Jude de Michael Winterbottom (1996)
A la fin du 19e siècle, Jude, un jeune paysan auquel son maître d'école, Phillotson, a fait prendre conscience que l'élévation sociale passe par le savoir, rêve de s'inscrire à l'université voisine de Christminster. Après l'échec de son union avec Arabella, il part pour Christminster où il veut poursuivre ses études tout en gagnant sa vie comme tailleur de pierres. Il fait la connaissance de Sue, sa belle cousine à l'esprit indépendant...
Ayant terminé récemment le roman de Thomas Hardy
Jude l'Obscur j'étais assez curieux de découvrir cette adaptation très réputée de Winterbottom. Grosse déception puisque paradoxalement tout en respectant très fidèlement la trame du roman, Winterbottom passe complètement à côté de l'essentiel. Le roman narrait comment la société anglaise fermée et opressante de l'époque entravait dans un premier temps les aspirations intellectuelle et d'élévation sociale de son héros Jude aux origines rurales modeste, puis comment son union libre avec sa cousine en faisait les proie de la vindicte morale.
L'aspect concernant le savoir est sans doute le plus raté. Passé une belle scène d'ouverture, l'attrait quasi mystique exercé par Christminster la cité universitaire sur Jude est totalement absent et son goût et plaisir d'acquérir de la connaissance ne se ressent absolument pas (ce n'est pas quelque vagues scènes ou on le voit lire du latin et du grecs qui suffisent). Du coup lorsque ses ambitions échouent à cause de sa provenance modeste on ne ressent absolument pas la même détresse, puisque le film n'a pas insisté là dessus pour embrayer dès le début sur le mariage raté avec Arabella assez expédiée et où la prestation de Rachel Griffiths n'est guère convaincante.
La relation avec la cousine Sue ensuite prouve le total manque de vision de Winterbottom, qui respecte vraiment le roman mais illustre ses thèmes et idées de manières brouillonnes. Sue est dans le livre un personnage très moderne, mais à la fois très ambivalent dans son amour pour Jude et décrite comme frigide et dépourvue de sensualité charnelle. Elle se donne à son mari par obligation et ne cèdera à Jude que quand elle se sentira menacé par une autre femme. Cette idée qui s'exprime en filigrane de manière subtile, Winterbottom la résume en une scène où Sue s'offre enfin à Jude (et un passage un peu gratuit de Kate Winslet nue) son aversion du sexe passant presque pour de la simple timidité. C'est cette propension à aller au dénominateur le plus simple et basique systématiquement qui est le plus agaçant à la longue.
Le poids moral de la société sur le couple illégitime (encore plus dans le film où ils ne divorcent pas) entre Jude et Sue était une vraie toile de fond du livre pesant comme une chape de plomb sur les héros. Là encore jamais on ne ressent cette toile de fond, Winterbottom fait ce qu'il faut et case fidèlement les passages exprimant cette idée mais jamais de manière tellement terne et mécanique que ça ne fonctionne presque jamais sauf vers les derniers instants du film. Le sort dramatique des enfants du couple est repris également mais perd tout sa puissance tant la culpabilité qui suit est loin de la conclusion terrible du livre, le retour de Sue à la piété après ses élans modernes est moins sacrificielle et pitoyable (et le personnage de Philoston est vraiment sacrifié). Autre poin noir Winterbottom a semble t il choisi la voie de l'adaptation austère donc on ne ressent aucun souffle, les scènettes s'enchaînent (très fidèlement reprenant même le chapitrage par lieu du livre) machinalement, sans saveur ni passion et faisant plus office de transposition scolaire que d'une adaptation pensée.
Les acteurs sauvent tout de même pas mal la chose. Kate Winslet compose une Sue magnifique, sa prestation exprime tout ce que Winterbottom peine à transcrire : la séduction, la modernité mais aussi le côté torturé et indécis. Christopher Eccleston même si jouant trop sur la retenue est néanmoins convaincant en Jude et le couple avec Winslet est vraiment puissant et touchant, le seul vrai atout du film par ailleurs réalisés de façon assez transparente, aucun moment fort ne ressortant vraiment. Comme quoi si on pas saisi l'essence d'une oeuvre, même une adaption quasi littérale peut être complètement ratée... 2,5/6