Michael Curtiz (1886-1962)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Julien Léonard
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

someone1600 a écrit :Tres beau texte Julien, pour un film que j'ai bien apprécié moi aussi. :D
Merci beaucoup Someone1600, c'est très gentil. :wink:
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Phnom&Penh
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Phnom&Penh »

Bien d'accord moi aussi. Tu mets bien en valeur les qualités d'un film que j'ai découvert récemment et qui m'avait beaucoup surpris par sa richesse scénaristique et sa maturité, sans parler du fait que c'est aussi tout simplement un très beau film sur le plan esthétique.

A ma connaissance c'est l'un des rares films sur les prémisses de la guerre de Secession et, si je n'avais pas appris beaucoup de choses en voyant peu de temps avant le documentaire The Civil War de Ken Burns, j'aurai été très surpris du personnage de John Brown dont j'ignorais l'existence. Je crois que le but du film était de prêcher l'unité du pays à une époque (1940) où les USA étaient très partagés sur le fait d'entrer ou non en guerre. En tout cas, il reste plein d'intérêt aujourd'hui par la façon dont il présente les personnages sans parti pris.
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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homerwell
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par homerwell »

J'aime aussi ce film. :wink: Bravo Julien pour la chronique.
Il ne faut pas oublier de parler de Van Heflin qui va faire une grande carrière dans le western (Shane et 3 H 10 pour Yuma) et dans d'autres genres aussi. Il interprète un homme guidé par l’appât du gain et qui se range du côté d'un abolitionniste sur le mode fanatique.
Le nord n'a pas tout à fait le beau rôle... :fiou:
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Alphonse Tram
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Alphonse Tram »

A noter l'arrivée prochaine dans la collection Warner Archives (zone 0, aucuns st) d'une comédie musicale de 1930 : Mammy, restaurée avec des séquences en technicolor bichrome.
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allen john
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par allen john »

Alphonse Tram a écrit :A noter l'arrivée prochaine dans la collection Warner Archives (zone 0, aucuns st) d'une comédie musicale de 1930 : Mammy, restaurée avec des séquences en technicolor bichrome.
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Puisque tu en parles, petite piqure de rappel: j'avais découvert le film lors du cycle Curtiz sur TCM.
allen john a écrit :Mammy (1930)

Cette rencontre entre l’univers de Al Jolson (Sur lequel il n’ya pas grand chose à dire, ce n’est pas à mon sentiment un acteur des plus intéressants) et le monde de Michael Curtiz est intéressante pour son aspect historique, comme on dit : après le succès phénoménal de The jazz singer, le chanteur a été propulsé à une place enviable (Mais franchement usurpée) de superstar, auquel on livrait des « véhicules » clés en mains. Les chansons alternent donc avec les anecdotes d’une histoire plus ou moins substantielle liée au monde du spectacle, les confrontations du chanteur et de sa mère, avec, ô surprise un piano dans la maison, permettant à Jolson de chanter une chanson stupide à sa maman pendant que celle-ci le regarde en bavant d’admiration. L’intendance a ici été confiée à Curtiz, ce qui permet un tournage rapide et sans heurts, des scènes dotées d’un soupçon de vie en plus (Et certaines en ont bien besoin), et à l’ensemble de souligner plus que de coutume la mélancolie de Jolson plutôt que son coté positif: on peut remarquer que l’intrigue voit Jolson s’effacer derrière Lowell Sherman qui hérite des beaux yeux de Lois Moran. Le public n’ignorera rien de la tristesse de Jolson, qui restera mis de coté jusqu’à la fin du film ; On notera également que le scénario concerne une troupe d’acteurs et chanteurs (En black face, bien sur) embarqués dans une tournée, lors d’un voyage en train, ce qui nous permet de retrouver le motif cher à Curtiz de l’errance sans fin ; enfin, le metteur en scène réussit à placer une scène d’ombres inquiétantes lors d’un passage en prison, avec les ombres des policiers qui dessinent d’effrayantes images sur le mur. Même devant un petit film supposé léger, la vie intérieure de Michael Curtiz ne peut complètement s’effacer.
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

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Les Conquérants (Dodge City, 1939) de Michael Curtiz
WARNER


Sortie USA : 01 avril 1939

Et encore un western qui débute juste après l'année 1865, soit une fois la Guerre de Sécession terminée. On remarque jusqu'à présent que la plupart des westerns de série A ont choisi cette frontière temporelle pour entamer leurs intrigues avec à chaque fois une explication en fin de générique du pourquoi de la sauvagerie et de la confusion qui régnaient alors, la raison des rancœurs bien ancrées chez les gens du Sud, la description des actes répréhensibles des politiciens et carpetbaggers spoliant les vaincus et du début de la ruée vers l'Ouest... On constate donc qu'au cinéma à la fin des années 30, l'épopée westernienne débute encore la plupart du temps dans le dernier tiers du 18ème siècle.


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1939, année faste entre toutes ! Après la 20th Century Fox (Zancuk) et la United Artists (Walter Wanger), c'est donc au tour de la Warner de sortir son western de prestige. Mais, alors que les deux précédents faisaient mûrir le genre, les ambitions du studio des frères Warner furent de délivrer une sorte de Super série B. Au vu de ce cahier des charges, on peut affirmer que c’est gagné et c’est en partie grâce au réalisateur qui nous offre un superbe livre d’images. En effet, Michael Curtiz s’avère excessivement généreux ; l'énorme budget qui lui a été alloué, il le fait exploser sur l'écran devant nos yeux écarquillés et notre âme d'enfant qui en redemande. Pour reprendre une expression à la mode, le cinéaste a joué la transparence ; l'argent qu'il a dépensé, on le voit à étalé à chaque seconde que ce soit au niveau des décors fastueux, des costumes éclatants ou encore lors des séquences spectaculaires qui se suivent presque sans discontinuer. C’est d’ailleurs pour cette raison que pour beaucoup de jeunes spectateurs (dont je fais partie), ce fut un des films à l’origine de leur passion pour le cinéma.


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Un western pétillant, turbulent et haut en couleurs (et quel éclat dans ce Technicolor !) qui assume sa naïveté et ses conventions du début à la fin. Rien de bien original mais l'atmosphère d'une ville bouillonnante de l'après Guerre de Sécession assez bien restituée avec forces détails et pittoresque de bon aloi, une mise en scène énergique, un scénario sans surprises mais sacrément remuant, un Errol Flynn irrésistible et charismatique dans la peau d'un avatar de Wyatt Earp, un Bruce Cabot très à l'aise dans la peau du 'Bad Guy' et un Alan Hale (le Petit Jean des Aventures de Robin des bois) débonnaire et extrêmement sympathique en tant que faire valoir humoristique du héros...


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L'histoire est celle de l’évolution de Dodge City à partir du moment où la voie ferrée est arrivée jusqu’à elle. La ville connaît une forte expansion du fait d’être devenue une plaque tournante dans le commerce du bétail. En revanche, allant de pair avec ce boum démographique, la violence et le désordre s’y sont installés, les cow-boys, après leur éprouvant périple, se relâchant, ivres de boissons, de jeux et de femmes, les nuits se terminant quasiment toujours par des fusillades mortelles d’autant que la ville se trouve plus ou moins sous la coupe d’un hors la loi sans scrupules, Jeff Surrett (Bruce Cabot). D’abord réticent, Wade Hatton (Errol Flynn), baroudeur ayant participé à la construction du chemin de fer étant chargé de ravitailler les ouvriers en bisons, accepte de devenir shérif afin d’y rétablir l’ordre après qu’un enfant ait été la victime de la brutalité ambiante.


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Cette fresque historique tapageuse aux innombrables péripéties (le catalogue des ‘clichés westerniens’ en terme d’action est quasi exhaustif, du ‘Stampede’ à l’homérique bagarre de Saloon en passant par le duel ou la course poursuite) est caractérisée avant tout par une remarquable vigueur de la mise en scène qui nous en met littéralement plein la vue et ce dès la première séquence de la course entre la diligence et ‘le cheval de fer’ que succède un majestueux déplacement de bisons suite au passage du train ; plastiquement, la photographie de Sol Polito est un régal, nombre de plans en extérieur se révélant somptueux. La séquence de la rixe homérique déclenchée dans le Saloon après que les ex-confédérés aient provoqués les Yankees présents est tout simplement phénoménale, dynamiquement montée, parfaitement rythmée. Rarement nous avions vu une telle débauche de cascades et de carnage ; moment excessivement jouissif !


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On peut évidemment reprocher au film un scénario prévisible, des personnages sans épaisseurs, des protagonistes féminins sacrifiés (plus encore qu’Olivia de Havilland, d’ailleurs charmante en Cow-Girl, Ann Sheridan), des transparences inesthétiques alors que les quelques toiles peintes sont superbes, un Max Steiner en petite forme et un scénario sans nuances mais, à condition de prendre tout ça au premier degré, un film qui se suit avec un plaisir non dissimulé, un espèce de Barnum monumental à l’imagerie naïve qui nous laisse au final une impression de divertissement innocent et charmant de première qualité ! Après avoir atteint la maturité avec Stagecoach, le western retombe un peu en enfance mais nous ne nous en plaindrons pas ; les deux peuvent très bien cohabiter sur les écrans !

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La Caravane Héroïque (Virginia City, 1940) de Michael Curtiz
WARNER


Sortie USA : 16 Mars 1940


Après quelques incursions temporelles aux alentours de la Guerre d’Indépendance, nous voici replongés avec Virginia City en pleine Guerre de Sécession, en 1864 exactement après quatre années de conflits meurtriers alors que la Confédération présidée par Jefferson Davies est aux abois. Les Sudistes n’ont plus d’argent dans les caisses pour se fournir en armes et sentent la défaite proche. Un de leur officier, le Capitaine Vance Irby (Randolph Scott) va être chargé d’une mission très dangereuse mais vitale pour son camp : faire sortir un convoi d’or de Virginia City (Nevada), ville en pleine effervescence et fourmillant de Nordistes, pour le conduire durant des milliers de kilomètres jusqu’au quartier général de la Confédération ; un périple qui devrait prendre environ un mois. Il va trouver sur son chemin John Murrell (Humphrey Bogart), un bandit de grand chemin avec qui il va devoir momentanément s’allier ainsi qu’un espion unioniste, le Capitaine Kerry Bradford (Errol Flynn) qui venait peu de temps avant de s’échapper de la prison dont il avait le commandement et à qui l’armée du Nord a justement confié la tâche d’empêcher le convoi d’arriver à bon port. Julia Hayne (Miriam Hopkins), espionne sudiste à l’origine de l’idée de cette ‘Caravane Héroïque’, va se retrouver prise ‘entre deux feux’ puisqu’elle se doit d’aider Vance (fortement épris de la jeune femme) dans sa périlleuse entreprise alors que dans le même temps elle ne peux faire autrement que de succomber aux charmes de l’officier ennemi ; comment faire pour ne pas trahir l’un des deux ?

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A la fin de Dodge City, Errol Flynn partait pour Virginia City. Son titre original et de nombreux points communs auraient pu nous le laisser croire mais La Caravane Héroïque n’est pourtant pas une suite à l’exubérant et coloré film précédent bien que l’on remarque aussi la présence de même nombreux comédiens dont le duo folklorique que forment Alan Hale et Guinn Williams. Il s’agit du deuxième des trois westerns que Michael Curtiz tourna avec Errol Flynn entre 1939 et 1941, le troisième étant La Piste de Santa Fe (Santa Fe Trail) dont nous reparlerons plus tard. En anticipant quand même un peu, Virginia City s’avère être le plus intéressant et surtout le plus réussi des trois. L’intrigue principale s’inspire d’une histoire vraie, véritable odyssée d’un petit groupe d’une soixantaine de personnes (le générique leur dédie d’ailleurs le film), hommes, femmes et enfants issus de familles très attachées à la cause Sudiste au point de proposer lui offrir leur fortune accumulée les dernières années grâce à des monceaux d’or trouvés dans les mines alentours. Se faisant passer pour des pionniers, ils s’enfuyent à travers les étendues sauvages de l’Ouest américain avec leur précieux et lourd butin, poursuivi d’une part par l’armée ennemie qui n’a pas su les empêcher de quitter Virginia City ainsi que par une bande de hors-la-loi qui, après les avoir aidé à partir en faisant diversion souhaitent désormais s’emparer du ‘magot’ ; cette partie aventureuse de l’intrigue se trouve néanmoins reléguée dans le dernier quart du film, ce qui précède s’attachant à la présentation des personnages, à la description de la situation et des enjeux historiques et faisant se dérouler avec brio la mise en place de l’expédition tenue secrète alors que les espions nordistes tentent de mettre à jour cette ‘trahison’ à venir.

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Il est assez curieux de constater à quel point le scénario a été villenpidé par une bonne partie de la critique ; ‘lourd comme un chariot de la Wells Fargo’ par ci, ‘ultra-conventionnel’ par là… rien ne lui a été épargné. Je lui trouve au contraire toutes les qualités d’écriture, aussi bien dans le portrait qui est fait des personnages (même s’ils ne possèdent aucune zones d’ombres, même s’ils sont tous sans ambiguïtés) que dans la tenue du récit. Le film traite par ailleurs de la Guerre de Sécession sans que jamais le cinéaste ne prenne parti, avec un respect, une droiture et une grandeur d’âme qui lui font honneur. Des deux côtés, nous trouvons un personnage extrêmement sympathique se battant sincèrement pour ses idées, tous deux fidèles à leurs camps respectifs tout en respectant l’ennemi, Errol Flynn pour l'Union, Randolph Scott pour la Confédération. Les deux acteurs se révèlent tous deux excellents, le premier ne portant jamais ombrage au second, le cinéaste les ayant mis sur un même pied d’égalité, Errol Flynn ne forçant jamais le trait du pittoresque comme il avait souvent tendance à le faire, avec grand talent cependant. « Si nous n’avions pas été dans des camps opposés, nous aurions pu être amis » dit à un moment critique Errol Flynn à Randolph Scott ; la relation qui se noue entre les deux hommes est vraiment bien vue, toute en finesse et extrêmement touchante vers le final.

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Le scénario rocambolesque à souhait de Robert Buckner est donc selon moi d’une solidité à toute épreuve, formidablement bien écrit, brillament dialogué, mélangeant dans un même mouvement romance et action, héroïsme et émotion. Une nouvelle fois, après une kyrielle de petits chefs-d’œuvre depuis le milieu des années 30, Michael Curtiz fait montre de tout son savoir-faire, que ce soit dans les scènes intimistes ou spectaculaires, et porte son film avec un réel souffle épique du début à la fin sans quasiment aucun relâchement. Dans la dernière demi-heure, il nous étonne encore par son génie pictural : les séquences de la caravane avançant dans les paysages désertiques et poursuivie par la cavalerie sont tout simplement somptueuses ! Regrettons une Myriam Hopkins un peu perdue en lieu et place de Olivia De Havilland et un Humphrey Bogart peu à l'aise dans ses habits de hors-la-loi moustachu ; en revanche le contrepoint humoristique apporté par les compagnons d'Errol Flynn interprétés par Alan Hale et Guinn "Big Boy" Williams n’est étonnament pas gênant une seule seconde, ne venant jamais vraiment casser l’ambiance dramatique qui parcourt le film. Il faudrait aussi pouvoir s’attarder sur la superbe photographie avec son noir et blanc très contrasté et le génie avec lequel Sol Polito joue des zones d’ombres (entre autres d’inoubliables gros plan sur les visages) ansi que sur l’un des très beaux scores, d’une grande richesse thématique et remarquablement bien enlevé, de Max Steiner.

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Un excellent western qui se termine à la date historique du 09 avril 1865, journée au cours de laquelle, à Appomatox, le Général Lee rencontre le Général Grant pour mettre enfin un terme à ce conflit civil meurtrier. Après un geste digne d’éloge du personnage joué par Errol Flynn qui préfère privilégier « son devoir d’homme à son honneur de soldat », c’est une nouvelle fois la figure tutélaire d’Abraham Lincoln qui donne la conclusion au film au travers un discours fait à Miriam Hopkins qui prone la réconcilitaion entre les deux camps : "Oui, dites leur que nous ne sommes pas des ennemis mais des amis. Que dans mon coeur comme dans celui de milliers de gens en Amérique il n'y a aucun esprit de vengeance dans notre victoire. Il ne doit pas y avoir de haine dans leur défaite. Dites leur que nous sommes un seul peuple uni par le sang et le feu. Et qu'à partir de ce jour notre destin est indivisible." Un western d’une belle hauteur morale sans être jamais moralisateur ; un film passionnant, attachant, digne de respect et qui n’en oublie pourtant jamais d’être divertissant.

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La Piste de Santa Fe (Santa fe Trail (1940) de Michael Curtiz
WARNER


Sortie USA : 28 décembre 1940


Nous aurions pu être en plus mauvaise compagnie pour terminer l’année qu’avec Michael Curtiz qui, par la même occasion, boucle sa trilogie westernienne avec Errol Flynn. La Piste de Santa Fe marque également le dernier jalon de la prestigieuse collaboration entre le cinéaste et l’acteur qui avait débuté en 1935 avec le sublime Capitaine Blood. Leur mésentente arrivant à un point de non retour, il était grand temps pour les deux hommes de se séparer. La Piste de Santa Fe, même s’il n’égale pas les réussites exemplaires que sont Captain Blood, L’Aigle des Mers (The Sea Hawk) ou La Caravane Héroïque (Virginia City) n’en demeure pas moins un des très bons fleurons de cette brillante association et un excellent western à réhabiliter de toute urgence surtout au vu des accusations de racisme et de pro-esclavagisme qu’on lui a injustement craché à la figure.

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1854, académie de West Point. Le cadet Carl Rader (Van Heflin) a une altercation avec Jeb Stuart (Errol Flynn) et George Armstrong Custer (Ronald Reagan) à propos de John Brown (Raymond Massey), un abolitionniste forcené. Farouche partisan de Brown, Rader le soutient avec vigueur, lisant ses tracts à voix haute et accusant ses camarades de chambrée d’être en revanche de vils sudistes esclavagistes. Robert E. Lee qui dirige l’école renvoie Rader et mute les deux autres à Fort Leavenworth, poste avancé du Kansas. Nos deux officiers fraîchement émoulus sont tous deux amoureux de la même fille, Kit Carson Halliday (Olivia De Havilland), dont le père dirige la construction de la voie ferrée qui doit conduire à Santa Fe. Chargés de protéger un convoi de marchandises, la troupe de soldats qu’ils conduisent est attaquée par John Brown et ses hommes qui volent les caisses en fait remplies d’armes à leur destination. Sous prétexte de s’opposer aux esclavagistes et de rendre leur liberté aux noirs, John Brown sème la terreur au Kansas se disant le bras de Dieu ; un illuminé n’ayant aucun scrupule à tuer puisque se croyant fermement dans son bon droit. Désormais, les soldats de Fort Leavenworth ont pour mission de tout faire pour appréhender et arrêter les exactions du fanatique qui sans ça risque de mettre le pays tout entier à feu et à sang. Une expédition est mise sur pied au cours de laquelle Jeb Stuart, mis en civil pour une mission d’espionnage, est reconnu, fait prisonnier et condamné à mort…

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Taxé de révisionnisme et de racisme à cause du portrait peu reluisant qui est fait de John Brown, La Piste de Santa Fe n’est peut-être pourtant pas si éloigné que ça de la vérité. En effet même si sa pendaison en a fait un martyr de la cause anti-esclavagiste loué par Henry David Thoreau ou par Victor Hugo (qui le décrivait comme un Spartacus du 19ème siècle et qui tenta d’obtenir sa grâce), Abraham Lincoln le considérait en revanche comme un exalté intolérant ; John Brown ne se gênait pas pour massacrer quelques colons esclavagistes qu’il nommait 'les légions de Satan'. En 1959, il souhaite provoquer un soulèvement d’esclaves après s’être emparé de l’arsenal d’Harpers Ferry en Virginie. Sa révolte tourne au désastre mais il devient dès lors un symbole de la lutte pour l’abolition de l’esclavage préconisant l’insurrection armée pour y mettre fin. Bref, comme le disent les personnages principaux à plusieurs reprises, ses idées et convictions étaient louables ; c’est l’homme qui était dangereux malgré qu’il ait été héroïquement capable de sacrifier sa vie pour mettre un terme à l’asservissement de la population noire. Quoi qu’il en soit, son activisme féroce, son raid sur l’arsenal virginien et sa mort tragique font partie des causes de la Guerre de Sécession qui commencera deux ans après en 1861.En tout cas, une personnalité historique très controversée, à la fois visionnaire et terroriste, humaniste et criminel d’autant plus captivante par ses paradoxes. Michael Curtiz et son scénariste Robert Buckner (déjà à l’origine des deux précédents scénarios des westerns du réalisateur d’origine hongroise) ne font rien d’autre que de mettre le doigt sur cette ambigüité ne prenant jamais partie pour un camp ou pour un autre ; les soldats obéissent aux ordres en allant mettre fin aux agissements de John Brown et l’on sent fortement que les théories abolitionnistes ont l’aval des personnages interprétés par Olivia de Havilland ou Ronald Reagan, le Jeb Stuart d’Errol Flynn ressemblant étrangement à Michael Curtiz, à savoir ne voulant jamais prendre position dans le domaine politique.

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Alors nous trouvons clairement dans le film des inexactitudes historiques (Custer n’est entré à West Point qu’après le départ de Jeb Stuart par exemple et il n’en est sorti qu’en 1861 soit deux ans après la mort de John Brown, l’année du début de la guerre civile) mais ceci est valable pour la grande majorité des films hollywoodiens. La réflexion sur cette époque troublée, annonciatrice du conflit fratricide à venir et l’approche du problème abolitionniste sont rendus justement passionnants par les côtés obscurs et prophétiques du antihéros de l’intrigue, par l’indécision voire même l’impossibilité qu’à le spectateur de savoir choisir son camp. Une période sombre et menaçante de l’histoire des USA parfaitement restituée par l’équipe de la Warner, Sol Polito en tête, nous octroyant une photographie très contrastée jouant sur les clairs obscurs avec son génie habituel. Pour s’en convaincre, il suffit de voir cette séquence plastiquement splendide au cours de laquelle, de nuit, une vielle indienne prédit l’avenir aux officiers, ces derniers, derrière les flammes vacillantes, semblant en mouvement dans ces effets d’ombres et de lumière ; dramatiquement la scène est également très forte, la diseuse de bonne aventure augurant l’antagonisme futur qui opposera ces actuels meilleurs amis du monde qui, s’ils s’en moquent au départ, rient jaune à la fin de la séance, la tempête qui se prépare ayant l’air d’être entrée dans leur esprit jusqu’à présent plutôt insouciant. Leur destin est en marche et il ne s’avère pas bien gai. Et ce ne sont pas les soupapes bienvenues de bonne humeur que constituent les bouffonneries de l’inénarrable duo formé par les habituels faire valoir Alan Hale et Guinn ‘Big Boy’ William, ou les affres drôles et plaisante du triangle amoureux, qui arrivent à faire descendre en puissance l’ambiance mortifère qui s’installe dès lors. Bref, même si les séquences ne s’enchaînent pas toutes avec liant (contrairement à celles de Virginia City), même s’il comporte quelques lacunes, mêê s'il évacue l'émotion au profit de l'efficacité, le scénario de Robert Buckner s’avère une nouvelle fois formidablement riche et parfaitement bien mené ; j‘ai toujours du mal à comprendre la sévérité avec lequel on a souvent jugé ses travaux.

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Un mélange dense, riche et racé de page d’histoire et de romance à l’interprétation d’ensemble très convaincante même si le sympathique Ronald Reagan a du mal à faire le poids face à un Errol Flynn toujours aussi vigoureux et à l’aise (contrairement à Randolph Scott dans le western précédent qui faisait jeu égal avec son partenaire moustachu) ; Olivia de Havilland est charmante et pétillante, Van Heflin s’avérait un jeune débutant prometteur et Raymond Massey est tellement habité par son personnage avec son regard de dément qu’on lui redonnera à jouer 15 ans plus tard le rôle de John Brown dans un western de Charles Marquis Warren.

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Sinon, en cette fin des années 40, une chose est sûre selon moi : Michael Curtiz était le plus grand réalisateur de scènes d'action de l'époque ; ses trois westerns avec Errol Flynn sont là pour le prouver : l'alchimie qui s'opère entre la gestion des figurants, la vigueur et l’élégance des mouvements de caméra, la maîtrise totale de l’espace et de la topographie, la perfection et la rigueur du montage de George Amy et la flamboyance stridente des compositions de Max Steiner aboutit à de très grands moments de cinéma d’une force peu commune pour l’époque. Bien des réalisateurs actuels feraient bien de se pencher sur ces quelques séquences d’une lisibilité édifiante et d’une virtuosité époustouflante, se les passer et repasser pour s’en servir comme cas d’école ! En ce qui concerne La Piste de Santa Fe, elles sont au nombre de trois : la première au moment où John Brown venant de confisquer le convoi aux soldats, ces derniers décident sur un coup de tête de récupérer leur bien ; la deuxième voyant Jeb Stuart essayer d’échapper à la pendaison et sauvé in-extremis par l’arrivée de la cavalerie ; la troisième et plus impressionnante, le fameux siège d’Harpers Ferry. Rien que pour ces trois séquences le film aurait mérité de figurer dans toute bonne anthologie. En tout cas, l’un des rares films sur le vrai début des hostilités entre Nord et Sud dont le Happy end semble plaqué, très certainement imposé par les producteurs effrayés par la noirceur du propos. Mais ceci n’est pas bien grave ; voir l’un des couples les plus glamours d’Hollywood se retrouver dans les bras l’un de l’autre est un plaisir sans cesse renouvelé.
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

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La Bataille de l’Or (Gold is where you Find it, 1938) de Michael Curtiz
WARNER


Sortie USA : 12 février 1938

Le seul motif pour lequel on trouve de temps en temps ce western évoqué dans les diverses histoires du cinéma est qu’il a été le premier film de la Warner à utiliser le procédé Technicolor Trichromique, le fameux Technicolor qui nous a enchanté les rétines durant tout l’âge d’or hollywoodien. Cependant, qu’il reste aussi peu méconnu peut aisément se comprendre, La Bataille de l’Or, malgré son important budget, faisant partie des œuvres mineures de l’immense Michael Curtiz. Le sujet était pourtant original et encore peu (voire pas) abordé ; à travers l’évolution économique de la Californie lors de la seconde ruée vers l’or (celle de 1877), sont remémorés les conflits qui eurent lieu entre mineurs et fermiers dans la vallée de Sacramento. En effet, dans ce dernier quart de siècle, les techniques utilisées par les chercheurs d’or pour extraire le minerai étaient de gros tuyaux envoyant de l’eau à haute pression contre les parois montagneuses afin de les éroder et ainsi faire couler la terre ensuite tamisée. Mais les torrents de boue qui en découlaient et les immenses mètres cubes d’eau utilisées allaient ensuite se répandre dans la vallée inondant les vergers et autres cultures allant même jusqu’à causer de dramatiques accidents causant des pertes humaines. A ces faits historiques s’ajoute une romance entre Jared Whitney (George Brent), le nouvel intendant d’un campement de mineurs et Serena Ferris (Olivia De Havilland), la fille d’un grand propriétaire terrien (donc du camp adverse), ce dernier allant de plus prendre la tête de la lutte contre les chercheurs d’or qui viennent accidentellement de détruire une maison et ses habitants suite à une coulée de boue.


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Michael Curtiz est assurément doué quant il s’agit de filmer des hommes et machines en action ; tout ce qui concerne l’aspect documentaire (assez longuement mis en valeur et ce, dès le prologue d’environ 4 minutes) est effectivement filmé avec une certaine grandeur, la virtuosité du montage, des cadrages et des mouvements de caméra donnant du mouvement et de l’ampleur à presque toutes les séquences en extérieures, certains s’avérant même très spectaculaires grâce aussi à l’utilisation du Technicolor qui, dès le début nous en met plein les yeux. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau du scénario et du casting. C’est déjà Robert Buckner qui s’est attelé à l’écriture avant de signer les autres westerns de Curtiz, notamment ceux avec Errol Flynn. Mais son travail en duo avec Warren Duff est moyennement convaincant, commençant très bien mais s’enlisant dès la mi-parcours dans des scènes en intérieurs (soirées, salons, tribunaux…) beaucoup trop bavardes et mal rythmées. Le réalisateur fait parfois passer la pilule grâce à ses étonnants travellings dont celui traversant un immense salon en longeant un immense bar au niveau des consommations aux couleurs pétantes mais l’intérêt retombe assez vite d’autant que tous les personnages s’avèrent assez fades faute à un casting franchement peu enthousiasmant à l’image de son ‘héros’ joué sans aucune conviction par l’insipide George Brent. Face à lui, Olivia de Havilland s’est peut être sentie obligée de minauder plus qu’à l’accoutumée et il faut avouer qu’elle n’arrive guère à nous séduire non plus ; face à Errol Flynn, ses interprétations étaient d’une toute autre trempe. Et il n’y a aucun seconds rôles pour rattraper ce sentiment de platitude généralisé pas même un Claude Rains que l’on a connu plus inspiré. Quant à John Litel, le comédien interprétant le frère d’Olivia de Havilland, il est complètement transparent.


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Malgré tous ces défauts, grâce à un Michael Curtiz chaleureux et à une histoire assez nouvelle, on se prend souvent au jeu ; on regrette d’autant plus qu’avec un tel budget, le film n’ait pas eu plus d’ampleur et n’ait abouti au final qu’à un honnête divertissement sans conséquences. En l’état, un western californien dépaysant et coloré -donc par le fait pas désagréable- mais manquant singulièrement de caractère et à l’écriture un peu lâche.
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Ouf Je Respire
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Ouf Je Respire »

Jeremy, j'adore tes critiques ciné. 8)
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Ben...euh...merci :oops:
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Ouf Je Respire
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Ouf Je Respire »

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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Roy Neary »

Pour ceux qui voudraient consulter les textes de Jeremy Fox sous la forme de mini-chroniques, voici le lien :

Les Conquérants / La Caravane héroïque
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Roy Neary a écrit :Pour ceux qui voudraient consulter les textes de Jeremy Fox sous la forme de mini-chroniques, voici le lien :

Les Conquérants / La Caravane héroïque
:D Encore une fois bravo pour la mise en ligne ; certaines captures (des deux films d'ailleurs) démontrent bien le génie pictural de Curtiz.
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

Roy Neary a écrit :Pour ceux qui voudraient consulter les textes de Jeremy Fox sous la forme de mini-chroniques, voici le lien :

Les Conquérants / La Caravane héroïque
Belle chronique, encore ! Avec les captures, cela en rajoute dans la fluidité de la lecture.

Pour le reste, je suis assez d'accord avec Jeremy pour Les conquérants, même si je ne partage pas tout à fait certains angles d'attaque vis-à-vis du film, mais je trouve cela très intéressant. Par contre, une chose me vient immédiatement à l'esprit : effectivement, il me faut impérativement acquérir Virginia city. :)
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Jeremy Fox
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Jeremy Fox »

Julien Léonard a écrit : Par contre, une chose me vient immédiatement à l'esprit : effectivement, il me faut impérativement acquérir Virginia city. :)
Impérativement ; tu devrais adorer à mon avis. La jaquette est hideuse en revanche.

Avec ton futur texte sur Santa Fe Trail, nous aurons sur le site le tryptique Curtiz-Flynn en western
8)
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Re: Michael Curtiz (1886-1962)

Message par Julien Léonard »

Pour La piste de Santa Fe, je vais reprendre mon texte et en augmenter un peu le contenu, tout du moins le retoucher. Si cela convient, bien sûr. :wink:

Par contre, Les cavaliers arrive... J'avais terminé le texte hier, très content d'avoir cerné ce que je voulais. Et puis, boum, il y a deux heures, j'ai effacé le fichier sans faire gaffe. Je suis un peu mortifié. :( Heureusement, si l'on peut dire, il me reste un fichier avec la moitié du texte dessus, du coup je prendrais un peu moins de temps pour la réécrire. Ce sera fait prochainement. Et je n'oublie pas ton DVD, of course. :)
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