Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009) - avis p.18

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Shin Cyberlapinou
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Oui Jeremy, ce n'est déjà qu'un film et j'ai trouvé yaplusdesaisons et Tuesday mine de rien mesurés (et en tout cas développés) dans leurs raisonnements, même si je ne suis pas forcément d'accord avec eux.

Encore que: je suis assez d'accord avec Stark. Oui, les personnages d'Inglourious Basterds sont limite de simples figures, des coquilles vides. Oui, le cinéma de Tarantino est symptomatique d'une certaine immaturité, et n'a que peu d'intérêt pour l'Humain, ou même le sentimental. Mais ce n'est pas nouveau, c'est même là depuis le début: les personnages de Reservoir Dogs sont avant tout les pions d'une narration virtuose (dont les thèmes de loyauté et d'amitié virile doivent pas mal à un certain cinéma hong kongais, à commencer par le fameux City on fire de Ringo Lam), ceux de Pulp Fiction sont également le joujou de rebondissements inattendus (overdose, balle perdue, viol par des dégénérés... ). On parle de Jackie Brown comme d'un film "sincère, poignant, mature" centré sur de vrais personnages usés par la vie, mais pour moi c'est avant tout le film d'un trentenaire qui singe la maturité en faisant mine de s'intéresser à des personnages plus développés que les archétypes plus ou moins superficiels qu'il illustre. Il faudrait que je revoie le film (pas revu depuis sa sortie) pour confirmer ce sentiment, mais le fait que Tarantino ne soit pas revenu à un tel style semble confirmer que la "sensibilité" n'était pour lui qu'une matière de plus à redigérer. A la limite le film le plus satisfaisant de ce point de vue est Kill Bill, car assumant le statut d'icone de ses personnages (The bride, anonyme pendant les 3/4 du récit) et les creusant principalement au sein de cette iconisation, sans cherche du côté de l'Humain ou du Réel, cette notion avec Tarantino a décidément du mal.

Mais est-ce forcément un problème? Un film (et un récit en général) doit-il forcément viser une vérité émotionnelle (ou même une "profondeur") pour être bon? Je n'ai que très rarement de soucis "éthiques" avec un film (l'un des rares à me poser problème: Funny Games, dont l'arrogance et la linéarité dans la pensée m'ont profondément gonflé. Ensuite il y a les films de propagande mais c'est une autre question)), je n'ai pas besoin de me retrouver dans ses valeurs (au sens "vision du monde") pour en apprécier la réussite ou l'échec. J'ai pris depuis longtemps acte de la "superficialité" du cinéma de Tarantino, de sa virtuosité un peu vaine, de sa vision d'un monde tout entier replié sur le cinéma. C'est comme ça qu'il fonctionne, le critiquer sur ce point, c'est un peu comme dire "Melville c'est trop froid", "John Woo, c'est trop mélo", "Leone, trop maniéré", "De Palma, trop cynique (j'ai vraiment du mal avec Body Double)", "Eisenstein, trop théorique", "Kubrick, trop minéral"... Même si c'est vrai, ce sont des avis qui reposent sur des notions de sensibilités trop personnelles pour être utilisables dans un débat à froid (cf la réaction de Jeremy Fox).

Dans le cas d'Inglourious Basterds, il semblerait que les opinions au sujet de Tarantino soient exacerbées par le fait qu'il applique sa méthode de digestion et d'irrévérence cynique à un sujet, la Deuxième Guerre mondiale, que l'on aurait pu croire à l'abri de ce genre "d'indignité". Tarantino encule l'Histoire et le fait savoir joyeusement. Il n'a aucune pudeur, aucune conscience, aucune responsabilité. Les gangsters rigolos, les belles femmes vieillissantes, les séries B mal branlées, les bombasses vengeresses, la Shoah, tout ça a pour lui exactement la même valeur, un matériau utilisable et déformable à l'envi. Plus relativiste que ça, il faut effectivement chercher, et il est normal (rassurant? ) que ça coince chez certains.

Mais accordons ce crédit à Tarantino: pas une seconde il ne nous prend en traître. Dans le cas d'Inglourious Basterds, le propos historique n'a rien d'insidieux, clame même bien haut sa nature de non-propos. Même le spectateur le plus basique jouissant sans aucune réflexion des exactions à l'écran* comprend que, quand on mitraille la gueule d'Hitler en gros plan (pour moi le plan qui fait du film un grand virage dans la représentation ou non-représentation du conflit, cf ma théorie du film terminal), on vise un autre but que Spielberg, où que les quelques films sur le sujet (même les comédies) qu'il a forcément (ou pas?) vus à la télé. Je trouve ça en tout cas bien plus sain que certains films japonais récents, qui sous couvert de divertissement sur fond de Guerre du Pacifique proposent un discours gentiment nationaliste (sans jamais oser le révisionnisme). Rien d'insidieux dans l'irresponsabilité, c'est déjà ça.

En fait le succès de Tarantino, c'est un peu comme le succès de Scarface auprès des jeunes de banlieue (et ceux qui veulent leur ressembler) qui y verraient un modèle de réussite. Ca en dit moins sur le réalisateur ou le film que sur l'environnement qui leur font un triomphe. Dans un monde "parfait", Tarantino serait sûrement un astucieux faiseur de séries B, plus méchantes et plus futées que la moyenne. Qu'on en fasse l'un des géniaux meneurs du cinéma moderne, c'est surtout révélateur des manques du dit cinéma moderne, qui compenserait son absence de "grandeur" par un sens du buzz, de l'esbrouffe et de recyclages pop cultureux (car la pop culture c'est le seul tronc commun du public actuel, à l'opposé de générations qui ont connu guerres et Grande Dépressions. Forcément ça claque moins). Dans cette optique pessimiste, Tarantino serait le symptome, pas la maladie.

Il en va de même pour l'accueil d'Inglourious Basterds. Quand je dis que c'est un film terminal sur la 2ème guerre mondiale, je ne m'en réjouis pas nécessairement: il aurait peut-être été plus sage de poursuivre une exploration linéaire de la question, avec des traitements de plus en plus obliques (la Shoah avec des souris dans Maus, les derniers jours d'Hitler dans La chute, des juifs obligés de travailler pour les nazis dans Les faussaires, La vie est belle... ), jusqu'à un tour supposé complet de la période. Inglourious Basterds vient nous rappeler que cette guerre n'en a plus pour longtemps avant de devenir une totale abstraction, avec laquelle on peut impunément faire mumuse pour la plus grande joie d'un public vraiment pas restreint (en tout cas par rapport aux nostalgiques des Grindhouse... ). Ce n'est pour moi ni mal ni bien, mais très intéressant quant à la suite des choses pour représenter cette guerre. Tarantino aura au moins ce mérite...


* Vous noterez que le gros plan jouissif/vulgaire/pornographique/indéfendable de la croix gammée gravée dans le front de Landa est imméditament suivi d'un plan en vue subjective nous mettant à la place de la victime/complice... Le propos très théorique de Funny Games n'est décidément pas loin (je l'avais déjà évoqué), mais au moins Tarantino est à la même hauteur que son public... A moins que?
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Thaddeus
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Thaddeus »

Tuesday a écrit :l'illusion d'intellectualisme qu'il donne à ceux que je ne peux appeler autrement que ses suiveurs.
Je ne permettrai pas de mettre en cause la sincérité des défenseurs de son cinéma. Si de nombreux spectateurs adorent Tarantino, c’est sans doute qu’ils ont des raisons valables à leurs yeux, et qu'ils l'aiment de façon très motivée. Motivations que je ne partage pas, donc, dans ma sensibilité et mes attentes de spectateur.
Demi-Lune a écrit :J'aime assez l'image de vignette que tu emploies pour caractériser les personnages tarantiniens, car j'ai moi-même souvent eu le sentiment qu'ils n'étaient rien d'autres que des schémas, construits de telle façon à procurer un plaisir immédiat au spectateur de par le côté décalé ou très affirmé de leur personnalité. Mais ces schémas ne sont que de maigres façades derrière lesquelles on ne perçoit rien. C'est creux - jubilatoire sur l'instant - mais, rétrospectivement, creux quand même, car rien n'est fait, de la part du réalisateur, pour construire un fond, un vécu, une authenticité, à ces figures rigides (mis à part Jackie Brown). Cette curieuse incapacité à faire pleinement "exister" ces personnages, à faire d'eux des "êtres" et non des figures de papier (je dis curieuse car il est vraiment paradoxal que Tarantino échoue alors qu'il est capable d'une imagination assez folle dans ses scripts), explique peut-être le sentiment de vacuité que l'on peut ressentir face au cinéma de Tarantino.
Je suis complètement d’accord avec tout ça, et c’est l’un des principaux problèmes que me pose le cinéma de Tarantino. Je me suis déjà longuement exprimé, inutile que je précise davantage, d’autant qu’apparemment nous sommes d’accord. Chez Tarantino, les personnages ne se définissent non pas par leur nature mais par leur fonction. Ce ne sont pas des êtres faits de chair, de sentiments et d’affects mais des inventions superficielles qui ne dépassent jamais leur statut de créatures de fiction. Si amour il y a, c’est un amour des clichés, de la surface des personnages. Le cinéaste n'aime pas ses protagonistes, mais ce qu'ils représentent, il soigne leur fonction dans le récit, leur rôle de vecteur de dialogues, etc... Parce qu’il n’y a pas de personnages chez Tarantino, il n’y a que des idées, des principes qui régissent des figures. Ce cinéaste est, à mes yeux bien sûr, incapable de se vouer à la vie et à l’existence complexe, vibrante, intime de personnages.
Demi-Lune a écrit :L'utilisation de la violence dans les films de Tarantino m'a toujours un peu mis mal à l'aise, car le réalisateur tend à la présenter comme une chose amusante, banale, bouffonne, triviale, fun (à la différence d'un Scorsese, qui par son ultra-réalisme et sa sécheresse, provoque une forme de répulsion précisément recherchée). Les exemples dans sa filmographie ne manquent pas, mais je citerai quand même le meurtre de Bridget Fonda par De Niro dans Jackie Brown : très dérangeant car totalement gratuit (Tarantino aime les personnages féminins mais pour le coup, je me suis demandé s'il ne devenait pas misogyne pour le fun), et, une fois encore, filmé de manière comique. J'avoue que considérer la violence sous cet angle me gêne énormément.
Encore une fois d’accord, sauf que moi je trouve ça carrément odieux, complètement immature et inconséquent. Cependant je trouve contrairement à toi que QT se montre très adulte sur le traitement de la violence dans Jackie Brown : tous les meurtres y sont filmés hors champ, ce qui ne fait qu'en souligner le caractère abominable sans que jamais la jouissance du spectateur ne soit prise à partie. L’assassinat de Bridget Fonda, qui survient de façon extrêmement sèche et inattendue, me glace le sang – là-dessus, je ne l’ai pas du tout trouvé qu’il était filmé de manière comique. Contrairement aux quelques scènes de sadisme d’Inglourious basterds, où le spectateur est censé rire grassement de la débauche de violence qui s’épanche à l’écran. Voir comment Tarantino fait monter la pression quand l'officier allemand se fait éclater, comment il titille la complicité du spectateur à ce moment-là , avec les martèlements de la batte qui annoncent l’explosion attendue, etc. Moi à chaque seconde du truc je me dis qu'il faut qu'il arrête, que c'est dégueulasse de faire ça, je n'ai pas du tout envie de voir ce type se faire massacrer, c'est révoltant. J’ai franchement l’impression (peut-être que je me trompe) que Tarantino cherche la connivence du spectateur à ce moment-là, impression confirmée par les cris de joie et les applaudissements dans la salle au moment de la décharge de violence qui suit. J’étais effaré. Il n'y pas la moindre trace de distanciation critique derrière ça, pas la moindre velléité de stimulation du spectateur sur la nature de ce qu'il voit, sur l'horreur de ce qui lui est montré. Bah non, c'est du spectacle, du second degré, du grand-guignol, de l'outrance. Les nazis sont des nazis d'opérette qu'on peut massacrer et torturer, allons-y gaiement. Idem lors de la présentation du personnage de Til Schweiger : petite séquence de brutalité sanglante pour s’amuser ; ça égorge, ça flingue, ça gicle en gros plans, pendant de longues minutes. Et ça revient dans le film, comme ça, de temps en temps, comme une piqûre de rappel, comme si Tarantino avait besoin faire joujou avec la violence gore, fun et décomplexée pour s’amuser. Je trouve ça… heu… d’une gaminerie sans nom, pour ne pas dire plus.

Et là, je ne parle que du traitement de la violence. Celui de la vengeance me gêne énormément également.
Pour m’expliquer je vais m’écarter d’Inglourious basterds et parler du personnage principal de Kill Bill, parce que cette Mariée est un personnage qui me vaut une répulsion intégrale. J’ai rarement ressenti autant de dégoût et d’antipathie pour un personnage à l’écran. Chose qui n’est pas un problème en soi (un personnage peut très bien être détestable) mais qui le devient dès lors que Tarantino est de toute évidence de son côté et chercher à stimuler l’empathie émotionnelle du spectateur avec elle. Que voit-on dans Kill Bill ? Une femme qui, après s'être enivrée de violence, après avoir accompli sa vengeance, peut vivre sereinement son rôle de femme et de mère. En d’autres termes : une volonté de justifier et de légitimer la vengeance d’une mère pour retrouver sa fille. Et c'est bel et bien ce qui est impardonnable de la part de Tarantino ! Pour lui, la maternité et l'expérience d'une vie saine doivent impérativement passer par le meurtre et la vengeance, il est absolument incapable d'envisager l'épanouissement de son héroïne autrement que par ce biais-là.
Le parcours de la Mariée s'effectue dans l'euphorie et l'extase la plus complètes. Je ne perçois aucun remords dans sa trajectoire, aucune tristesse : juste une servitude absolue à sa fonction de machine à tuer, qui lui enlève toute humanité. C'est le précepte dicté par son mentor qu'on nous rappelle dès le meurtre de Vernita exécuté : "Réprime toute émotion humaine, étouffe toute compassion." Je ne peux pas m'émouvoir pour pareil personnage. La Mariée est mue par le goût de la violence et du sadisme (le bras coupé de Julie Dreyfus, l'énucléation de l'oeil d'Elle Driver, épargnée pour qu'elle porte intégralement tout le poids de sa souffrance, etc...). Je renvoie également à la toute première réplique du Volume 2, lors du prologue. La Mariée regarde la caméra, sourire satisfait en coin, enivrée par son parcours, elle nous dit : "J'ai tué beaucoup de gens, j'y ai pris énormément de plaisir, et je vais continuer... jusqu'à ce que je tue Bill." A ce moment-là, je trouve ce personnage profondément haïssable, particulièrement lorsque je mets ce "plaisir" en relation avec le meurtre de Vernita devant les yeux de sa fille... Encore une scène impardonnable selon moi. En fait, lorsque la Mariée lui rend visite, Vernita est peu ou prou dans la situation de l'héroïne à la fin du Volume 2. Elle est rangée des affaires, elle a changé de monde, elle élève son enfant. C'est au nom de cet enfant, de cette nouvelle vie, qu'elle demande à la Mariée d'oublier son désir de vengeance. Celle-ci refuse, incapable de raisonner autrement que par sa soif de sang, incapable de comprendre que la logique du monde de Vernita n'est plus la sienne, et la tue sous les yeux de sa mère. Inutile de me faire remarquer que ce n'était pas sa volonté, je le sais. Ce n’est pas seulement le fait de tuer une mère devant les yeux de sa fille qui est abominable, c’est aussi, et tout simplement, le fait de tuer la mère d’une enfant. Ici, la Mariée vient d'initier une enfant innocente à la violence, rien de moins, et la laisse là, devant le cadavre de sa mère, en lui laissant l'initiative de perpétrer sa vengeance. "Tu sauras où me trouver"... Cercle infernal de la vengeance, que cette assez repoussante "héroïne" ne cesse d'entretenir... Quand je mets la première réplique du Volume 2 en relation avec cette scène, avec cette perpétuation de la violence et de la vengeance, la nausée me monte.

Voilà, pardon pour ce HS mais qui n’en est pas vraiment un : c’est LA, précisément, que je trouve le cinéma de Tarantino un peu abject.
yapludsaisons a écrit :jamais la morsure du réel ne vient éprouver les sentiments évoqués. On attend en vain la présence charnelle qui délivrerait ce puceau sauvage. Mais l'amour ne reste désespérément amoureux que de l'amour, et le cinéma du cinéma.
Oui, c’est un peu ça. Tarantino donne l’impression de ne vivre que dans sa bulle cinéphile, complètement fantasmée, étanche à toute possibilité de confrontation avec le monde, avec le réel. Ses films semblent montrer qu’il ne sait pas faire autre chose que de jouir de la "surface" du cinéma. J’ai vraiment l’impression qu’il n’a rien à dire si ce n'est son éternel ressaassement et son amour obsessionnel pour la "matière cinéma". Il y a quelque chose de très incomplet, presque d’autiste dans ce rapport à son art. Il n’y aucun ancrage au monde dans ses films, mais son exact contraire : une fuite du réel, un repli dans le fantasme que représente l’univers de pure fiction cinématographique dans lequel il s’ébroue (qui atteint ici son point terminal avec le recours à l'uchronie). Et pour recouper avec les interrogations éthiques du dessus, c'est presque à mes yeux la marque d'une certaine forme de lâcheté pour se dédouaner de toute responsabilité morale : il ouvre l'espace de fiction le plus éloigné possible de la réalité pour pouvoir défendre en toute impunité des valeurs assez nauséabondes.
Blue a écrit :Quid du brio formel du cinéaste ? Autrement dit beaucoup de choses chez Tarantino. J'ai du mal à croire qu'on ne puisse pas être touché par la puissance d'un montage, d'un angle de prise de vue, d'une lumière ou d'un mouvement d'appareil. Domaine dans lequel Tarantino se pose en maître encore une fois.
On atteint ici aux portes de ce que chaque spectateur attend du cinéma, et de la formulation de la sensibilité de chacun.
La virtuosité formelle et l’aisance technique de Tarantino, je ne la nie absolument pas, bien au contraire. J’estime tout comme toi que Tarantino est un maître en la matière : dans la gestion du tempo, la conception des séquences, les immenses qualités d'exécution… Du strict point de vue de la maîtrise de la forme et du langage cinématographique, Inglourious basterds, comme ses autres films, est assez admirable. Et il me procure pour cette raison beaucoup de plaisir – bien plus que ce que mes commentaires peuvent laisser entendre. La seule séquence de la taverne, par exemple, je la trouve absolument énorme, j’estime que c’est un véritable morceau d’anthologie, elle me fait jubiler.
Maintenant, la question est celle-ci : et après ? et au-delà de cette maîtrise formelle ? Quel est le propos de Tarantino ? En quoi ce plaisir immédiat de la forme enrichit-il mon expérience de spectateur ? En quoi la pure virtuosité formelle de Tarantino a-t-elle une résonnance affective, émotionnelle et existentielle chez moi ? Ma réponse (toute personnelle) est celle-ci : il n’y a pas grand-chose derrière tout ça. Je n’en retire rien à part le plaisir de l’instant (qui peut-être, je l’avoue tout à fait) considérable. Le film ne me laisse aucune trace durable parce qu’il ne se fait le vecteur de rien, d’aucune pensée, d’aucune sensibilité, il ne m'enrichit en aucune manière. C’est la définition même, à mes yeux, de la vacuité et de la superficialité.
Franchement, je pense être un spectateur assez conciliant, assez peu exigeant, en fait. Je trouve très souvent mon bonheur quand je vais au cinéma ; peu de films ne me plaisent pas. Ce que j’appelle enrichissement, c’est tout simplement la découverte d’un minimum de fond, d’émotion, de sens – même (et parfois surtout, d’ailleurs) sur un mode mineur et low-fi. Je trouve dans la plupart des films bien plus de satisfaction, dans le propos et l’émotion qu’ils délivrent, que face à Inglourious basterds et sa "grandeur" cinématique (virtuosité, jubilation, maîtrise à tous les étages) qui ne brasse – à mes yeux - que du vent. Je dirais que QT fait figure d'exception : c'est l'un des rares cinéastes à peu près incapables de me satisfaire au-delà de la notion de plaisir.
Mais j’admets volontiers qu’il ne s’agit là que de mon approche toute personnelle du cinéma, et que tous ceux qui trouvent l’intégralité de leur bonheur et de leurs attentes dans le seul brio formel d’un film soient comblés par ceux de Tarantino.

Sinon, message une nouvelle fois (après ceux des pages précédentes) très intéressant de Shin Cyberlapinou. Je commence à fatiguer, mon message étant déjà très long. Il y aurait bien des choses à dire sur ton intervention (avec laquelle je me sens en accord sur pas mal de points), mais simplement :
Shin Cyberlapinou a écrit :les personnages de Reservoir Dogs sont avant tout les pions d'une narration virtuose (dont les thèmes de loyauté et d'amitié virile doivent pas mal à un certain cinéma hong kongais, à commencer par le fameux City on fire de Ringo Lam)
Je ne cuis pas d’accord ; Reservoir dogs est pour moi un film bien plus grave et substantiel qu’il n’y paraît.
Prenons juste un exemple.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Durant une longue partie de ce film, Mr Orange (Tim Roth) répète inlassablement, jusqu’à la perfection, le rôle qu’il va revêtir. On le voit, avec son boss flic, peaufiner encore et encore les manifestations du masque qu’il va porter : chaque détail de sa vie fictive, chaque dialogue est travaillé. Ce jeu sur le masque n’est pas là (que) pour le divertissement : il implique la notion de survie du personnage (comme dans IB, certes) et aura des implications émotionnelles et affectives capitales pour la suite. La suite, la voilà : au cours de son aventure, Mr Orange s’est sincèrement pris d’amitié avec Mr White (Harvey Keitel), et se retrouve dans un étau. D’un côté, il doit accomplir son job, tenir le masque, de l’autre côté il est tenaillé par l’envie de dire la vérité à son ami. L’exacerbation de la situation va mettre à nu ce dilemme affectif : quand on voit Mr White réconforter Mr Orange qui pisse le sang, il y a quelque chose de très fort, un enjeu émotionnel, qui naît du jeu de masques qui s’est enclenché – et de sa possible révélation. Quand, à la toute fin, Mr Orange avoue la vérité à Mr White, et que le visage de celui-ci, qui est en train de l’étreindre, revêt la plus terrible expression, c’est quelque chose de l’ordre de la vérité intime des êtres qui se joue à l’écran.
Je ne vois rien de cet ordre dans Inglourious baterds.
Shin Cyberlapinou a écrit :On parle de Jackie Brown comme d'un film "sincère, poignant, mature" centré sur de vrais personnages usés par la vie, mais pour moi c'est avant tout le film d'un trentenaire qui singe la maturité en faisant mine de s'intéresser à des personnages plus développés que les archétypes plus ou moins superficiels qu'il illustre.
Là encore, j’ai du mal à partager ton sentiment. J’ai vraiment l’impression, face à ce film (le plus beau, le plus dense, le plus émouvant de Tarantino) qu’il est entièrement dévoué à ses personnages. Après, il est tout à fait possible que ce soit un "accident" dans sa filmographie, et que la matière originelle du roman de Leonard y soit pour beaucoup. D’ailleurs, c’est même probable, et ça aurait tendance à me rassurer. Je trouverais ça cohérent.
Shin Cyberlapinou a écrit :Mais est-ce forcément un problème? Un film (et un récit en général) doit-il forcément viser une vérité émotionnelle (ou même une "profondeur") pour être bon?
On en revient aux attentes et à la sensibilité de chacun. J’avais commencé mon message là-dessus, en prenant soin d’expliquer que tout mon développement à suivre ne serait au fond pas tant une «"attaque" de fond sur le cinéma de Tarantino mais une façon de prendre acte que celui-ci était désormais radicalement éloigné de ce que moi, en toute partialité et en toute subjectivité, j’attends d'un film, de ce qui me touche et me stimule le plus.
Mais (j’en reviens à ce que je disais à Blue), je conçois tout à fait que les axes d’approche du cinéma appartiennent à chaque spectateur, et que le cinéma de Tarantino recèle des richesses qui, à titre personnel, ne résonnent pas vraiment sur le spectateur que je suis.
En d’autres termes, qu’Inglourious basterds soit un très bon film et que le problème vienne non pas de lui, mais de moi. :wink:
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Le prisonnier »

Vous êtes rigolos à vous tirer la nouille sur ce film. C'est juste une grosse farce, d'une Kolossale Finesse :mrgreen: Et qui ne mérite absolument pas d'être sur-interprétée.

Tarantino est un grand formaliste, c'est ce qui rend ses films si jubilatoires. Mais il n'a jamais eu aucune prétention intellectuelle.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Abronsius »

Et nous pouvons dire que Kill Bill est tout juste énorme, jubilatoire et émouvant et que le dernier fait simplement mourir d'ennui.
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Eusebio Cafarelli
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Eusebio Cafarelli »

Shin Cyberlapinou a écrit :
En fait le succès de Tarantino, c'est un peu comme le succès de Scarface auprès des jeunes de banlieue (et ceux qui veulent leur ressembler) qui y verraient un modèle de réussite. Ca en dit moins sur le réalisateur ou le film que sur l'environnement qui leur font un triomphe. Dans un monde "parfait", Tarantino serait sûrement un astucieux faiseur de séries B, plus méchantes et plus futées que la moyenne. Qu'on en fasse l'un des géniaux meneurs du cinéma moderne, c'est surtout révélateur des manques du dit cinéma moderne, qui compenserait son absence de "grandeur" par un sens du buzz, de l'esbrouffe et de recyclages pop cultureux (car la pop culture c'est le seul tronc commun du public actuel, à l'opposé de générations qui ont connu guerres et Grande Dépressions. Forcément ça claque moins). Dans cette optique pessimiste, Tarantino serait le symptome, pas la maladie.

Il en va de même pour l'accueil d'Inglourious Basterds. Quand je dis que c'est un film terminal sur la 2ème guerre mondiale, je ne m'en réjouis pas nécessairement: il aurait peut-être été plus sage de poursuivre une exploration linéaire de la question, avec des traitements de plus en plus obliques (la Shoah avec des souris dans Maus, les derniers jours d'Hitler dans La chute, des juifs obligés de travailler pour les nazis dans Les faussaires, La vie est belle... ), jusqu'à un tour supposé complet de la période. Inglourious Basterds vient nous rappeler que cette guerre n'en a plus pour longtemps avant de devenir une totale abstraction, avec laquelle on peut impunément faire mumuse pour la plus grande joie d'un public vraiment pas restreint (en tout cas par rapport aux nostalgiques des Grindhouse... ). Ce n'est pour moi ni mal ni bien, mais très intéressant quant à la suite des choses pour représenter cette guerre. Tarantino aura au moins ce mérite...
Les "générations qui ont connu guerres et grande Dépression" ont connu aussi des formes de pop culture...
Et si le film "terminal" c'est celui où l'on "peut impunément faire mumuse" avec cette guerre, alors ce film terminal a déjà été tourné : au choix To be or not to be, La Grande Vadrouille, les 7e Compagnies, Papy fait de la résistance et bien d'autres, sans oublier des séries TV comme Stalag 13...
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Eusebio Cafarelli a écrit :
Les "générations qui ont connu guerres et grande Dépression" ont connu aussi des formes de pop culture...
Oui, mais la pop culture n'était pas leur seule composante commune. Fuller couvrait les faits divers comme journalistes, Leone a connu le fascisme, Verhoeven les bombardements, Eastwood a grandi pendant la Grande Dépression, Huston, Herzog et Peckinpah étaient de sacrés aventuriers... Les générations de la civilisation des loisirs d'après 1950 sont dans leur grande majorité des produits de la classe moyenne, élevée dans un confort plus que raisonnable et sans jamais subir ou infliger une authentique violence. La pire chose qu'ait connu Spielberg c'est le divorce de ses parents et le fait d'être rejeté à l'école en tant que petit juif binoclard, ça n'empêche pas de bâtir une (grande) oeuvre, mais l'échelle est clairement différente. J'ai 30 ans, ne suis pas honteux de mon statut de geek consumériste, mais si je veux faire un jour un film sur le nazisme, je n'aurai pas le même rapport au conflit qu'un Polanski ou un Lubitsch.
Eusebio Cafarelli a écrit :Et si le film "terminal" c'est celui où l'on "peut impunément faire mumuse" avec cette guerre, alors ce film terminal a déjà été tourné : au choix To be or not to be, La Grande Vadrouille, les 7e Compagnies, Papy fait de la résistance et bien d'autres, sans oublier des séries TV comme Stalag 13...
Je me suis peut-être mal exprimé: les films que tu cites font effectivement "mumuse", mais c'est toujours au sein de certaines limites imposées par le sujet (notamment la marche générale du conflit. Même Indiana Jones ne va pas directement filer des claques à Hitler et retourner à lui seul le cours de la bataille, et si un Captain America le faisait dans les années 40, c'était dans un cadre de propagande et d'effort de guerre). Limites que Tarantino éclate avec une joyeuse irresponsabilité (Hitler haché en gros plan donc). Là est pour moi le tournant, qui sera confirmé ou pas par les films à venir sur la question.
Strum
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Strum »

Shin Cyberlapinou a écrit :Dans cette optique pessimiste, Tarantino serait le symptome, pas la maladie. Il en va de même pour l'accueil d'Inglourious Basterds. Quand je dis que c'est un film terminal sur la 2ème guerre mondiale, je ne m'en réjouis pas nécessairement: il aurait peut-être été plus sage de poursuivre une exploration linéaire de la question, avec des traitements de plus en plus obliques (la Shoah avec des souris dans Maus, les derniers jours d'Hitler dans La chute, des juifs obligés de travailler pour les nazis dans Les faussaires, La vie est belle... ), jusqu'à un tour supposé complet de la période. Inglourious Basterds vient nous rappeler que cette guerre n'en a plus pour longtemps avant de devenir une totale abstraction, avec laquelle on peut impunément faire mumuse pour la plus grande joie d'un public vraiment pas restreint (en tout cas par rapport aux nostalgiques des Grindhouse... ). Ce n'est pour moi ni mal ni bien, mais très intéressant quant à la suite des choses pour représenter cette guerre. Tarantino aura au moins ce mérite...
Si je suis ton raisonnement, Tarantino aborde la seconde guerre mondial comme une abstraction parce qu'il est un cinéaste superficiel imbibé de pop culture. Son film serait un symptôme de son époque, et en tant que symptôme annonciateur du fait que la seconde guerre mondiale serait destinée à être traitée comme une abstraction, il aurait fait un film "terminal", après lequel rien ne sera comme avant.

Quelques remarques, si je puis me permettre : ta notion de film "terminal" est purement abstraite, théorique. Pour moi, elle ne signifie rien. En somme, tu me parait aborder Inglourious Basterds de la même manière que toi et Tarantino semblez ou déclarez aborder la seconde guerre mondiale : comme une abstraction, un champ théorique. Or, il faut savoir : si Tarantino est un cinéaste surperficiel et immature, il n'y a pas lieu de conférer à son film une valeur autre que celle d'un pur film de divertissement bien fait, et il faut le renvoyer à ce qu'il est : un film qui ne nous dit rien, ne nous apprend rien, sur la seconde guerre mondiale, dont le succès en nombre d'entrées reste modeste comparé à d'autres films qui ont abordé la seconde guerre avec une égale légèreté (mais sans prétention intellectuelle) et avec un succès autrement plus grand en termes d'entrées. Si Tarantino est un cinéaste superficiel, alors il ne pourra jamais rien gratter de la réalité que sa surface. Aborder de manière abstraite ou décalée un sujet, ne rend pas le sujet pour autant abstrait ou décalé. Et par définition, un symptôme n'achève rien, ne "termine" rien, et est un parmi d'autres symptômes. Enfin, je pense que la grande majorité des gens voyant Inglourious Basterds n'y voient rien qui prête à conséquence. Bref, n'en sois pas peiné, mais je trouve qu'il y a une contradiction fondamentale dans ta démarche et dans la conclusion que tu en tires.
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Mama Grande!
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Mama Grande! »

C'est un débat sans fin quand il s'agit de Tarantino. Que vaut la forme quand les 3/4 des plans viennent d'autres films? Y a-t-il un fond? Et ses personnages ne sont que des icônes...Quand je lis le post de Stark, je suis un peu "gêné" car finalement, ce qu'il lui reproche est ce qui fait la personnalité de Tarantino en tant que cinéaste. C'est un un peu comme si on reprochait à Lynch de laisser des zones d'ombre dans ses histoires, où à Tarkovski d'avoir un rythme lent. Bien-sûr, je comprends qu'il n'aime pas Tarantino à cause de ça, mais à ce moment-là, pourquoi aller voir le film, qui s'annonçait dès le départ comme plus Pulp Fiction que Jackie Brown, si c'est pour trouver les mêmes défauts que d'habitude? Au moins, on est pas pris en traitre. J'ai l'impression que les défauts cités par beaucoup de détracteurs sont plus des caractéristiques du cinéma de Tarantino que les loupés du film. Personnellement, ce qui m'a ennuyé avec Inglourious Basterds, c'est qu'à mon avis son histoire est mal racontée et la réalisation un concentré de tics tarantiniens mal réutilisés. Par exemple, quand Mélanie Laurent se prépare pour la grande soirée et que son glamour est exacerbé par la mise en scène, à aucun moment j'ai trouvé ça classe, entrainant, cool...ce qui était surement l'effet désiré. J'ai au contraire eu l'impression d'assister à une pub pour la fête du ciné. Et si les références à gogo étaient compréhensibles dans l'univers film noir décalé de Pulp Fiction ou dans Kill Bill, ici j'ai trouvé qu'elles n'avaient pas d'autre raison d'être qu'elles-mêmes. Qu'elles étaient juste là pour le clin d'oeil. J'ai eu l'impression que Tarantino pouvait désormais s'attaquer à n'importe quel sujet, n'importe quelle époque, n'importe quelle histoire, il ne se mettra pas au service de l'histoire comme c'était le cas avant (différence nette entre Jackie Brown et Pulp Fiction par exemple), mais mettra l'histoire au service de ses tics qui à la longue lassent. Il est incapable d'apporter à son univers cette bouffée d'oxygène qui le ferait évoluer en gros. Pour ces raisons j'ai du mal à comprendre l'engouement suscité par ce film.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Shin Cyberlapinou »

Alors, je précise un peu pour Strum.

Déjà oui, ma théorie est abstraite, voire bancale, puisque pour l'instant, aucun film ultérieur à Inglourious n'est encore venu (forcément) valider ou invalider cette thèse. Pour l'instant, nous ne sommes que dans la supposition.

Ensuite Inglourious Basterds clôt pour moi un cycle non pas par son immaturité/superficialité mais par son irrévérence (effectivement une possible conséquence d'une immaturité/superficialité) qui est en particulier l'irrévérence du mec dont l'âge et le vécu l'empêchent d'avoir une vision un tant soit peu concrète du récit. Même parmi les premiers "irrévérents", nous avons Lubitsch et Wilder qui ont dû fuir l'Europe, l'équipe du Splendid dont les parents ont forcément vécu l'Occupation (Maillan et Galabru eux étaient carrément ados), le casting de Stalag 13 qui comprenait 4 juifs. Même dans ces cas là il y avait une proximité, voire une immersion dans la guerre. Pour Tarantino, rien de tout ça, et c'est dans l'ordre des choses. Il est déjà délesté d'une certaine responsabilité historique, ne s'en cache pas et c'est un mouvement qui ne pourra que s'accentuer: même s'il le veut très fort, même s'il se documente à fond, mon fils ne pourra jamais faire un film sur la Deuxième Guerre comme l'ont fait ceux qui l'ont précédé. C'est entre choses une question de distance.

Ensuite, supposons qu'effectivement Tarantino est un cinéaste superficiel. Ca ne veut pas dire qu'il ne prend pas de décision, ou qu'il n'a aucune prétention intellectuelle. Je le tiens au contraire pour un type extrêmement intelligent et surtout très conscient des choix qu'il fait: son terrain d'exploration, c'est justement le superficiel, le cool, les icônes, les trucs qui ont la classe. En bon post-moderne, il réfléchit à fond sur les figures qui ont précédé son cinéma. Et qu'il plie des évènements historiques décidément peu anodins à la règle du cool avec ses nazis diaboliques, ses soldats badass et ses juifs vengeurs, forcément ça gêne. Mais il y a trente ans c'était carrément inimaginable, en tout cas dans un schéma de prestige maintream (succès commercial flatteur+présentation à Cannes+couverture des Cahiers du cinéma+cinéaste méga reconnu, ça claque déjà plus qu'Ilsa la louve SS ou le jeu Wolfenstein 3D, pourtant pas piqués des vers dans le n'importe quoi). Tarantino est le premier à pouvoir revendiquer un tel traitement parce qu'il n'y a déjà plus assez de personnes directement concernées pour lui tomber dessus. Et il y en aura de moins en moins... Mais là rendez-vous dans dix ans pour voir où on en est.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Strum »

Shin Cyberlapinou a écrit :Même dans ces cas là il y avait une proximité, voire une immersion dans la guerre. Pour Tarantino, rien de tout ça, et c'est dans l'ordre des choses. Il est déjà délesté d'une certaine responsabilité historique, ne s'en cache pas et c'est un mouvement qui ne pourra que s'accentuer: même s'il le veut très fort, même s'il se documente à fond, mon fils ne pourra jamais faire un film sur la Deuxième Guerre comme l'ont fait ceux qui l'ont précédé. C'est entre choses une question de distance. [...] Tarantino est le premier à pouvoir revendiquer un tel traitement parce qu'il n'y a déjà plus assez de personnes directement concernées pour lui tomber dessus. Et il y en aura de moins en moins... Mais là rendez-vous dans dix ans pour voir où on en est.
Les témoins disparaissent, mais cela ne signifie pas pour autant, que ceux qui restent et ceux qui viennent doivent ou vont aborder la seconde guerre mondiale sans responsabilité historique. Prétendre le contraire relève pour moi d'une posture théorique, qui ne me semble pas validée par les faits. D'ailleurs, la quasi-totalité des témoins de la guerre n'ont rien raconté de leur expérience, n'ont pas réussi à le faire, pour un tas de raisons, certaines tenant aux souffrances endurées, d'autres à des compromissions moins avouables. Il leur était très difficile de raconter, aussi parce dans l'immédiat de l'après-guerre, personne ne voulait les écouter, et les rares qui l'ont fait (Primo Levi, Antelme, Rousset, bien plus tard Semprun, etc...) ne l'ont pas fait sous l'angle de la fiction, mais du témoignage, du récit. Aujourd'hui, ces récits demeurent, sont lus par nous et seront lus par nos enfants, qu'ils influenceront. A cette aune, c'est plutôt la distance, historique, temporelle, familiale, qui permet la fiction que l'inverse, et qui permet la reconnaissance d'une responsabilité. C'est d'ailleurs Chirac qui a reconnu la responsabilité de la France dans Vichy, lui qui n'était qu'un enfant à l'époque, et non Mitterrand qui avait participé au conflit. Enfin, faire oeuvre de fiction, ce n'est pas forcément considérer le sujet comme quelque chose d'abstrait, mais la plupart du temps, pour ceux qui n'étaient pas là, comme quelque chose de vivant, de réel, au contraire, que l'on veut continuer à faire vivre. A certains égards, le témoin vit dans le passé ; mais l'artiste vit dans le présent et pour l'avenir.

La science historique existe notamment pour perpétrer une mémoire. Cette mémoire implique que l'on se sente concerné un minimum par le passé de son pays et de sa famille ; on y échappe de toute façon difficilement, qu'on le veuille ou non. Pour moi, il y a peu de choses moins moins abstraites que l'Histoire, et plus l'on vieillit, plus cette mémoire historique et familiale prend à mon avis de l'importance, notamment quand on se retrouve dans la position d'élever ses propres enfants, quand ces derniers sont en âge de commencer à réfléchir et vous questionnent. Tu parles "d'ordre des choses" pour souligner un oubli inévitable. Mais ce qui s'est passé durant la seconde guerre mondiale n'était justement pas "dans l'ordre des choses". Dans 10 ans, rien n'aura changé, à mon avis. Nous verrons bien dans 50 ans plutôt, si nous sommes toujours vivants.

Pour finir, il est certain que Tarantino n'aurait pas pu faire son film dans les années 50 quand les plaies étaient encore à vif. Mais les cicatrices n'ont pas disparu, et Inglourious Basterds en dit plus sur Tarantino, cinéaste formellement brillant mais assez vain, je trouve, que sur la manière dont on parle ou dont on va parler à l'avenir de la seconde guerre mondiale.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Brody »

Je découvre les très intéressantes dernières pages de discussions, et tiens à féliciter Stark pour son analyse, que je partage tout d'abord pleinenement, pour ensuite complètement diverger.
Sur tes remarques concernant les personnages je te rejoins à 100%, Tarantino ne créant qu'exceptionnellement des vrais personnages ; ton terme de vignette m'apparaît très juste. S'il y a bien un choix pleinement assumé chez QT, c'est le renoncement à créer de la vraie autour de ses personnages : à quelques exceptions près, pas de passé, pas de futur, pas de fêlures ou de traits de caractères cachés : on n'a que 2 heures pour parler et faire avancer les situations dans un univers déréalisé, alors let's go ! Et dans ce parti-pris, la vraie question à se poser est : est-ce que ses personnages ont BESOIN de cette richesse, de cette profondeur ? Je ne crois vraiment pas.

Ce postulat étant acquis (c'est là où mon point de vue diffère du tien Starck), le traitement de la violence n'est plusvraiment un problème. Tout simplement parce que c'est une violence entre vignettes, entre personnages de fiction complète, qui jamais ne font écho à la réalité, à la vraie vie. Elle n'a donc pas de valeur autre que celle d'un sujet de cinéma, sans doute plus spectaculaire que d'autres. Alors oui QT se permet tout, mais sa déresponsabilisation est entièrement assumée, et patente depuis plusieurs films. On peut être choqué sur le moment par un plan violent, mais je crois sincèrement que c'est une erreur que de vouloir trouver un sens à cette violence, ou de la mettre dans une perspective sociétale. J'ai été souvent impressionné par certaines explosions de violence dans ses films, mais n'ai finalement jamais été touché, ressenti d'empathie après coup aux souffrances de the bride ou de Vincent Vega. Ce ne sont de toutes façons pas pesronnages sympathiques, et leur sort m'indiffère finalement, tant que le spectacle est là ! Et là où certains y voient une limite immédiatement rebutante, je préfère ne retenir que la grande force immédiate des scènes concernées.

Et je trouve qu'on parle beaucoup trop du contexte historique ici, tous ses précédents films fonctionnaient déjà en vase clos par rapport à la vraie vie : des lieux sur-emblématisés, peu de repères géographiques, les bornes temporelles floues, là non plus on n'est pas dans la vraie vie.

Un dernier mot sur le plan de mutilation finale d'IB : je le trouve également inexcusable, d'un mauvais goût absolu, surtout quand on pense à la scène de l'oreille de Reservoir Dogs, tellement bien traitée... Ne comptez donc pas sur moi pour aller le défendre sur ce point là :P

Et ce que j'ai lu de QT sur le bonhomme lui-même ne me le rend pas sympathique non plus. Mais je crois qu'actuellement tout le monde à l'occasion de réfléchir sur les liens qui unissent la personnalité d'un artiste à l'appréciation qu'on en a de son oeuvre. Je n'aurais plus qu'à jeter mes DVD de Polanski, tous ceux avec Tom Cruise ou pas mal d'autres...
Mais stigmatiser en traitant QT de nerd de video-club inculte c'est prendre la voie de ce qu'on dénonce, à savoir le caractériser par le petit bout de la lorgnette.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Thaddeus »

Mama Grande! a écrit :Quand je lis le post de Stark, je suis un peu "gêné" car finalement, ce qu'il lui reproche est ce qui fait la personnalité de Tarantino en tant que cinéaste. Bien-sûr, je comprends qu'il n'aime pas Tarantino à cause de ça, mais à ce moment-là, pourquoi aller voir le film, qui s'annonçait dès le départ comme plus Pulp Fiction que Jackie Brown, si c'est pour trouver les mêmes défauts que d'habitude?
Comme je l'ai dit, mes "reproches" consistent essentiellement à expliquer en quoi la nature du cinéma de Tarantino constitue l'illustration parfaite de ce qui ne m'intéresse pas au cinéma. De fait, c'est tout à fait ce que tu soulignes : avec toute ma subjectivité et ma sensibilité de spectateur, je trouve que ce qui fait la personnalité de Tarantino en tant que cinéaste est superficiel et sans intérêt. C'est bien l'objet de mes développements, et il me semble que le forum sert aussi à ça : aller au-delà des trop simples énumérations défauts/qualités et s'interroger sur la finalité profonde, la nature d'une proposition de cinéma.
Si je suis allé voir ce film, après les déceptions qu'étaient déjà Kill Bill et Death Proof, c'est parce que je n'étais pas totalement fermé à la possibilité que le réalisateur me suprenne et me séduise, et parce que les quelques critiques que j'en avais lu, parlant d'une soi-disant "maturité", ont titillé mon intérêt. Hélas, ça n'a pas été le cas, je constate que QT creuse le sillon à mes yeux stérile de ses précédents long-métrage. Comme le dit Strum, il s'agit d'un cinéaste formellement brillant mais assez vain. J'en prends acte ; il est désormais à peu près sûr que je ne perdrai plus mon temps à aller voir un Tarantino. La leçon est prise.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Thaddeus »

Merci pour tes encouragements. :wink:
Brody a écrit :Ce postulat étant acquis (c'est là où mon point de vue diffère du tien Starck), le traitement de la violence n'est plusvraiment un problème. Tout simplement parce que c'est une violence entre vignettes, entre personnages de fiction complète, qui jamais ne font écho à la réalité, à la vraie vie. Elle n'a donc pas de valeur autre que celle d'un sujet de cinéma, sans doute plus spectaculaire que d'autres. Alors oui QT se permet tout, mais sa déresponsabilisation est entièrement assumée, et patente depuis plusieurs films. On peut être choqué sur le moment par un plan violent, mais je crois sincèrement que c'est une erreur que de vouloir trouver un sens à cette violence, ou de la mettre dans une perspective sociétale. J'ai été souvent impressionné par certaines explosions de violence dans ses films, mais n'ai finalement jamais été touché, ressenti d'empathie après coup aux souffrances de the bride ou de Vincent Vega. Ce ne sont de toutes façons pas pesronnages sympathiques, et leur sort m'indiffère finalement, tant que le spectacle est là
C'est très intéressant. Mais la façon dont je perçois tout ça est assez coton à expliquer...

Je vais essayer. Comme tu le dis, le "fonctionnement moral" des personnages chez Tarantino obéit à des principes qui marchent en vase clos, dans un espace diégétique qui n'est pas le nôtre, ce qui est vrai. Il faut donc adopter ces principes (impunément, car ce monde n'est pas le nôtre) pour accepter le film. Seulement voilà, les enjeux humains et émotionnels, eux, obéissent bel et bien à "notre monde", ils font appel à une fibre qui est à celle du monde réel.
En tant que spectateur, je ne peux pas avoir un pied (celui de la morale) dans le monde diégétique, et l'autre pied (celui de l'émotion) dans le monde réel, parce que pour moi les deux sont intrinsèquement liés. C'est tout ou rien. Si j'accepte de me "déconnecter" de ma morale pour adopter les règles du monde des tueurs (où la vengeance est autorisée), alors, dans le même mouvement, je me déconnecte des liens affectifs et émotionnels qui peuvent se lier entre le film, les personnages, l'histoire et moi. Et du coup, je ne parviens pas à réellement jouir du spectacle.
Encore une fois, le fonctionnement de ces mécanismes n'appartient qu'à moi mais "jouir d'un spectacle", pour moi, c'est m'y impliquer émotionnellement et intellectuellement. A mon niveau, il y a blocage quand je mate un Tarantino. D'ailleurs ce que tu dis toi-même est symptomatique : "leur sort m'indiffère finalement". Personnellement, je ne peux être profondément touché, ému ou bouleversé par un film dont je ne m'intéresserais pas au sort du personnage. Là encore, c'est ce que je disais dans un de mes précédents messages : les plus beaux films, à mes yeux, sont ceux où je fais mienne l'expérience du protagoniste - sans forcément, je le précise, que celui-ci soit "sympathique" ou "aimable". Je peux m'intéresser profondément à la trajectoire et à la nature d'un personnage quand bien même celui-ci serait détestable, les exemples sont nombreux. C'est là où film comme Kill Bill échoue totalement sur moi, parce que je perçois dans ce film de réels enjeux humains et émotionnels (sur le rapport à la maternité, sur l'effondrement mental...) mais que, du fait de la rupture radicale consommée entre moi et l'héroïne, ces enjeux ne me touchent absolument pas. Le film ne m'émeut pas le moins du monde : je m'en fous, des éventuels affects et émotions de la Mariée, parce que tout se joue dans un univers tellement en vase clos, tellement déconnecté de la morale, que pour pouvoir apprécier un minimum le spectacle j'ai aussi débranché toute stimulation affective "réelle". Pfiou, ça a alors tellement compliqué et abstrait dit comme ça, je ne sais pas si je me fais bien comprendre... :lol:

Je vais même élargir, au risque de paraître effroyablement pompeux et solennel. Je tends le bâton pour me faire battre mais j'assume.
Je ne sais pas comment tu perçois le cinéma, mais pour moi c'est quelque chose de très important, qui dépasse le cadre du "divertissement", ou de l'art perçu comme divertissement. Personnellement j'ai un rapport avec le cinéma qui possède une dimension morale ; je m'engage, moralement, intellectuellement et émotionnellement, dans un film. A partir de là, je conçois parfaitement que le sentiment de répulsion soit quelque chose que l'on puisse ressentir face à la vision d'un film profondément opposé à ses convictions - c'est ce qui m'arrive avec Tarantino. Ce n'est pas seulement qu'il propose un cinéma qui ne me touche pas : comme je me suis expliqué, son rapport stérile aux personnages, aux clichés, à la jouissance de l'instant, etc, je trouve ça vide et sans intérêt, mais ça ne me dégoûte pas. C'est sur son absence de positionnement moral (qui évidemment, par défaut, en est un, encore plus lâche car il brandit la bannière du second degré, de l'irréalité et du "fun" pour s'en dédouaner) que je trouve le cinéma de Tarantino problématique.
Le cinéma, ce n'est pas pour moi quelque chose de "bénin", si tu veux. D'ailleurs, il y a quelque chose de très paradoxal, selon moi, dans la façon dont Tarantino, d'une part, défend constamment la nature "inoffensive" de son rapport à la morale, à la violence, à la vengeance, dont il se dédouane de toute responsabilité là-dessus en expliquant que ses films sont de purs exatoires à prendre au second degré (il est très clair là-dessus dans ses interviews, et ça rejoint ce que tu dis), et dans celle dont, d'autre part, il défend le cinéma comme un sacerdoce, comme le fondement de sa vie, de son existence, dans la façon dont il va jusqu'à en faire sa raison de vivre (il est le parangon du type entièrement dévoué à la cinéphilie, la cinéphagie, etc...).
Brody a écrit :Un dernier mot sur le plan de mutilation finale d'IB : je le trouve également inexcusable, d'un mauvais goût absolu, surtout quand on pense à la scène de l'oreille de Reservoir Dogs, tellement bien traitée... Ne comptez donc pas sur moi pour aller le défendre sur ce point là


Ah ça me fait plaisir d'entendre ça. J'étais proprement AHURI devant la salve d'applaudissements et de cris de bonheur qui a fusé dans ma salle au moment de cette scène. Le fait de filmer ça en gros plan, de façon si gourmande, si complaisante... beurk.
La scène de l'oreille de Reservoir dogs est, en effet, traitée de façon radicalement différente : le sadisme de Mr Blonde y est repoussant, glaçant - et d'ailleurs la violence n'est pas filmée, elle est rejetée hors champ pour mieux que ses conséquences fassent mal au spectateur par la suite. Ici, on a Aldo Rayne qui mutile en titillant la délectation du spectateur, avec réplique et clin d'oeil complices à la clé. Quelle horreur.
Brody a écrit :Et ce que j'ai lu de QT sur le bonhomme lui-même ne me le rend pas sympathique non plus. Mais je crois qu'actuellement tout le monde à l'occasion de réfléchir sur les liens qui unissent la personnalité d'un artiste à l'appréciation qu'on en a de son oeuvre. Je n'aurais plus qu'à jeter mes DVD de Polanski, tous ceux avec Tom Cruise ou pas mal d'autres...
Mais stigmatiser en traitant QT de nerd de video-club inculte c'est prendre la voie de ce qu'on dénonce, à savoir le caractériser par le petit bout de la lorgnette.
Oui, tu as raison. Ne parlons que des films, pas de l'homme et ce qu'il dégage. Mea culpa si j'ai pu tomber dans cette facilité.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Eusebio Cafarelli »

Strum a écrit :
La science historique existe notamment pour perpétrer une mémoire. Cette mémoire implique que l'on se sente concerné un minimum par le passé de son pays et de sa famille ; on y échappe de toute façon difficilement, qu'on le veuille ou non. Pour moi, il y a peu de choses moins moins abstraites que l'Histoire, et plus l'on vieillit, plus cette mémoire historique et familiale prend à mon avis de l'importance, notamment quand on se retrouve dans la position d'élever ses propres enfants, quand ces derniers sont en âge de commencer à réfléchir et vous questionnent. Tu parles "d'ordre des choses" pour souligner un oubli inévitable. Mais ce qui s'est passé durant la seconde guerre mondiale n'était justement pas "dans l'ordre des choses". Dans 10 ans, rien n'aura changé, à mon avis. Nous verrons bien dans 50 ans plutôt, si nous sommes toujours vivants.
Non, la science historique ne perpétue aucune mémoire, sinon une mémoire scientifique (qu'elle construit et déconstruit d'ailleurs. Il n'y a pas une mémoire de la 2e GM mais des mémoires (c'est d'ailleurs l'intérêt de cette question, qui est au programme d'Histoire de Terminale littéraire et éco. Il y a d'ailleurs une "branche" de l'Histoire (en tant que pratique "scientifique"), née essentiellement en France, qui étudie ces mémoires, depuis en gros Pierre Nora (Les lieux de mémoire). Sur la 2e GM, une approche, partielle, se trouve dans les travaux d'Henry Rousso sur Vichy, un passé qui ne passe pas (avec une étude de la mémoire à travers le cinéma). Et la mémoire (de groupe, souvent politique mais pas toujours) n'est pas le souvenir (individuel ou familial). Ainsi, la dimension nouvelle, c'est l'étude de la mémoire immigrée (par exemple pour la 2e GM Indigènes), qui se mélange avec l'histoire de la colonisation et de l'immigration.
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Re: Inglourious Basterds (Quentin Tarantino - 2009) - avis p.18

Message par Eusebio Cafarelli »

Shin Cyberlapinou a écrit :
Déjà oui, ma théorie est abstraite, voire bancale, puisque pour l'instant, aucun film ultérieur à Inglourious n'est encore venu (forcément) valider ou invalider cette thèse. Pour l'instant, nous ne sommes que dans la supposition.
Si, le Guédiguian... Certes, c'est un film français, contrairement à celui de Tarantino. Donc ta thèse n'est pas totalement invalidée, si l'on considère qu'il y a des mémoires nationales forcément différentes (les États-Unis n'ont pas, sauf quelques îles comme Pearl Harbour, connu la guerre sur leur sol ni été occupés) de la 2e GM : les problématiques sont donc souvent différentes, je pense au formidable Un homme est passé avec Spencer Tracy qui mélange une forme historique, le western, à un traitement d'une réalité historique (le sort réservé aux citoyens américains d'origine japonaise, ou aux Japonais vivant aux États-Unis). Il faudrait d'ailleurs se demander pourquoi, pour un Américain comme Tarantino, un film de guerre qui prend pour cadre l'Europe, et non l'Asie (univers qu'il connaît aussi cinématographiquement)...
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