Jacques Demy (1931-1990)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Le joueur de flute - The pied piper

Deux ans après le magique « Peau d'âne », Jacques Demy refait une incursion dans le monde des contes en acceptant de tourner une adaptation du « Joueur de flûte de Hamelin » en Angleterre, avec le chanteur folk Donovan dans le rôle-titre.
La légende du joueur de flûte étant bien trop simpliste pour un film d'une heure et demi, le réalisateur n'a pas hésité à broder une sous-intrigue très (et presque trop) étoffée, peuplée d'inquisiteurs, de cupides seigneurs, de joyeux saltimbanques et d'un alchimiste assoiffé de progrès. L'épidémie de peste noire, qui a décimé plus de la moitié de la population européenne au XIVe siècle, occupe elle-aussi une place centrale dans le film, de même que l'antisémitisme et l'obscurantisme qui sévissaient à l'époque. Le joueur de flûte, quant à lui, se retrouve relégué au second plan et finit par ne devenir qu'un pretexte pour intégrer un peu de magie et de musique dans la très sombre intrigue concocté par Demy. La présence de Donovan semble alors quelque peu accessoire. D'autant que, au milieu d'un moyen-âge à l'esthétique outrée mais toujours empreinte de réalisme, sa guitare de hippie passe difficilement pour un instrument d'époque, et ses trois petites chansons, bien que sympathiques, s'intègrent assez mal à l'ensemble.
Globalement, il faut tout de même avouer que « Le joueur de flûte » s'égare dans son intrigue « fourre-tout » et dans sa critique un peu pataude de l'intolérance et de l'obscurantisme. Finalement, ce sont les décors et les costumes aux couleurs chatoyantes, de toute splendeur, qui relèvent le niveau, avec quelques mouvements de caméras et plan-séquences inspirés. Quelques scènes sortent ainsi du lot, notamment celle du mariage, merveilleusement glauque, où une colonie de rats grouillant finissent par sortir du dessert.
Le film, aussi beau que bancal, demeure agréable dans son ensemble mais le charme du « joueur de flûte », s'il existe bel et bien, ne parvient jamais totalement à envoûter.

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Dernière modification par Miss Nobody le 16 août 22, 10:28, modifié 1 fois.
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Parking

Ce film est une véritable catastrophe. Compte tenu du talent dont a su faire preuve Jacques Demy dans le passé, on se demande réellement comment il a pu pondre une chose pareille sur un thème qui lui était si cher.
Dans ses rêves, Demy voyait une ode au monde artistique, un hommage à des figures mythiques du rock, à John Lennon ou Jim Morrison. Dans ses rêves, Demy réactualisait la mythologie grecque en la faisant résonner dans les salles de concerts, les boîtes de nuits et les parking souterrains. Dans ses rêves, Demy réalisait un film superbe avec David Bowie dans le rôle d'Orphée. Alors Demy a décidé de faire vivre « Parking » sur un écran, et le drame musical rêvé deviendra l'une de ses oeuvres les plus calamiteuse.
Avec un budget ridicule et deux acteurs principaux aussi charismatiques que des noix de cajou (un Francis Huster pitoyable et une actrice japonaise choisie sur catalogue), le réalisateur n'était pas aidé. Mais sa volonté d'ancrer le film dans le monde contemporain s'est révélée tout aussi malheureuse, puisque le mythe se retrouve englué dans les kitchissimes années 80, dans des bandanas rouges et des doudounes beiges.
Les éventuelles bonnes idées du scénario sont toutes noyées dans la médiocrité des interprétations et la laideur des décors, mais aussi dans l'extrême vacuité des dialogues et des chansons. La partition de Michel Legrand est une horreur et les textes qui l'accompagnent sont misérables. Le pire étant que ces horripilantes rengaines, entonnées par Francis Huster, à la voix molle et pathétique, s'accrochent à la mémoire.
Définitivement, il n'y a rien à sauver dans « Parking ». C'est un film pénible, sans interêt ni subtilité, qui donne mal au crâne et qui brise le coeur.


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Trois places pour le 26

« Trois places pour le 26 » commence comme une blague de mauvais goût. Nous sommes à Marseille, dans les années 80, et Yves Montand, sexagénaire au sourire fatigué, descend d'un train. Aussitôt, une petite foule de journalistes s'agite et se déhanche autour de lui, tandis que Michel Legrand, au plus bas, s'amuse avec son synthé et sa boîte à rythme dernier-cri. Pendant ce temps, une mère et sa fille, habillées comme des demoiselles de Rochefort, jouent à la dînette. Puis, sans qu'on en sache trop la raison, l'irritante Mathilda May se met à chanter, en faisant tournoyer sa robe toute rose dans son appartement tout bleu...
A ce moment très précis, soyons honnête, j'ai vu mon doigt s'approcher dangereusement de la touche « stop » de la télécommande. Heureusement, quelques instants plus tard, Yves Montand revient et raconte, ému, ses débuts et ses premières amours, sa vraie vie se fondant avec celle que Demy a inventé pour lui... Une heure et demi de film plus tard, les « boum-tchak-clap-clap » de la boîte à rythme de Michel Legrand ne passent toujours pas, et pourtant, je suis encore là, derrière mon écran, à regarder briller les derniers feux du cinéma magique de Jacques Demy...
Finalement, si le film est raté a bien des niveaux, et surtout au niveau musical (il faut voir Yves Montand chanter au milieu d'hommes en mini-short et aux muscles huilés, tout droit sortis d'un clip des Village People...), il parvient à garder, envers et contre tout, un certain charme. Le cinéaste y aborde une dernière fois les thèmes qui lui sont chers, et qui parcourent l'ensemble de son oeuvre (la relation mère-fille, les hasards de l'amour, les émois de jeunesse, et plus que jamais l'inceste puisqu'il est ici consommé), mais il consacre surtout une bonne partie de son film à rendre hommage au cinéma qu'il aime, le « Ciné qui chante » comme il dit. Aussi, dans « Trois places pour le 26 », on a beau être en 1988 (ce que la bande originale ne cesse de nous rappeler à grand renfort de synthétiseurs), les marins en pompons rouges croisent encore les prostituées sur le trottoir, les murs sont toujours habillés des couleurs criardes des « Parapluies... », et Mathilda May fait sa Leslie Caron au côté de Montand, qui chante du Gene Kelly habillé en Fred Astaire. Et ce grand hommage, aussi maladroit que vibrant, fait par Demy à ce qui a inspiré sa vie et sa carrière, est définitivement touchant.


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Boubakar
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Message par Boubakar »

Miss Nobody a écrit :Définitivement, il n'y a rien à sauver dans « Parking ».
Ah, si, juste Jean Marais ! :o
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Boubakar a écrit :
Miss Nobody a écrit :Définitivement, il n'y a rien à sauver dans « Parking ».
Ah, si, juste Jean Marais ! :o
Non bof, on ne peut pas dire que son talent soit mis en valeur dans ce film... en plus, il est tout gris-bleu...
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L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune

« L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune » c'est Marcello Mastroianni, moniteur de conduite, qui tombe enceinte de sa délicieuse épouse Catherine Deneuve... Pour un événement, c'en est un, et les docteurs sont formels. C'est tout un monde qu'il va falloir réorganiser maintenant que les hommes peuvent porter des enfants...
Si l'événement en question est plutôt bien amené, dans une première partie délicieusement kitch, entre l'auto-école de Monsieur et le salon de coiffure de Madame, on se demande très vite où tout cela peut nous mener. Jacques Demy fait le choix d'un bouleversement de peu d'envergure, avec l'optimisme qu'on lui connaît. Ainsi, le monde entier se fait très vite à l'idée que les hommes puissent désormais enfanter, et ce sont surtout les médias (par le biais de la publicité, des conférences, des journaux et de la télévision) qui s'en trouvent chamboulés. L'idée de départ est excellente, mais on en a fait le tour rapidement. Heureusement, le film est court, dynamique, et les acteurs sont tous très bons. Demy prend aussi la peine d'effleurer au passage, et avec beaucoup d'humour, la question de la guerre des sexes, dans une époque préoccupée par le contrôle des naissances et la libération de la femme.
Son idée, aussi saugrenue que jubilatoire, a germé dans son esprit alors qu'Agnes Varda et son amie Catherine Deneuve était toutes les deux enceintes. C'est surtout pour rire qu'il s'est amusé à transposer ses deux grossesses, dont elles ne cessaient de parler, sur Mastroianni et lui-même. Il est cependant intéressant d'observer comme le féminisme des deux femmes, qui avait osé faire partie des « 343 salopes » en 1971, transpire à petites gouttes dans le film.
Parce qu'il aborde le sujet avec légéreté, « L'événement le plus important... » est un film à la fois anodin et attachant. On y retrouve avec plaisir le patte de Jacques Demy, qui s'approprie l'esthétique des années 70 avec un mauvais goût assumé et jouissif (comment résister par exemple à la belle Deneuve, d'habitude si classieuse, quand elle assortit son vernis à ongles bleu à son manteau à poil). Au final, "L'événement le plus important..." 'est un petit film rigolo et sans prétention, qui mérite d'être découvert malgré son manque de notoriété.


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Demi-Lune
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La Baie des Anges (1962)
SPOILERS. Découvert hier soir sur Arte ce film non musical de Demy. C'est vraiment pas mal. On sent bien le cachet "Nouvelle Vague", dans le réalisme et la photographie. Il y a bien quelques points sur lesquels je reste un peu sceptique (la prestation de Claude Mann, qui semble "réciter" son texte plus qu'il ne joue, la fin bâclée à l'optimisme jurant, notamment), mais le film est, malgré une intrigue limitée, tout à fait intéressant dans sa représentation de l'engrenage infernal qu'est l'addiction inconsciente au jeu. Le comportement obsessionnel du personnage de Jeanne Moreau (qui se montre convaincante dans son rôle de blonde platine superficielle écumant les casinos comme si sa vie en dépendait), capable de cramer indifféremment des sommes énormes et de se mettre dans des situations inconfortables pour le seul besoin de jouer, encore et toujours, présente ainsi une certaine authenticité. Cette authenticité est bien mise en valeur par la mise en scène de Demy, sobre mais précise, baignée dans un magnifique noir et blanc néo-réaliste. Spectaculaire travelling arrière introductif. Il est vraiment dommage que ce film intelligent sur l'irrésistible attrait du jeu, et les conséquences destructrices qu'il cause, prenne soudainement la tangente de son ton sombre et désenchanté (y compris dans les rapports amoureux), pour offrir une fin en happy-end agréablement romantique mais contredisant quelque peu ce que Demy s'est escrimé à mettre en place pendant 1h20.
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Re: Jacques Demy (1931-1990)

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Demi-Lune a écrit : une fin en happy-end agréablement romantique mais contredisant quelque peu ce que Demy s'est escrimé à mettre en place pendant 1h20.
J'ai le souvenir également d'une fin "cheveu sur la soupe"... mais, comme tu le dis, agréable car résolument romantique (et puis la musique de Michel Legrand qui vient s'engouffrer là dedans, et qui en fait des tonnes: j'adore! :P )

C'est une fin pleine d'optimisme à laquelle on ne croit pas du tout... finalement, on ne peut tellement pas y croire que ça en devient presque triste. :idea:

Découvert au cinéma lors d'un festival, voilà un film qui dort confortablement dans mon coffret-Demy et qu'il me tarde de revoir...
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Re: Jacques Demy (1931-1990)

Message par Demi-Lune »

Miss Nobody a écrit :C'est une fin pleine d'optimisme à laquelle on ne croit pas du tout... finalement, on ne peut tellement pas y croire que ça en devient presque triste. :idea:
C'est vrai que la fin tombe tellement comme un cheveu sur la soupe que ça en deviendrait presque tentant de gratter la chose, et se demander si Demy est vraiment sincère. Certes, Moreau fait le choix de suivre son amoureux (ce qui, dans l'immédiat, signifie qu'elle parvient à renoncer au jeu par amour), mais après tout, la "guérison" des deux personnages n'est pas attestée, et leur montée à Paris peut très bien être synonyme d'un cauchemar qui recommencerait inlassablement. Cela dit, je ne suis pas entièrement convaincu non plus par ma propre lecture... je crois tout simplement que Demy a loupé sa fin au regard de la tonalité d'ensemble. C'est un ratage relatif car le romantisme de la scène, bien appuyé par la musique chavirante de Legrand, demeure en soi efficace et émouvant, même si c'est abrupt. Mais il est vraiment dommage que le cinéaste nous prépare pendant 1h20 à une conclusion pessimiste, pour finalement ne pas assumer jusqu'au bout son propos.
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Re: Jacques Demy (1931-1990)

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Lady Oscar

« Lady Oscar » se situe au beau milieu de la période creuse de Jacques Demy. Le réalisateur a la tête qui foisonne d'idées, mais ne trouve pas les financements nécessaires à leur concrétisation. L'insuccès de ses derniers films a rendu les producteurs européens frileux, et c'est finalement le Japon qui va se tourner vers lui pour l'adaptation d'un manga exotique à succès: « La rose de Versailles ». L'histoire est celle d'Oscar, une jeune fille éduquée comme un garçon, que son père a faite soldat auprès de la reine Marie-Antoinette.

Le tournage a eu lieu en France, dans l'enceinte-même du château de Versailles(!), avec des acteurs anglais et français (dont le tout jeune Lambert Wilson). Catriona MacColl (qui continuera sa carrière dans le cinéma de genre, aux côté de Lucio Fulci) est imposée dans le rôle principal par une entreprise de cosmétique japonaise. Un choix qui s'avère très peu judicieux tant la jolie Catriona, qui est sensé se faire passer pour un homme, respire la féminité de sa voix fluette à ses paupières peintes en bleu. L'ambiguïté sexuelle qui devait entourer le personnage d'Oscar, ainsi que sa quête d'identité (qui devait servir de trame au film), se retrouvent totalement noyés dans la blonde chevelure et les longs cils de son interprète. Ne reste alors qu'une intrigue à l'eau de rose, sur fond de révolution française, où la belle découvre les plaisirs de l'amour et les affres de la misère...
Le film, qui réarrange au passage l'Histoire de France d'une drôle de façon, se révèle donc relativement vide sur le fond. La forme vient heureusement relever l'ensemble. Les décors et les costumes sont magnifiques. La photographie est très soignée. La mise en scène de Jacques Demy est très honorable et la partition de Michel Legrand est inspirée. Malheureusement, si le film demeure plaisant à regarder, c'est l'ennui qui finit par l'emporter.

A sa sortie, le film reçut un accueil chaleureux au Japon et en Asie, mais ne traversa pas les frontières. La télévision française refusa d'en acheter les droits de diffusion, et il resta longtemps invisible en France. Aujourd'hui, « Lady Oscar » traîne une réputation peu flatteuse, certains parlent même du plus mauvais film de Jacques Demy... Pourtant, à côté d'un navet comme « Parking », aucun doute n'est possible. « Lady Oscar » fait plutôt figure de film malade. Sympathique mais longuet. Joli mais un peu creux.


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Re: Jacques Demy (1931-1990)

Message par Miss Nobody »

Il semblerait que j'ai maintenant fait le tour des longs métrages de Demy. :o
Il ne me reste qu'à en revoir quelques uns (La baie des Anges, Model Shop et Une chambre en ville) et re-re-re-revoir ses chefs d'oeuvres (Lola, Les demoiselles, Les parapluies, Peau d'Ane).
Viendront ensuite les curiosités (courts métrages, segment et téléfilm).
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Message par Major Tom »

Miss Nobody a écrit :Il semblerait que j'ai maintenant fait le tour des longs métrages de Demy. :o
Je t'offrirai le volume 2.
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Message par Max Schreck »

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Trois places pour le 26, 1988
J'étais joyeusement impatient de découvrir le dernier film d'un cinéaste cher, produit par Berri, dédié à Agnès et mettant en vedette un Montand mûr.

Je me suis étranglé dès la troisième minute et son improbable numéro musical. Phrasé heurté dénué de swing, chorégraphies grotesques, danseurs désynchronisés s'agitant sans grâce. La suite ne rassurera pas, et en dehors de deux ou trois morceaux jazzy pour évoquer le passé, je n'ai pas trouvé la moindre trace du raffinement typique de Legrand. Le recours à une orchestration synthétique aboutit à un résultat moche, crispant, où aucun rythme ni mélodie ne se détachent. Demy et Legrand ont-ils eu la volonté de séduire un public jeune et étaient-ils convaincus que le style bontempi représentait le top de la tendance ? Demy était-il déjà atteint par la maladie au point d'abandonner son perfectionnisme et ne pas faire l'effort de diriger ses danseurs. Même en étant fan du réal, j'ai du faire preuve de beaucoup de bonne volonté pour accepter ces choix malheureux et supporter le long-métrage.

Demy sait heureusement se montrer toujours à l'aise dans sa gestion de l'écran large, et plastiquement sa touche si singulière demeure. On retrouve également tous ses thèmes et figures habituels, au point que les ressorts tordus du scénario me sont apparus un peu fatigués. Il faudra donc avant tout considérer Trois places pour le 26 pour ce qu'il est, c'est-à-dire un pur hommage à une légende (alors encore) vivante : Ivo Livi dit Yves Montand. C'est là le véritable cœur du film. Tout le spectacle monté autour de sa vie et le mettant en scène se révèle en effet très inspiré. Le ton est juste, certaines idées sont très belles et pour peu qu'on éprouve un peu d'admiration pour Montand, on est forcément touché. Parce que ça parle de sa vraie vie, avec quelques incursions de fiction pour faire avancer l'intrigue en parallèle, et que c'est lui-même qui mène la danse, conviant les figures du passé (Piaf, Simone).

Heureuse surprise aussi concernant Mathilda May. J'ai réalisé que je n'ai jamais vraiment eu l'occasion d'avoir un avis sur cette actrice et elle s'affirme ici comme une comédienne très convaincante, fraîche et naturelle, ainsi que comme une danseuse vraiment douée, ce que j'ignorais.

On quitte quand même le film frustré de ne pas en avoir eu assez, surtout que le happy end est amené n'importe comment. Et on se désole d'avoir ici trop peu goûté la poésie et la sensibilité bien-aimée du cinéaste. Je reste donc assurément bloqué à son œuvre des 60's (Une chambre en ville ne m'avait pas complétement emballé mais ça reste bien plus appréciable que ce dernier opus).
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Re: Jacques Demy (1931-1990)

Message par Demi-Lune »

Max Schreck a écrit :Heureuse surprise aussi concernant Mathilda May. J'ai réalisé que je n'ai jamais vraiment eu l'occasion d'avoir un avis sur cette actrice et elle s'affirme ici comme une comédienne très convaincante, fraîche et naturelle, ainsi que comme une danseuse vraiment douée, ce que j'ignorais.
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Re: Jacques Demy (1931-1990)

Message par Lionel »

Le film est également l'aboutissement de l'oeuvre de Demy (ce que l'on ne pouvait certes pas deviner à l'époque) car l'inceste, sous-jacent dans la plus grande partie de ses films et directement évoqué dans Peau d'Ane est enfin réalisé, si j'ose dire.

Réalisé et dédramatisé : Montand comprend à la toute fin que Mathilda May est sa fille, et elle lui lance un regard qui semble dire "Oui, on ne savait pas, alors ce qui est fait est fait, passons à autre chose". Le film est de ce point de vue assez étonnant.
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