La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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phylute
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Message par phylute »

Tuck pendleton a écrit :Découvert aujourd'hui sur Cinépolar.

SPOILERS

Une très bonne surprise que ce Woman in the window qui en plus de posséder une interessante réflexion sur le genre du film noir, auquel le Femme Fatale de De palma doit sans doute beaucoup, est d'une facture quasiment parfaite. Les diverses sensations qu'il procure et l'atmosphère paranoiaque dans lequel nous sommes délicieusement plongé par l'intermédiaire du personnage de G.Robinson font défiler les 1h40 sans aucune baisse de rythme ni ennui. Lang, sur le terrain d'Hitchcock, se permet tout un tas de remarques assez amusantes sur les rapports Homme / Femme comme lorsque dans un hall d'hotel, une conversation entre Bennett et Robinson est interrompu par une mère apprenant les bonnes manières à son très jeune fils. Le personnage de Robinson prend au retournement finale une caractéristique supplémentaire et intéresante qui se laissait toutefois deviné pendant le film. Celle d'un homme trop vieux pour flirter mais ayant toujours une attirance irrésistible pour la gente fémine. Il tuera au final les trois personnages masculins principaux qu'il aura crée, comme une sorte de conclusion à la petite discussion introductive au film " Ce n'est plus de notre âge". La pseudo mort de Robinson est d'ailleurs filmé assez joliment, lorsque dans son fauteuil, après avoir pris une dose importante de somnifère, une lumière vient éclaicir violemment son visage tandis que la bande son s'éteint peu à peu.
L'autre scène phare du film renvoie bien sûr au titre "Woman in the window" quand Waley aperçoit le visage de la femme se superposant au tableau dans le reflet de la vitre. Les scènes de séductions qui suivent ont je trouve quelque chose de vraiment hypnotique notamment grâce à la beauté et l'interprétation de Benett . La violence et l'arrivée très brusque de la scène du meurtre surprend d'autant plus.

Vraiment très bon :)
SPOILERS AUSSI
J'étais tellement furieux du twist final, que je pense être passé complètement à côté des enjeux du film, trop fixé que j'étais sur la thématique de la culpabilité si présente chez Lang... merci de me remettre dans la bonne voie Tuck !
Sinon c'est effectivement un des plus beaux films de Lang. La maîtrise dont il fait preuve est proprement incroyable et Edward G. Robinson est prodigieux. Magnifique !
Les films sont à notre civilisation ce que les rêves sont à nos vies individuelles : ils en expriment le mystère et aident à définir la nature de ce que nous sommes et de ce que nous devenons. (Frank Pierson)
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Re: La Femme au Portrait, de Lang (Simone Choule wanted)

Message par Bartlebooth »

Philip Marlowe a écrit :PS: Simone! Tu avais dit dans un topic De Palma que chez Lang, contrairement à chez Hitchcock, l'image était un piège. Tu peux approfondir stp!
Puisque Simone ne répond pas...

SPOILERS

Oui, l’image est un piège chez Fritz Lang. Un piège à mensonge ou à un piège à vérité ; et souvent les deux à la fois : ce n’est pas un hasard si Mabuse est un hypnotiseur.
Dans beaucoup de films de la période américaine, la mise en scène est le siège d’une réflexion lucide sur cette puissance de l’image. Lang n’ignore pas que le cinéma est, comme les autres médias, la presse, la radio et bientôt la télévision, une machine à influencer ; mais qu’il est capable aussi de mettre en scène, représenter, analyser, démonter ce pouvoir d’influence.
Dans Furie, c’est un film qui apporte la preuve de l’innocence de Spencer Tracy.
Dans la Femme au portrait, un criminologiste admire un portrait de femme dans la vitrine d’une galerie. Soudain, le modèle se matérialise (sous la forme d’un reflet dans la vitre) et aspire bientôt l’homme dans un engrenage fatal.
La Cinquième Victime propose une réflexion sur le pouvoir ambigu des médias et leur emprise croissante dans la société américaine des années 1950. Les bureaux du New York Sentinel sont un labyrinthe de cloisons vitrées, mais cette transparence affichée est bien évidemment un leurre.
Dans l’Invraisemblable Vérité, Dana Andrews fabrique (sous forme de photographies) une série de fausses preuves destinées à l’accuser d’un crime dont il est supposément innocent. Ces preuves se retourneront pour finir contre lui : les images truquées (donc mensongères) disaient en réalité la vérité.
Enfin, Mabuse, dans le Diabolique Docteur Mabuse (dont le titre original est les Mille Yeux du docteur Mabuse, tout un programme !), règne sur un monde d’apparences trompeuses par le biais d’un dispositif de télésurveillance. Il faudra aux héros littéralement briser la glace pour le mettre au jour.
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Re: La Femme au Portrait, de Lang (Simone Choule wanted)

Message par Bartlebooth »

Philip Marlowe a écrit : Intrigue:
Une nuit, alors que sa femme et ses deux enfants sont partis en vacances, un criminologue s'arrête en admiration devant un portrait de femme dans une vitrine. Cette dernière apparait derrière lui et lui demande du feu.
P.-S. De Laura au film de Lang, de Pandora à Portrait of Jenny et jusqu'à Vertigo (visite au Musée où Scottie découvre que Madeleine a le même chignon que la Carlotta du tableau), ce thème de la femme au portrait hante le cinéma hollywoodien de l'après-guerre. Films sur la fascination, ce sont aussi des rêves ou des rêveries romantiques et semi-fantastiques, qui tournent parfois au cauchemar.
Comme Edward G. Robinson, Dana Andrews dans Laura tombe amoureux d'une femme par l'intermédiaire de son portrait avant de la voir apparaître en chair et en os, comme matérialisée par la toute-puissance de son désir.
Je suis tenté d'y voir une allégorie inconsciente de la psyché du spectateur (mâle). Le portrait montre une femme que Robinson et Andrews aimeraient ou auraient aimé rencontrer, comme le spectateur peut désirer rencontrer la femme - le modèle, c'est-à-dire l'actrice - dont l'image le fascine à l'écran. Mais comme le peintre de Portrait of Jenny, la femme que nous aimons le temps d'un film est un fantôme. Et comme James Stewart à la fin de Vertigo, nous la perdrons fatalement à la fin de la projection après avoir tout fait pour la retenir.
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Roy Neary
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Re: La Femme au Portrait, de Lang (Simone Choule wanted)

Message par Roy Neary »

Bartlebooth a écrit :Je suis tenté d'y voir une allégorie inconsciente de la psyché du spectateur (mâle). Le portrait montre une femme que Robinson et Andrews aimeraient ou auraient aimé rencontrer, comme le spectateur peut désirer rencontrer la femme - le modèle, c'est-à-dire l'actrice - dont l'image le fascine à l'écran. Mais comme le peintre de Portrait of Jenny, la femme que nous aimons le temps d'un film est un fantôme. Et comme James Stewart à la fin de Vertigo, nous la perdrons fatalement à la fin de la projection après avoir tout fait pour la retenir.
C'est une vision que je fais mienne depuis très longtemps déjà. Et cette forme de relation, à la fois belle et douloureuse, est l'une des raisons qui me font adorer le cinéma.
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Message par Ender »

phylute a écrit :SPOILERS AUSSI
J'étais tellement furieux du twist final, que je pense être passé complètement à côté des enjeux du film, trop fixé que j'étais sur la thématique de la culpabilité si présente chez Lang... merci de me remettre dans la bonne voie Tuck !
Sinon c'est effectivement un des plus beaux films de Lang. La maîtrise dont il fait preuve est proprement incroyable et Edward G. Robinson est prodigieux. Magnifique !
Vu le film récemment au cinéma... petit retour sur cette fin qui je trouve achève de désorienter le spectateur, et creuse et déplace les enjeux du film. SPOILERS, donc.

Loin de constituer une simple facilité pour conclure le récit, le réveil d'Edward G. Robinson prolonge la question de la culpabilité qui travaille le film. Alors même que ce dénouement innocente le héros des fautes qu’on l’a vu commettre, on le présente finalement comme rongé par la culpabilité : il a rêvé cette culpabilité, elle est une obsession. Elle n’a plus de cause désignée dans le récit, et la réflexion se creuse donc plus profondément sur le sentiment humain de la culpabilité ; sur la conscience indépassable d’une culpabilité (rapport aux mythes des origines, Adam et Eve, péché originel, puis Abel et Caïn, premier crime) : l’existence humaine s'accompagne nécessairement, sinon de la faute, de la conscience de celle-ci, et de ses conséquences ; les premiers enfants de Dieu chassés du Paradis.
Ce qui pousse Edward G. Robinson en fin de film à fuir devant la prostituée qui s’offre à lui et donc rester fidèle à sa femme absente, ce n’est pas sa moralité, mais le rêve qu’il vient de faire où il voit les conséquences désastreuses pour lui d’une décision similaire. C’est la peur qui suscite la morale...
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Message par Watkinssien »

Tout ceci me donne envie de revoir ce très grand film, merveille de film noir aux imbrications psychanalytiques fascinantes, proche du fantastque.

Lang préconise brillamment le pacours capital de l'onirisme comme la parfaite synthèse du langage cinématographique et accumule les séquences fascinantes.

La mise en scène, d'une rare intelligence, est constamment inventive et Edward G. Robinson est magnifique !
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Message par Wall of Voodoo Fan »

Dan Duryea, plus vrai que nature en salopard suintant la bassesse. Dès qu'il apparaît à l'écran, on sait qu'Edward G. Robinson va avoir de sérieux problèmes.
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Roy Neary
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La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Roy Neary »

DVDClassik met en ligne sa chronique du coffret Classic Confidential consacré au deux films noirs de Fritz Lang, La Femme au portrait et La Rue rouge. Ce qui nous donne l'occasion, pour ce dernier, de faire un comparatif avec l'édition Carlotta parue il y a quelques mois.
C'est le Pr. ed qui est aux manettes du diptyque, toujours déterminé à résoudre l'équation présidant à l'alchimie propre au Film Noir. :D

:arrow: La Femme au portrait

:arrow: La Rue rouge
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Watkinssien
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Watkinssien »

Deux chroniques intéressantes pour deux très grands films de Lang.

La femme au portrait est une merveille de film noir onirique, où Lang utilise à la perfection les composantes narratives d'un engrenage subtil, entre enchevêtrements et symbolisme.
Quant à La rue rouge, cette relecture du roman adapté par Renoir dans son merveilleux La Chienne (1931) est une œuvre brillante du grand Fritz Lang, dans laquelle son sens de l'atmosphère, sa violence des sentiments et cette notion de culpabilité tenace (et intimement personnelle chez le cinéaste) s'imbriquent avec une harmonie, un accord remarquables. Et Edward G. Robinson est impeccable !
Mais si la comparaison avec le film de Renoir est inévitable (deux styles "s'affrontent" mais ce sont deux grands styles), Scarlett Street est surtout un prolongement du film précédent de Lang, The Woman on the Window (1944) avec les mêmes acteurs principaux.
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Demi-Lune »

Belles chroniques, comme toujours.
Je n'ai pas eu le temps de voir ces deux films, mais cela ne saurait tarder. En outre, ce coffret est vraiment un objet superbe dont je ne regrette pas l'achat.
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Strum »

J'avais énormément aimé La Femme au Portrait qui reste un de mes Lang préférés de sa période américaine. Et l'artifice du rêve ne m'avait pas gêné, peut-être pour les deux raisons suivantes :

1) Le film suit pas à pas le personnage d'Edward G. Robinson, nous faisant voir dans mon souvenir plusieurs évènements de son point de vue grâce aux cadrages de Lang (et notamment le tableau dans la vitrine et le reflet de Joan Bennett) si bien qu'à force d'épouser ce point de vue, je m'étais assez largement identifié à lui. Plutôt que d'être déçu par la fin, j'en avais donc conçu une espèce de lâche soulagement et le plaisir partagé avec le personnage principal d'échapper au pire (je n'entre pas dans les détails pour éviter les spoilers). Je précise que je ne connaissais pas la fin du film quand je l'ai vu, et ma surprise (et sans doute mon soulagement) n'en a été que plus grande.

2) On trouve dans certains rêves une atmosphère de fatalité, tout comme dans un film noir. Je veux dire par là que l'atmosphère, les couleurs, les sensations, la nature d'un rêve sont souvent données d'avance, dès le début du rêve. De même que l'on pressent que tel rêve va mal se terminer, on pressent que tel film noir va mal finir. Je n'en ai donc pas voulu au film de faire un rapprochement entre le film noir et le rêve jusqu'à les fondre l'un dans l'autre.
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Ender
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Ender »

Strum a écrit :J'avais énormément aimé La Femme au Portrait qui reste un de mes Lang préférés de sa période américaine. Et l'artifice du rêve ne m'avait pas gêné, peut-être pour les deux raisons suivantes :

1) Le film suit pas à pas le personnage d'Edward G. Robinson, nous faisant voir dans mon souvenir plusieurs évènements de son point de vue grâce aux cadrages de Lang (et notamment le tableau dans la vitrine et le reflet de Joan Bennett) si bien qu'à force d'épouser ce point de vue, je m'étais assez largement identifié à lui. Plutôt que d'être déçu par la fin, j'en avais donc conçu une espèce de lâche soulagement et le plaisir partagé avec le personnage principal d'échapper au pire (je n'entre pas dans les détails pour éviter les spoilers). Je précise que je ne connaissais pas la fin du film quand je l'ai vu, et ma surprise (et sans doute mon soulagement) n'en a été que plus grande.

2) On trouve dans certains rêves une atmosphère de fatalité, tout comme dans un film noir. Je veux dire par là que l'atmosphère, les couleurs, les sensations, la nature d'un rêve sont souvent données d'avance, dès le début du rêve. De même que l'on pressent que tel rêve va mal se terminer, on pressent que tel film noir va mal finir. Je n'en ai donc pas voulu au film de faire un rapprochement entre le film noir et le rêve jusqu'à les fondre l'un dans l'autre.
Je trouve cette fin brillante, qui creuse encore le thème de la culpabilité. Dans la mesure où cette scabreuse affaire est rêvée par le héros, la culpabilité qui le ronge n'est plus motivée par ses actes, le sentiment de la faute est plus existentiel et profond.
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Strum »

Ender a écrit :Je trouve cette fin brillante, qui creuse encore le thème de la culpabilité. Dans la mesure où cette scabreuse affaire est rêvée par le héros, la culpabilité qui le ronge n'est plus motivée par ses actes, le sentiment de la faute est plus existentiel et profond.
Oui, c'est une fin qui reprend à son compte ce raisonnement propre à la psychanalyse notamment.

On pourrait aussi dire les choses ainsi :

1. Le fatalisme du film noir reflète souvent un sentiment de culpabilité qui remonte dans son expression artistique au moins jusqu'à la tragédie grecque, celui d'une culpabilité qui pèse sur le héros, pas seulement à cause de ses actes propres, mais aussi voire surtout à cause de sa famille, ou plus généralement du groupe dont le héros prend sur lui la faute, parfois consciemment. L'Orestie d'Eschyle est le modèle de cette culpabilité-là. Dans un film noir comme dans la tragédie grecque, le destin du coupable est donc de mourir, ce qu'il pressent, et d'une certaine façon de payer pour les autres. Et c'est peut-être ainsi que le spectateur d'un film noir ressent les choses : s'étant identifié au héros du film, et ayant donc intégré le principe d'une culpabilité générale, il comprend et accepte le fait que le héros court vers l'abîme sans rien pouvoir y faire, et que cette mort que le destin lui réserve est presque souhaitable, comme si, dirait René Girard, la mort d'un bouc émissaire libérait les autres de leur culpabilité. Le spectateur, édifié, serait alors libéré à la fin du film du poids du destin qu'il ressentait durant sa vision. Il en concevrait lui aussi le lâche soulagement dont je parlais plus haut. C'est la catharsis souvent associée au film noir (et qui le rapproche là encore de la tragédie grecque telle que l'a analysée Aristote).

2. Dans La Femme au Portrait, on retrouve exactement ce schéma du lâche soulagement, sauf qu'Edward G. Robinson s'intercale entre le spectateur et le film noir. En rêvant le film, Robinson en devient en somme le premier spectateur, et le premier à intégrer l'idée d'une culpabilité personnelle dont il peut se libérer en sacrifiant quelqu'un d'autre (son double dans son rêve). Bien sûr, pour qu'il y ait libération d'une culpabilité ressentie comme intérieure, il faut d'abord qu'il y ait eu intériorisation d'un sentiment de culpabilité. Ce principe d'intériorisation est fondateur en psychanalyse. Dans La femme au portrait, Robinson éprouve cette culpabilité extérieure en regardant le portrait de Joan Bennett, qui le fait fantasmer (on le comprend). Sa culpabilité une fois éprouvée, et le destin de son double rêvé sacrifié, Robinson se réveille en agissant comme un homme libéré, et ce sentiment de libération contamine le spectateur qui le ressent par procuration. De Aristote et Girard (je ne peux de toute façon plus invoquer le deuxième, lui si critique avec la psychanalyse), on passe ainsi à Borges : le spectateur de la Femme au Portrait se sent libéré au travers du personnage de Robinson, comme si celui-ci était notre reflet de spectateur de film noir à l'intérieur du film, comme si nous nous trouvions devant une succession de rêves embriqués l'un dans l'autre (à l'instar d'une poupée russe) et se rapprochant toujours plus du noyau de la culpabilité : nous-mêmes nous rêvant en Robinson endormi, rêvant lui-même le film. On reconnait ici un thème cher à Borges, celui du rêveur rêvé, et pour rester fidèle au génial auteur argentin, on pourrait dire de tout cela que Lang croyait faire un film lié à la psychanalyse avec La Femme au Portrait, alors qu'il adaptait en fait sans le savoir une nouvelle de Fictions de Borges.
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Boubakar
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Boubakar »

Strum a écrit :J'avais énormément aimé La Femme au Portrait qui reste un de mes Lang préférés de sa période américaine. Et l'artifice du rêve ne m'avait pas gêné...
C'est justement cette concession au happy end que je lui reprocherais, qui est quasiment une facilité de scénario en soi.
Mais à part ça, c'est vraiment très bien, toute une partie me rappelait du Hitchcock (La corde, essentiellement, quand l'enquêteur commence à questionner "lourdement" le personnage d'Edward G; Robinson, à cause de sa main bandée), et avec une utilisation de la lumière très "film noir".
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Re: La Femme au portrait (Fritz Lang - 1944)

Message par Alphonse Tram »

Boubakar a écrit :C'est justement cette concession au happy end que je lui reprocherais, qui est quasiment une facilité de scénario en soi.
Mais à part ça, c'est vraiment très bien, toute une partie me rappelait du Hitchcock (La corde, essentiellement, quand l'enquêteur commence à questionner "lourdement" le personnage d'Edward G; Robinson, à cause de sa main bandée), et avec une utilisation de la lumière très "film noir".
Je suis d'accord. Le scénario tire vers le film noir, mais le happy end m'a frustré. Evidemment, on peut certes y trouver son compte en creusant du coté de la psychanalyse, et même pour le néophyte cela peut rester un très bon film (pour info, j'ai détesté Fictions, de Borges; trèes mauvais souvenirs :mrgreen: => à relire peut-être ?)
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