Ennemis intimes (Herzog - 1999)
"Il y a eu des problèmes avec Klaus Kinski qui interprète Aguirre. Kinski, tout le monde le sait, est un hystérique, et c'est peut-être l'acteur le plus difficile du monde entier. Un jour, sur scène, il a failli tuer un autre acteur. Dans une autre pièce, un acteur ne faisait pas exactement ce que voulait Kinski; alors, il l'a poignardé si furieusement avec son épée de bois que le pauvre homme en a eu pour trois mois d'hôpital. Sur le tournage, Kinski avait l'habitude de m'insulter tous les jours pendant deux heures. Il criait d'une voix aiguë devant tout le monde. Et c'était très drôle, parce que je restais silencieux. Et les indiens avaient très peur, ils chuchotaient, ils se serraient les uns contre les autres, les épaules voûtées. Vers la fin du tournage, ils m'ont dit : "Nous avons peur, nous avons toujours eu peur, mais pas de ce fou de Kinski qui hurle tant". Ils avaient peur de moi parce que j'étais silencieux."
("Werner Herzog" par Emmanuel Carrère. Collection Cinégraphiques, éditions Edilig, 1982.)
Huit ans après la mort de Kinski, Herzog décide de tourner un documentaire sur leur relation d'amour/haine. Les rapports avec le personnage à la fois égocentrique, monomaniaque, mégalomane et décalé ne manquent en effet pas de piment et les anecdotes affluent à la fois sur le tournage des 5 films issus de leur fructueuse collaboration (dont deux œuvres magistrales comme Aguirre et Fitzcarraldo) comme des moments hors-tournages, Herzog ayant pris l'habitude parfois de retrouver le regretté acteur pour des festivals entres-autres. De bout en bout, on reste subjugué par l'étrange complicité qui unit son réalisateur et son acteur. La réalité est complètement dépassée par la fiction, elle sort de ses gonds, d'autant plus quand on voit et comprend à l'écran que tout est quasiment réel. Trop réel pour ne pas avoir une dimension fantastique à l'instar des étranges sensations qui nous ont déjà parcourues dans de nombreux films d'Herzog. Comme ce plan final, inoubliable d'un papillon qui ne veut pas quitter Kinski et d'un acteur, enchanté par cet invité, qui fait mine de poser devant la caméra avec le petit insecte éphémère.
"A propos de l'incident dont a parlé la presse à scandales, voici comment les choses se sont passées. Kinski avait insisté pour que je renvoie des gens de l'équipe sans raison. Il les a insultés et a exigé leur départ. Et j'ai refusé en lui expliquant qu'il avait tort, que c'étaient d'excellents techniciens, qui travaillaient très bien. Alors il m'a dit qu'il s'en irait. J'ai répondu que c'était impossible, que je le fusillerais et qu'avant d'atteindre le versant de la rivière, il aurait 6 balles dans la tête. Je n'étais pas armé, mais il savait pertinemment que je l'aurais fait. Alors, il a eu très peur, il a crié "Police, police !" en pleine jungle sans le moindre village à 650 km à la ronde ! Je lui ai fait comprendre qu'il ne me faudrait pas cinq secondes pour décider que le film était plus important que nos sentiments personnels et nos vies privées et qu'il n'en mourrait pas. Je lui ai dit que je supporterais tout, toutes sortes d'humiliations, mais pas cela. Chaque jour, il pouvait le constater, il pouvait voir que pendant des semaines je ne dormais qu'une ou deux heures par nuit. Et il continuait encore à m'insulter. Je restais complètement silencieux et détendu. Je lui ai dit calmement qu'il ne partirait pas, que je mettrais ma menace à exécution, et il savait que j'étais sérieux. Alors, pendant les dix jours qui ont suivi, il s'est comporté très correctement. (...)"
("Werner Herzog" par Emmanuel Carrère. Collection Cinégraphiques, éditions Edilig, 1982.)
6/6