Je ne me joindrai malheureusement pas au camp des admirateurs de ce film. Je n'attendais pas grand-chose de
The Social Network eu égard à son objet, phénomène auquel je ne peux me prévaloir d'avoir échappé (je fais partie des 500 millions de personnes tombés dans l'escarcelle de Zuckerberg) mais qui m'indiffère tout de même assez, lorsqu'il ne m'inquiète pas. Malgré tout, la présence au siège de metteur en scène de David Fincher, un des tous meilleurs cinéastes américains de ces vingt dernières années, avait de quoi aiguiser la curiosité. Pour beaucoup, le nom d'Aaron Sorkin est tout aussi aguichant mais j'avoue piteusement ne pas connaître son travail pour
A la Maison Blanche. Résultat des courses : est-on en face du "meilleur film de l'année" comme on en voit fleurir l'éloge un peu partout ? En ce qui me concerne, non, pas vraiment.
The Social Network présente des qualités certaines. Durant le film, je n'arrêtais pas de me dire que, ne serait-ce qu'en ce qu'il constitue un pied-de-nez aux conventions hollywoodiennes actuelles d'autant plus jubilatoire que le sujet du film devrait majoritairement attirer un public jeune (donc pour la grande part friand de recettes blockbusterisées), ce nouveau Fincher mérite qu'on s'y arrête. Le scène d'introduction, brillante, donne le
la quant à la nature de ce film : un maelström de deux heures de dialogues, dont on s'accordera tous à dire qu'ils sont fantastiques, mais qu'il est parfois difficile de suivre sur toute la durée. Il y a à mon sens un manque de pédagogie scénaristique : Fincher et Sorkin fusionnent tous deux pour délivrer un produit effréné (le montage ne laisse jamais le temps de souffler mais demeure pourtant tout à fait clair : un travail d'orfèvre) mais qui laisse sur le carreau. Le tempo est admirable mais, en ce qui me concerne, cet aveu passe par un renoncement à la compréhension de nombreux ressorts narratifs ayant trait, justement, à la naissance et à la gestion de Facebook. Ce qui est problématique quand cela constitue (pas exclusivement, bien sûr) l'un des centres du film. J'ai trouvé, à ce titre, évidemment bien plus intéressante la réflexion sous-tendue sur les dangers et les perversions d'un étalage public de vies privées (là, le scénario me cueille, j'y trouve des résonances avec mon expérience personnelle), ainsi que la représentation pour le moins ambiguë de Mark Zuckerberg, génie à la fois détestable et fascinant. Au milieu d'un casting prometteur au diapason, Jesse Eisenberg est la grande révélation du film, et j'espère que l'Académie lui décernera une récompense bien méritée. Terrifiant masque monolithique, incapable du moindre sourire mais capable de réparties les plus cinglantes, il y a dans son personnage un peu de la tragédie de notre société moderne, noyée dans des potentialités infinies de communications et pourtant souvent incapable de communiquer véritablement avec son prochain. Facebooke-moi, et je t'apporterai (peut-être) un peu de réconfort ! Je lisais dans une critique sur le film que le rictus étrange d'Eisenberg tout le long du film pouvait aussi bien être la lippe méprisante d'un génie qui se sait, comme la moue pincée d'un solitaire déçu par ses contemporains. Cette critique a su mieux que moi mettre des mots sur mon ressenti au sujet de cette figure insaisissable et paradoxalement extrêmement charismatique. Au vu des scènes avec son ami Eduardo Saverin, j'en viens d'ailleurs à regretter que Sorkin ne s'attarde pas plus longtemps sur cette trahison annoncée, vrai cœur de
The Social Network, hélas trop souvent noyé dans un défilé de personnages secondaires pour le moins dispensables et de dialogues assénés sans vergogne.
Je disais qu'il y avait quelque chose de l'ordre du paradoxe chez Zuckerberg. Je l'ai définitivement constaté au moment du générique final, alors que le public de la salle, massivement composé de jeunes entre 16 et 18 ans, échangeait des "
'tain, le mec il vaut 25 milliards de dollars !" et autres commentaires manifestement plus fascinés par l'aspect toc et bling-bling de cet univers (incarné par le personnage de Justin Timberlake) que par l'amertume du constat final : Facebook, le repaire des amis, rend plus seul que jamais. A l'image de la fascination/répulsion que provoque Zuckerberg, j'ai été assez attristé de constater que le public adolescent était plus que jamais, au sortir du film, hypnotisé par la "révolution" Facebook. Preuve, peut-être, que le message de Sorkin n'était pas suffisamment explicite. Fincher, quant à lui, délivre une mise en scène précise, sage. C'est à ce jour son travail le plus classique. Il a le bon goût de s'effacer derrière les dialogues. Quand il ne le fait pas, cela donne cette scène (que je trouve personnellement grotesque) de course d'aviron où l'on massacre autant Edvard Grieg que l'on multiplie les gros plans sur des visages tordus d'effort. Les trucages, comme toujours chez lui, sont bluffants au point qu'on apprend leur existence après avoir vu le film (le coup des jumeaux, époustouflant !). Reste tout de même que ce travail reste à mes yeux son moins bon. Si son précédent film versait parfois un peu trop dans la sensiblerie à Oscars, il y avait tout de même une noirceur sous-jacente relativement atroce. Avec
The Social Network, c'est un peu l'inverse : Fincher gère bien son film mais en oublie de lui donner du coffre, de lui donner ce quelque chose qui fait que l'on s'en souviendra longtemps. Attention, je ne dis pas que c'est raté. Mais l'ensemble peine à me convaincre du fait des défauts que j'ai expliqués ci-dessus, et aussi parce qu'au regard de l'introduction et de la conclusion, particulièrement réussies, car condensant parfaitement les enjeux à la fois humains et virtuels de l'œuvre, il y a comme une promesse pas entièrement tenue - celle d'une aventure
humaine, avec des personnages qui ne se contentent pas d'être des mecs puants qui jouent aux petits coqs avec leurs idées géniales.
L'histoire jugera de la véritable valeur de la "révolution" Facebook... en l'état, j'ai l'impression que le film de Fincher est autant un phénomène que ce qu'il décrit. Il sera intéressant de voir comment le film vieillira, maturera, en parallèle du réseau social dont il a dépeint tous les vices.