Pietro Germi (1914-1974)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Alligator
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Pietro Germi (1914-1974)

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Signore & signori (Belles dames, vilains messieurs) (Ces messieurs dames) (Pietro Germi, 1966) :

Trombi amoureux des italiennes
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Signore e signiori est un film italien délicieusement écrit, multifacette, une vraie comédie italienne dans la lignée des Monstres, entre rires et larmes. Découpé en trois parties, il a toutes les allures d'un film à scketchs, mais trompe son spectateur car les mêmes personnages sont au centre des ces trois différentes histoires. En faisant simple, je dirais qu'il s'agit de la vie tragi-comique d'un groupe d'amis... de connaissances plus ou moins intimes dans un gros bourg italien (le tournage a eu lieu à Trévise). Il y est question de coucheries, de jalousies, d'idylles, d'amour, d'adultère, de prostitution, de religion et de corruption, bref un grand méli-mélo d'engagements et forfaitures en tout genre mais très humains.

La première histoire se tourne de manière résolue et appliquée vers le comique adultérin et léger mais néanmoins s'avère être un petit bijou d'écriture et de mise en scène. Le scénario présente cette foule de personnages et leurs interactions avec un brio réjouissant. Ils sont vraiment nombreux, il y aurait de quoi s'y perdre. La caméra de Germi reste toujours très proche de ses personnages qui s'agitent devant elle. La direction est sans génie mais cependant d'une efficacité et d'une élégance en tout point remarquables. Très belle fluidité. Malgré l'hystérie de certains personnages, jamais l'action ne faiblit grâce à un montage au diapason des dialogues savoureux. Quand on sait que Furio Scarpelli est aux manettes, on comprend mieux la qualité et la maitrise comique noire du récit.

Le deuxième scketch est longtemps en trompe l'oeil une comédie romantique pour finir en une course perdue et ô combien cruelle. Cette histoire tout comme la troisième d'ailleurs, sont beaucoup plus satiriques que la première. Les scénaristes s'attaquent aux aspects cloisonnés -mortifères même- de la société italienne d'alors, les carcans conjugaux, religieux, financiers et moraux qui sont montrés du doigt avec force corrosion. Gastone Moschin et Virna Lisi, les deux principaux personnages sont deux amoureux, en proie à l'implacable pression sociale. Moschin ne porte pas la culotte dans son ménage, c'est le moins qu'on puisse dire, sa femme, Nora Ricci, le traite comme un chien. Il ne doit le salut de son esprit qu'à une paire de boules Quiès qui l'isole du flot continu de sarcasmes, reproches et insultes que son épouse déverse sur lui. Ce petit homme va se découvrir des ailes en tombant amoureux d'une petite buraliste, Virna Lisi. Leurs amours adultérines, personne ne les accepte, ni l'épouse, ni leurs patrons, ni les copains, ni la la mère, ni la logeuse, encore moins l'Eglise et la police. C'est donc à cette pression puritaine que l'on doit un final bien amer.

Le troisième et dernier scketch, d'un cynisme consommé, est peut-être encore plus tragique. La causticité du scénario reste drôle. Il rappelle en cela le tordant "Les monstres" ou bien encore "Affreux sales et méchants". Tous les hommes du village se repassent une jeune fille, qui se prostitue gentillement, naturellement, en non-officielle, pour une paire de chaussures ici, une robe par là ou quelques billets.Jusqu'au jour où son père s'en aperçoit et pousse sa fille à porter plainte ; la belle n'a que 16 ans. Là encore, toute la société se met en branle pour échapper au scandale : pression sur le journaliste du canard local L'indépendance, le bien nommé -les scènes des différents coups de fil au journaliste sont irrésistibles- et corruption du père qui nous vaut une rencontre sexplosive entre lui et l'une des épouses, la notable cul-serré catholique Olga Villi, scène encore plus mémorable.

Dans une sorte d'épilogue, toute ce petit monde se retrouve sur la place principale du bourg, les visages souriants mais les regards se croisent laissant apparaitre d'autres relations non dévoilées, d'autres désirs étouffés mais prêts à éclore, d'autres secrets intimes, suggérant que le retour à l'ordre final n'est que façade, un artifice d'une hypocrisie sans borne. Infiniment cruel.

En tout cas, ce film est une belle et heureuse surprise, un film que je reverrai avec grand plaisir. La plastique du casting féminin vaut à lui seul le coup d'oeil. Parmi elles, Virna Lisi ajoute à son très joli minois, un tout aussi magnifique jeu de comédienne. Elle m'a cueilli, délicieusement, quand le curé vient la prendre en voiture à la sortie du commissariat, elle a un regard perdu, d'un trouble aussi profond que bluffant. Que d'émotion! Olga Villi, je l'ai déjà écrit plus haut a une scène formidable. Le combat à distance que se livrent la superbe Gia Sandri et la sophistiquée Moira Orfei -vous la verriez aujourd'hui... elle est tellement refaite et trafiquée qu'elle ne ressemble plus à un être humain- est un duel haletant de buonissimes italiennes. Quant à la blonde Bebe Loncar... hmmm.... La petite Valturri porte bien son nom. C'est un festival mamma mia.
Chez les hommes, Gastone Moschin est pour moi une découverte sensationnelle. Je retiens la trogne comique de Lionello et celle que j'appréciais déjà de Parmeggiano.
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Profondo Rosso
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Divorce à l'italienne de Pietro Germi (1961)

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Un noble sicilien veut se remarier, mais comme le divorce est illégal en Italie, il fait tout pour que sa femme tombe amoureuse d’un autre homme, pour pouvoir les surprendre ensemble, la tuer et n’avoir qu’une peine légère pour crime d'honneur.


Ressorti cette semaine, bonne claque avec cette découverte du cinéma de Pietro Germi. Un dénonciation grinçante et tordante du pouvoir encore prédominant de l'église dans le quotidien des italiens de l'époque, où la bondieuserie grotesque et hypocrite va pousser Mastroianni à monter un plan rocambolesque pour tout simplement quitter sa femme et aller avec celle qu'il aime. Germi fustige également les moeurs archaïques qui règent encore alors avec ce fameux article de loi italien sur le crime d'honneur moins sévèrement puni s'il est attesté et dans lequel va s'engouffrer le héros pour arriver à ses fins.
Les années ont passé et on a cette fois l'impression par instant de regarder une bien plus méchante des "Pain, amour et fantaisie" dont toute la tendresse a disparu pour ne garder que le côté méchant et moqueur. L'ouverture est un grand moment avec Mastroianni décrivant en voix off la petite communauté avec acidité et annonce la tonalité générale du film. Ce héros totalement blasé profitant des travers de son monde occasionne pas mal de grand moments : le running gag de la soeur constamment trouvée en situation compromettante avec son "fiancé", la très irritante femme de Mastroianni (Daniela Rocca fabuleuse) toujours en demande de preuve d'amour ou les voisin du château et le père frisant l'arrêt cardiaque dès qu'il est question de la vertu de sa fille. Timing comique une nouvelle fois extraordinaire de Mastroianni, visage placide toujours détaché, la mine fatiguée et toujours le petit tic génial qui vous tord de rire, ici un petit claquement de bouche machinal de satisfaction dès que les choses tournent en sa faveur. Tout le monde en prend pour son grade, l'Eglise castratrice qui se mêle de se qui ne la regarde pas en donnant des consigne d'élections, les villageois avide de sang qui humilient Mastroianni (et contribue ainsi à son plan) pour qu'il venge son honneur quand sa femme l'a quitté,
Spoiler (cliquez pour afficher)
et assez paradoxalement et ironiquement alors même qu'elle a eu le courage de faire directement ce qui lui a pris un plan alambiqué
. Bien corrosif et drôle donc un petit chef d'oeuvre et la toute jeune Stefania Sandrelli au visage virginal et à l'allure provocatrice (ah ces moment où Mastroianni l'épie en train de dormir, pas mal de moments assez osés pour l'époque niveau sensualité) vaut presque tout les efforts du héros. Et la dernière scène bien dans le ton est terrible. 6/6 Hâte de voir le "Signore E Signori" du même Germi ressortant le 29 et qui semble brasser les même thèmes.
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Message par Alligator »

Profondo Rosso a écrit :Hâte de voir le "Signore E Signori" du même Germi ressortant le 29 et qui semble brasser les même thèmes.
Oui, en effet, ce que tu décris me fais penser à la deuxième partie de signore.
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Profondo Rosso
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

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Signore E Signori (1965)

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Tony Gasparini confie à son ami et docteur, le professeur Castellani, ses ennuis intimes. Celui-ci estime que le meilleur remède est de conduire son ami à une party. Pour ce faire, il n'hésite même pas à le jeter dans les bras de sa femme Noemi. Mais voici que le plus grand colporteur de ragots de Trévise, Scarabello, apprend à Castellani qu'en réalité l'infirmité prétendue de Gasparini n'est pour lui qu'un alibi opportun...

Décidément la découverte du cinéma de Pietro Germi est fructueuse, après "Divorce à l'italienne" encore une sacrée pépite. Chronique sociale cherchant à fustiger les moeurs douteuses et l'hypocrisie de la bourgeoisie du nord de l'Italie (et plus précisément Trévise), le film fait preuve d'un férocité, d'un cynisme et d'une drôlerie assez exceptionnelle au point qu'on peut dire qu'on tient là un "Affreux, sales et méchants" chez les riches.

Sans être un film à sketch, le film se divise en trois récit distincts regroupant un même groupe de personnages et traitant précisément à chaque fois d'un travers particulier. Le scénario fut écrit par Germi lui même, ainsi que les maître de la comédie italienne Age et Scarpelli et Luciano Vincenzoni collaborateur attitré de Sergio Leone. Ce dernier originaire de Trévise, s'inspire en grande partie de scandales et de rumeurs locales bien réelles pour nourrir son script et persuade Germi de situer le film dans cette ville. Gros carton dans toute l'Italie sauf là bas où les habitants voueront une haine tenace à Vincenzoni et Germi (au point de recevoir un accueil hostile pendant des années lorsqu'il se rendra là bas) tant ils se sont reconnus dans les personnage infâmes du film. Un des gros atouts né des contraintes budgétaires, est de ne pas avoir (hormis Virna Lisi) de star dans le film, un Vittorio Gassman ou un Alberto Sordi auraient été excellent mais on n'aurait vu qu'eux alors que là les acteurs plus discrets mais talentueux renforce l'unité et la force du propos.

La première histoire sert à introduire tout les personnages dans le cadre d'une fête se déroulant chez un notable de la ville. Germi gère avec brio la foule de personnages qu'il définit en un clin d'oeil à travers les dialogues et les situations. Couple adultère, médisance, mâles tous plus pervers les uns que les autres, on est en présence d'être parfaitement détestable et tordant (le boulet pot de colle Scarabello est fabuleux :mrgreen: ) avec pour fil rouge un Gasparini qui subit toute les humiliations après avoir avoué à un ami son impuissance. La chute révélant la vraie raison de cette prétendue impuissance est d'ailleurs énorme.

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La deuxième histoire est dans la lignée des thèmes de son "Divorce à l'italienne". Osvaldo Bisigato est marié à une affreuse mégère qui ne cesse de le rabaisser et l'insulter à longueur de journée et les boule quiès ne sont pas de trop pour apaiser son enfer quotidien. Tombé amoureux d'une jolie caissière de bar (jouée par Virna Lisi) il voit tout une foule d'obstacles se mettre en travers de son amour. Gastone Moschin est excellent avec sa mine de chien battu subissant les outrages de sa femme insupportable. C'est d'ailleurs assez jubilatoire de le voir enfin se rebeller ragaillardi par l'amour et lui coller une grosse gifle :mrgreen: . Le couple adultère de Moschin et Virna Lisi représentent ironiquement les seuls personnages purs du film, mais qui vont subir la pression sociale et morale de leur entourage surtout soucieux de maintenir les apparences. On retrouve le thème de "Divorce à l'italienne" avec l'impossibilité de divorcer (ce ne sera possible qu'en 1971 en Italie) et le pouvoir de l'Eglise qui ici parvient à faire perdre leurs emplois au couple de héros, à les faire arrêter pour adultère et à mettre toute sorte d'embûche pour les séparer comme la lettre anonyme calomnieuse. On comprend que l'adultère est parfaitement accepté à condition de rentrer sagement chez sa femme ensuite mais que la séparation est exclue dans l'ordre social établi. La conclusion bien qu'assez drôle est quand même bien amère avec son héros de retour à sa prison dorée.

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La troisième histoire voit un groupe de notable se faire passer dans la même journée une jeune fille pas farouche et acceptant leur petit cadeau en échange d'une coucherie. Débarque alors le père paysan furieux qui révèle que la fille n'a pas 16 ans. Sûrement la plus féroce des trois histoires, les personnages masculins sont de vrais porc tandis que les femme ferment les yeux et emploient des moyens douteux pour sauver leurs maris. La presse en prend pour son grade aussi, les notables mettant la pression pour tourner le fait divers à leur avantage et la conclusion "à la Michael Jackson" dénonçant l'appât du gain du père même bien ignoble aussi. Bien méchant et très drôle on comprend facilement ce qui a dû froisser les habitants de Trévise qui ont droit à un portrait peu reluisant... 6/6
Nestor Almendros
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Nestor Almendros »

CES MESSIEURS-DAMES (1965)

Après une certaine déconvenue il y a quelques semaines avec DIVORCE A L’ITALIENNE (auquel je n’avais pas vraiment accroché, en fait) je retrouve finalement avec CES MESSIEURS-DAMES la comédie italienne comme je l’aime (car je ne les apprécie pas toutes) où l’humour se mélange à une vision cinglante de la société, dans un équilibre parfait entre farce et critique.

SPOILERS
Le film, bien que divisé en segments, garde une vraie continuité (retour des mêmes personnages) en se focalisant à chaque fois sur un nouveau thème. Mais on aurait parfaitement pu éviter ces séparations qui, bien que discrètes, s’avèrent peu utiles. On note quand même trois parties distinctes : la soirée privée, la romance adultère, le détournement de mineure.
Comme l’a souligné Profondo, la première partie sert surtout de mise en place pour les nombreux personnages. Avec un style tourbillonnant, une gestion narrative et rythmique étonnante, on découvre un à un les différents personnages et couples qui interviendront dans le film. Chacun est dessiné avec un trait proche de la caricature, avec un profil bien déterminé qui laisse toujours une grande place à l’humour: on retrouve par exemple la femme castratrice avec son mari soumis, le mari protecteur et méfiant avec sa femme limite idiote, le célibataire en chasse, l’invité qui s’incruste, etc.

Si cette soirée privée, lieu quasi-unique de la première partie, propose un tableau essentiellement basé sur la réunion de profils opposés, on peut déjà y voir, en guise de cerise sur le gâteau, une certaine réjouissance des auteurs à s’attaquer à l’institution du mariage. Ainsi, dans cette bourgeoisie provinciale animée qui prend plaisir à se retrouver, le mariage semble être plus apparent que véritablement désiré. Il semble qu’un sport local (voire national) consiste à chercher du regard (pour commencer) la femme de son voisin, ou à protéger ses arrières en empêchant le séducteur potentiel de trop approcher sa dulcinée. Ainsi, le couple marié semble parfois répondre à l’appel du large, selon les cas. Et les hommes ne sont pas forcément les seuls coupables.
L’institution du mariage est donc, visiblement, une habitude plus qu’une vocation, un mode de vie où l’adultère est partie prenante, toléré tant qu’il reste secret. C’est une sorte d’accord commun, une convention sociale acceptée de tous, une hypocrisie généralisée que l’un d’entre eux, poussé par un sentiment d’amour profond et véritable, va vouloir affronter. Or à aucun moment ces personnages ne remettent en cause le bonheur potentiel de leur ami Osvaldo. Il est le seul à oser « briser la chaîne » (comme il le dit), casser ce moule de société hypocrite que tout le monde accepte (plus ou moins facilement pour certains) et où certains trouvent du plaisir en bravant l’interdit (l’adultère).

Osvaldo est le mari soumis d’une femme en perpétuel dédain. Dans le deuxième segment, il affirme son émancipation des conventions, d’une union qui ne le rend pas heureux. Il est le seul personnage du film à faire preuve de courage: il va désavouer son mariage, s’afficher avec sa maitresse, menacer de quitter son emploi, tout plaquer pour vivre sa vie. Or à cette époque, vivre avec une femme illégitime était passible de poursuites. Profondo l’a précisé justement: cette partie rappelle quelques thématiques de DIVORCE A L’ITALIENNE, notamment sur une société coincée dans des mœurs étriquées car trop dépendantes de la religion. La force de cette revendication, dans le film, vient surtout de la simplicité des arguments : un homme marié ne peut pas refaire sa vie facilement, tout simplement. Ici, on accentue la férocité du trait avec le personnage de sa femme, insupportable mégère, qui va chercher de l’aide auprès de sa cousine, fervente catholique "cul coincée" comme le dit justement Alligator. Et quand la religion s’en mêle, ce n’est pas pour résoudre le problème de façon juste et équitable mais pour colmater les fissures d’une société sur laquelle elle perd de son influence. La charge contre l’establishment religieux est particulièrement cinglant ici : on sauve les apparences du groupe (social) sans se préoccuper de l’individu. On essaye tant bien que mal de garder la mainmise sur les conventions de la société, ses institutions, on s’applique à protéger sa place privilégiée (la religion est l’un des piliers référents de la société italienne). Le film dénonce en même temps le pouvoir religieux qui est présent à tous les niveaux de la société, par d’innombrables connexions, et en particulier avec les décideurs (patrons).
Signalons quand même que la société elle-même réagit aussi hypocritement, confortée dans une habitude qui l'aveugle: on ne compte plus les lettres anonymes et les complications que subira le couple illégitime. Les mœurs sont si contrôlées que même les individus suivent l’élan. Le regard porté sur ce genre de débat par les auteurs est vraiment désabusé : il n’y a pas de solution (Milena sera poussée dehors par le prètre tandis qu’Osvaldo retournera vers sa femme en repensant aux heures de bonheur passées avec sa maitresse, derrière une réunification d'apparence).

La société bourgeoise, celle qui est influente et installée, est la cible privilégiée du film. Elle est symbolisée par ce groupe d’amis que nous allons suivre pendant ces deux heures et qui apparait, d’abord, comme jovial, complice dans des rapports typiquement masculins et très ancrés dans la culture italienne (macho, toujours un œil sur les femmes des autres, etc.). On note toutefois, dès la soirée privée, une tendance à se moquer les uns des autres, voire à se désolidariser. Il règne implicitement une concurrence effrénée où l’amitié est aussi apparente que fragile.
Dans le deuxième segment, on verra que ces soi-disant amis ne lèveront pas le petit doigt pour aider Osvaldo en mauvaise posture qui recherche un toit pour dormir avec sa maitresse. Au fur et à mesure du film, on découvre ainsi que dans ce petit groupe a priori soudé, ce ne sont pas forcément tous des amis, mais surtout des connaissances réunies par l’appartenance à un même milieu social (aisé).
Dans le troisième segment, leur vrai visage va finalement apparaitre derrière les conventions de respectabilité. Individuellement, ces hommes vont se montrer immoraux, lâches, primaires : ils vont abuser d’une jeune fille « fraîche » qu’ils vont pousser à la prostitution opportune (en échange d'un petit cadeau à chaque fois), qu'ils vont se prêter tour à tour, comme un « bon plan ». Elle est provinciale, d’un milieu modeste (paysan), et n’a donc pas les égards dûs à quelqu’un de leur rang.
Et c’est dans ces moments difficiles que l’on voit la cohésion d’un univers corrompu où ces sphères protégées vont s’entraider. Dans cette troisième partie, il n’y a pas seulement le religieux sur qui s’abattent les foudres des auteurs. On peut citer l’institution judiciaire qui ne refuse pas un petit pot de vin de temps en temps, le milieu journalistique qui s’auto-censure après quelques coups de téléphones venant de sphères plus haut placées (amusant quand le journal s’appelle « l’Indépendance »), et même le petit paysan qui oubliera les déconvenues de sa fille et profitera de l'occasion pour soutirer de l'argent à des nantis (c'est le nerf de la guerre). On oublie la morale, même chez les fervents catholiques, du moment que l'équilibre social est retrouvé. Le récit ne manque d’ailleurs pas d’ironie puisque ce paysan, qui retirera finalement sa plainte, sera ensuite attaqué pour diffamation : tout revient dans l’ordre "juste" (pour certains), avec un léger favoritisme pour les puissants.

Derrière ces brûlots cinglants, ces regards aiguisés, il ne faudrait surtout pas oublier l’humour du film, omniprésent, aussi efficace que réjouissant. Comment ne pas rire devant ces images d’une bourgeoisie ridicule, de couples encore plus risibles, de situations plus ou moins glauques que l’humour retourne d’un souffle, d’un rire. C’est d’une finesse et d’une justesse d’écriture remarquables. Et pas forcément dans des choses évidentes : on joue ici sur tous les registres avec tous les ingrédients (dialogues, mimiques, gestes, sons). Je repense par exemple à Osvaldo qui se met des boules Quiès pour ne plus entendre les plaintes de sa femme. Ou ce geste équivoque des mâles dans leurs voitures qui baissent la tête de la jeune paysanne pour qu’elle ne soit pas vue avec eux, geste qui est repris par le pharmacien lorsqu'il la fait rentrer dans sa boutique en passant sous la grille abaissée.

Du grand art, remarquablement rythmé. Ce qui me plait ici c’est l’équilibre entre une forme très drôle et la simplicité d’un discours sérieux. Le ton loufoque, proche de la farce, glisse lentement de sketch en sketch vers la satire sociale avec comme un goût désagréable qui nous reste en bouche malgré l’efficacité de l’humour. Les auteurs ont réussi à exprimer leurs critiques en choisissant un angle presque banal auquel ils ajoutent en permanence un humour très solide basé sur des personnages et des situations tout aussi solides.

Probablement l’un de mes meilleurs souvenirs au cinéma cette année. Je suis très curieux de voir d'autres Germi, maintenant...
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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Jack Carter
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Jack Carter »

Divorce à l'italienne est prevu en dvd chez nous le 18 novembre, edité par MK2 (pfiou, ça fait combien de temps qu'il n'avait pas edité un film naphta en dvd....)
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
Alligator
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Alligator »

Un maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne)(Pietro Germi, 1959) :

http://alligatographe.blogspot.com/2010 ... oglio.html

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Pietrio Germi n'a pas réalisé que des comédies. Ainsi cette oeuvre très différente de "Signore e signori" que j'avais adoré et qui m'a permis de découvrir cet auteur. Ce maledetto imbroglio est un polar très noir, à l'intrigue somme toute assez classique. Elle met en scène une enquête policière autour du meurtre d'une femme. La tonalité poisseuse nous immerge dans une Italie complexe. Germi, sans le montrer de manière ostentatoire, approche des problèmes sociaux de cette Italie où le fascisme n'est pas encore digéré. Que ce soit le mal-être homosexuel ou la prostitution masculine par exemple, il aborde des thèmes rares. Il se dégage de ce film des impressions mélancoliques. Une atmosphère glauque empeste. Malgré cela les personnages s'efforcent de vivre par-dessus les décombres du fascisme et de la guerre, les débris humains qui surnagent.

Sur bien des aspects, ce film m'a fait souvent penser à "Maigret tend un piège" de Delannoy, d'un an son aîné. La musique d'abord, signée Carlo Rustichelli est très proche de celle de Paul Misraki, une longue plainte dans la nuit. Le personnage joué par Pietro Germi lui même, entre son galure, ses lunettes, son minois fatigué et son obstination désabusée à vouloir délier le vrai du faux ressemble à un jeune Gabin. La photographie très noire, léchée de Leonida Barboni accentue la qualité de la plongée dans ce quartier romain, son agitation du jour, son inquétant silence nocturne.

Les comédiens sont formidables. Vive l'Italie de Germi. Ils sont vifs, fins, pluriels. Je revois avec joie Saro Urzì, un bon gros, pas toujours finaud, qu'enfant j'avais vu dans les "Don Camillo". Il y jouait l'un des camarades de Peppone (Cervi). Surtout je retrouve la magnifique Eleonora Rossi Drago, qui m'a fortement ému récemment dans "Estate violenta". Son rôle est piccolo mais central. Que dire alors de la solide interprétation de Claudia Cardinale, si jeune, si belle et déjà si impressionnante dans la puissance comme dans la justesse de son jeu : fortissima! Franco Fabrizi est le seul finalement à ne pas déclencher un tonnerre d'applaudissements, en ce qui me concerne. Ceux que j'apprends à connaitre avec ce film sont très bons, je vais tenter de retenir leurs noms. La direction d'acteurs dans "Signore e signori" d'une efficacité sidérante avait considérablement joué sur le très grand plaisir que j'avais éprouvé. Je crois bien que cette capacité de Germi à tirer le meilleur parti de ses comédiens est à nouveau un élément clé de ce film.

Il lui manque cependant peut-être quelque chose : une sorte d'irrésolution alourdit la portée du film je le crains. Germi se cherche et trouvera plus tard -peut-être : je n'aime pas le ton péremptoire que prend cette phrase- dans la comédie grinçante la plénitude qui fait défaut ici. Ce polar se veut sérieux et grave. Il lui prend des accents mélodramatiques souvent, malgré les petites vignettes d'humour, furtives, comme intruses.

Un bon petit polar italien réalisé par un cinéaste dont j'attends bien plus.
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Profondo Rosso
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Profondo Rosso »

Meurtre à l'italienne (1959)

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Un vol de bijoux vient d’être commis dans un immeuble bourgeois de Rome. Chargé de l’enquête, le commissaire Ingravallo porte d’abord ses soupçons sur le fiancé d’Assuntina, la domestique de Liliana Banducci qui vit dans l’appartement d’en face. Mais l’affaire se révèle plus trouble et plus complexe que prévu : la victime du vol semble peu encline à aider la police, Assuntina et son fiancé cherchent à se marier en hâte et, quelques jours plus tard, Banducci est retrouvée morte assassinée…


Belle démonstration de l'étendue du registre de Pietro Germi qui délivre ici un polar des plus convaincant où il distille ses thèmes habituels avec la même acidité que dans ses comédies. Adaptation du roman L'affreux pastis de la rue des Merles de Carlo Emilio Gadda, grand succès littéraire de l'époque dont Germi a expurgé toute la dimension purement littéraire où les jeux de mots découlant de l'origine régionale des personnages avaient une grande importance. Germi y accorde moins de place que dans "Divorce à l'italienne" ou "Signore & Signori" même à si on a quelques allusions à travers quelques truculents personnages secondaire comme l'adjoint du commissaire grande gueule sicilienne. L'intrigue policière est très habilement menée par un Germi qui a là l'occasion de montrer son amour pour les films noir américain. L'histoire mélange le récit à énigme avec le mystère du meurtre de cette femme bien sous tout rapport tandis que les révélations progressives sur son entourage louche permet à Germi de délivrer un grinçant récit de moeurs. Détournement de mineure, chantage financier comme sexuel, cupidité et calomnies en tout genres, soit tout ce qui fera le sel de "Signore & Signori" avec le cadre du polar comme révélateur des tares de la bourgeoisie italienne à la place de la comédie. Le film ne s'enfonce pourtant pas dans un sérieux si prononcé malgré le contexte pas mal d'humour vient alléger l'atmosphère. Les rencontres improbables, quelques dialogues et situations décalées ainsi que des personnages secondaires hilarants allègent pas mal le ton très sombre du film. Pietro Germi interprète avec brio le commissaire menant l'enquête, fin psychologue et tenace il est tout bonnement excellent dommage qu'il ait abandonné sa carrière d'acteur lorsque celle de réalisateur à totalement décollée. On retrouve également un toute jeune Claudia Cardinale en jeune femme de ménage, encore dans un rôle de fille du peuple comme elle pouvait en jouer à ses début mais dont l'intrigue va donner un tour étonnant. Car effectivement la résolution est à la hauteur de ce qui a précédé, déroutante et sordide tout en étant imprégnée du contexte social exprimé depuis le début. Très bon. 5/6
Nestor Almendros
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Nestor Almendros »

Profondo Rosso a écrit :Meurtre à l'italienne (1959)
Ton avis est très encourageant (car je compte me procurer le coffret - s'il y en a un). Comment est la qualité du master?
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Profondo Rosso »

Nestor Almendros a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Meurtre à l'italienne (1959)
Ton avis est très encourageant (car je compte me procurer le coffret - s'il y en a un). Comment est la qualité du master?
Très bonne pour ma part Carlotta a encore fait du bon boulot, le film accuse son âge mais c'est tout à fait satisfaisant dans l'ensemble.
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Profondo Rosso
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Profondo Rosso »

Il Ferroviere (1955)

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Le soir de Noël, Sandro accourt fièrement retrouver son père, Andrea Marcocci, un conducteur de locomotive. Mais sur le chemin du retour, ce dernier s'arrête au café et s'y attarde alors que sa femme et ses enfants l'attendent à la maison. L'année qui suit voit la famille se désagréger. Un jour, un homme se jette sous le train conduit par Andrea. Quelques heures plus tard, perturbé, ce dernier ne voit pas le signal d'arrêt et évite de peu un grave accident...

Une magnifique chronique sociale mâtinée de néo réalisme tardif dans la veine de certaines oeuvres de Vittorio De Sica. Cependant pas de grand message social ou humaniste chez Germi dont le cadre du récit ne sert qu'à révéler des travers bien humains. Ici ils sont illustrés par un père de famille cheminot qui traîne certains défauts de ses hommes bourrus de la vieille école, buveur, maladroit et empruntés pour exprimer ses sentiments... Ses tares finissent par faire imploser la cellule familiale lorsque plusieurs drame vienne perturber le quotidien, tel ce moment où le père cuve le soir de noël tandis que sa fille vient de faire une fausse couche ou encore sa régression professionnelle suite à une maladresse. Poussés par ses amis et les producteurs, Pietro Germi interprète lui même le patriarche alors qu'il envisageait d'engager Spencer Tracy. Un interprétation intense où Germi s'approprie totalement le personnage qui en dépit d'actes discutables s'avère vraiment attachant. Maladroit, brutal, grossier mais aussi un père aimant au tempérament auto destructeur qui va s'aliéner famille et amis. Magnifiquement filmé par Germi (le noir et blanc est de toute beauté) le scénario est une merveille de subtilité où l'aspect social ne surnage que pour mieux exprimer les dérives du héros (comme le passage où il ne soutien pas la grève de ses camarades cheminots) et avec une réconciliation finale idéalement amenée à la conclusion poignante. La narration du point de vue du petit garçon joue pas mal dans la naïveté et la tendresse du film avec son regard innocent sur ce père si torturé. Le gamin a une bonne bouille et est assez épatant, tout comme les seconds rôle notamment l'habitué Saro Urzi en meilleur ami (qui jouait l'adjoint au commissaire sans gêne de "Meurtre à l'italienne"). Plusieurs scène magnifique comme la belle conclusion mélancolique, le passage où Andrea revient au bar parmi ses camarades qui l'acceptent sans demander de compte... Considéré par Germi comme un de ses meilleurs films, on aurait du mal à le contredire. 5,5/6
paul_mtl
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par paul_mtl »

Je découvre vos analyses de films qui sont assez détaillé. Quand je cherche avec google des résumés en français, je n'ai jamais trouvé cette page...

@ Alligator, Profondo Rosso, Nestor Almendros, ...
Est ce que vous me permettez de reprendre des extraits de vos textes pour mon site sur la comédie italienne ? qui a une meilleure visibilité avec les moteurs de recherche. Je cherche aussi des co-auteurs pour publier directement des analyses / critiques de film italien.

Sinon j'indique toujours le titre orignal et un extrait video avec le titre VF quand je le trouve.
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Profondo Rosso
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Profondo Rosso »

Oui pas de problème en ce qui me concerne :wink:
Alligator
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Alligator »

Profondo Rosso a écrit :Oui pas de problème en ce qui me concerne :wink:
Pareil. No problemo.
Nestor Almendros
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Re: Pietro Germi (1914-1974)

Message par Nestor Almendros »

Pas de soucis pour moi non plus.

(Et n'hésite pas, toi aussi, à venir poster quelques avis sur les Germi ici-même :wink: )
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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