John Huston (1906-1987)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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bruce randylan
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Re: Top John Huston

Message par bruce randylan »

yaplusdsaisons a écrit :
bruce randylan a écrit :Fat city ( 1972 )
Exactement ce que je pense (et mieux que je ne pourrais dire) de ce merveilleux film.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Une autre scène unique en son genre, c'est le combat de boxe final, où les deux combattants à bout de force avant même d'avoir lutté un round (avant même de monter sur le ring, en fait) passent tout le combat moins à échanger des coups qu'à s'empêcher de tomber raides morts en se supportant mutuellement. A la fin, Stacy Keach s'en tire par k.o mais demande, hébêté, qui a gagné...
C'est vrai que j'ai oublié de parler des scènes de boxe qui sont pourtant tout aussi marquantes. :)
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Re: Notez les films Naphtas-Mars 2009

Message par Julien Léonard »

The treasure of the Sierra Madre (1948) - Réalisé par John Huston :

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Un très grand film d'aventure qui emprunte à la fois à Voltaire et aux westerns... c'est dire l'ambiguité et la complexité d'un tel film qui, disons-le, demeure un classique incontournable du cinéma américain des années 1940. Un de mes John Huston préférés, avec un Bogart inattendu (entre le pauvre type et l'ordure finie, un très grand rôle) et Walter Huston tout en énergie. Tim Holt n'est pas trop en reste, il marque le film d'une manière différente, peut-être plus neutre, voilà tout. Huston nous livre un portrait sans concession de la race humaine qui, confrontée à la fonction corruptrice de l'or, se voit broyée dans une machine infernale (à la manière de certaines pièces de Shakespeare). L'œuvre n'a pas beaucoup vieilli et reste encore très impressionnante pour l'époque, et dotée d'un petit côté sadique et réaliste qui rend l'ensemble terriblement inquiétant (la mort de Dobbs et sa dépossession de ses effets personnels par les bandits). Je sais que certains articles cinéphiles ne sont pas toujours tendres avec ce film, le trouvant même parfois assez surestimé. Pour ma part, c'est un des très grands films qui m'ont fait aimer le cinéma il y a maintenant des années... Encore maintenant, je le trouve superbe.

9,5/10


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Key Largo (1948) - Réalisé par John Huston :

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C'était une soirée Huston-Bogart, avec des films que je n'avais pas vu depuis très longtemps... Ce Key Largo, ça faisait 6 ans que je ne l'avais pas regardé. Ce n'est ni un chef-d'œuvre, ni l'un des meilleurs films de Huston, ni même l'un des meilleurs rôles de Bogart... Mais cela reste un divertissement de très haute volée, nettement au-dessus de la moyenne de l'époque. Un film noir comme on en fait plus, un huis-clos passionnant où se déchainent les caractères, et où l'orgueil et le courage se font malmener. Le duo Bogart-Bacall fonctionne toujours parfaitement, mais cette quatrième et dernière collaboration est peut-être la moins belle (même comparé à The dark passage, certes décevant dans son ensemble, mais présentant un couple mieux rendu à l'écran). Bacall a du chien, et Bogart une sacrée gueule, tout cela ne change pas, d'autant que leur jeu reste sacrément moderne. Il suffit de voir la scène où Bogart se lève pour aller servir un verre à la compagne alcoolique (Claire Trevor excellente !) du gangster pour assister au savoir faire efficace du réalisateur et de son acteur fétiche... L'ensemble est carré, sans fioriture, aux décors bien conçus, et surtout mené par une distribution soignée, comme toujours chez Huston. Signalons l'interprétation remarquable de Edward G. Robinson, en espèce de Little Caesar sur le déclin, aussi imbu de lui-même que machiavélique et en bout de course. La scène finale, se déroulant à l'extérieur du huis-clos étouffant principal pour en créer un autre (en pleine mer ce coup-ci), est une belle scène où, enfin, Bogart peut se venger d'un Robinson qui avait constamment le dessus dans les années 1930. Key Largo n'est ni The maltese falcon, ni The treasure of the Sierra Madre, ni même The african queen (en terme de qualité bien entendu, pas de style, car ça on le savait), mais c'est en tout cas bien meilleur que Across the pacific... Au sein de la production du Film Noir entre 1941 et 1956 (la période des puristes, même si ce genre déborda un peu de ces dates), Key Largo ne démérite pas. Un très bon moment.

7,5/10
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Jeremy Fox
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Jeremy Fox »

Quelques uns de mes avis retrouvés :


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La Charge victorieuse (The Red Badge of Courage, 1951)

The Red Badge of Courage est une adaptation controversée du best-seller homonyme de Stephen Crane narrant le baptême du feu pour plusieurs jeunes soldats durant la Guerre de Sécession. Un film massacré au montage après une preview désastreuse de la version initiale d’une durée de 95 minutes au cours de laquelle presque tous les spectateurs désertèrent la salle et dont il ne reste aujourd’hui que 69 minutes ! Qu’à cela ne tienne, cette courte durée n’empêche pas ce film assez austère mais esthétiquement magnifique (superbe photographie très contrastée en noir et blanc d’Harold Rosson) de se révéler être, tout comme le roman, une œuvre oh combien courageuse et intelligemment antimilitariste !

C'est Audie Murphy, avec un certain culot puisque c'était le soldat le plus décoré de la Seconde Guerre Mondiale (24 médailles), qui interprète avec force conviction le Yankee pleurant de trouille en apprenant qu'il allait falloir désormais se rendre aux combats après des mois et des mois d'attente et d'ennui. [Pour information, les étapes essentielles de la vie guerrière et militaire de cet acteur seront narrées par Jesse Hibbs dans un film de 1955 intitulé L’enfer des hommes.] Aucune montée dramatique dans le remarquable scénario de John Huston et Albert Band basé uniquement sur une succession d'attentes et de combat filmés de très près, à hauteur d'hommes (les gros plans typiquement ‘hustonien’ sur les visages abondent). On vit avec les soldats, la peur, l'angoisse, la cruauté, l'anonymat et l'inutilité des combats. On comprend et on ressent de l’empathie pour les 'lâches' et les 'déserteurs' et l'on se rend compte que la bravoure et certains actes héroïques peuvent naître d’une impulsion irraisonnée (peur ou ‘folie’) au même titre que la lâcheté.

‘Western de guerre’ d’une force extraordinaire dont on regrette que le réalisateur se soit désintéressé de son sort après son ‘découpage’ et qui d’après ce dernier ne peut en aucune manière donner un aperçu du réalisme de la version initiale. Le producteur Gottfried Reinhardt entreprit après sa sortie de récupérer les scènes coupées afin de rétablir le montage original mais apprit qu’elles avaient été détruites par les patrons de la MGM. Tel quel, ce pamphlet tout sauf démonstratif demeure néanmoins tout à fait admirable.
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Les Désaxés (The Misfits, 1960)

Roslyn (Marilyn Monroe) vient de divorcer et fête l’évènement dans un bar de Reno où elle est accompagné par Guido (Eli Walach) qu’elle vient de rencontrer. Ils y retrouvent Gay (Clark Gable), cow-boy fatigué et vieillissant qui s’éprend immédiatement de Roslyn. Avec Isabelle (Thelma Ritter), la grande amie de cette dernière et le jeune Perce (Montgomery Clift), un peu déboussolé et qui doit bientôt participer à un rodéo, ils décident d’aller tous passer quelques jours dans un ranch à proximité…

Marilyn Monroe, Montgomery Clift, Clark Gable, Thelma Ritter, Eli Walach dans un même film et tous ayant des rôles à peu près de même importance : quel improbable et étonnant casting qui émerveille pourtant toujours autant ! Film maudit par les décès rapprochés de ses trois stars dans les années qui suivirent ; film dans l’ensemble mal accueilli pour le scénario trop littéraire du dramaturge Arthur Miller ; film aujourd’hui mythique à juste titre ! Portrait d’un groupe de paumés dans un coin d’Amérique peu reluisant, The Misfits est un film situé dans la droite lignée de la thématique ‘hustonienne’ de l’échec. Ces cinq personnages ne sont arrivés à rien faire d’exceptionnel de leur vie, n’ont pas réussi à réaliser leurs rêves car ils en demandaient peut-être trop et ils seront obligés de s’en contenter jusqu’au bout à moins de trouver un nouveau but à leur existence (la bouleversante séquence finale faisant suite à celle célèbre des Mustangs pourrait-être un formidable hymne à vivre ‘tout simplement’). Un film d’une modernité incroyable (des plans très osés pour l’époque sur ‘la croupe’ de Marilyn à cheval par exemple) et d’une force incomparable grâce au génie de la mise en scène, à la beauté de la partition d’Alex North et au texte d’Arthur Miller.

Huston nous délivre une œuvre oh combien poignante aidé en cela par l’interprétation inoubliable des montres sacrés qu’il avait réussi à réunir. Nous trouvons dans The Misfits, peut-être la séquence la plus sublime de toute la filmographie ‘hustonienne’, celle qu’on dirait improvisée et ‘volée’ du déjeuner que prennent ensemble Clark Gable et Marilyn Monroe, une Marilyn qui n’a jamais été aussi belle et resplendissante qu’ici, au naturel et sans maquillage. Un grand moment de cinéma qu’il faut prendre le temps d’apprivoiser car Huston ne fait pas de cadeau, ni au spectateur (réalisation éloignée de tout classicisme), ni à ses personnages qui au final aurons quand même fini par nous être plus qu’attachants, des personnages avec qui nous aurions bien partagé encore quelques moments de vie. Avec ensuite La Nuit de l'Iguane et Reflets dans un œil d'or, Huston nous prouve qu'il n'est jamais plus à l'aise qu'avec entre ses mains une galerie de protagonistes aux abois, psychiquement instables et d'une fragilité qui les rend tous poignants voire parfois effrayants par les actes qu'ils pourraient accomplir. Trois chefs-d’œuvre, peut-être les plus beaux de sa filmographie.
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Le Faucon maltais (The Maltese Falcon, 1941)

"Dans The Maltese Falcon, j'ai essayé d'être le plus fidèle possible aux dialogues que Dashiel Hammett avait écrit. C'était un romancier extraordinaire, j'ai simplement mis le livre en images" dira John Huston. En effet la plupart des dialogues du roman ont été conservés hormis la célèbre réplique finale tirée de Shakespeare et qui a fait beaucoup pour la réputation de Huston, cinéaste de l’échec. John Huston s'attaque ici pour la première fois à la réalisation après avoir été un excellent scénariste à la Warner, ayant collaboré à des films aussi prestigieux que L'insoumise de William Wyler, High sierra de Raoul Walsh ou Sergent York de Howard Hawks. Son premier film en tant que réalisateur, Le faucon maltais, atteint déjà une sorte de perfection parce que Huston suit à la lettre les conseils que lui a prodigués le producteur Henry Blanke : "Réalisez chaque scène comme si elle était la plus importante du film et faites que chaque plan compte." Le résultat est une sorte 'd'épure rigoureuse 0% matière grasse' : pas un plan de trop, une préparation millimétrée qui ne laisse pas de place à l'improvisation ; le script était parfait sur le papier, Huston le tourne tel quel sans y ajouter ni y retirer quoique ce soit : la justesse et l'intelligence de sa méthode sont flagrantes.

Le scénario est brillantissime ; les dialogues pleins d'humour sont parsemés de répliques qui font mouche ; la photographie de Arthur Edeson, à la limite de l'expressionisme, est magnifiquement contrastée et donne au film cette atmosphère typique qui sera maintes fois copiée par la suite durant l'âge d'or hollywoodien ; enfin, Adolph Deutsch nous gratifie d'un score particulièrement réussi. Le roman offre aussi à John Huston une situation dramatique souvent reprise tout au long de sa carrière : un groupe disparate constitué de personnages tous plus ou moins ambigus qui cherchent un trésor se révélant en fin de compte inexistant, disparu ou introuvable ; Huston s'en régale et le plaisir qu'il a de filmer cette abracadabrante chasse au trésor en quasi huis-clos rejaillit sur le spectateur. Mais si l'on se rappelle surtout de ce classique de nos jours c'est pour son casting imparable dont les participants, grâce à ce film, connurent une popularité accrue, Bogart en tête.
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Moby Dick (1956)

Huston a commencé sa carrière de réalisateur en adaptant magnifiquement un grand roman de la littérature policière : Le Faucon maltais de Hammett. Ce coup de maître le confortera et il se fera quasiment une spécialité de s’emparer de livres pratiquement intouchables avec la plupart desquels il réalisera ses meilleurs films : la liste impressionnante des auteurs adaptés comprend entres autres Malcolm Lowry, Carson McCullers, Tennessee Williams, Romain Gary, James Joyce et Rudyard Kipling.

En 1950, installé en Irlande, se pencher sur l’œuvre de Melville ne l’intimide pas même s’il sait que la tâche sera difficile. Le roman se déroule sur trois plans simultanés : aucun ne sera sacrifié par Huston, ce qui, loin de déséquilibrer le film, lui donnera au contraire une force et une modernité supplémentaire. Ces trois plans sont le roman d’aventure maritime, l’ouvrage philosophique et métaphysique (l’élément ambitieux de l’œuvre qui lui donne son ton unique) et enfin le documentaire sur la chasse à la baleine. La composition tant décriée de Gregory Peck dans ce rôle très difficile est aujourd’hui encore assez impressionnante. Habitué à le voir jouer des hommes réfléchis, sobres et calmes, nous sommes surpris de le retrouver dans la peau de cet illuminé. Son cabotinage finit pourtant par servir ce personnage halluciné et buté qui décide d’entrer en lutte avec le mal, Dieu ou les deux selon les interprétations. Sa mort, accroché aux flancs de la baleine, son ennemi juré, demeure une scène d’anthologie. Huston nous livre donc une remarquable adaptation du roman.

Le film garde intact le mysticisme et la force métaphysique du livre. Mais l’intrigue allégorique déroute le public de son époque qui souhaitait aller voir un pur film d’aventure, un simple divertissement sans autant de ‘bavardage’ : ce n’est pas franchement un succès ni public ni critique. Pourtant, sa vision au premier degré est tout à fait possible. Encore aujourd’hui, il est très controversé mais ceux qui l’aiment le placent très haut dans leurs panthéons personnels. Après Reflets dans un œil d’or, c’était le film préféré de son auteur : un bon choix !
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La Nuit de l’iguane (Night of the Iguana, 1964)

Non, il ne s’agit pas du titre d’un épisode de la série Les Mystères de l’Ouest mais celui d’une pièce vénéneuse, drôle et oppressante du grand dramaturge américain Tennessee Williams superbement adaptée par John Huston qui fait de ce film l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre ! Où l’on croise un révérend en colère contre Dieu, blasphémant à tout rompre et qui préfère finalement quitter sa défroquer pour refaire sa vie en tant que guide touristique. Etonnant Richard Burton dans la peau de ce cabotin de Shannon ! Où l’on rencontre trois femmes cherchant à se l’approprier : la jeune et troublante Charlotte, nymphomane à ses heures perdues (toujours aussi belle et craquante Sue ‘Lolita’ Lyon ; qui aurait raisonnablement pu ne pas succomber à ses charmes, hommes d’église ou non ?) ; Maxime, veuve sensuelle d’âge mur accordant ses charmes à deux éphèbes homosexuels en attendant que Shannon tombe dans ses filets (splendide Ava Gardner) ; Hannah, vierge névrosée d’une quarantaine d’années toujours accompagnée de son grand-père moribond (fabuleuse et touchante Deborah Kerr). Noire et moite, cette adaptation du dramaturge est tempérée par un humour, une verve et un dynamisme de tous les instants ; Huston, culotté comme rarement est en pleine possession de ses moyens et bénéficie d’une revigorante santé (a)morale et physique. Interprétation de haut niveau, dialogues jubilatoires et mise en scène à l’unisson ; photographie de Gabriel Figueroa qui nous offre un noir et blanc de toute splendeur et musique très réussie de Benjamin Frankel. Un film immense nous faisant passer par toute la gamme des sentiments (y compris l’émotion) et nous faisant cadeau par la même occasion d’un dépaysement total, l’intrigue se déroulant dans les paysages exotiques du Mexique à la végétation luxuriante.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Nestor Almendros »

Posté par Bill Douglas le 29 juillet 2004

Reflets dans un oeil d'or, John Huston 10/10

Film que je n'avais jamais vu et qui m'a enthousiasmé. Un thème pas si éloigné de Théorème de Pasolini (sorti une année après) : l'intrusion d'un personnage (ici un jeune soldat) révèle les failles, les névroses, l'absence de compréhension et de communication chez deux couples (les hommes étant des officiers du camp militaire cadre du film).

Brando est exceptionnel, Elisabeth Taylor aussi en enfant gâtée... La course folle du cheval, Brando qui suit Robert Forster dans le camp militaire de nuit, l'angoisse qui naît d'un plan quand la voisine observe Forster rôder autour de la maison, pas mal de scènes qui m'ont marqué.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Nestor Almendros »

REFLETS DANS UN OEIL D'OR (1967)

Profitant de sa diffusion sur TCM j'ai revu ce film que j'avais découvert sur cette même chaîne il y a presque dix ans. Bien m'en a pris d'ailleurs puisque le master proposé était enfin au bon format et avec une teinte dorée adéquat.

Est-ce aussi la satisfaction personnelle d'avoir enfin compris les grandes lignes de l'intrigue (contrairement au précédent visionnage qui m'avait laissé de marbre)? En tout cas j'ai beaucoup apprecié REFLETS DANS UN OEIL D'OR. Comme on l'a souligné à plusieurs reprises dans ce topic, la mise en scène de Huston est vraiment réussie. Elle immerge bien le spectateur dans l'ambiance feutrée et pleine de sous-entendus de cette caserne militaire. Huston capte l'étrangeté des situations, les sursauts émotionnels des personnages (les éclairs qui illuminent le visage de Brando à la fin, révélant par la même occasion ses impressions intimes), la proximité tendancieuse de tous ces mâles (quand Brando suit Forster, la nuit, dans la caserne). Et puis il y a des moments de forte intensité émotionnelle qui donnent lieu à des plans visuellement impressionnants: celui qui clot le film, évidemment, ou bien quand Brando monte Firebird dans cette promenade effrénée. Huston montre ainsi des moments de fulgurance visuelle qui éclatent au visage du spectateur, après les longs moments de frustration des personnages.

A ne pas négliger également, je trouve que Huston, par sa mise en scène et son style, arrive à gommer ce que j'appelle des "travers d'une certaine littérature et du théâtre américain" (propos entièrement subjectif), à savoir une utilisation outrancière des symboles pour figurer des tourments intérieurs, etc (par exemple: le cheval symbole sexuel, Forster virginal qui se ballade nu en forêt, etc.). Ce qui, en général, m'agace profondément, est montré ici de façon plus subtile malgré ces "gros sabots" scénaristiques, et la pillule passe alors beaucoup plus naturellement.

SPOILERS
C'est une histoire de personnages torturés où la sexualité refoulée et les non-dits sont parmi les thèmes principaux. Deux couples et un intru qui va semer inconsciemment le trouble: voilà le tableau de base. Aucun des deux couples n'a une vie équilibrée. L'un, le couple Brian Keith-Julie Harris, est brimé par les soucis névrotiques de la femme, l'autre (le couple Brando-Taylor) est frustré par une sexualité inassouvie. Brando est visiblement impuissant quand il s'agit de satisfaire sa femme. Celle-ci part alors se réfugier dans les bras de Keith pour consommer ce que son mari ne peut lui offrir. Parallèlement, elle s'adonne aux sports équestres, vouant un certain culte à son cheval favori Firebird qu'elle n'hésite pas à utiliser pour critiquer psychologiement son mari, parlant du cheval comme d'un "étalon" (sous-entendu: "contrairement à toi"). Taylor trouve ainsi du plaisir dans du sexe consommé et dans une certaine forme de relation symbolique, d'épanouissement, quand elle monte le cheval. C'est pour cela que le personnage de Brando, qui n'est pas très à l'aise avec la pratique équestre, développe une certaine animosité (sans jeu de mot :uhuh: ) envers Firebird. Il est jaloux du cheval parce que lui-même ne peut satisfaire sa femme à ce point.

Elizabeth Taylor incarne une femme superficielle qui se contente d'être une maitresse de maison obsédée par ses hobbies (le cheval et l'organisation de la fête) et qui vit au jour le jour de ses divertissements et des relations adultères qu'elle entretient avec Brian Keith. Ca ressemble à des relations de bons voisinage où, cependant, Taylor emprunte la sexualité de son voisin comme elle emprunterait un instrument de cuisine à sa voisine. Entre elle et Keith il y a une certaine affection mais il n'est pas certain que ce soit de l'amour profond: juste un passe-temps physique pour compenser le manque.

Le major Penderton (Brando) est le personnage central du film puisque c'est lui qui va subir les tourments les plus importants dans le film (hors Brian Keith qui perd sa femme, qui s'en console comme il peut, mais pour qui la vie va continuer).
Car Penderton va peu à peu dévoiler au spectateur l'une de ses vraies facettes. Si l'on croit d'abord à une impuissance (sexuelle) physique de sa part, on découvre en fait qu'il s'agit surtout d'un non désir pour sa femme, expliqué par l'homosexualité latente du personnage. C'est l'un des thèmes majeurs du film: la sexualité cachée, inavouée, non consommée, l'homosexualité. Brando est un militaire gradé, entouré d'hommes, qui parle de la vie de chambrée comme d'un souvenir nostalgique, qui garde comme un fétichiste des objets volés en souvenir d'adorations secrètes: il y a cette cuillère volée à un autre gradé ou l'emballage papier laissé par Forster dans la rue.
En parlant d'homosexualité, on peut noter que l'environnement militaire n'est pas trouvé au hasard: il n'y a presque que des hommes, en bonne condition physique, avec une hiérarchie forte, un asservissement facile pour les gradés (Brando peut prendre plaisir à commander Forster pour déblayer son jardin, imposer une autorité, ce qui est toujours plus facile que d'imposer une attirance). Evidemment l'environnement militaire, qui voue son culte à la virilité d'apparence (cf Brando qui fait des haltère et qui admire ses muscles au début du film), n'accepte pas les efféminés, ceux qui boivent du thé ou qui montrent une certaine sensiblité à l'art (comme ce fameux gradé, qu'on forcera d'ailleurs à la démission, arguant qu'il "n'a pas sa place ici", et dont Brando gardera la cuillère volée probablement par admiration pour profil commun voire davantage...).
N'oublions pas le personnage d'Anacleto, le majordome philippin ouvertement homosexuel, très efféminé, raillé par les gradés pendant la soirée, et qui semble de son côté "former un couple" déséquilibré avec Julie Harris.

Brando est assez exceptionnel dans ce rôle mutique et renfermé, observateur, qui va éclater de violence dans une crise de jalousie irréversible.

Je n'ai plus le temps d'en écrire davantage. J'ai posé ici quelques réflexions, quelques banalités probablement, sur ce film qui m'a donc assez captivé.
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Jeremy Fox
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Jeremy Fox »

Nestor Almendros a écrit :REFLETS DANS UN OEIL D'OR (1967)

Brando est assez exceptionnel dans ce rôle mutique et renfermé, observateur, qui va éclater de violence dans une crise de jalousie irréversible.
La performance d'acteur qui me sidère le plus
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Kevin95 »

Jeremy Fox a écrit :
Nestor Almendros a écrit :REFLETS DANS UN OEIL D'OR (1967)

Brando est assez exceptionnel dans ce rôle mutique et renfermé, observateur, qui va éclater de violence dans une crise de jalousie irréversible.
La performance d'acteur qui me sidère le plus
La scène où il se prend des coups par Taylor et que son visage reste stoïque est d'une intensité difficilement comparable.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Grimmy »

Et dire que Brando est arrivé sur le projet quelques jours avant le début du tournage; Monty Clift, initialement prévu, ayant eu la malheureuse idée de décéder peu auparavant.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Boubakar »

Le dernier de la liste (1964)

Film très atypique de la part de Huston, où l'enquête policière, assez banale et digne d'un Agatha Christie, est balayée par la surprise du casting ; plusieurs têtes d'affiches sont déguisées, y compris Kirk Douglas qui se "transforme" sans arrêt. A force, le film en devient ludique en se disant qui est qui. Et, au générique final, quand on voit, par exemple, celui qui jouait une vieille femme en train de manifester, la surprise est de taille ! :lol:
Sans ça, le film est assez banal, en fin de compte.

Par contre, très bonne surprise que le Bach Films, certes en 4/3 (mais au format 1:85 respecté), mais au master très propre.
Le film se trouve dans les Disc King à moins de 3 euros, ça vaut le coup pour une curiosité, même si il ne plaira pas à tout le monde. :)
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Jeremy Fox
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Jeremy Fox »

Boubakar a écrit :Le dernier de la liste (1964)

même si il ne plaira pas à tout le monde. :)
C'est clair ; j'ai failli finir le film en accéléré.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Alphonse Tram »

Mouais mouais :mrgreen: J'hésite encore pour ce film qui me fait de l'oeil depuis un moment :lol: (merci Bouba pour le topo)

Le faucon maltais : Là, classique indémodable. 10/10. Et poutant, il ne fait pas parti de mon top 100 car je privilégie les films un peu plus rares. Difficile d'en parler sans tomber dans la redite, pourtant, je ne suis pas super fana de Huston. Mary Astor et Sidney Greenstreet sont parfaits (comme souvent pour ce dernier, dans ses seconds rôles).
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Jeremy Fox
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par Jeremy Fox »

Alphonse Tram a écrit :Le faucon maltais : Là, classique indémodable. 10/10.
Pas mieux
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par beb »

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Re: John Huston (1906-1987)

Message par frédéric »

Le dernier de la liste

Bien aimé pour ma part, c''est un Huston mineur mais sympathique avec une intrigue à la Agatha Christie plutôt amusante. Le film vaut surtout par ses scènes de chasses très réussie accompagnée par la musique de Goldsmith et le fait de nous dévoiler qui sont les acteurs sous les déguisements est assez inédit. Amusant.
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Re: John Huston (1906-1987)

Message par angel with dirty face »

Le Faucon Maltais en copie neuve
La filmothèque du quartier latin (9 rue Champollion, dans le 5ème arrondissement de Paris) projette la copie neuve du Faucon Maltais à partir du 20 janvier. Une séance exceptionnelle est organisée lundi 25 janvier à 19h50, en présence du fameux écrivain et critique Michel Boujut, et par Natalie Beunat, co-traductrice des la nouvelle édition des romans de Dashiell Hammett. Bref, deux pointures sur le sujet !

L'exposition "Le Mystère Hammett" est présentée jusqu'au 25 mars à la Bibliothèque des Littératures Policières , 48-50, rue du Cardinal Lemoine (Paris 5e).

Plus d'infos sur le site de la Filmothèque.
Sources : PREMIERE
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