Voilà 10 ans que James Cagney n'avait pas tourné dans la peau d'un gangster, et autant dire que ces retrouvailles en forme de feu d'artifice se doublent d'une collaboration de génie : Raoul Walsh est à la mise en scène, le même réalisateur qui avait dirigé The roaring twenties 10 ans plus tôt. On pouvait légitimement s'attendre à un grand film... Ce fut le cas, et bien plus encore !
Chez les grands réalisateurs de l'âge d'or du cinéma américain, on est toujours stupéfait par la somme de grands films qu'ils étaient capables de réaliser, et cela souvent dans tous les genres (ou presque). Des filmographies la plupart du temps équilibrées et maitrisées, comportant quelques fautes de parcours, mais trop insuffisamment pour en gâcher la réputation. Mais, de ces filmographies, se dégagent bien souvent ce que l'on appelle des "sommets". Chez Walsh, les sommets furent nombreux, à commencer par They died with their boots on, Gentleman Jim ou encore Objective Burma (et ce ne sont pas les seuls). White heat est l'un de ces sommets, indubitablement !
Au-delà d'un récit classique de "film de gangsters", c'est également tout un rapport avec le film noir contemporain de l'époque qui s'exprime, avec la sécheresse et la concision d'un regard acerbe et destructeur. Quelle différence entre l'œuvre léchée et tournée en studios qu'est The big sleep de Hawks, et ce véritable film d'action contrarié (souvent filmé en décors naturels) littéralement transcendé par Walsh ! Deux chefs-d'oeuvre, deux visions d'un genre, deux films mythiques, deux recettes esthétiques largement différentes... White heat (bénéficiant pour l'occasion d'un titre français magnifique : L'enfer est à lui) est un film de rythme, de précision remarquable, au timing rigoureux et au sujet démultiplié. Un parcours psychologique intense et dangereux mélangeant, pêle-mêle, une mère venue des enfers, une fiancée qui "survit" dans un univers impitoyable, une camaraderie constituée de faux semblants, et une police que rien n'arrête, au milieux desquels n'existe qu'une seule vérité, celle de Cody Jarett. Incarné par James Cagney, ce personnage de fiction devient sans l'ombre d'un doute l'un des plus passionnants de sa décennie. Cagney est habité par son rôle, il le vit jusqu'au bout, l'anime d'expressions tantôt barbares, tantôt profondément humaines, et se laisse emporter par des crises de folie totalement terrifiantes. Je retiendrais pour ma part deux séquences exemplifiant ce dernier propos... La scène du réfectoire en prison où Cagney, en totale improvisation, parvient à exploser furieusement, sombrant définitivement dans la folie la plus pure et dans une justesse qui interpelle sur la véritable expérience de vie de l'acteur (bon sang, mais d'où-tire-t'il une interprétation aussi énorme et aussi vraie ?!). Puis ensuite, la scène où, sous un arbre, en pleine nuit, il narre ses conversations nocturnes avec sa mère à son compagnon de crime (qui n'est autre que le flic infiltré dans la bande) : ahurissant de vraisemblance et de vérité, encore une fois. Je me fiche bien de savoir qui a eu l'Oscar du meilleur acteur cette année là, car il me semble que Cagney méritait cette récompense plus qu'aucun autre à ce moment précis. Aujourd'hui encore, sa prestation demeure marquée et sincère, naturelle et énergique, bref, tout à fait moderne.
Reste alors l'ensemble du film que l'on pourrait louer à n'en plus finir, mais que l'on pourrait résumer assez grossièrement par ces quelques qualificatifs : une musique tonitruante (encore Max Steiner et ses partitions absolument géniales), un scénario complexe et très riche (que ce soit thématiquement ou simplement diégétiquement), une enquête policière parallèle détaillée et convaincante (c'est incroyable de voir tout ce dont on était capable déjà à l'époque), une distribution exemplaire (comme dans tout film de Walsh qui se respecte... Ici, Virginia Mayo impeccable, Edmond O'Brien dans l'une de ses performances les plus convaincantes, Margaret Wycherly en mère littéralement unique au monde...), une photographie sublime et contrastée mettant largement en vedette des décors tous plus étonnants les uns que les autres (la maison en rase campagne, l'intérieur du camion-citerne, l'usine presque science-fictionnaire à la fin...) et un montage cut et "coup de poing" donnant une pèche d'enfer au déroulement de l'intrigue.
Un film noir âpre et violent, qui démarre au quart de tour et passe les vitesses avec un sens de l'action franchement grisant. Key Largo de Huston, l'année précédente, mettait déjà brillamment en scène la figure du gangster perdu dans une époque qui ne lui offre plus de place, mais Walsh réalise une œuvre très largement supérieure. Un condensé de plaisir et d'ambiguïté, culminant dans un dénouement aussi somptueux que violent, et qui n'a rien perdu de son sel depuis plus de 60 ans. Un immense classique.