Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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MJ
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par MJ »

Strum a écrit :
Gounou a écrit :Décrit de la sorte, ça m'évoque Ford... any connection ?
Non, pas vraiment. C'est moins mélancolique, moins sentimentale et beaucoup plus austère que Ford. Et puis en termes de mise en scène, même si j'ai beaucoup aimé le film, c'est quand même moins beau.
Beauvois quant à lui revendique l'influence de Leone. Il passait d'ailleurs la musique d'Il Etait une Fois dans l'Ouest sur le tournage.
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Strum
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Strum »

MJ a écrit :Beauvois quant à lui revendique l'influence de Leone. Il passait d'ailleurs la musique d'Il Etait une Fois dans l'Ouest sur le tournage.
Oui, au moment de l'arrivée de l'armée algérienne, j'ai lu ça. Il y a effectivement quelque chose de Leonien lorsqu'il filme le visage du chef fixant les moines, et dans quelques gros plans à la fin. Pour le reste, cette influence ne me parait pas non plus manifeste.
Nomorereasons
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Nomorereasons »

Blue a écrit : Vous m'excuserez...
Mon cher Blue, en tant que catholique limite intégriste je t'excuse sans problème étant donné que le ronflant du titre du film m'en éloigne, je le sens, pour un petit bout de temps.
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Boubakar
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Boubakar »

yaplusdsaisons a écrit :
Blue a écrit : Vous m'excuserez...
Mon cher Blue, en tant que catholique limite intégriste je t'excuse sans problème étant donné que le ronflant du titre du film m'en éloigne, je le sens, pour un petit bout de temps.
Alors, tu es catholique, en plus d'être juif et protestant ? :lol:
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Nomorereasons »

Boubakar a écrit :
yaplusdsaisons a écrit :
Mon cher Blue, en tant que catholique limite intégriste je t'excuse sans problème étant donné que le ronflant du titre du film m'en éloigne, je le sens, pour un petit bout de temps.
Alors, tu es catholique, en plus d'être juif et protestant ? :lol:
Catholique oui, Juif à la rigueur, mais protestant??
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par tewoz »

yaplusdsaisons a écrit :
Boubakar a écrit :
Alors, tu es catholique, en plus d'être juif et protestant ? :lol:
Catholique oui, Juif à la rigueur, mais protestant??
tu protestes?
Vous venez de lire un message de tewoz, ca vous a pas rendu plus intelligent, mais ca aurait pu...
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Nomorereasons
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Nomorereasons »

tewoz a écrit :
yaplusdsaisons a écrit :
Catholique oui, Juif à la rigueur, mais protestant??
tu protestes?
OUI.
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Mama Grande! »

Strum a écrit :
MJ a écrit :Beauvois quant à lui revendique l'influence de Leone. Il passait d'ailleurs la musique d'Il Etait une Fois dans l'Ouest sur le tournage.
Oui, au moment de l'arrivée de l'armée algérienne, j'ai lu ça. Il y a effectivement quelque chose de Leonien lorsqu'il filme le visage du chef fixant les moines, et dans quelques gros plans à la fin. Pour le reste, cette influence ne me parait pas non plus manifeste.
L'utilisation du lac des cygnes m'a en effet beaucoup fait penser à Leone.
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par boulgakov »

Strum a écrit :
Gounou a écrit :Décrit de la sorte, ça m'évoque Ford... any connection ?
Non, pas vraiment. C'est moins mélancolique, moins sentimentale et beaucoup plus austère que Ford. Et puis en termes de mise en scène, même si j'ai beaucoup aimé le film, c'est quand même moins beau.
Oui, Frontière chinoise c'était autre chose.

c'était un commentaire constructif de boulgakov
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Joe Wilson »

Des hommes et des dieux confirme mon attachement à l'oeuvre de Xavier Beauvois. Comme Strum, j'insisterai sur le rythme, qui offre au film sa rigueur et sa respiration. Chaque scène vit pour et par elle-même...et si le procédé semble parfois déroutant lors des premières minutes, la limpidité de la mise en scène emporte très vite l'adhésion. La sécheresse du montage permet de ressentir la présence, dense et poignante, du lien communautaire. Ce lien qui est le reflet d'une ouverture aux autres, enraciné dans un vécu, l'émotion d'avoir donné pour et grâce à une terre, un pays.
Beauvois se concentre jusqu'au bout sur ce cheminement, prolongement d'une réflexion intime. Entre la douleur d'une remise en question permanente, et l'apaisement d'une sérénité affirmée, le film trouve son équilibre dans l'expression d'un balancement fragile. Qui monte en puissance jusqu'à l'aboutissement du "Lac des Cygnes"...où en effet, les vagues de Tchaikovsky retrouvent la lueur d'intensité des premières fois.
Dernière modification par Joe Wilson le 29 sept. 10, 00:07, modifié 4 fois.
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par boulgakov »

Je rejoins l'avis de Blue.// bondieuserie, c'est exagéré, il n'empêche qu'il y a nunucherie, dans le rapport des moines aux algériens, dans leur solennité tantôt bavarde, tantôt caricaturalement silencieuse (et ce malgré la pointe d'humour qu'est sensé apporter Michael Lonsdale)... peut-être est-ce parce que, comme le dit Beauvois, c'est un film catholique fait par un athé. Le tout ressemble à un téléfilm, aux dossiers de l'écran. Vite oublié.
Peut-être que la seule scène qui surprend, qui élève le niveau, est celle de l'hélicoptère qu'évoque Strum... Folie, résistance, abnégation, peur, il y a un peu de tout ça qui passe alors.

Et puis, pendant une heure, il faut se taper ce montage alterné de scènes du quotidien et de chants sacrés, aux cordes tellement grosses qu'il finit par énerver... ou endormir. Moi je me suis endormi.

(enfin, je suis d'accord avec Blue... sauf sur Hadewijch. Il y a des dizaines de plans splendides et troubles dans le film de Dumont. Et, par exemple, si Beauvois avait réussi à placer parmi ses (nombreux) inserts paysagiers ne serait-ce qu'une image à la beauté aussi inattendue que celle des cours de cité dans Hadewijch, et bien son film y aurait pas mal gagné.)(les plans de cité ne sont pas les plus beaux d'Hadewijch, mais c'est pour comparer, de paysage à paysage)
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Strum
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Strum »

boulgakov a écrit :il n'empêche qu'il y a nunucherie, dans le rapport des moines aux algériens, dans leur solennité tantôt bavarde, tantôt caricaturalement silencieuse (et ce malgré la pointe d'humour qu'est sensé apporter Michael Lonsdale)... peut-être est-ce parce que, comme le dit Beauvois, c'est un film catholique fait par un athé. Le tout ressemble à un téléfilm, aux dossiers de l'écran. Vite oublié.
J'ai lu au contraire que selon plusieurs représentants du clergé régulier, les scènes de silence ou de dialogues entre les moines rendaient compte avec beaucoup de véracité de la vraie vie d'un monastère. Un conseiller monastique a d'ailleurs été présent de bout en bout sur le tournage et garantissait l'authenticité de ces scènes. Je leur fais confiance sur ce point, n'ayant moi-même jamais vécu parmi des moines dans un monastère et n'étant donc pas à même de juger si ces scènes étaient "caricaturales". Elles m'ont en tout cas paru très naturelles, de même que les scènes avec les algériens. Sinon, le personnage de Lonsdale n'est pas "censé" apporter de "l'humour". Prises en elles-mêmes aucune de ses phrase n'est drôle. Il apporte simplement la chaleur et la bienveillance particulières dont la nature l'a doté.

Enfin, l'argument du film catholique fait par un athée ne me parait pas valide, de même qu'il n'est pas valide non plus appliqué au sublime Evangile selon Saint Matthieu de Pasolini (il y aurait beaucoup d'autres exemples à trouver).
Et, par exemple, si Beauvois avait réussi à placer parmi ses (nombreux) inserts paysagiers ne serait-ce qu'une image à la beauté aussi inattendue que celle des cours de cité dans Hadewijch, et bien son film y aurait pas mal gagné.)(les plans de cité ne sont pas les plus beaux d'Hadewijch, mais c'est pour comparer, de paysage à paysage)
Tu n'as pas trouvé beaux les derniers plans du monastère sous la neige au son du testament de Christian ?
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par ed »

Strum a écrit :
boulgakov a écrit :il n'empêche qu'il y a nunucherie, dans le rapport des moines aux algériens, dans leur solennité tantôt bavarde, tantôt caricaturalement silencieuse (et ce malgré la pointe d'humour qu'est sensé apporter Michael Lonsdale)... peut-être est-ce parce que, comme le dit Beauvois, c'est un film catholique fait par un athé. Le tout ressemble à un téléfilm, aux dossiers de l'écran. Vite oublié.
J'ai lu qu'au contraire les scènes silencieuses entre les moines rendaient compte avec beaucoup de véracité de la vraie vie d'un monastère. Un conseiller monastique a d'ailleurs été présent de bout en bout sur le tournage et garantissait l'authenticité de ces scènes. Je lui fais confiance sur ce point, n'ayant moi-même jamais vécu parmi des moines dans un monastère et n'étant donc pas à même de juger si ces scènes étaient caricaturales. Elles m'ont en tout cas paru très naturelles
Par une coïncidence non anticipée, j'ai pu en quelques jours assister à un office de la communauté monastique de Fontgombault (une grosse vingtaine de religieux vivant en autarcie, dans le dénuement intégral), dans l'Indre, puis à la projection de Des hommes et des dieux. Pour ce que mon jugement très ponctuel peut valoir, j'ai été saisi par la similarité des atmosphères.
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par boulgakov »

Strum a écrit : J'ai lu au contraire que selon plusieurs représentants du clergé régulier, les scènes de silence ou de dialogues entre les moines rendaient compte avec beaucoup de véracité de la vraie vie d'un monastère. Un conseiller monastique a d'ailleurs été présent de bout en bout sur le tournage et garantissait l'authenticité de ces scènes. Je leur fais confiance sur ce point, n'ayant moi-même jamais vécu parmi des moines dans un monastère et n'étant donc pas à même de juger si ces scènes étaient "caricaturales". Elles m'ont en tout cas paru très naturelles, de même que les scènes avec les algériens. Sinon, le personnage de Lonsdale n'est pas "censé" apporter de "l'humour". Prises en elles-mêmes aucune de ses phrase ne sont drôles. Il apporte simplement la chaleur et la bienveillance particulières dont la nature l'a doté.
Peut-être est-ce réaliste, cela m'importe peu. Quand je parle de caricature, ce n'est pas forcément d'une caricature de la réalité, mais plutôt d'une caricature de ce que l'on peut attendre de la représentation, étant donné le sujet. Pour moi une des plus belles scènes religieuses du cinéma récent c'est Maurice Pialat rasant le sommet du crâne de Depardieu en ouverture de "Sous le soleil de Satan", parce qu'il y a le son discret et entêtant du rasoir, la voix délicate et supérieure de Pialat, le trouble qui se lit, déjà, sur le visage de Depardieu. Rien de tout ça dans des hommes et des dieux, aucune expression ne surprend, la caméra est toujours là où on l'attend, à la bonne distance pour filmer avec respect mais sans engagement.

Tu n'as pas trouvé beaux les derniers plans du monastère sous la neige au son du testament de Christian ?
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Re: Des hommes et des dieux (Xavier Beauvois - 2010)

Message par Strum »

boulgakov a écrit :Peut-être est-ce réaliste, cela m'importe peu. Quand je parle de caricature, ce n'est pas forcément d'une caricature de la réalité, mais plutôt d'une caricature de ce que l'on peut attendre de la représentation, étant donné le sujet. Pour moi une des plus belles scènes religieuses du cinéma récent c'est Maurice Pialat rasant le sommet du crâne de Depardieu en ouverture de "Sous le soleil de Satan", parce qu'il y a le son discret et entêtant du rasoir, la voix délicate et supérieure de Pialat, le trouble qui se lit, déjà, sur le visage de Depardieu. Rien de tout ça dans des hommes et des dieux, aucune expression ne surprend, la caméra est toujours là où on l'attend, à la bonne distance pour filmer avec respect mais sans engagement.
Dans ton précédent post, déjà tu soulignais que tu attendais de "l'inattendu", de la "surprise" au cinéma. Cela me frappe par ce que je ne fonctionne pas comme cela. L'inattendu n'est pas forcément un critère de qualité, l'essentiel étant la cohérence formelle et thématique du film, et à ce titre Des hommes et des dieux est un film très cohérent. Savoir mettre sa caméra à la bonne distance est important (et n'a pas à voir avec un quelconque "engagement" du cinéaste, mais avec la qualité de son "oeil"), et c'est ce que fait effectivement Beauvoix, notamment dans la scène du Lac des Cygnes où figurent les seuls vrais gros plans du film (heureuse idée qui confère à cette scène toute son intensité). J'ai en tout cas cette chance de ne pas avoir d'attentes particulières en allant voir un film ou du moins je ne suis pas capable d'imaginer à l'avance ce que je vais voir (sauf quand je vois l'adaptation d'un livre). C'est peut-être pour cela que je suis meilleur public que toi.

S'agissant de la scène de Sous le soleil de Satan dont tu parles, la comparaison est intéressante parce qu'elle m'avait paru très prosaïque, pas religieuse pour un sous, et le son de la voix de Pialat m'avait paru plat et absolument pas "délicat". C'est sûr qu'on n'y entend pas les nuances de la voix de Lonsdale. De manière générale, d'ailleurs, ayant lu le livre de Bernanos au préalable, j'avais été surpris par le film de Pialat et sa volonté de filmer de manière prosaïque, sobre et terrienne, les mystères de la sainteté et les souffrances de l'abbé Donissan. D'abord un peu rebuté par cette approche qui ne rend pas justice à la puissance et au lyrisme du style de Bernanos, j'avais finalement été conquis par le film comme je l'avais dit dans le topic idoine (http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... =3&t=13413) et ma critique du film que je reproduis ci-dessous à toute fin utile:
"Voici l'heure du soir qu'aima P-J Toulet. Voici l'horizon qui se défait - un grand nuage d'ivoire au couchant et, du zénith au sol, le ciel crépusculaire, la solitude immense, déjà glacée, - plein d'un silence liquide…Voici l'heure du poète qui distillait la vie dans son cœur, pour en extraire l'essence secrète, embaumée, empoisonnée.
Déjà la troupe humaine remue dans l'ombre, aux milles bras, aux milles bouches ; déjà le boulevard déferle et resplendit…"

Comment adapter au cinéma la langue éblouissante de Bernanos, dont l'ouverture de Sous le Soleil de Satan, que j'ai reproduite ci-dessus, ne peut donner qu'une première idée ? Comment traduire en images, sans que celles-ci versent dans le grand guignol, les évènements surnaturels d'un roman où Donissan, abbé puis "Saint de Lumbres", tente d'arracher des bras de Satan les pêcheurs de sa paroisse au péril de son âme.

Voici en peu de mots qu'elle était la gageure de Pialat lorsqu'il se lança, près de 20 ans après en avoir conçu le projet, dans une adaptation du prodigieux premier roman de Bernanos (1926).

Pialat surmonte d'abord cette double difficulté en plantant ses images, cadrées frontalement, dans les chaussées boueuses du pays d'Artois, en faisant rentrer sa caméra à l'intérieur des fermes des métayers et des maisons modestes des curés de villages normands. En faisant appel à la réalité des lieux traversés, il veut rendre les miracles de Donissan aussi naturels, aussi proches de nous qu'ils le sont dans le roman. Et ces évènements, Pialat les filme comme les gestes du quotidien, les éclairant d'une lumière qui semble toujours naturelle, si l'on excepte la nuit américaine dans laquelle baigne la rencontre entre Donissan et Satan. Car Pialat fait sienne la leçon de Bernanos selon laquelle la grâce accordée au Saint est au quotidien une croix et c'est donc dans la médiocrité du quotidien qu'il faut la montrer. Tout acte de bonté est payé en retour par la souffrance. L'ambivalence fondamentale de la nature humaine fait que le Saint est un lutteur soufflant comme un buffle, pleurant de sa condition et de son impuissance, agissant sous le coup d'une impulsion puis regrettant son geste, constamment en proie au doute et au désespoir (Bernanos et Dostoïevski partagent d'ailleurs un même don : bien que croyants, c'est lorsqu'ils évoquent le mal et la douleur qu'ils parlent le mieux et touchent les coeurs). Et c'est dans cette perspective là que Sous le Soleil de Satan n'est pas si différent du reste de l'œuvre de Pialat et du comportement changeant et contradictoire de ses personnages.

Incarnant cette grande masse errant dans les prés et les bocages, se détachant, solitaire et courbé, sur de vertes prairies battues par les vents où semble se réfléter le ciel (superbes plans), Depardieu est formidable en Donissan. Pour que transparaisse sa lutte intérieur avec le démon, Pialat s'en remet au Verbe de Bernanos, à ces monologues exaltés qu'il reprend parfois intégralement où les mots dans le livre semblent rouler en un bruit de tonnerre. Mais, Depardieu reste le Donissan de Pialat, non celui de Bernanos ; manque pour cela cette rage incroyable qui frémit sous les mots de Bernanos, ce bouillonnement du pamphlétaire qui affleure de page en page, et que Depardieu, qui chuchote ses mots ne peut faire valoir que sporadiquement. Reste Sandrine Bonnaire, parfaite en Mouchette, au plus près de Bernanos.

D'un point de vue structurel, le film est un modèle d'adaptation, Pialat et Sylvie Danton ayant condensé une histoire s'étendant sur quarante années en une poignée de mois, émondé du récit les intrigues et personnages secondaires, tout en conservant les morceaux de bravoure du livre et surtout (le plus important) son sens général et ses thèmes. Magie du cinéma qui nous donne à sentir en une heure et demi certains des parfums d'un livre de 300 pages.

Enfin, je me dois d'évoquer cette curieuse impression de décalage (que j'avais déjà ressentie en voyant Van Gogh où visuellement, Pialat s'inspirait davantage des peintures de Renoir que de celles de Van Gogh) entre l'art de Pialat, assez austère et celui de Bernanos, tout en emphase fiévreuse et rapide (que l'on songe au terrible défi lancé dans la dernière phrase du roman, écrite par Bernanos en lettres capitales et absente du film : "TU VOULAIS MA PAIX, S'ECRIT LE SAINT, VIENT LA PRENDRE!") C'est que les artistes admirent souvent leur contraire dans la forme. Sans doute était-ce ici la seule manière de rendre crédible au cinéma un tel récit (on peut assez facilement imaginer ce qu'un cinéaste d'action ferait d'une telle histoire de chasseur de démons) tout en conservant la langue de Bernanos; et puis il est de l'essence du cinéma que l'art du cinéaste prenne le pas sur celui de l'auteur adapté en donnant au récit son encadrement visuel. Mais pour ceux qui n'ont pas la chance de connaitre Bernanos, lisez le livre.
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