Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

boulgakov
Machino
Messages : 1038
Inscription : 8 févr. 08, 08:17
Localisation : Paris

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par boulgakov »

Tu as probablement raison de me reprendre sur le terme "délicat", pas forcément approprié pour bien parler de la scène du film de Pialat. Pourquoi j'aime la religiosité de cette scène? parce qu'elle est religieuse et prosaïque en même temps, elle est complexe et sensorielle.

Je ne dis pas juste "à la bonne distance", je dis "à la bonne distance pour filmer avec respect mais sans engagement".

Par contre, c'est vrai que je fonctionne pas mal au "détail sublime", ce qui fait que la cohérence molle m'ennuie très vite.
Mathématiques : dessèchent le coeur
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Strum »

boulgakov a écrit :Je ne dis pas juste "à la bonne distance", je dis "à la bonne distance pour filmer avec respect mais sans engagement". :wink:

Par contre, c'est vrai que je fonctionne pas mal au "détail sublime", ce qui fait que la cohérence molle m'ennuie très vite. :wink:
Je me méfie de l'argument selon lequel on peut se faire une idée du degré "d'engagement" d'un cinéaste en fonction de sa mise en scène. La mise en scène, qui relève notamment de la composition des plans et de leur rythme, c'est d'abord une question de talent visuel, qui est souvent inné et vient probablement en pratique avant toute notion d'engagement du cinéaste par rapport au sujet qu'il est en train de filmer. Dire à partir d'une mise en scène qu'un cinéaste n'est pas "engagé" (par "engagé", j'imagine que tu veux dire peu ou prou "sincère") cela relève pour moi de l'art divinatoire. Ou du procès d'intention pour Des hommes et des dieux si l'on dit que Beauvois n'a pas la foi.

S'agissant du détail et de la cohérence de l'ensemble : pour moi, mais tu l'auras compris, c'est exactement l'inverse. :wink: Un film peut bien contenir des détails sublimes, si je n'y perçois pas une cohérence d'ensemble, je ne l'aimerais sans doute pas. Ce ne sont pas mes sens qui sont importants, c'est le sens du film. Il ne faut pas d'ailleurs associer la cohérence et la mollesse. La cohérence c'est la vigueur d'une pensée et de sa mise en pratique. Et quelle vigueur il faut à certains cinéastes pour conserver dans chacun de ses plans, la cohérence de leur film contre vents et marées !
boulgakov
Machino
Messages : 1038
Inscription : 8 févr. 08, 08:17
Localisation : Paris

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par boulgakov »

Ttt tt tt, je ne voulais pas dire que la cohérence apporte la mollesse.
Pour moi la cohérence molle c'est celle qui ne m'implique pas, celle qui préexiste à l'oeuvre, qui n'a pas besoin du spectateur... la cohérence que j'admire c'est celle que je construis, en direct, avec le film... (à partir de ces détails sublimes)

Edit: à te relire, tu ne sous entendais pas que j'associais forcément cohérence et mollesse, je me suis un peu emporté...
Mathématiques : dessèchent le coeur
Avatar de l’utilisateur
Boubakar
Mécène hobbit
Messages : 52249
Inscription : 31 juil. 03, 11:50
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Boubakar »

Ratatouille a écrit :Je dirais juste que c'est pour moi le film de l'année : une oeuvre lumineuse, portée par une grâce inouïe, jouée à la perfection (les performances de Lambert Wilson et Michael Lonsdale sont hallucinantes), et possédant l'une des séquences les plus splendides que j'ai vues de ma vie (le dernier repas au son de Tchaïkovsky).
Un pur chef-d'oeuvre.
Voilà, pas mieux.
Je note aussi une scène absolument magnifique et lourde (pas dans le mauvais sens du terme) : celle où les frères se mettent à chanter alors qu'un hélico passe au-dessus d'eux, et leurs voix semblent si "transportées" qu'elles semblent repousser et devenir plus amples que tout.
C'est vraiment un film incroyable, difficile à décrire tant il est chargé en émotions.
Avatar de l’utilisateur
Colqhoun
Qui a tué flanby ?
Messages : 33435
Inscription : 9 oct. 03, 21:39
Localisation : Helvetica
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Colqhoun »

Pas un grand chose de plus à dire.
Un film porté par une grande humilité, modeste dans la description de ce monastère et de ses occupants. On s'immerge progressivement, allant à la rencontre de ces hommes de paix, bientôt confrontés à la brutalité. Ce fait est d'ailleurs amené par la seule force du montage qui fait se cotoyer des images d'une quiétude absolue avec d'autres qui dégagent toute la violence à venir et qui se chevauchent avec une grande brutalité. Pas vraiment nécessaire de revenir sur le casting, uniformément impressionnant. Lambert Wilson, fadasse d'habitude, trouve ici le rôle de sa carrière.

Un film à la fois âpre et lumineux, qui nous transporte au coeur des peurs et des interrogations de ces moines prêts à donner leur vie pour le bien de la communauté. Exemplaire en tous points.
"Give me all the bacon and eggs you have."
Alcade
Stagiaire
Messages : 93
Inscription : 20 sept. 10, 21:17
Localisation : Paris 13e

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Alcade »

De mon côté, une très grande réussite aussi.

Si j'ai eu un peu de mal à entrer dans le film durant le premier quart d'heure, le reste du film m'a ensuite totalement ébloui. C'est assez dur d'écrire quelque chose dessus, tant tout semble évident et vrai dans le film de Beauvois (pas vu le reste de sa filmo, mais je m'y attarderai à l'avenir).
La plus belle scène est celle de l'hélicoptère repoussé par la communion du chant des moines, qui m'a véritablement ému, au point d'en avoir les larmes aux yeux (c'est la 2e fois de ma vie que je pleure devant un film, la première fois étant devant l'Aurore) :shock:


N'ayant pas eu d'éducation religieuse, je n'ai jamais eu l'impression d'assister à un film religieux, mais plutôt d'un témoignage, à travers le martyre de ces 7 moines, d'un cheminement — universel, accessible à tous, catholique — d'un homme face à la mort et au doute.

J'ai trouvé subtil la façon dont Beauvois interroge cet acte suicidaire : les moines accèdent-ils au martyre simplement par pure nécessité ("sauver" le village) ou par une attirance destructrice envers ce sacrifice ?
Image
jay
Doublure lumière
Messages : 466
Inscription : 1 févr. 05, 00:36

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par jay »

Le film est difficilement attaquable de par son sujet, et pourtant j'avoue pour ma part de pas bien comprendre le concert de louanges qu'il suscite.
Une scène retient cependant mon intérêt: celle de la première rencontre entre le chef d'un groupe islamiste terroriste et la communauté de moines (Christian lui tenant alors tête et le terroriste lui faisant finalement montre de respect).
Pour moi, les moments les plus intéressants sont ceux se situant en dehors du monastère, qui décrivent (de manière malheureusement trop allusive) le contexte politique.
Le reste, contrairement à mes attentes compte tenu de ce que l'on peut lire ici ou là, manque totalement d'émotion, de grâce et de spiritualité. La faute à une mise en scène qui se veut austère et une photographie terne (Elles seules étaient pourtant capable de traduire la passion qui anime les personnages).
Paradoxalement, le réalisateur semble prendre conscience de ce fait en rompant totalement avec son principe à travers les deux scènes du film les plus commentées:
- La scène de l'hélicoptère, tellement convenue (et qui aurait sans doute était moquée chez n'importe quel réalisateur Hollywoodien)
- La dernière s(cène) qui fait appel aux gros plans, déjà évoqués, et surtout à la musique, totalement absente du reste du film, que le réalisateur s'était sans doute interdit dans son souci de naturalisme, et qu'il introduit maladroitement ici, en tentant de la justifier: pour lui, elle ne peut être que diégétique, provenant d'une cassette audio! Cela constitue pour moi une forme de mépris envers la musique de film: peu recommandable mais finalement bien utile pour tirer quelques larmes aux comédiens et spectateurs... Je ne m'étendrai pas sur le choix du Lac des cygnes que je trouve incongru et dont le sens m'a échappé (mais tout cela est personnel, comme le reste de ma critique, je le rappelle...)
Image
Tom Peeping
Assistant opérateur
Messages : 2365
Inscription : 10 mai 03, 10:20

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Tom Peeping »

Ce qui ont aimé le film ont déjà dit dans les posts du dessus ce que je pourrais en dire. Il y a longtemps qu'un film ne m'avait pas autant bouleversé, par son histoire, le jeu de ses acteurs et sa réalisation. La scène du dîner au son du "Lac des cygnes" est un moment d'émotion que j'ai rarement ressenti dans une salle de ciné.
En tant que cinéphile, je n'ai pas pu m'empêcher de rapprocher la scène de l'hélicoptère vs. le chant des moines de celle, très similaire dans son symbolisme, du Signe de la Croix de deMille, il y a près de 80 ans.
Autrement, les réactions des spectateurs des salles de cinéma (que je ne fréquente plus guère) ne cesseront de m'étonner :
Spoiler (cliquez pour afficher)
à la fin du film, quand le plus vieux moine se cache sous son lit, une spectatrice dans les 50 ans non loin de moi s'est mise à rire de bon coeur comme s'il s'agissait d'un burlesque.
... and Barbara Stanwyck feels the same way !

Pour continuer sur le cinéma de genre, visitez mon blog : http://sniffandpuff.blogspot.com/
Alcade
Stagiaire
Messages : 93
Inscription : 20 sept. 10, 21:17
Localisation : Paris 13e

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Alcade »

Tom Peeping a écrit :Autrement, les réactions des spectateurs des salles de cinéma (que je ne fréquente plus guère) ne cesseront de m'étonner :
Spoiler (cliquez pour afficher)
à la fin du film, quand le plus vieux moine se cache sous son lit, une spectatrice dans les 50 ans non loin de moi s'est mise à rire de bon coeur comme s'il s'agissait d'un burlesque.
J'ai aussi entendu des rires face à cette image. :|
Image
Avatar de l’utilisateur
Spongebob
David O. Selznick
Messages : 12782
Inscription : 21 août 03, 22:20
Last.fm
Liste DVD
Localisation : Pathé Beaugrenelle

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Spongebob »

Alcade a écrit :
Tom Peeping a écrit :Autrement, les réactions des spectateurs des salles de cinéma (que je ne fréquente plus guère) ne cesseront de m'étonner :
Spoiler (cliquez pour afficher)
à la fin du film, quand le plus vieux moine se cache sous son lit, une spectatrice dans les 50 ans non loin de moi s'est mise à rire de bon coeur comme s'il s'agissait d'un burlesque.
J'ai aussi entendu des rires face à cette image. :|
Pareil dans ma salle. Beaucoup ont ris lors de cette scène.
julien
Oustachi partout
Messages : 9039
Inscription : 8 mai 06, 23:41

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par julien »

On peut lire ici une critique du film par le journaliste Pierre Murat.
Image
"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
Avatar de l’utilisateur
Major Tom
Petit ourson de Chine
Messages : 22225
Inscription : 24 août 05, 14:28
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Major Tom »

julien a écrit :par le journaliste
J'ai déjà du mal avec cette appellation lorsqu'il s'agit de critiques de cinéma. Alors, Pierre Murat... :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
Eusebio Cafarelli
Passe ton Bach d'abord
Messages : 7895
Inscription : 25 juil. 03, 14:58
Localisation : J'étais en oraison lorsque j'apprends l'affreuse nouvelle...

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Eusebio Cafarelli »

Grande réussite.
Les acteurs sont tous remarquables, la mise en scène semble dépouillée mais je trouve que c'est la plus grande réussite du film. Au début l'univers des moines est identifié : orare, laborare et lectio divina (règle de Saint Benoît), la journée (et le film) étant rythmée par les offices liturgiques, temps de prière collective. L'identité cinématographique aussi est identifiée : le plan fixe, le panoramique face à la nature. Les premiers travellings, le mouvement donc, sont utilisés pour suivre un personnage qui vient du village algérien : le mouvement du monde est au dehors. Mais le village vit au rythme du monastère. C'est particulièrement visible lors de la fête (religieuse) autour du petit garçon : un peu de travelling, mais surtout des plans fixes et des panoramiques, pour finir par un rapprochement religieux dans un panoramique (de mémoire) qui envisage la foule (avec des moines) et finit sur l'imam qui chante une prière musulmane étonnamment proche du "Notre Père".

Puis, dans une 2e partie du film, c'est l'inverse : la caméra portée et le travelling, le mouvement du monde contaminent l'espace du monastère, qui résiste (alternance de plans fixes, mais aussi de travellings, suivant par exemple Lambert Wilson), et ce mélange culmine dans la scène de la Cène, avec Le Lac des Cygnes. Ce n'est pas la musique qui m'a touché (mais je l'ai redécouverte, mélange de joie, d'élan, et de désespoir), mais les mouvements de la caméra, qui semble se balancer avec Lonsdale apportant (malicieusement ?) du vin puis navigue parmi les moines, de gros plans en gros plans, reflétant le mouvement, le combat intérieur qui les anime, très proche du sens originel du mot "jihad" au passage (effort intérieur pour être un meilleur croyant), et qui me semble être le vrai sujet du film.

Le basculement de la menace terroriste à la menace militaire (avec la confrontation hélicoptère / monastère-voix) est intéressant aussi, et permet de ne pas choisir sur la culpabilité. L'effacement dans le blanc de la neige est très beau aussi.

J'aime enfin ces allusions discrètes à l'iconographie religieuse : clairs-obscurs, image de Lonsdale auscultant le corps noueux defrère Amédée... Par exemple le terroriste blessé, que soigne Lonsdale, est présenté allongé dans un beau rappel à la fois de Mantegna et du Che, je trouve...
ImageImage
Strum
n'est pas Flaubert
Messages : 8464
Inscription : 19 nov. 05, 15:35
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Strum »

J'aime beaucoup ta critique et la manière dont tu analyses le film au travers de sa mise en scène Eusebio. :)
Avatar de l’utilisateur
Colqhoun
Qui a tué flanby ?
Messages : 33435
Inscription : 9 oct. 03, 21:39
Localisation : Helvetica
Contact :

Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Colqhoun »

Eusebio Cafarelli a écrit :J'aime enfin ces allusions discrètes à l'iconographie religieuse : clairs-obscurs, image de Lonsdale auscultant le corps noueux defrère Amédée... Par exemple le terroriste blessé, que soigne Lonsdale, est présenté allongé dans un beau rappel à la fois de Mantegna
Je ne connaissais ni le nom de l'artiste, ni de l'oeuvre, mais c'est aussi cette image qui m'est venue à l'esprit lors de cette scène.
Et je me suis rappelé Le Caravage lors de l'auscultation de Amédée.

J'ai pu lire à plusieurs reprises que la photographie était quelconque et la réalisation peu inspirée, alors que l'on est face à un film à l'image travaillée avec une minutie quasi-maniaque.
Rien ici n'est laissé au hasard et, d'une certaine manière ça m'a rappelé le travail de Bruno Dumont, dans ce mélange parfait d'une forme de réalisme traité par le biais d'une réalisation sophistiquée et d'un travail de composition digne de certains grands photographes.

On est loin, très loin, d'un film à la réalisation quelconque, mais qui nécessite, à mon sens, une certaine éducation du regard pour pouvoir pleinement apprécier ce qu'il nous propose (je ne parle ici qu'en terme d'image).
"Give me all the bacon and eggs you have."
Répondre