Je vais aborder ici un grand ancien, historique à plus d'un titre...
1. Le voyage dans la Lune de Georges Méliès (1902) :
Avec Victor André, Bleuette Bernon, Brunnet, Jeanne d'Alcy, Henri Delannoy, Depierre, Farjaut, Kelm, Georges Méliès... Scénario de Georges et Gaston Méliès d'après Jules Vernes (De la Terre à la Lune) et H.G. Wells (Les premiers hommes dans la Lune) – Genre : science-fiction – Date de sortie : 01/09/1902
Mon avis :
Un groupe d'astronomes monte une expédition sur la Lune. Ils y rencontrent alors ses habitants, les Sélénites...
Avant d'aborder le film en lui-même, un petit retour en arrière s'impose. Entre l'invention d'un concept technique et son application au quotidien, il se passe un certain temps durant lequel il est parfois difficile d'attribuer la vraie paternité de techniques utilisées ou d'attribuer une date précise au premier événement majeur (ici, celle de ce que l'on peut considérer comme le premier film de cinéma).
Par exemple en France on parle d'histoire du cinéma alors que les américains c'est plutôt d'histoire du film. D'où le débat opposant Thomas Edison à qui l'on attribue l'invention du film en 1893, avec le 9 mai, la présentation au public du Kinetoscope, à Louis Lumière (ou devrait-on dire la famille Lumière), à qui l'on attribue l'invention du cinématographe en 1895, avec le 22 mars la première projection publique sur écran (le fameux La sortie de l'usine Lumière à Lyon). Avant de trancher, il faut garder en tête que l'invention d'Edison était un appareil individuel sur lequel un unique spectateur se penchait pour observer une image animée grossie par une lentille. Que cette invention déclencha les travaux de Lumière. Que l'invention de ce dernier permettait la projection d'images animées sur un écran visible par une assemblée.
Le Kinetoscope d'Edison : ... et comment l'on s'en sert :
Le cinématographe Lumiere, premier appareil de projection sur écran :
Avant et parallèlement à ces deux hommes, de nombreux autres se sont penchés sur la possibilité d'animer des images, et chacun a nourrit le travail des autres ou s'est inspiré des résultats d'autres pour finalement arriver au 7ème art que l'on connait aujourd'hui. On peut considérer 1895 comme l'année de naissance du cinéma français.
Mais au-delà de la technique, quid de cet art justement ? Les premiers films sont assimilables à des documentaires, montrant souvent des scènes du quotidien. La première fiction serait due à une femme, à la fois première française réalisatrice et pionnière du cinéma, aujourd'hui bien oubliée et redécouverte récemment : Alice Guy, qui signe en 1896, La fée aux choux. Mais avec Le voyage dans la Lune en 1902, Georges Méliès propose ce qu'on peut considérer comme le premier « long métrage » de fiction (malgré sa durée d'un quart d'heure environ à la vitesse de 16 images / secondes, pourtant exceptionnelle pour l'époque). D'autres cinéastes leur emboiteront le pas : Louis Feuillade, Léonce Perret, Max Linder, Emile Chautard, etc... Ils feront du cinéma un art, le septième, inventant un langage, créant des techniques de tournage, relevant de nouveaux défis, inventant tout ce qui fait la moelle du cinéma actuel.
Et les salles de cinéma ? Elles apparaissent très tôt. En 1897, les frères Lumière ouvrent à Paris, porte Saint-Denis, la première salle conçue spécialement pour des projections. Mais ce n'est qu'en 1906 qu'un véritable réseau nait, quand Charles Pathé décide de maitriser la diffusion de ses films, de la production à la projection au public. Gaumont va suivre. Ainsi, les salles de cinéma vont faire partie du paysage urbain des grandes villes.
Après cet aparté, revenons à notre balade sur la Lune. Ce film est considéré comme le premier film de science-fiction, et tout simplement comme le premier ayant une vraie narration. S'il est difficile de distinguer véritablement qui fut le premier dans tel domaine, en particulier pour le cinéma dont beaucoup d'éléments des débuts ont définitivement disparu, on peut toutefois repérer ce qui fut la première vraie synthèse de différentes techniques. C'est le cas pour ce voyage lunaire. Film pionnier avec différents décors, des effets spéciaux, un scénario posant les bases d'un genre qui utilisera les mêmes artifices sous d'autres formes, l'œuvre de Méliés est sans contestation une pierre angulaire du cinéma français et une étape importante pour le cinéma en général.
L'auteur s'inspire de Jules Vernes (le début du film et le « canon spatial ») et H.G. Wells (la partie sur la Lune et ses Sélénites), deux pères fondateurs de la science-fiction, mais aussi apparemment d'un spectacle de cabaret qu'il avait créé en 1891 intitulé Les farces de la Lune et les mésaventures de Nostradamus pour son célèbre théâtre Houdin. Car avant de s'intéresser au cinéma, Georges Méliès fut un artiste de scène et un touche à tout : prestidigitateur, décorateur, auteur, acteur... Pour le cinéma il sera en plus réalisateur, producteur, scénariste, directeur de la photo, créateur de trucages...
Il est toujours assez difficile d'exprimer un avis subjectif sur une œuvre pionnière qui est le symbole des balbutiements du cinéma et de l'esprit créatif des débuts, symbole qui (me) rend indulgent. Objectivement, la caméra est encore trop statique (il faut encore attendre quelques années pour voir des cinéastes la rendre mobile), l'humour est vieillot, les acteurs sont en roue libre et contrairement aux auteurs dont il s'inspire, Méliès ne se soucie guère de crédibilité scientifique en signant plutôt une fantaisie.
Mais la narration est fluide et l'absence de cartons explicatifs ne gêne en rien la compréhension du récit, des éléments posent certaines bases du cinéma fantastique en général comme les savants fous ou la rencontre extraterrestre peu amicale, et les trucages (on ne parlait pas d'effets spéciaux à l'époque) sont assez époustouflants vu les techniques limitées d'alors : fondus, surimpressions, animation, décors en trompe-l'œil, éléments posés au premier plan et en arrière plan pour créer de la profondeur, effets de montage... En fait, ces techniques existaient déjà, mais dans de très courts films dont le trucage était le centre d'intérêt. C'est le premier a les utiliser comme éléments de narrations, variant les effets, aidant et animant l'action en cours mais sans être une fin en soi (ce qu'oublient aujourd'hui régulièrement les blockbusters américains, favorisant les énormités numériques au détriment du scénario).
La patte de Méliès, c'est aussi l'incroyable magie qui habite son film : la lune dans le ciel est un visage, le clair de Terre vu de notre satellite, le rêve des étoiles, la chute de neige sur la Lune... Une patte qui influencera un Terry Gilliam pour ne citer que lui.
Tranchant résolument avec les productions de l'époque, tant pour sa durée que pour son scénario, sa technique, sa folie, son inventivité, sa poésie même, ce film est important dans notre patrimoine et dans le cinéma, et fait regretter que Georges Méliès dû arrêter prématurément le cinéma en 1913 complètement ruiné.
Étoiles : * * * . Note : 15/20.
1. Une version complète du film a été colorisée à l'époque, image par image, qui a été retrouvée en 2002, ce qui en fait un des premiers films en couleur du cinéma.
2. Le voyage dans la Lune est le premier film sur la liste du patrimoine mondial du cinéma, qui est aussi reconnu comme le premier film de science-fiction par l'UNESCO.
3. Le film fut projeté dans le monde entier où presque et a connu un gros succès. Méliès comptait sur l'exploitation aux USA pour faire des bénéfices (à l'époque, déjà, réaliser un film coûtait cher) mais il fut devancé par Thomas Edison qui aurait volé une copie du film pour en tirer des copies et l'exploiter en son nom.
4. Ce film fut d'abord mal accueilli par les forains. Il faut savoir qu'à l'époque, les salles dédiées au cinéma étaient très rares. L'un des principaux vecteurs de diffusion du cinéma était alors les foires qui se déplaçaient de ville en ville, et projetaient des films contre argent (il existe encore un peu ce genre de chose, avec des cinémas itinérants qui font la tournée des campings et centres de vacances l'été en projetant des films sous des chapiteaux ou en plein air, mais c'est de plus en plus rare). Diffuser un film d'environ 15 minutes alors que la plupart des films faisaient moins de 3 minutes équivalait à perdre un certain nombre de séances et de spectateurs payants dans la journée. On ne peut que avoir à l'esprit ces producteurs qui charcutent les films ou qui mettent la pression à un réalisateur pour que son long métrage ne dépasse pas une certaine durée et assure ainsi un maximum de séances par jour. Là encore, le film de Méliès fut un précurseur...
5. Deux dessins préparatoires du tournage :