (1923) et Crainquebille (1922) où apparaissent aussi le petit Jean Forest. Il faut aussi noter les décors Art-déco superbes de Lazare Meerson. C'est le film qui a permis à Rosay de devenir actrice de cinéma. Auparavant, elle ne travaillait qu'au théâtre et à l'opéra. Ou encore elle aidait son mari sur les tournages comme pour Visages d'Enfants.
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