SPOILERS. J'ai été enthousiasmé par cette
Femme au portrait, tout en étant frustré par les limites du scénario dont je connaissais malheureusement déjà l'issue.
J'ai particulièrement apprécié le soin méticuleux apporté à la mise en scène, très rigoureuse et classieuse. Il suffit notamment de citer ce plan d'ouverture à la grue en amphithéâtre, avec ce travelling en hauteur surplombant les têtes des étudiants et s'approchant lentement de Robinson en train d'exposer sur un ton magistral les enjeux moralistes et légalistes à venir. Ce plan dénote une impressionnante minutie qui ne faillira jamais tout du long. Sans être réellement ostentatoire (si ce n'est lors du fameux plan-séquence final) la virtuosité se lit à la lumière de la fluidité générale qui traverse le film. D'un canevas classique quoique toujours efficace, Lang tire un petit modèle de film noir à une époque où le genre commence vraiment à gagner en envergure, notamment dans sa définition plastique. Sorti seulement quelques mois après le déterminant
Assurance sur la mort,
La femme au portrait s'insère tout à fait dans cette espèce de dynamique d'embellissement, de perfectionnement, des figures précédemment avancées dans le cinéma américain par Huston, Walsh, les films du tandem Veronica Lake/Alan Ladd, et qui ne demandaient qu'à être sublimées. Peut-être schématise-je trop mais je remarque que la production de cette année 1944 marque véritablement, à divers niveaux, la formulation du film noir sous sa forme matricielle. Empêtrement dans la fatalité, atmosphère lourdement anxiogène, suggestion érotique ambiante, canons esthétiques d'autant plus cohérents dans le cas de l'expressionniste Lang, les cartes sont correctement réunies dans
La femme au portrait.
En se rattachant au canon du couple meurtrier, Lang trouve dans le même temps matière à explorer ses thématiques sur le poids de la culpabilité et du refoulement. On est ainsi frappé de voir à quel point ce scénario de crime accidentel et maquillé est personnel, et éventuellement à quel point la porte de sortie accordée contre toute attente au personnage de Robinson exprime peut-être quelque chose d'intime chez Lang. Fantasmant une créature vénéneuse et aguichante (probable prostituée) en l'absence de femme et enfants, fantasmant un homicide involontaire et les rouages d'une enquête se rapprochant inexorablement de lui, le personnage d'Edward G. Robinson exprime l'interrogation langienne caractéristique sur le conflit humanité/culpabilité : l'homme peut être les deux à la fois. Lang présente ici un coupable pétri de scrupules qui se débat comme un diable pour s'en sortir mais qui reste jugé au premier titre par sa propre conscience. Le twist final, dévoilant la nature onirique, mentale, de cette funeste aventure, permet en ce sens de mieux prendre la mesure de cette auto-alimentation de culpabilité, dans la mesure où, non content de se punir d'avoir été tenté par une femme en commettant un homicide, l'inconscient de Robinson exhume tous les indices possibles pour que la Justice (donc la morale, la bonne conscience) puisse lui mettre la main dessus et le neutraliser. Même quand l'inconscient du personnage imagine la culpabilité du maître-chanteur aux yeux de la police, cela ne stoppe pas le processus punitif devant conduire au choix onirique du suicide. Cependant, des faiblesses scénaristiques viennent fragiliser ce discours, voire le contredire. Prenons cet épilogue, très ambivalent au final. Certes ce rêve moite aura enseigné à notre professeur vieillissant qu'il peut succomber à des tentations refoulées. C'est un coupable en puissance (d'infidélité, voire plus). Mais la nature onirique de cet enseignement relativise fatalement sa portée : tout ceci n'était
qu'un rêve ! L'inconscient bride, punit, mais à partir de choses imaginaires. Alors que le twist peut se défendre, Lang lui-même hésite entre deux postures, entre la psychanalyse étouffante et sa dédramatisation finale dans un humour qui sonne faux à mes oreilles, et une dimension moralisatrice (fais bien gaffe, hein, ton inconscient t'aura prévenu, tu ne peux plus faire celui qui ne savait pas !) que je trouve moins convaincante que ce processus d'auto-flagellation inconsciente et non maîtrisée.
J'aurais également à reprocher le changement de point de vue dans le rêve (on passe de Robinson à Joan Bennett dans certaines scènes), ce qui dans un cadre onirique subjectif est un peu malhonnête. Il me semble qu'on est toujours témoin de ses rêves et concevoir des scènes sans Robinson, c'est mettre les spectateurs sur une fausse piste commode mais incohérente par rapport à la structure. Ce n'est pas bien méchant, mais ça m'a fait tiquer.
La femme au portrait reste un très bon film noir, plein de suspense et de rebondissements, et un passionnant Lang. Edward G. Robinson et Joan Bennett sont parfaits.