


Jack Burton accompagne son ami Wang Chi à l'aéroport de San Fransisco afin d'accueillir Miao Yin, la fiancée de ce dernier. Mais Miao Yin est convoitée par Lo Pan, un puissant sorcier désincarné qui pense pouvoir récupérer son enveloppe charnelle en épousant une chinoise aux yeux verts. Jack, simple camionneur, se retrouve au cœur de Chinatown, au beau milieu d'une lutte surnaturelle entre les puissances du Bien et du Mal orientales.
Alors là, incroyable. Aucun topic sur le film culte de Carpenter Big Trouble in Little China (aka en français Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin - titre que d'aucuns trouveront ridicule mais qui m'a toujours furieusement botté) ? J'ai sans doute mal cherché.
Comme beaucoup d'autres films des années 1980, parmi lesquels les Indiana Jones, les Retour vers le futur ou les Star Wars, Jack Burton fait partie de ces quelques œuvres importantes de mon enfance, d'autant plus appréciées qu'elles étaient relativement rares à la télévision (tout particulièrement pour Jack Burton, très rarement diffusé et à chaque fois en seconde partie de soirée, comme s'il était trop atypique) et que l'enregistrement sur VHS n'en devenait que plus précieux. La copie était recadrée, il y avait les pubs avant le film, mais qu'importe, la VF était géniale et le film valait le détour.
Bref, je pense que ce petit moment nostalgique illustre bien, en l'occurrence, le phénomène de "film culte" pour cet opus, dont la renommée, en effet, ne s'est établie que progressivement, via la diffusion vidéo. Trop insolite, trop barré, même pour le public des années 1980, Big Trouble in Little China est un moment important dans la carrière de John Carpenter. Un tournant. Et ce, à plusieurs titres. En effet, son échec public, et en partie critique, confirme à ce dernier que son travail à Hollywood ne lui sied définitivement pas (l'échec de The Thing, son chef-d'œuvre, quatre ans plus tôt, l'a profondément affecté et il n'est sans doute pas hasardeux d'affirmer qu'il ne s'en est jamais tout à fait remis), ce qui le conduira à revenir, dès 1987, à des petits films indépendants qu'il peut contrôler intégralement, du scénario en passant par la production. Pourtant, lorsque je regarde dans le détail la phase hollywoodienne de la carrière de Carpenter, je ne peux que regretter le retour aux sources que le cinéaste s'impose en quelque sorte à lui-même après le bide de Jack Burton, tant ses films suivants (Prince des Ténèbres, Invasion Los Angeles...) portent selon moi l'empreinte d'une personnalité artistique affectée et incapable de revenir aux niveaux fulgurants antérieurs, sauf le temps du champ du cygne qu'est l'hallucinant et halluciné L'Antre de la folie. Je n'ai pas encore vu Starman - ce qui ne devrait pas tarder - mais The Thing, Christine et Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin sont tous trois de très bons films à échelle diverse, dans lesquels l'art de Carpenter s'exprime pleinement. Je peux comprendre que le cinéaste ait la rage vis-à-vis du système hollywoodien (après un échec financier, difficile de monter un film avec une major) mais il n'en demeure pas moins que, malgré le fait qu'il ne signe pas les scénarios des films tournés avec les studios, ces mêmes films n'en demeurent pas des réussites majeures de sa carrière. Je trouve qu'il n'y a finalement que peu de concessions par rapport aux thématiques et/ou aux caractéristiques de son œuvre, notamment marquée par des antihéros charismatiques contre leur gré, par les forces de l'inconnu, par une minutie d'une mise en scène économe tout en étant parfaitement maîtrisée. Cela reste des "John Carpenter's ...". Et Jack Burton n'y déroge pas. Mais dans le même temps, il est possiblement le film le plus inhabituel du cinéaste avec Starman. Un film un peu schizo, en somme.



Film schizo car à l'instar du précédent de son auteur, Starman, il tranche assez radicalement avec les acquis de sa filmographie, volontiers sombre, pessimiste, violente, désespérée. Là, rien de tout ça. Big Trouble in Little China est clairement un divertissement pour tout âge, coloré, drôle, plutôt fastueux (budget de 25 millions de dollars, que l'on constate dans les décors, les costumes et dans les trucages). Nul doute qu'avec ce scénario d'aventures improbable et complètement fou, la Century Fox espère rafler la mise auprès d'un public réservant triomphe sur triomphe aux nouvelles icônes cinématographiques que sont Luke Skywalker, Indiana Jones ou Marty McFly. D'autant que le projet est alors en concurrence avec l'autre grand chantier du moment, L'Enfant du Tibet, avec l'incontournable Eddie Murphy (qui se révèlera être en fin de compte une daube). C'est dire si on mise beaucoup sur l'ami Jack Burton, chauffeur de la Côte de Porc Express (sic).
On propose le bébé à Carpenter, qui est alors dans les petits papiers des studios. Bonne nouvelle. Big John veut son pote Kurt Russell pour le rôle. Sauf qu'avec les deux-là, s'appropriant un scénar déjà bien assaisonné, on peut être sûr que le produit de commande va être dûment détourné. Donc, film schizo car Big John ne peut également s'empêcher d'imprégner son film de son esprit transgressif. Et c'est parti pour la fête du slip, pour parler trivialement. Kurt Russell nous dégaine une tête d'ahuri jouissive tout le long du film et fait de Jack Burton un beauf magnifique, alignant les vannes moisies avec une assurance de héros hollywoodien impayable. Incapable mais charismatique à ses dépens, ridicule et sans égal, ce personnage est un OVNI à lui tout seul que Carpenter et Russell se plaisent à malmener à coups de gomina et lunettes affreuses, de marcel bouddhique ou de mâchoire fièrement avancée (un peu à la Brad Pitt chez Tarantino avant l'heure). Le film n'est pas en reste sur ce plan-là. Cette histoire de légendes et fantômes chinois en plein San Fransisco, où se côtoient méchants qui lancent des éclairs et qui ont des abat-jours en paille sur la tête, combats de kung-fu défiant les lois de la pesanteur (je le répète mais je suis sûr que Tarantino est fan du film), monstres poilus ou joufflus et vieillards lubriques, est un joyeux fourre-tout sans équivalent alors aux États-Unis et que Carpenter emballe avec sa veine sardonique habituelle. Comme toujours chez lui, le héros n'en est pas un. La Century Fox voulait son Indiana Jones ? On peut dire qu'ils ont été servis. Comme toujours chez lui, le vernis du film de commande ne masque pas de savoureux écarts avec certains impératifs hollywoodiens : love-story inaboutie à cause de la stupidité de l'(anti)-héros, sidekicks au premier rang, personnage féminin (campé par la ravissante Kim Cattrall) qui a l'ascendant sur le macho bêta qu'est Burton, etc. Carpenter délivre un hommage souvent hilarant aux films asiatiques et se paie le luxe d'une brève citation d'Inferno de Dario Argento (la cave submergée avec les cadavres).
Cependant, est-ce son approche volontairement déceptive du film d'aventures qui m'empêche de prendre complètement mon pied à chaque fois ? Malgré sa folie, malgré son résultat unique - comment être sévère face à un film pareil ? - je suis toujours légèrement frustré par Big Trouble in Little China, où les gags imparables et les séquences mémorables côtoient une mise en scène de Big John certes efficace mais que je ne trouve pas toujours très à l'aise dans les scènes d'action. Un exemple : les combats de kung-fu dans la ruelle ou le combat final dans le temple aux néons sont filmés avec talent et inventivité. Je ne trouve pas qu'on puisse en dire autant de la séquence de l'évasion par les souterrains, par exemple, plate, pépère et peu inspirée. Le film manque peut-être un peu de fluidité, il transpire d'un trop-plein d'idées géniales et ne parvient pas forcément toujours, à mon sens, à trouver un équilibre d'ensemble : certains gags marchent du tonnerre, d'autres tombent un peu à plat. Certains moments me font jubiler, d'autres m'ennuient.



Pour toutes ces raisons, j'ai par conséquent tendance à considérer Jack Burton comme un tournant que je revois toujours avec une certaine amertume, dans la mesure où ce film constitue pour moi la fin de ce que j'appellerai l'âge d'or du cinéaste (1976-1986). Par bien des aspects, ce film tranche dans la filmo du cinéaste, mais il conserve dans le même temps une cohérence certaine avec les œuvres précédentes de Carpenter. Dommage, je trouve qu'il y a sporadiquement quelques faiblesses dans la mise en scène ; qu'elles soient annonciatrices du déclin du cinéaste est un pas que j'ose franchir. Reste un film culte, sans équivalent, que l'on quitte avec une pêche d'enfer.