The Ghost Writer (Roman Polanski - 2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Thaddeus
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The Ghost Writer (Roman Polanski - 2010)

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Le maître des illusions


L’isolement. Telle pourrait être la condition première du personnage polanskien, à qui le cinéaste réserve toujours des pièges infernaux. Isolés dans l’attente, comme les deux gangsters de Cul-de-sac, long suspense sur rien, film horizontal tout en espaces vides et en durée suspendue. Ils se réfugient dans un château cerné par les marées où vivent un petit chauve à lunettes et sa femme française, une adepte de "la bicyclette", spécialité sans doute apprise dans quelque douteux bouge parisien. Isolé dans la ville, comme le cardiologue américain de Frantic, thriller hitchcockien où chaque détail devient hostile, jusqu’au plafond incroyablement bas du Grand Hôtel. En quête de son épouse disparue, il se perd dans un milieu agressif et flou, fait d’escaliers en colimaçon, de toits dangereusement glissants, de poutres de péniche amarrées sur la Seine. Isolée dans un complot, comme la jeune héroïne enceinte de Rosemary’s Baby, livrée aux manifestations d’un Mal sans visage qui se tapit au sein même du Manhattan de la fin des sixties. Seule face à des voisins excentriques et un mari soudain plus ennemi que complice, elle est assiégée par des dangers invisibles qui communiquent via les couloirs étroits reliant toutes les chambres de son appartement. Soit le décor reflète le déséquilibre des êtres (Répulsion), soit il laisse deviner des failles qui conduisent insensiblement vers la folie (Le Locataire). Il s’agit cette fois d’une résidence-bunker aux larges baies vitrées, semblable à un gros insecte posé comme par inadvertance sur des étendues venteuses. Perdue dans les sables d’une île au large du Massachusetts, cette grande demeure high-tech tient à la fois du caveau et de l’aquarium étanche — les mains de l’onctueux Pierce Brosnan adhèrent incidemment aux parois comme les pattes d’un batracien en captivité. La sensation de réclusion, d’enfermement, transversale à la filmographie de l’auteur, se décline de la maison à une miteuse chambre d’hôtel de l’embarcadère ou à la propriété d’un inquiétant consultant de la CIA. The Ghost Writer le rappelle avec un éclat intact : Roman Polanski a le génie du lieu.


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Comme l’étudiant auto-stoppeur du Couteau dans l’eau, le protagoniste (excellent Ewan McGregor, tout en charme nonchalant) n’a pas de nom. Ce Londonien hirsute est engagé par sa maison d’édition en sa qualité de prête-plume afin de redonner du souffle aux indigestes mémoires d’un ancien Premier ministre britannique, Adam Lang. Non content d’avoir entraîné sa nation dans un conflit voulu par les États-Unis, ce dernier est aussi accusé d’avoir autorisé le kidnapping au Pakistan de citoyens britanniques d’origine étrangère, transférés dans d’autres pays pour être soumis à des techniques d’interrogatoire renforcées (on sait ce qu’une telle formule cherche pudiquement à recouvrir). Cette affaire lui vaut d’être poursuivi par le tribunal pénal international de La Haye pour complicité de crimes de guerre, et le scandale public qui en découle le contraint à s’expatrier de l’autre côté de l’Atlantique. Toute similitude entre les ennuis judiciaires du personnage de fiction et les difficultés rencontrées par Tony Blair devant la commission parlementaire qui enquêtait sur la participation de la Grande-Bretagne à la guerre en Irak n’est, bien entendu, aucunement fortuite. L’habitation ultramoderne dans laquelle Lang s’est douillettement retranché avec sa femme et sa petite équipe lui est fournie par la société Hatherton, multinationale de sinistre réputation qui rappelle Halliburton, le géant des groupes pétroliers américains. Pour autant, le récit ne débute pas dans les hautes sphères du pouvoir mais sur un ferry accostant de nuit au terminal de Martha’s Vineyard. Le bateau évoque d’emblée quelque charrette fantôme chez Murnau. Toutes les voitures à bord débarquent sauf une, car son conducteur s’est volatilisé. Le montage raccorde sur une plage où gît un corps ramené par le jusant et balayé par les vagues. À peine a-t-il commencé que le film est déjà à son sommet de tension, d’élégance, de mystère. Dès que le ghost writer intervient, on ne le quitte plus un instant et on en sait aussi peu que lui. Écrivain anonyme, marionnette, mort en sursis ? Loi d’airain du polar : ne jamais se fier aux apparences.

Revoilà donc le Polanski grand patron du thriller retors et pénétrant, claustro et parano. Dans ce magistral exercice de mise en scène, tout a valeur de signe ou d’indice à interpréter. Paroles sibyllines, gestes significatifs, regards chargés de non-dits : The Ghost Writer est un véritable traité du "détail qui tue", langage équivoque du malaise (parfois subliminal) n’appartenant qu’à l’auteur. L’entraînement sportif auquel s’astreint l’ex-homme d’État, l’aigreur altière de Ruth, sa cérébrale épouse (Olivia Williams, sardonique jusqu’au bout des ongles), l’assurance sensuelle et guerrière d’Amelia, assistance en chef et rivale sexuelle plausible de la précédente : chaque comportement est d’autant plus réjouissant à observer qu’il semble suspect, porteur d’un sens caché. N’ayant pas refoulé ses désirs, ce que prouve sa nuit avec Ruth, ayant cependant choisi de les rendre accessoires pour mieux contrôler l’image de ses sujets, le héros est dépassé par la diplomatie de ces amazones, engagées dans une redoutable partie d’échecs. Amelia jouerait avec les blancs pour Lang, tandis que Ruth avancerait les pions noirs — mais au profit de qui ? Un renversement des pouvoirs est à l’œuvre malgré les stigmates du passé, et une certaine désillusion affleure face aux démons hégémoniques. Si l’on peut penser que le prête-plume sert de révélateur à ce qui passe pour une simple duperie, la résolution finale suggère que toutes sciences politiques demeurent étroitement liées à une insondable soif de domination. C’est l’un des grands sujets du film, spéculation romanesque angoissée où l’organisation sectaire de l’idéologie dominante n’en finit plus de faire pactiser et disparaître les êtres humains. La hantise, la culpabilité, la peur d’être découvert, suivi ou surveillé : autant de préoccupations très personnelles, se moulant aux enjeux d’un suspense aiguisé comme une pièce d’orfèvrerie.


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Percluse d’un bout à l’autre des obsessions fondamentales de l’auteur (héros indifférent à tous, apatride persécuté, climat de menace et d’insécurité permanentes), l’œuvre se situe à mi-chemin entre la bizarrerie introspective et la recréation raffinée. Elle génère ce rare et intense plaisir de spectateur, cette ivresse, cette excitation, cette euphorie ressentis devant le brio mis au service de l’intelligence, l’accord optimal de tous les facteurs, l’interaction parfaite entre tous les éléments. Dialogues ciselés dont l’esprit à double tranchant est valorisé par de délectables comédiens, jusqu’au pelé James Belushi et au sémillant Eli Wallach. Maîtrise limpide d’un récit faisant converger harmonieusement toutes les pistes d’une intrigue complexe sans jamais recourir au rebondissement de trop. Atmosphère vénéneuse de manigances et de secrets bien compris, que viennent inséminer des images sobres, coupantes, métallisées, des situations renvoyant à la supériorité naturelle de l’artiste : une promenade cycliste dans la brume, un dialogue tendu avec l’éminence grise de Lang, un repli dans un motel crépusculaire sur les quais, le visage patibulaire d’un agent secret regardé à travers un judas, une haletante balade en voiture guidée par un GPS — véritable memento mori à travers lequel McCara lui-même, depuis son cercueil, paraît diriger son successeur pour résoudre le mystère de sa mort. Dans cette merveille d’équilibre et de précision, les intérieurs glacés résonnent avec les paysages insulaires les plus dénudés. Il s’agit de remonter le fil secret de la démystification pour dénicher le réel, chacun s’activant à faire tenir debout une construction fallacieuse. Ciels d’acier, bourrasques, nappes de brouillard, lumières électrisantes : le magnétisme polanskien fonctionne à plein, fait progresser le récit avec une aisance surréelle qui semble empruntée à quelque conte archaïque. Et lorsque la grisante partition d’Alexandre Desplat accompagne l’étourdissant travelling qui scelle le dénouement de la conspiration, que la caméra file le petit billet passant de main en main avant d’achever sa course sur le visage défait de l’intrigante démasquée, The Ghost Writer atteint ce degré de transparence et de jubilation que suscite le cinéma le plus pur.

Dans le film magnifique qui valut à son auteur une Palme d’Or cannoise, Władysław Szpilman semblait se dissoudre progressivement au sein d’un univers qui sombrait dans l’absurdité et la ruine. À sa manière, lui aussi devenait un spectre. Du fantôme du pianiste au ghost writer, la distance est faible. Déjà dé-nommé, l’écrivain invisible tourne également en rond dans une machination qu’il ne comprend qu’au tout dernier moment, trop tard, et sans la possibilité de résurrection offerte au musicien traqué. Ultime ironie, même sa mort a lieu hors-champ, comme si le cinéaste filmait imperceptiblement son évaporation. L’affiche géante du défunt Premier ministre, gelé dans sa propre image, domine la scène du meurtre, et la voiture sombre qui part du fond du plan s’en échappe aussitôt. Jusqu’au bout, le scribe restera "hors-là". La machine anonyme du pouvoir achève d’effacer l’humain. Les centaines de pages volantes font écho aux feuilles mortes éparpillées par le vent que le jardinier s’échinait en vain à ramasser. Et le brouhaha de la rue qui prolonge le funeste crescendo musical ramène à la réalité la plus terre-à-terre, au chaos du monde. Réplique exacte de la scène finale et fatale de Chinatown, cette conclusion fait définitivement basculer le film dans un vertige existentiel. Si la mise en scène polanskienne s’est, à première vue, délestée progressivement des expérimentations audiovisuelles qui truffaient les films majeurs des années 60-70, elle n’a cessé en réalité de grandir à travers l’éloquence souveraine et intemporelle propre aux maîtres : ambigüité, relief et profondeur. The Ghost Writer en atteste, qu’il faut voir et revoir, sonder, fouiller au corps, non dans un souci de traque autoritaire mais, a contrario, dans un (en)jeu permanent, actif, jouissif, nourricier, interactif voire alternatif, entre nous et les recoins, les sous-couches, les temporalités, les infimes variations d’un art-palimpseste. Style, signature, trouble et illusion, résolument narquois. Roman Polanski, plus que jamais peintre et metteur en scène virtuose du doute, de l’énigme et du double fond. Le Jan van Eyck du cinéma.


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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par cinephage »

J'ai également été très emballé par ce beau thriller politique paranoïaque... L'intrigue en est riche, et, comme tu le signales, tout fait sens dans le film, ce qui est vraiment réjouissant.
On ne s'ennuie jamais, l'interprétation est au diapason, vraiment une grande réussite !!
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par bronski »

Et pendant ce temps-là, Polanski vit entouré de policiers, physiquement coupé du monde. Non ce n'est pas HS, sa vie est un roman.
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par cinephage »

bronski a écrit :Et pendant ce temps-là, Polanski vit entouré de policiers, physiquement coupé du monde. Non ce n'est pas HS, sa vie est un roman.
Sans vouloir trop en dire sur le film...
Spoiler (cliquez pour afficher)
Il faut dire que le contexte du film est très politique, et que c'est une violente charge anti-américaine. La fiction flirte méchamment avec le réel, et on en vient à se demander si sa présente situation est vraiment le fruit d'un malheureux hasard...
Seul le fait que s'expriment, en toute impunité, sur le sol américain, des critiques plus dures encore laisse espérer que les récents rebondissements de son aventure judiciaire et la thématique de son film sont indépendants.
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Watkinssien
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Watkinssien »

Je trouve également que The Ghost Writer est un thriller prenant, qui rejoint sans problème les réussites du cinéaste des années 60/70 dans le même genre.

Film où s'entremêlent réflexion politique, thématiques sur la paranoïa, l'obsession, la création, c'est aussi une oeuvre d'une belle précision, dans son scénario et dans son découpage, parvenant à maintenir un suspense à la fois doucereux et intense, une atmosphère froide et passionnée. Et les comédiens sont excellents.
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Strum »

Watkinssien a écrit :Je trouve également que The Ghost Writer est un thriller prenant, qui rejoint sans problème les réussites du cinéaste des années 60/70 dans le même genre.
Tu veux dire que ce serait du niveau de Chinatown ? :o
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Watkinssien
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Watkinssien »

Strum a écrit :
Watkinssien a écrit :Je trouve également que The Ghost Writer est un thriller prenant, qui rejoint sans problème les réussites du cinéaste des années 60/70 dans le même genre.
Tu veux dire que ce serait du niveau de Chinatown ? :o

Chinatown est un film noir, il n'y a aucun rapport (dans le genre) avec ses thrillers obessionnels ! Non le film de 1974 est largement supérieur, de même que Rosemary's Baby.
Dernière modification par Watkinssien le 4 mars 10, 14:21, modifié 1 fois.
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Ben Castellano »

Plutôt Les trois jours du condors version Hergé et faucons de washington, un thriller très ligne clair mais passionnant de richesse sourde, dont la maîtrise fluide procure un énorme plaisir.
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Strum »

Watkinssien a écrit :Chinatown est un film noir, il n'y a aucun rapport (dans le genre) avec ses thrillers obessionnels ! Non le film de 1974 est largement supérieur, de même que Rosemary's Baby.
Sur l'absence totale de rapport entre Chinatown et ses autres films, je serais plus circonspect que toi. Mais pour revenir au sujet, j'essayais simplement de comprendre à quels films des années 60/70 tu faisais allusion, en parlant de "thriller prenant" et en disant qu'il égalait ses réussites des années 60/70 dans le "même genre". Et je citais Chinatown parce que c'est pour moi le chef-d'oeuvre de Polanski et son film le plus prenant, qui surclasse tous les autres, et que si The Ghost Writer lui avait ressemblé de près ou de loin, je me serais précipité pour le voir.

Cela dit, la référence aux Trois jours du Condor de Ben (et sa référence à une ligne claire) me donne bien envie de voir le film aussi (surtout après la ligne inutilement alourdie et embrumée de Shutter Island).
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Watkinssien
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Watkinssien »

Strum a écrit :
Watkinssien a écrit :Chinatown est un film noir, il n'y a aucun rapport (dans le genre) avec ses thrillers obessionnels ! Non le film de 1974 est largement supérieur, de même que Rosemary's Baby.
Sur l'absence totale de rapport entre Chinatown et ses autres films, je serais plus circonspect que toi. Mais pour revenir au sujet, j'essayais simplement de comprendre à quels films des années 60/70 tu faisais allusion, en parlant de "thriller prenant" et en disant qu'il égalait ses réussites des années 60/70 dans le "même genre". Et je citais Chinatown parce que c'est pour moi le chef-d'oeuvre de Polanski et son film le plus prenant, qui surclasse tous les autres, et que si The Ghost Writer lui avait ressemblé de près ou de loin, je me serais précipité pour le voir.

Cela dit, la référence aux Trois jours du Condor de Ben (et sa référence à une ligne claire) me donne bien envie de voir le film aussi (surtout après la ligne inutilement alourdie et embrumée de Shutter Island).

Je pensais à Cul-de-Sac, Repulsion ou Le Locataire, trois réussites incontestables du cinéaste. Je les trouve toujours supérieures à ce The Ghost Writer, mais il y a une maîtrise du suspense dans ce dernier qui ne fait pas tâche (loin de là) aux oeuvres précitées.

Chinatown est mon second film préféré de Polanski et un des plus grands films des années 70, c'est dur de l'égaler celui-là de toute façon ! :wink:
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cinephage
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par cinephage »

Pour ma part, je trouve la description de Ben très pertinente, et, n'étant pas un inconditionnel du Polanski des années 70, je place ce film au dessus de Cul de sac, par exemple (après, pour Chinatown ou Repulsion, c'est difficile de comparer tellement les thématiques sont différentes)...
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Strum »

Watkinssien a écrit :Je pensais à Cul-de-Sac, Repulsion ou Le Locataire, trois réussites incontestables du cinéaste.
Es-tu sûr que Répulsion et Le Locataire soient des "thrillers" ? :P Bon, je n'ai pas vu Cul-de-sac, mais par contre, je ne suis pas très amateur de Répulsion et Le Locataire, même si ce sont des films très bien faits. J'espère que The Ghost Writer ne leur ressemble pas beaucoup, et je me console en repensant à la réfence de Ben à une "ligne claire". :mrgreen:
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Watkinssien »

Strum a écrit :
Watkinssien a écrit :Je pensais à Cul-de-Sac, Repulsion ou Le Locataire, trois réussites incontestables du cinéaste.
Es-tu sûr que Répulsion et Le Locataire soient des "thrillers" ? :P Bon, je n'ai pas vu Cul-de-sac, mais par contre, je ne suis pas très amateur de Répulsion et Le Locataire, même si ce sont des films très bien faits. J'espère que The Ghost Writer ne leur ressemble pas beaucoup, et je me console en repensant à la réfence de Ben à une "ligne claire". :mrgreen:

Ce sont des thrillers psychologiques, à mes yeux, où le fantastique pointe.

Sinon va le voir, tu le préfereras peut-être aux deux films dont tu n'es pas amateur (d'ailleurs qu'est-ce que cette histoire, hein, franchement ?!). :wink:
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Thaddeus
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Thaddeus »

The Ghost Writer se coule pleinement dans le corpus antérieur de Polanski tout en se fondant dans une facture sans doute beaucoup plus "mainstream" que ses grandes oeuvres pathologiques (Répulsion, Rosemary's Baby, Le Locataire).

J'aime bien la définition de Ben, moi aussi. Polanski assume clairement dans l'héritage d'Hitchcock, voire de Fritz Lang, mais au fond il ne fait un film qui n'appartient qu'à lui. Les choix de filmage, l'absurde qui s'invite discrètement dans le cadre et les situations, l'atmosphère subtilement décalée... En fait, s'il fallait citer le film de Polanski dont The Ghost Writer est le plus proche, je dirais Frantic : même enquête labyrinthique dans un climat de plus en plus oppressant, au coeur de décors familiers mais qui virent au surréel... Sauf que ce dernier film est dix fois plus réussi, et me semble plus fécond d'un point de vue thématique (l'isolement, le politique, le pouvoir... : c'est riche).
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Re: The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010)

Message par Major Tom »

Avec Ewan McGregor, Pierce Brosnan, Olivia Williams, Kim Cattrall, James Belushi, Tom Wilkinson, Timothy Hutton, Eli Wallach. Écrit par Roman Polanski et Richard Harris d'après le roman de ce dernier. Musique d'Alexandre Desplat. Produit par Robert Benmussa et Alain Sarde. Un film de Roman Polanski.

Ewan McGregor incarne l'écrivain fantôme du titre anglais: un personnage neutre présenté d'emblée sans passé, sans famille et même sans nom. On sait simplement qu'il a déjà travaillé comme porte-plume et que son livre a rencontré un énorme succès. Grâce à ça, il est engagé pour écrire les Mémoires d'un ex-Premier Ministre britannique, Adam Lang (Pierce Brosnan). Il n'est pas le premier à s'atteler à la tâche, le précédent "ghost-writer" a été retrouvé mort noyé. Pour les besoins de son travail, il rejoint le politicien dans sa splendide résidence sur une île au large de Boston, où l'homme médiatique vit reclus depuis qu'il est menacé par la révélation de crimes de guerre...

Dès le pitch, il est difficile de ne pas penser à la situation actuelle du réalisateur. Cela reste une coïncidence malheureuse dont le cinéaste semble être habitué, depuis au moins l'assassinat de Sharon Tate (la presse de l'époque voyait des similarités entre sa vie et son film de l'époque, Rosemary's Baby)*. Venons-en au film. Depuis un moment, les écrits extrêmement positifs sur The Ghost-Writer se sont multipliés. Même les critiques les moins dithyrambiques trouvent que le dernier Polanski est un bon film tout au moins. Inutile de le cacher longtemps, j'adhère totalement à l'enthousiasme général. The Ghost-Writer est un véritable bijou, une leçon de cinéma présentant tous les caractères d'une œuvre cinématographique majeure.
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The Ghost-Writer est clairement un des meilleurs films de Roman Polanski ; une belle façon de rappeler à ceux qui l'auraient oublié que c'est un très grand cinéaste, et pas n'importe quel tâcheron ou "dinosaure" du cinéma sans plus aucune inspiration. Mais The Ghost-Writer, c'est avant tout un film de mise en scène, et il est donc logique pour tout critique de s'intéresser davantage à la réalisation tant elle regorge de richesses. La question de savoir si le cinéaste méritait ou non l'Ours d'Argent du meilleur réalisateur (décerné en son absence à Berlin cette année) est totalement risible, Polanski venant de signer là une œuvre absolument magistrale. D'emblée, le film démarre par des scénettes muettes (un ferry qui approche pour accoster, une dépanneuse attelant une voiture abandonnée, un cadavre ballotté par le mouvement de la mer) où le réalisateur créé une ambiance incroyable, sidérante par l'économie de moyens et d'effets avec laquelle il y arrive. Nous sommes en plein territoire polanskien.

Depuis l'École de Lodz où il a fait ses classes, appris à rédiger des scénarios et assimilé les bases techniques de tous les métiers du cinéma, Roman Polanski a su rester attentif aux grands principes pédagogiques qu'on lui a enseignés: l'important, c'est de développer une atmosphère et un récit qui se tiennent. Il est depuis longtemps passé maître dans ces domaines. Un des tours de force du film concerne le réalisme, qui est un peu devenu sa marque de fabrique. Décors, meubles et objets sont plus vrais que nature, et il en est de même au niveau de l'atmosphère. Le spectateur participe quasi physiquement à ce récit grâce à la justesse des notations, aussi bien dans les actions (regarder le numéro de la dernière page d'un livre avant de commencer à le lire, être répugné en rangeant les vêtements d'un mort, attendre seul dans un bureau ou à la réception d'un hôtel -l'attente est un motif récurrent chez Polanski, ou chercher ses informations sur Google...) que dans l'ambiance inquiétante (la villa postmoderne avec ses grandes baies vitrées, l'île et ses grands espaces déserts, les plages sous le ciel gris et pluvieux, les personnages énigmatiques ou inamicaux, l'hôtel sans client, etc.).

Le temps se dilate, jusqu'à friser l'ennui, et c'est à cet instant qu'intervient une catastrophe ou un imprévu. Déjà dans Le Couteau dans l'Eau (1962), le premier film de Polanski qui n'a pas pris une ride grâce à la qualité de la réalisation, le cinéaste parvient à accomplir cette même prouesse. La parenté ne s'arrête pas là puisque, comme Le Couteau dans l'Eau, The Ghost-Writer aborde les rapports entre deux personnages d'une génération différente. Le face à face n'oppose plus un journaliste sportif embourgeoisé avec un jeune étudiant auto-stoppeur, mais un ancien Premier Ministre dépassé par la technologie et son nègre qui ne connaît rien à la politique. Nous retrouvons logiquement le thème du rapport de force très présent dans les films de Polanski, aussi bien dans ses courts (Le Gros et le Maigre, Les Mammifères) que dans ses longs-métrages (Le Couteau dans l'Eau, Le Bal des Vampires, Pirates, Lunes de Fiel, La Jeune Fille et la Mort...). Cela nous amène au réalisme des dialogues. À ce sujet, le film est très bavard mais ne donne pas le sentiment de l'être, chaque information renseignant un peu plus le spectateur, et donnant de l'épaisseur aux personnages, sur leur mode de vie, leur aisance, leur égoïsme. Polanski alterne selon un rythme particulièrement juste les scènes muettes où prime l'action, avec des séquences denses où les interlocuteurs dévoilent des fragments de leur personnalité.
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Dans The Ghost-Writer, on ne peut qu'applaudir l'habileté que l'on retrouve dans tous les films de Polanski ; il nous offre une réalisation élégante (et techniquement adroite) au service du scénario, en évitant les répétitions ou le vertige dans les mouvements. Polanski sait même faire des plans statiques sans que l'intensité dramatique ou l'intérêt du spectateur n'en souffrent. Marquant l'histoire de Robert Harris de sa patte personnelle, le réalisateur nous place en observateur indiscret assistant aux malheurs du héros avec lui, via une intelligente combinaison de points de vue. La caméra filme à taille humaine, ne quittant jamais ou presque jamais le héros interprété par Ewan McGregor (ce qui nous évoque Répulsion, Rosemary's Baby, Chinatown, La Neuvième Porte, Le Pianiste...), et par deux fois seulement, au début et à la toute fin, la mise en scène nous préviendra d'un évènement imminent qui échappera à l'attention du protagoniste.

Dans le même ordre d'idée que l'assignation à résidence de Polanski, beaucoup voient dans le personnage de l'ex-Premier Ministre un démarquage de Tony Blair. Toutefois, si Robert Harris, le coscénariste et auteur du livre, a bien connu l'ex-vrai-Premier Ministre à la fac et l'a même revu par la suite, cela reste une spéculation, au mieux une influence artistique pour fournir un développement romanesque, et n'a pas pour but de refléter ou de dénoncer la réalité. La politique dans The Ghost-Writer apporte principalement un climat de paranoïa constant (machinations, grenouillages, menaces, manipulations, énigmes...) que Polanski ajuste avec virtuosité.
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En plus d'être un metteur en scène exigeant, c'est un directeur d'acteur exceptionnel, qualité qu'il tient peut-être du théâtre ou du fait d'avoir été lui-même comédien à ses débuts, puis occasionnellement. La réunion d'autres talents sur ses films ne peuvent que détoner. À ce titre, les acteurs, qui ne sont pas des moindres, livrent une interprétation d'une classe magistrale, notamment Olivia Williams, très juste et pleine d'émotion. Dans la distribution, nous pouvons remarquer que le réalisateur porte toujours cette même attention de peintre aux silhouettes et aux faciès (même s'il y a très peu d'acteurs dans The Ghost-Writer), avec par exemple le choix du très bon Eli Wallach au physique à présent vieilli (Polanski accorde une place importante aux personnes âgées dans ses films), ou de sa propre fille, Morgane Polanski, qui joue le rôle d'une jeune réceptionniste bavaroise!

Film paranoïaque et claustrophobe, The Ghost-Writer marque le retour en forme du cinéaste le plus marqué par les aléas du XXème Siècle, aujourd'hui de nouveau dans la tourmente, mais qui continue de signer des grands films envers et contre tout. Véritable régal cinématographique, c'est par conséquent l'évènement de ce début d'année.

* Notons qu'à l'inverse du personnage d'Adam Lang, Polanski est assigné à résidence et ne peut pas sortir de chez lui, ce qui n'est pas le cas du politicien de son film qui voyage beaucoup à travers le pays...
Dernière modification par Major Tom le 5 mars 10, 20:56, modifié 1 fois.
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