Raoul Walsh (1887-1980)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Julien Léonard
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Julien Léonard »

L'enfer est à lui (White heat) - 1949 :

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Voilà 10 ans que James Cagney n'avait pas tourné dans la peau d'un gangster, et autant dire que ces retrouvailles en forme de feu d'artifice se doublent d'une collaboration de génie : Raoul Walsh est à la mise en scène, le même réalisateur qui avait dirigé The roaring twenties 10 ans plus tôt. On pouvait légitimement s'attendre à un grand film... Ce fut le cas, et bien plus encore !

Chez les grands réalisateurs de l'âge d'or du cinéma américain, on est toujours stupéfait par la somme de grands films qu'ils étaient capables de réaliser, et cela souvent dans tous les genres (ou presque). Des filmographies la plupart du temps équilibrées et maitrisées, comportant quelques fautes de parcours, mais trop insuffisamment pour en gâcher la réputation. Mais, de ces filmographies, se dégagent bien souvent ce que l'on appelle des "sommets". Chez Walsh, les sommets furent nombreux, à commencer par They died with their boots on, Gentleman Jim ou encore Objective Burma (et ce ne sont pas les seuls). White heat est l'un de ces sommets, indubitablement !

Au-delà d'un récit classique de "film de gangsters", c'est également tout un rapport avec le film noir contemporain de l'époque qui s'exprime, avec la sécheresse et la concision d'un regard acerbe et destructeur. Quelle différence entre l'œuvre léchée et tournée en studios qu'est The big sleep de Hawks, et ce véritable film d'action contrarié (souvent filmé en décors naturels) littéralement transcendé par Walsh ! Deux chefs-d'oeuvre, deux visions d'un genre, deux films mythiques, deux recettes esthétiques largement différentes... White heat (bénéficiant pour l'occasion d'un titre français magnifique : L'enfer est à lui) est un film de rythme, de précision remarquable, au timing rigoureux et au sujet démultiplié. Un parcours psychologique intense et dangereux mélangeant, pêle-mêle, une mère venue des enfers, une fiancée qui "survit" dans un univers impitoyable, une camaraderie constituée de faux semblants, et une police que rien n'arrête, au milieux desquels n'existe qu'une seule vérité, celle de Cody Jarett. Incarné par James Cagney, ce personnage de fiction devient sans l'ombre d'un doute l'un des plus passionnants de sa décennie. Cagney est habité par son rôle, il le vit jusqu'au bout, l'anime d'expressions tantôt barbares, tantôt profondément humaines, et se laisse emporter par des crises de folie totalement terrifiantes. Je retiendrais pour ma part deux séquences exemplifiant ce dernier propos... La scène du réfectoire en prison où Cagney, en totale improvisation, parvient à exploser furieusement, sombrant définitivement dans la folie la plus pure et dans une justesse qui interpelle sur la véritable expérience de vie de l'acteur (bon sang, mais d'où-tire-t'il une interprétation aussi énorme et aussi vraie ?!). Puis ensuite, la scène où, sous un arbre, en pleine nuit, il narre ses conversations nocturnes avec sa mère à son compagnon de crime (qui n'est autre que le flic infiltré dans la bande) : ahurissant de vraisemblance et de vérité, encore une fois. Je me fiche bien de savoir qui a eu l'Oscar du meilleur acteur cette année là, car il me semble que Cagney méritait cette récompense plus qu'aucun autre à ce moment précis. Aujourd'hui encore, sa prestation demeure marquée et sincère, naturelle et énergique, bref, tout à fait moderne.

Reste alors l'ensemble du film que l'on pourrait louer à n'en plus finir, mais que l'on pourrait résumer assez grossièrement par ces quelques qualificatifs : une musique tonitruante (encore Max Steiner et ses partitions absolument géniales), un scénario complexe et très riche (que ce soit thématiquement ou simplement diégétiquement), une enquête policière parallèle détaillée et convaincante (c'est incroyable de voir tout ce dont on était capable déjà à l'époque), une distribution exemplaire (comme dans tout film de Walsh qui se respecte... Ici, Virginia Mayo impeccable, Edmond O'Brien dans l'une de ses performances les plus convaincantes, Margaret Wycherly en mère littéralement unique au monde...), une photographie sublime et contrastée mettant largement en vedette des décors tous plus étonnants les uns que les autres (la maison en rase campagne, l'intérieur du camion-citerne, l'usine presque science-fictionnaire à la fin...) et un montage cut et "coup de poing" donnant une pèche d'enfer au déroulement de l'intrigue.

Un film noir âpre et violent, qui démarre au quart de tour et passe les vitesses avec un sens de l'action franchement grisant. Key Largo de Huston, l'année précédente, mettait déjà brillamment en scène la figure du gangster perdu dans une époque qui ne lui offre plus de place, mais Walsh réalise une œuvre très largement supérieure. Un condensé de plaisir et d'ambiguïté, culminant dans un dénouement aussi somptueux que violent, et qui n'a rien perdu de son sel depuis plus de 60 ans. Un immense classique.
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Phnom&Penh
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Phnom&Penh »

Une très intéressante analyse de quelques photos du tournage de Pillars of Society, un film disparu de Raoul Walsh, tourné en 1916 et qui est l'adaptation d'une pièce d'Ibsen:

Photo, théâtre et cinéma: Raoul Walsh et Ibsen, Cinémarchives

Un film réalisé pour la Triangle, sur laquelle le même auteur a fait l'article suivant:

Origines de la Triangle Film Corporation, Cinemarchives

Suivi de quelques précisions supplémentaires de Kevin Brownlow:

A letter of Kevin Brownlow on Triangle, Cinemarchives
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Phnom&Penh »

Un texte que j'ai trouvé très sympa, de Tag Gallagher, sur Raoul Walsh. Il est accompagné d'une filmographie complète avec notation de Gallagher (comme d'habitude, on peut ne pas être d'accord mais c'est intéressant), une bibliographie indiquant pas mal d'articles anciens en français. Par contre les liens Web en fin de page ne sont plus actifs.

Senses of cinema, directors, Raoul Walsh by Tag Gallagher
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Tancrède »

sauf erreur de ma part, ce texte a été publié en Français par les Cahiers lors d'un numéro spécial Walsh
Julien Léonard
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Julien Léonard »

Le roi et quatre reines (The king and four queens) - Réalisé par Raoul Walsh (1956) :

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Bon, ce n'est pas encore cette fois-ci que Walsh me décevra. Le roi et quatre reines est un western atypique, régulièrement parcouru par des accents de comédie, notamment au travers de dialogues piquants et ciselés. Cette histoire de gentleman voleur venu dépouiller ces quatre veuves d'une fortune de 100 000$ est savoureuse, surtout que le monsieur n'avait pas forcément prévu un rempart quasiment insurmontable : la marâtre, mère des quatre hommes ayant épousé ces femmes, capable de tout faire pour garder secret l'emplacement de ce trésor, en vue de le donner à l'un de ses fils peut-être encore vivant. Rarement chasse à l'or aura été aussi élégante au cinéma, entre un Clark Gable plus séducteur que jamais (avec ce soupçon de recul sur lui-même) et quatre très jolies jeunes actrices à l'érotisme aussi délicat que furieux, tel le feu sous une glace craquelée et prête à fondre. Mention spéciale à Sara Shane, magnifique blonde, et surtout au véritable bijou plastique du film : Eleanor Parker. Cette rousse tout feu tout flamme ensorcèle le regard avec une prestance haute en charisme. Après des films tels que Scaramouche, Fort Bravo ou encore Celui par qui le scandale arrive, cette actrice me ravit décidément ! Même au sein d'un casting presque exclusivement féminin, on la repère et on ne voit qu'elle, ou presque... Car la mère campée par Jo Van Fleet s'avère particulièrement prépondérante : sacré rôle, pour une sacrée actrice. Les coups de feu sont aussi rares que les dialogues à résonance phallique sont nombreux : jamais vulgaire, refusant l'aseptisation encore souveraine à l'époque dans l'univers du cinéma hollywoodien, mais que seuls de grands cinéastes tels que Walsh savaient contourner afin d'en parler avec une justesse et un raffinement aujourd'hui disparus. Pas un chef-d'oeuvre, certes, mais un excellent film, court et sans détour, classieux et sophistiqué. Un jalon supplémentaire non négligeable dans l'étonnante et unique filmographie du réalisateur.
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Jeremy Fox
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Jeremy Fox »

Julien Léonard a écrit :surtout au véritable bijou plastique du film : Eleanor Parker. Cette rousse tout feu tout flamme ensorcèle le regard avec une prestance haute en charisme. Après des films tels que Scaramouche, Fort Bravo ou encore Celui par qui le scandale arrive, cette actrice me ravit décidément ! Même au sein d'un casting presque exclusivement féminin, on la repère et on ne voit qu'elle, ou presque... .
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Certainement l'une de mes 5 actrices préférées dans le cinéma hollywoodien.
Julien Léonard
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Julien Léonard »

Jeremy Fox a écrit :
Julien Léonard a écrit :surtout au véritable bijou plastique du film : Eleanor Parker. Cette rousse tout feu tout flamme ensorcèle le regard avec une prestance haute en charisme. Après des films tels que Scaramouche, Fort Bravo ou encore Celui par qui le scandale arrive, cette actrice me ravit décidément ! Même au sein d'un casting presque exclusivement féminin, on la repère et on ne voit qu'elle, ou presque... .
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Certainement l'une de mes 5 actrices préférées dans le cinéma hollywoodien.
Elle me fait beaucoup d'effet en tout cas. :oops:
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par joe-ernst »

Julien Léonard a écrit :
Jeremy Fox a écrit :
8) 8) 8)

Certainement l'une de mes 5 actrices préférées dans le cinéma hollywoodien.
Elle me fait beaucoup d'effet en tout cas. :oops:
As-tu vu The Naked Jungle ? Elle y est sublime... :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Jeremy Fox »

joe-ernst a écrit :
Julien Léonard a écrit :
Elle me fait beaucoup d'effet en tout cas. :oops:
As-tu vu The Naked Jungle ? Elle y est sublime... :wink:
Oui bien sûr :) ; elle est tout autant sublime dans Detective Story et porte The Seventh Sin sur ses épaules car sans elle il aurait très bien se révéler d'un ennui mortel.
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par joe-ernst »

Jeremy Fox a écrit :Oui bien sûr :) ; elle est tout autant sublime dans Detective Story et porte The Seventh Sin sur ses épaules car sans elle il aurait très bien se révéler d'un ennui mortel.
D'accord, mais le Technicolor semble avoir été inventé pour elle... :wink:
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Jeremy Fox
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Jeremy Fox »

joe-ernst a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Oui bien sûr :) ; elle est tout autant sublime dans Detective Story et porte The Seventh Sin sur ses épaules car sans elle il aurait très bien se révéler d'un ennui mortel.
D'accord, mais le Technicolor semble avoir été inventé pour elle... :wink:
Pour elle et Rhonda Fleming ; le Technicolor sied parfaitement aux rousses flamboyantes !
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Federico »

Le bouquin a peut-être déjà été cité dans ce sujet (je découvre qu'il a même eu droit à une belle analyse dvdclassikos http://www.dvdclassik.com/Critiques/livre_walsh.htm) mais il faut absolument dévorer l'autobiographie de Walsh (écrite de sa main et non par un ghost-writer) Un demi-siècle à Hollywood ! Non seulement, c'est truffé d'anecdotes sur les tournages mais c'est incroyablement velu, costaud et (très) souvent à se pisser dessus de rire (rien que les passages sur les excès d'Erroll Flynn et celui où Walsh rend visite à son vieux pote John Barrymore en train de claquer valent leur pesant de kaouètes bien trempées dans le bourbon !!)
Paru en 1976 chez Calmann-Levy et dix ans plus tard en Ramsay Poche Cinéma, donc fouillez les bacs de bouquinistes. Promis-juré, vous ne le regretterez pas.
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Ann Harding »

Federico a écrit :Paru en 1976 chez Calmann-Levy et dix ans plus tard en Ramsay Poche Cinéma, donc fouillez les bacs de bouquinistes. Promis-juré, vous ne le regretterez pas.
:!: Formidable bouquin. Mais, attention! Il manque 150 pages dans la traduction française.
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Federico »

Ann Harding a écrit :
Federico a écrit :Paru en 1976 chez Calmann-Levy et dix ans plus tard en Ramsay Poche Cinéma, donc fouillez les bacs de bouquinistes. Promis-juré, vous ne le regretterez pas.
:!: Formidable bouquin. Mais, attention! Il manque 150 pages dans la traduction française.
Ah bon ? Je l'ignorais. 150 pages, ça me semble beaucoup, non ? Et pour quelles raisons l'édition française aurait-elle été un digest ? J'ai entre les mains l'édition reliée chez Calmann-Lévy de 1976 qui fait 350 pages et en regardant sur amz.com, Each Man in His Time: The Life Story of a Director en compte 385... A moins, évidemment que la police de caractères de l'édition US soit beaucoup plus petite.

http://www.amazon.com/Each-Man-His-Time ... 000&sr=1-1
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Re: Raoul Walsh (1887-1980)

Message par Ann Harding »

Le livre de Walsh (et bien d'autres livres de mémoires comme celui de Swanson) ont subi des coupures scandaleuses lors de leur traduction. Je ne sais pas si les éditeurs pensent que le public français est trop stupide pour comprendre un livre en entier, ou si simplement, ils réduisent le coût de la traduction en réduisant le texte. Mais, toujours est-il que ces éditions perdurent et qu'il est fort improbable qu'une nouvelle édition complète soit jamais publiée... :(
Un grand roman de Raymond Chandler, The Long Goodbye, avait lui aussi subi le même sort dans la Série Noire. Il a fallu attendre les années 90 pour avoir une nouvelle traduction complète.

(Pour le nombre de pages, il est approximatif. Mais, attention, l'anglais est plus compact. En général, un texte français est environ 10% plus long qu'un texte en anglais)
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