Michael Curtiz (1886-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Julien Léonard
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

Cela soulève une question intéressante en tout cas : En France (et plus largement, en Europe), on ne semble plus guère enthousiasmé par le patriotisme. Pourtant, à une époque, nous l'étions, tous fiers du drapeau. Mais ce n'est pas difficile à comprendre, tant l'époque qui est la notre se prête mal à ce genre de sentiments. En Europe, mais aussi ailleurs, nous vivons une époque blasée, où plus rien n'est possible en termes de réjouissances, car nous nous situons depuis trop longtemps dans une morne plaine, si j'ose ainsi m'exprimer. En 1942, les américains étaient en pleine guerre nouvellement déclarée, il leur fallait ériger le drapeau et se donner du courage. Ils l'ont toujours fait à l'époque, y compris dans les années 1930, pourtant pas folichonnes. Mais de nos jours, la société est totalement blasée, le patriotisme n'a plus vraiment de sens (les frontières ont éclaté au profit du mondialisme), même les américains ont du mal à le rester parfois. Il n'y a qu'à voir leur cinéma, la plupart du temps à base de héros sombres, cyniques, ou bien tout entier dévoués au pognon. Il n'y a plus de guerre, mais des micro-guerres, à des milliers de kilomètres. L'ennemi n'est plus en face, il est invisible, c'est le terrorisme, c'est la gangrène de la société et de la bonne humeur. Tout cela semble ne pas avoir de fin.

Or, à l'époque, aux USA, on se disait juste "Bon, on y va, on tacle les allemands et les japonais, on les bousille, on leur met un drapeau étoilé dans la gueule, et qu'ils n'y reviennent plus". Il était question de fierté, de patriotisme total, au mépris de l'individu finalement, pour un idéal collectif. Aujourd'hui, on est passé à l'extrême inverse (ni pire, ni mieux), c'est l'individu qui prime, tout le monde ne se préoccupe plus de son pays, mais de lui-même. Alors forcément, dans ce contexte, comment comprendre que des films pareils soient érigés à la face du public ? Comment comprendre un enthousiasme qui n'est plus ? Et plus que tout, quand on habite dans la vieille Europe, comment comprendre ces idéaux américains qui semblent parfois venir d'une autre planète ? Force est de constater que si le film me plait autant, c'est peut-être parce que je les aime ces américains, cette Amérique là. Je n'ai eu de cesse de vouloir comprendre ce pays depuis des années, et au bout de tout cela, je me rends simplement compte que je l'aime ce pays... pas celui de Bush et de toute la clique, ni même celui d'Obama... mais celui d'Hollywood. :wink:

Pour ma part, quand je regarde un film, je ne le détache jamais de son contexte, car cela le rend beaucoup plus intéressant encore. Et n'oublions pas que pour n'importe quel film, le contexte prédomine à l'œuvre. Je pense qu'il serait tout à fait vain de vouloir saisir la finalité complète de celle-ci sans en reconnaitre l'époque de création, et cela même si le discours est universel et intemporel. Ce n'est qu'un avis personnel. Jusqu'ici, cette vision des choses m'a considérablement appris sur le cinéma (américain surtout).
Dernière modification par Julien Léonard le 31 mai 10, 20:15, modifié 1 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Julien Léonard a écrit : Pour ma part, quand je regarde un film, je ne le détache jamais de son contexte, car cela le rend beaucoup plus intéressant encore. Et n'oublions pas que pour n'importe quel film, le contexte prédomine à l'œuvre. Il serait tout à fait vain de vouloir saisir la finalité complète de celle-ci sans en reconnaitre l'époque de création, et cela même si le discours est universel et intemporel. Jusqu'ici, cette vision des choses m'a considérablement appris sur le cinéma (américain surtout).
Réflexion passionnante et avec laquelle, notamment sur ce dernier point, je partage totalement ton avis.
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Sybille
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Sybille »

Je partage cet avis également, ne jamais oublier le contexte bien sûr, mais force est d'avouer que parfois, sur le plan nerveux, du ressenti, c'est difficile de faire abstraction que nous avons changé d'époque, parfois de pays, d'oublier ce qu'on est pour se plonger complètement dans le contexte de telle ou telle oeuvre (il y a le contexte du film certe, mais comme tu le dis par ailleurs, il y a aussi le nôtre). C'est néanmoins cette capacité à le faire - plus ou moins, selon différents critères personnels - qui est enrichissante pour nous, le temps du film, puis lorsqu'on revient à notre propre vie. Ca peut nous apprendre beaucoup, du moins je crois.

J'ai plutôt aimé le patriotisme de La glorieuse parade (il faudra que je revois le film un de ces jours), peut-être parce qu'il est clairement affiché d'entrée. On sait à quoi s'attendre, c'est même un des buts du film. Lorsque c'est plus diffus, plus intégré dans l'ordinaire, à la rigueur ça me dérange plus, même si c'est sans doute moins agaçant et qu'on le remarque moins sur le moment.

Ton propos général sur le patriotisme est effectivement intéressant. On peut le lier aussi à notre mépris de la sentimentalité, dans les mélodrames en particulier.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par someone1600 »

C'est clair... encore une fois, Julien aura trouvé les mots justes pour exprimer la situation. :wink:
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Ann Harding
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Ann Harding »

Noah's Ark (L'Arche de Noé, 1928) avec Dolores Costello, George O'Brien et Noah Beery

La rencontre d'une danseuse allemande (D. Costello) et d'un jeune américain (G. O'Brien) lors d'un accident de train peu de temps avant le début de la première guerre mondiale...

Ce film à gros budget a été écrit par Darryl F. Zanuck qui était scénariste à la Warner Bros. Il était un piètre scénariste qui accumulait les clichés et les stéréotypes. Son In Old San Francisco (1927, A. Crosland) est également une concoction assez imbuvable de film catastrophe avec des relents ridicules de Péril Jaune. (Heureusement qu'il est devenu producteur !) Ici, il tente de faire du DeMille en croisant le destin de personnages de la 1ère guerre mondiale avec l'Arche de Noé. Le film est en partie parlant avec quelques scènes de dialogue qui ralentissent le film et ne lui apporte rien. Force est de constater que les personnages sont totalement creux. La belle Dolores Costello n'est là que pour faire admirer sa plastique et George O'Brien ses pectoraux. Si vous êtes un grand amateur de 'Beefcake' et de 'Cheesecake', alors c'est probablement un film pour vous! :mrgreen: Noah Beery en fait des tonnes en ignoble, affreux et méchant. Je me suis prise une bonne crise de fou rire devant certains intertitres particulièrement gratinés! Alors, que reste-t-il à sauver dans cette énorme production ? Il y a des effets spéciaux très réussis pour le Déluge (où furent blessés de nombreux figurants) dans d'immenses décors style Intolérance. Mais, je crois qu'il est impossible de prendre au sérieux un film qui atteint ce niveau de kitsch. Il va falloir que je regarde le muet allemand de M. Kertész avec Maria Corda qui m'attend.... peut-être est-il aussi kitsch ?
Dernière modification par Ann Harding le 6 mars 14, 15:21, modifié 2 fois.
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Ann Harding
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Ann Harding »

Die Sklavenkönigin (L'Esclave Reine, 1924) de Mihaly Kertész avec Maria Corda, Adelqui Migliar et Arlette Marchal

Le Prince Seti (A. Migliar), le fils du pharaon, tombe amoureux d'un esclave. Merapi (M. Corda) est une fille noble d'Israël qui est devenue esclave des Egyptiens comme le reste de son peuple...

Avec ce spectacle collossal, les autrichiens veulent rivaliser avec les grands spectacles de DeMille. Ici, la copie n'est malheureusement pas à la hauteur du modèle qui est The Ten Commandments (1923). Malgré ses défauts, le film de DeMille offre dans sa première partie avec la fuite des hébreux et le partage de la Mer Rouge, un moment de divertissement extrêmement bien mené. Mihaly Kertész pour sa part se contente de copier les scènes avec des angles de prise de vue quasiment identiques, mais des effets spéciaux de moins bonne qualité. Je voudrais bien trouver des qualités à ce film; mais, force est de constater que les acteurs sont particulièrement inexpressifs. La distribution est internationale avec la belle hongroise Maria Corda (première épouse d'Alexandre Korda qui orthographiait son nom avec un C), le chilien Adelqui Migliar (qui fut réalisateur en France et en GB) et la française Arlette Marchal. Curtiz est encore loin de montrer la maîtrise qu'il aura dans les années 30 à la Warner. le film est académique, manque de mouvement et les intertitres sont interminables (et parfois hilarants !). Visuellement, le film n'a rien de remarquable non plus à part une débauche de moyens humains avec un troupe immense de figurants à perte de vue. Mais contrairement, à DeMille, il ne sait pas les diriger. Il se contente de remplir les décors monumentaux avec cette masse humaine. A réserver aux inconditionnels de Curtiz. Et encore, je ne suis pas sûre qu'ils passent un si bon moment que cela...
Dernière modification par Ann Harding le 5 juin 10, 17:24, modifié 1 fois.
allen john
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

Ann Harding a écrit :Die Sklavenkönigin (L'Esclave Reine, 1924) de Mihaly Kertész avec Maria Corda, Adelqui Migliar et Arlette Marchal
A réserver aux inconditionnels de Curtiz. Et encore, je ne suis pas sûre qu'il passent un si bon moment que cela...
Je confirme.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

La caravane héroïque (Virginia city) - Réalisé par michael Curtiz / 1940 :

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Comment ne pas être d'accord avec la chronique de Jeremy sur le site ?! Un pur chef-d'oeuvre de rythme, d'émotion, de justesse, bref, une totale réussite sur le plan esthétique, diégétique et thématique. Errol Flynn est dans l'un de ses meilleurs jours sous la caméra de Curtiz (du niveau de son Aigle des mers), Randolph Scott est superbe (mais a-t-il déjà été mauvais dans un western ?), et la troupe de seconds rôles Warner est encore présente pour notre plus grand plaisir (dont un Alan Hale encore une fois très bon). Je ne partage pas trop l'avis de Jeremy, par contre, sur Humphrey Bogart et Miriam Hopkins, que je trouve tous deux très à leur place. Le premier est un bandidos typiquement hollywoodien, et s'en sort étonnamment bien. La seconde est fraiche et juste, même si elle ne vaut pas Olivia de Havilland dans un registre similaire. La photographie est magnifique et les scènes d'action, nombreuses, sont très marquantes (notamment avec la diligence au début du film :shock: ).

En deux mots, un grand western, humain et sensible, sans aucun sentimentalisme douteux, et relevé par quelques dialogues bien sentis. Chez Curtiz, l'humour se mélange toujours subtilement avec le drame. Et si la fin peut paraitre un brin énorme, je l'ai tout de même trouvé belle et émouvante. Un idéal, certes improbable, mais un bien bel idéal. Et nous, spectateurs, avons également besoin de cela, surtout (je le répète) en cette période de cynisme à tout crin.
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Julien Léonard a écrit :La caravane héroïque (Virginia city) - Réalisé par michael Curtiz / 1940 :

Randolph Scott est superbe (mais a-t-il déjà été mauvais dans un western ?)

Rarement d'autant que sa palette était bien plus large que ce que l'on a l'habitude de dire. Tout en restant dans le western, tout aussi talentueux dans le registre comique (Belle of the Yukon), dramatique (Virginia City), laconique (Buchanan ride Alone), impassible (beaucoup de Boetticher)... Certaines de ses performances m'ont fortement marqués, notamment celle dans Ride Lonesome, Decision at Sundown, The Bounty Hunter et plus que tout son dernier rôle dans ce chef-d'oeuvre dont je n'arrêterais pas de vanter les mérites : Coups de feu dans la Sierra

Content que tu aies autant apprécié !
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par someone1600 »

Il va bien falloir que je le regarde celui-la... je n'ai pas encore acheté le coffret western avec Errol Flynn, mais je crois bien avoir un enregistrement TCM.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

someone1600 a écrit :Il va bien falloir que je le regarde celui-la... je n'ai pas encore acheté le coffret western avec Errol Flynn, mais je crois bien avoir un enregistrement TCM.
Je te le conseille vivement, le plus tôt possible, cela te fera passer une excellente soirée (ou un excellent moment en tout cas). C'est la magie hollywoodienne de l'époque, avec les moyens d'un grand studio (ici la Warner, plus énergique que jamais), avec un casting de rêve, surplombée du savoir faire d'un grand parmi les grands : Michael Curtiz. La relative indifférence dont ce metteur en scène fait preuve encore aujourd'hui me sidère, pas pour les cinéphiles et les historiens du cinéma (où il est respecté), mais en termes de publications de livres... j'ai acheté le seul livre français sur lui, et même s'il est intéressant, c'est tout de même bien peu en comparaison de son génie.

Depuis un an, il s'est en tout cas hissé dans mon "top 30 réalisateurs" sans problème, et même dans le peloton de tête, aux côtés d'un Walsh ou d'un Hitchcock (par exemple). Je ne me lasse pas de découvrir sa filmographie. :D
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cinephage
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par cinephage »

20,000 Years in Sing Sing, de Michael Curtiz (1932)

Voici un film de gangsters/de prison tout à fait réussi, qui développe déja les thèmes classiques du genre (opposition directeur de prison/prisonniers, poids de l'isolement,...). Le film est porté par un casting formidable, Spencer Tracy en dur de dur, Bette Davis en poule amoureuse, quelques seconds rôles de qualité, et un récit qui parvient à doser un juste équilibre entre l'action et le tragique (notamment dans la partie finale, que Tavernier/Coursodon trouvent trop larmoyante, et qui, de fait, m'a fait verser ma larme, précisément grace à des comédiens impeccables).
Impossible de trop s'attarder sans révéler l'intrigue, mais on note deux jolies et efficaces séquences d'action, et un jeu très marqué d'utilisation des grilles de prison sur le plan formel, qui marche bien.

A noter, dans un plan efficace, un effet qu'on retrouvera longtemps après (notamment dans Fight Club), mais c'est peut-être la première fois que c'est fait à l'écran, de surimpression de caractères sur l'image, chaque prisonnier de Sing Sing portant en sous-titre mobile le nombre d'années lui restant à tirer...
J'ai vraiment été très emballé par ce film fort court (moins d'une heure vingt, il n'y a pas de gras).
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Roy Neary
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Liste DVD

Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Roy Neary »

Julien Léonard l'avait promis, l'affaire est entendue, voici la chronique de La Piste de Santa Fe. :D
Il s'agit de l'édition Wild Side dans sa collection Vintage classics.

:arrow: La Piste de Santa Fe
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Et comme je l'avais dit sur le topic western, je partage quasiment en tout point cet avis ; et je vois que tu as du rajouter en dernière minute ton ressenti sur ta toute récente découverte de Virginia City :)

Quant au test technique, tu as été très honnête ; hormis le fait qu'il soit libre de droit, je me demande quelles ont pu être les motivations de l'éditeur a vouloir faire paraître ce titre précédemment sorti par la maison mère (Warner donc) dans une qualité somme toute très honorable. Pareil, certains continuent à sortir Mariage Royal dans des conditions déplorables alors que Warner l'a sorti lui-même à partir d'un superbe master. Un mystère.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par someone1600 »

Encore une fois, superbe chronique Julien. :D
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