Votre plus belle histoire d'amour au cinéma

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Thaddeus
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Thaddeus »

Je me suis limité à un seul film par réalisateur, et à vingt films en tout et pour tout. Ce fut difficile mais, une fois de plus, une liste n’a de valeur que si elle procède de choix, donc de sacrifices. L'ordre de la liste est chronologique, on l'aura deviné.


Diane & Chico dans L'Heure Suprême (Borzage, 1927)
Cosmique



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Évidemment, j’aurais pu choisir le couple archétypal de L’Aurore que Janet Gaynor, en blonde, immortalisait déjà de son sourire attendrissant. Mais, peut-être parce qu’il est un peu moins célébré, je choisis le poème romantique de Borzage, sorti la même année et avec lequel le chef-d’œuvre de Murnau forme, par le biais de l’actrice, un admirable diptyque. J'ai rarement été aussi ému que devant cette petite orpheline au cœur d'ange et cet égoutier lunaire ne rêvant que de ciel et d'étoiles, devant le spectacle de leurs étreintes fébriles, de leurs larmes de gratitude lorsqu'ils s'aperçoivent que leurs vies sont scellées à jamais, de leur symbiose par-delà l'espace et le temps, de leurs retrouvailles finales sous une cascade de lumière. Pour abolir toute distance, il suffit d’une incantation simultanée ("Chico-Diane-Heaven") : les amants accèdent alors à un paradis clos sur sa propre force, où le désir de l’autre devient pure communion d’esprits dans l’innocence d’un Eden qui choisit d’ignorer sa réalisation physique.


Le vagabond & la fleuriste dans Les Lumières de la Ville (Chaplin, 1931)
Aveugle


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La poésie à l’état pur. Un art sans pareil pour élever la question de l’être et du paraître au zénith de l’émotion. La fleuriste aveugle aime Charlot parce qu’elle croit qu’il est un beau millionnaire. Ce n’est pourtant qu’un vagabond sans le sou, mais il est bien son sauveur. Quand elle le retrouve par hasard à la fin du film, elle a recouvré la vue : elle s’apprête à lui faire l’aumône et en effleurant ses doigts, derrière les traits de ce clochard misérable et abattu, elle identifie son prince charmant. Toutes les saccades du récit, toutes ses brusqueries visuelles, tous les caprices douloureux et délicieux de la providence se résolvent alors dans la plénitude. Le visage du héros s’éclaire d’une lumière inconnue. On ne saura jamais si la jeune fille pleure de joie d’avoir retrouvé celui qu’elle ne cessait d’admirer ou de désespoir de comprendre que celui qui aura illuminé sa vie de ténèbres est cet homme en haillons. Mais l’espace d’un instant, sa gratitude magnifie ce sentiment très rare qui est celui de la vraie "reconnaissance".


Rick & Ilsa dans Casablanca (Curtiz, 1942)
Légendaire


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Il est l’un des plus beaux personnages du cinéma, dissimulant la noblesse chevaleresque de ses idéaux sous une fausse désinvolture. Elle dégage la force exaltée des grandes héroïnes passionnées. Ils se sont aimés, se sont perdus de vue sans jamais s’oublier, se retrouvent dans le décor sublimement romanesque de Casablanca. Entre le ténébreux plein d’énigmes, dont la moue semble traduire une sorte de lassitude mal supportée, et la vibrante dame du monde tiraillée par un dilemme cornélien, un courant passe, le feu brûle quasiment sans montrer sa flamme. La mise en scène invisible de Michael Curtiz laisse percevoir, par l’intensité des regards, la force des allusions, le jeu des non-dits, la gamme des nuances sentimentales, toute la grandeur de ce qui les séparera : la nécessité de sacrifier un amour, si fort soit-il, à une cause supérieure. Du morceau de piano qui marque leurs retrouvailles au final sur le tarmac (en onze secondes chrono, l’art du gros plan dit tout), cela fait plus de soixante-dix ans qu’ils font rêver chaque génération.


Laura & Alec dans Brève Rencontre (Lean, 1945)
Éphémère


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On dit que les tragédies du renoncement sont les plus belles. En racontant l’aventure sans lendemain d’un médecin et d’une femme au foyer, David Lean a su parler avec une sensibilité à fleur de peau du grand amour entrevu et toucher tous ceux qui mènent une existence monotone. Superbe méditation sur l’impératif du choix et la douleur qui en découle, ce classique du cinéma intimiste fut mille fois copié mais presque jamais égalé. Il demeure le modèle de toutes ces histoires de passions impérieuses, étouffées par le poids des vies rangées, les devoirs licites du mariage, la soumission aux valeurs familiales. Entre tea time et omnibus en partance, l’adultère est ici une parenthèse que l’un et l’autre abandonnent à regret mais d’un commun accord. Celia Johnson est frémissante de fragilité contenue, Trevor Howard remarquable d’intelligence dévouée. Quelques rendez-vous à la gare puis dans les jardins environnants suffisent à inscrire leur idylle éphémère parmi les plus poignantes jamais contées.


Lucy Muir & le capitaine Gregg dans L'Aventure de Mme Muir (Mankiewicz, 1947)
Spectral


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A priori, Mankiewicz n’était pas particulièrement porté sur les grandes histoires passionnelles. Ce joyau fantastique en est d’autant plus précieux, qui décline la figure du démiurge manipulateur, cher au cinéaste, dans le creuset d’une ensorcelante féérie romanesque. Il nous invite aux noces de l’esprit et de la beauté, du raffinement et de la grâce, sur les pas d’un fantôme qui tombe amoureux de la nouvelle habitante de sa demeure. On le comprend : la jeune femme est Gene Tierney, et elle a rarement été aussi frémissante, aussi lumineuse, aussi incarnée. Qu’il lui murmure ses adieux pendant son sommeil ou la retrouve par-delà la mort, une même magie opère, qu’inoculent la teneur surréelle de la photographie et la partition lyrique de Bernard Herrmann. Le lien de Lucy Muir et du capitaine Gregg franchit ainsi les barrières du temps et de l'espace, se nourrit du bruit des vagues et du ressac de l'océan, porte en lui les vertus du rêve et du souvenir, jusqu'à une conclusion au parfum d'éternité.


Cary & Ron dans Tout ce que le Ciel Permet (Sirk, 1955)
Impossible


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Rarement l'asynchronisme des conditions sociales et le poids du regard extérieur auront été aussi terribles à surmonter. Un jardinier de modeste condition et une bourgeoise veuve s'éprennent l'un de l'autre. Mais ils vivent dans l’enfer domestique d’une petite ville américaine, où les maisons sont jolies et les jardins bien entretenus, où fauteuils et broderies ripolinés musèlent les aspirations des individus. Elle est trop âgée pour qu’on lui concède des désirs sexuels mais encore trop jeune pour en être dépourvue ; il est beau et plein de vie mais d’un rang incompatible avec les normes du mode de vie dans lequel elle est enfermée. La silhouette de Cary se reflète dans le poste de télévision que ses enfants lui ont offert, définitivement enterrée comme une égyptienne. La solitude de Ron se perd dans un paysage neigeux, vision utopique d’un monde idéal. Il faudra toute l'immensité de leur amour pour parvenir à tuer les préjugés et faire triompher la vérité des sentiments. Subtil et déchirant, le mélo ultime. Sirk rules.


Scottie & Madeleine dans Vertigo (Hitchcock, 1958)
Obsessionnel


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Fantasme inaccessible, source d’une torture sans cesse ravivée pour Scottie, qui se tue à essayer de transformer un être de chair en la projection illusoire d’un fantôme. James Stewart souffre le martyr d’une passion qu’il ne parvient pas à concrétiser. Or la passion naît de la distance ; à moins que ce ne soit l’inverse. De son mouvement profond elle porte à l’identification, la fusion avec l’aimé, autant qu’elle les refuse. Et voici le héros égaré au sein d’un labyrinthe dont l’organisation corporelle traduit les mouvements de son âme : le tourbillon dans le vertige, la ligne droite dans l’arrachement, la danse dans la ravissement, la rotation contrariée dans la séparation. On peut comprendre son obsession : l’objet de sa flamme est Kim Novak, irréelle et charnelle à la fois, et dont les deux visages forment une image idéale qui se cherche, s’estompe, se trouve, esquisse la coïncidence sans oser se fixer, comme un soleil de minuit. Personne n’a mieux réussi qu’Hitchcock à mettre en scène le regard fasciné d’un homme amoureux.


Bud & Deanie dans La Fièvre dans le sang (Kazan, 1961)
Incandescent


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À mes yeux, sans doute le plus beau film d'Elia Kazan, un mélodrame déchirant à ranger à côtés des immortels du genre, quelque part entre Mirage de la Vie, Lettre d'une Inconnue et Sur la Route de Madison. Où la splendide Natalie Wood est une adolescente perturbée et hypersensible aux brusques élans de tendresse. Où Warren Beatty, dans son premier rôle, est un jeune homme malheureux, étouffé par les conventions. De l’eau, toujours signe de tumulte, d’affrontement, de passage, de passion (le film s’ouvre sous les flots déchaînés d’une cascade) vers la terre, qui connote stabilité, enracinement et apaisement (à la fin, Bud est devenu fermier, marié et père de famille), ces deux êtres complexes et tourmentés offrent l’expression définitive d’une jeunesse impulsive condamnée à l’insatisfaction et sacrifiée par un ordre délétère. Leur amour impossible, inscrit dans une magnifique réflexion sur le poids du destin et l'écoulement du temps, est l'un des plus poignants qui soient.


Pierre & Hélène dans Les Choses de la Vie (Sautet, 1970)
Naturel


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Michel Piccoli, Romy Schneider, et le film qui propulsa le cinéaste au premier plan du cinéma français. Autant dire une matrice et un sommet, qui réfléchit toutes les autres histoires quotidiennes, vibrantes, graves et lumineuses parcourant l’œuvre du réalisateur. Le sentiment de proximité que l’on ressent, cette impression intime de clarté et d’évidence, cette identification aux personnages tiennent d’une alchimie indéfinissable. Pierre et Hélène se regardent, plaisantent, s’emportent, se rassurent, se consolent, se réveillent côte à côte, s’échangent au petit déjeuner les mots banals qui traduisent leur attachement. Après avoir retardé son lever, il se place derrière sa compagne en train de taper sur une machine à écrire. L’aime-t-il ? Assurément, mais en même temps il mesure la fragilité de leur amour, l’écart entre la chose écrite (le "Je t’aime" laissé sur une feuille dactylographiée) et la réalité. Il n’y a que Sautet pour parvenir à transmettre de telles choses, il n’y a que ces deux comédiens pour les exprimer.


Minnie & Seymour dans Minnie et Moskowitz (Cassavetes, 1971)
Cocasse


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Lorsqu’on pense Cassavetes et love story, les souvenirs émus se bousculent au portillon, et en premier lieu le couple magnifique d’Une Femme sous Influence, dont la solidité de roc résiste aux assauts incessants du comportement névrotique de l’héroïne. Mais on se rappelle aussi des bourrasques de tendresse désopilante soufflant sur la drôle d’idylle déglinguée qui saisit les pourtant mal assortis Minnie et Moskowitz. Ici le geste prend le relais à la place du verbe, selon la vieille technique qui consiste à tromper l’affect en l’étouffant plutôt qu’en l’aveuglant à la lumière du jour. C’est le mouvement qui compte, la fuite de lieu en lieu, le heurt produit par de nouveaux récifs, desquels s’échappent un abandon fugitif, un éclat soudain, un fou rire inattendu, qui disent mieux que tout la naissance de l’amour. Ce sont eux qui portent les sentiments, et par eux seulement que ceux-ci peuvent affleurer. Pour s’aimer, il a fallu se taire, il a fallu courir, il a fallu que le cœur s’essouffle pour les corps s’embrassent.


Johann & Marianne dans Scènes de la Vie Conjugale (Bergman, 1973)
Tourmenté


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Déchirements, ruptures, réconciliations, récriminations, pardons... Trois heures de matière en fusion, que le cinéma aura autopsiées par psychocritiques, dans une spirale sans fin. Comme si Bergman brassait trop de thèmes pour qu’on ne lui en prête pas d’autres, histoire de renvoyer toujours plus le spectateur à son propre désarroi. Le cinéaste interpelle notre conscience à un degré tel qu’il est impossible de ne pas laisser transparaître notre propre frustration, l’envers de notre éducation, la lie de nos angoisses comme la transparence pathétique de notre carapace. Il dresse le portrait au long cours d'un homme et d'une femme qui se tuent à vivre ensemble mais ne peuvent pas s'empêcher, la nuit venue, de s'endormir dans les bras l'un de l'autre. Ce film immense en forme de journal intime est parcouru d'autant de tendresse que de cruauté, de lucidité que d'espoir. Ce couple, c'est moi, c'est elle, c'est la radiographie définitive d'une relation conjugale, dans ses abîmes comme dans ses euphories.


Han & Leia dans L’Empire contre-attaque (Kershner, 1980)
Fondateur


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Ou un certain esprit délicieux des screwball comedies des années 40 catapulté dans le space opera. Ils passent leur temps à se quereller, à se lancer des piques et pratiquent constamment l’ironie mais, on l’a compris depuis le début, ces deux-là s’aiment. Tout se joue sur le mode de l’informulé, de l’aveu par inversion, de l’attachement dissimulé, mais tout trahit l’estime et l’attention qu’ils se portent mutuellement. Retarder son propre départ de la base afin d’assurer la sécurité de la princesse, pour l’un, revient à caresser tendrement les cheveux du contrebandier après qu’il se soit fait torturer, pour l’autre. Développée d’abord sur un mode ludique et léger, leur relation, sans prévenir, met soudain les larmes aux yeux au moment même de leur séparation et de leurs derniers mots échangés. Lorsque, dans un élan, Leia fait un pas vers Han, qu’elle confesse ce que l’on savait déjà, et que celui-ci lui renvoie son affection par une formule laconique, l’émotion tutoie l’absolu. À l’instar du film, ce couple est comme à l’origine de tout pour moi.


Seth & Veronica dans La Mouche (Cronenberg, 1986)
Entomologique


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Existe-t-il horreur plus ultime que celle d'être habité par la peur de faire du mal, malgré soi, à la femme qu'on aime ? Y a-t-il désarroi plus grand que celui d'assister, impuissante, à la déliquescence physique et mentale de l'homme chéri ? À travers cette fable douloureuse, Cronenberg métaphorise l’amour qui pourrait durer longtemps mais qui se fracasse sur la contraction du temps. Seth ne vieillit pas peu à peu ; il éprouve au contraire une dégradation rapide, violente, et cette situation contraint Veronica à prendre conscience de la nature de ses sentiments. Quoi qu’elle fasse, elle s’éloigne de lui puisqu’elle reste saine, jeune et belle, tandis que lui devient l’exemplaire unique d’un être hybride, réduit à la plus atroce des solitudes malgré la compassion et la sollicitude dévouée de sa compagne. Il n’y a pas de place en ce monde pour cette créature hideuse, plus étrange, plus effrayante encore que les gargouilles hallucinés des cathédrales. Une histoire d’amour tragique qui se vit le cœur serré.


Bud & Lindsay dans Abyss (Cameron, 1989)
Retrouvé


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Chez le réalisateur de Titanic, l’élément aquatique est une matrice. C’est au fond de l’océan, isolé de tout contact avec l’extérieur, que va se rejouer la rencontre originelle, le coup de foudre puis la reconnaissance d’un homme et d’une femme qui avaient oublié qu’ils s’aimaient. Postulat superbe que le film, accordé avec une sensibilité de poète aux micro-évolutions de chacun, ne se contente pas d’exploiter. Ce qu’il proclame, c’est une foi indéfectible en les rapports humains, à l’intérieur du groupe soudé comme pour les deux membres d’un couple séparé que les événements font de nouveau réunir. Entre le meneur d’hommes et la femme à poigne (deux personnages merveilleux d’humanité), l’amour un temps endormi se réveille, lien plus fort que tout capable de ressusciter la noyée et de transformer derniers mots ("I love you, wife") en déclaration essentielle. Le chef-d’œuvre de Cameron est une magnifique allégorie sentimentale, et la preuve qu’un gant de fer peut être enfilé par la plus délicate main de velours.


Carlito & Gail dans L'Impasse (De Palma, 1993)
Rédempteur


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Aimer quelqu’un, c’est trouver en lui un sens à sa vie, se sentir pousser des ailes, se construire dans ses yeux, trouver la force pour surmonter tous les obstacles de l’adversité. Lorsque Carlito sort de prison, fermement décidé à se ranger du sale business, il ne rêve que de se bâtir une existence honnête aux Bahamas. Sa seule boussole morale, l’instance affective sur laquelle il se fonde et maintient son cap contre vents et marées, c’est Gail, la danseuse fragile qu’il n’a jamais oublié. Ce schéma de transfiguration est bien connu du film noir, mais Brian De Palma livre avec L'Impasse, peut-être son plus beau film, à la fois l’épure et la synthèse mélancoliques du genre, et atteint ici un lyrisme, une épaisseur romanesque, un sens du tragique et une sensibilité sans égal. L'histoire d'amour qui se renoue entre ces deux personnages, d’autant plus poignante qu’elle se développe à l’ombre d’une fatalité implacable, figure parmi ce que j'ai vu de plus beau et émouvant au cinéma.


Francesca & Robert dans Sur la route de Madison (Eastwood, 1995)
Suspendu


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La rencontre en plein soleil d’été, les premiers mots échangés, une chanson qu’on écoute à la radio, le trouble lorsque les doigts se touchent par mégarde, les coups d’œil dérobés, les premières confidences… Le désir qui monte doucement, les inquiétudes face à cet embrasement, les moments où l’on se dit "non" suivis de ceux où l’on pense "pourquoi pas ?". Et quand la main de Francesca se pose enfin sur l’épaule de Robert, c’est en l’effleurant, pour remonter son col de chemise, geste banal d’une tendresse infinie, geste tant de fois arrêté en plein vol et enfin osé. Aucun film depuis vingt ans n’a retrouvé à ce point l’essence du mélo immémorial. Meryl Streep et Clint Eastwood y sont les figures inoubliables d’un amour qui se heurte à l’exigence du destin, à un choix de vie qui fera de leurs quelques jours de bonheur un souvenir sacré, religieusement entretenu. L’intensité des regards, l’émoi des gestes, l’importance accordé au moindre souffle, la moindre vibration, la moindre parole : tout, ici, relève de l’état de grâce.


Bess & Jan dans Breaking the Waves (Von Trier, 1996)
Absolu


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Une histoire de bonheur brisé et de défi au destin, un film de répression dogmatique et de communion mystique, une œuvre lyrique et fantasque qui bascule dans l’imaginaire des vieilles sagas, un mélange savant de réalisme terrien (îlien), de chronique de mœurs et de violence expressionniste, dont la bonté plus que la foi est le véritable ressort. Simple et illuminée pour les membres de sa paroisse, Bess (époustouflante Emily Watson) est une femme transfigurée par une passion brute, de celles qui déplacent les montagnes, pulvérisent le rigorisme religieux, mènent au don complet de soi. Cet élan la guide avec une obstination qui portera ses fruits, l'entraînant vers la mort afin que l'amant survive. Son chemin de croix est ainsi une quête de grâce, un hymne éperdu à l’amour fou qui ose, pour la première fois peut-être depuis Dreyer, filmer le miracle final comme écho spirituel à l’incandescence des sentiments. Naïve et saisissante, l'ultime image n'appartient qu'à l'héroïne et au cinéma.


Jackie & Max dans Jackie Brown (Tarantino, 1997)
Nostalgique


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Si l’on voulait résumer le troisième long-métrage de Tarantino, le passer dans un bain bouillant afin de le dégraisser et de le débarrasser de tous ses personnages secondaires (ils sont aussi nombreux que délectables), on obtiendrait une perle dans son écrin : une love story. Elle réunit une hôtesse de l’air quinquagénaire guidée par son seul instinct de survie pour se sortir du guêpier dans lequel elle s’est fourrée, consciente de négocier la dernière ligne droite de son existence, et un prêteur sur gages qui paraît fonctionner au ralenti et voit surgir celle qui pourrait bien changer la vie à impact réduit à laquelle il aspire. Ce ne sont pas des héros, encore moins des icônes. Seulement deux rescapés magnifiques, deux grands personnages de cinéma, filmés avec une immense tendresse par un réalisateur qui révèle in fine, à travers un baiser chaste et profond, la nature intensément romantique de son récit. Jackie Brown cache bien son jeu : c’est l’une des plus belles histoires d’amour des années 90.


M. Chow & Mme Su dans In the Mood for Love (Wong, 2000)
Courtois


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Splendeur d’alchimiste, dont les artifices révèlent la chair d’un duo qu’on croyait évanescent mais qui vibre à fleur d’image. L’histoire est composée de sensations, d’impressions, de sentiments imaginés, dessinés, sculptés par la lumière et les couleurs, parfois décomposés au stroboscope, et qui n’existent que par le cinéma. Ce que Wong Kar-wai cherche à retenir ici, c'est la domination toujours dissimulée des mouvements passionnels, le figement du bonheur amoureux, cet instant d'éternité où deux êtres s'accordent dans une reconnaissance réciproque. Encore faut-il parvenir à le voler sans se faire prendre la main sur l'aiguille. C'est peu dire qu'il y parvient, car le carrousel de corps et d'étoffes mutuellement envoûtés se charge rétrospectivement d'une mélancolie infinie : celle de deux destins manqués, d'une idylle jamais concrétisée ailleurs que dans ses virtualités et rêveries les plus soyeuses. Rarement pudeur fût aussi expressive, rarement amour platonique fût aussi poignant.


Betty & Rita dans Mulholland Drive (Lynch, 2001)
Féminin


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La première est adorable, douce, innocente, arrivant à L.A. avec des étoiles plein les yeux. La seconde est amnésique, perdue, déphasée, papillon en détresse comme tombé de la Lune. Naomi et Laura, belles à pleurer, intègrent mon panthéon personnel. La relation naissante et émerveillée entre ces deux anges fragiles atteint des sommets de délicatesse, de grâce et de sensualité, jusqu’à la plus sublime scène d’amour de tous les temps. Mais après l'étreinte de Betty et Rita, la fiction se fissure, l'image se troue et annonce la béance : le rêve hollywoodien s'évanouit, la peau de chagrin de Diane ne peut plus le retenir davantage. Trop de "Bleu" dans le cœur de cette blonde Bovary accablée par la perte de l'être aimé. She's feeling blue. Le corps du film en portera désormais les stigmates. En dialogue constant, les deux segments dessinent ainsi le désir d'une amante éconduite et désespérée, qui magnifie dans un dernier souffle sa passion pour la femme de ses rêves. Voilà en quoi cette bouleversante exaltation romantique poétise toutes les manifestations du sentiment amoureux.


Une grosse pensée pour :
- le couple franco-japonais du très cérébral mais très émouvant et sensuel Hiroshima mon Amour, pris dans la nasse mémorielle d’Emmanuelle Riva
- la rencontre merveilleuse entre Elliott et E.T. (certes peu orthodoxe avec l'idée traditionnelle d'"histoire d'amour entre adultes consentants")
- le prince transylvanien traversant les siècles afin de retrouver sa bien-aimée dans le Dracula de Coppola
- les relations tumultueuses et désopilantes entre Woody et Diane Keaton dans Annie Hall puis dans Manhattan, qui préfigurent quarante ans de comédie romantique (à commencer par Quand Harry rencontre Sally bien sûr)
- les torrents d'amour, de quelque nature que ce soit, qui traversent le Paris, Texas de Wenders
- la passion adolescente, pleine et entière, qui embrase Adèle chez Kechiche
- la relation étouffée par la cruauté des salons whartoniens dans Le Temps de l'Innocence
- la déclinaison de la Belle au bois dormant opérée par Almodovar dans le magnifique Parle avec Elle
- Deckard succombant aux beaux yeux de Rachel/Sean Young dans l’inégalable Blade Runner
- l'idylle panthéiste atour de laquelle s'épanouit le lyrisme poétique du Nouveau Monde de Malick
- le jeu faussement hostile et vraiment amoureux du chat et de la (chauve)souris auquel se livrent Michael Keaton et Michelle Pfeiffer
et pour bien d’autres encore…

Si j’aime autant toute ces couples, c’est bien sûr parce que je suis amoureux des personnages : il me semble que pour être touché par une love story, il faut aimer les personnages un peu de la manière dont les personnages s’aiment entre eux. Et gros poutous également aux acteurs et actrices qui les interprètent, sans lesquels les couples et l’intensité de leurs relations ne seraient bien sûr pas ce qu’ils sont.
Dernière modification par Thaddeus le 3 avr. 22, 10:31, modifié 17 fois.
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Miss Nobody »

:P
De très beaux petits textes pour de très belles histoires d'amour.
Tout cela donne diablement envie de revoir quelques uns de ces films.

Comment le couple Carlito/Gail dans L'impasse avait-il pu me sortir de la tête...
Tout en subtilité et en émotion, j'en garde pourtant un grand souvenir.
Stark a écrit :
Carlito & Gail dans L'Impasse
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par aurélie »

on en avait un peu parlé ici
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... =3&t=17723


je rajouterai à ma liste
Sarah Polley/Tim Robbins dans "The secret life of words"
Hiam Abbass/Richard Jenkins dans 'The Visitor'
Michel Piccoli/Romy schneider dans "max et les ferrailleurs"
Julie Delpy/Ethan Hawk dans before sunset
Dernière modification par aurélie le 2 août 09, 04:08, modifié 2 fois.
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Major Tom »

Miss Nobody a écrit :Comment le couple Carlito/Gail dans L'impasse avait-il pu me sortir de la tête...
Tout en subtilité et en émotion, j'en garde pourtant un grand souvenir.
Pour ça, et la scène des chiottes, il faut que tu le revoies! :P
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Thaddeus
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Thaddeus »

Miss Nobody a écrit ::P
De très beaux petits textes pour de très belles histoires d'amour.
Tout cela donne diablement envie de revoir quelques uns de ces films.
Merci, c'est un peu le but.

Carlito's way est un film sublime. Je suis bouleversé par la façon dont De Palma dresse le bilan d'une partie de sa filmo et s'ouvre dans le même temps à un romanesque relativement rare dans son oeuvre. C'est un film qui, tout à la fois, appartient pleinement à son auteur tout en témoignant d'un ton assez inédit pour lui... du moins, c'est ainsi que je le ressens.
Et évidemment, la relation amoureuse qui s'y développe est magnifique.
julien
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par julien »

Carlito's m'avait bien fait suer à l'époque. De Palma commençait à se répéter. C'est d'ailleurs le dernier film du réalisateur que je suis allé voir au cinéma. J'avais pas aimé aussi la chanson mièvre que l'on entend à plusieurs reprise dans le film et qui gâche un peu la relation amoureuse.
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Flol »

aurélie a écrit :Michel Piccoli/Romy schneider dans "max et les ferrailleurs"
Impossible de ne pas citer ce même couple, mais dans Les Choses de la Vie.
Et toujours chez Sautet, et toujours avec Schneider, j'adore la relation qu'a cette dernière avec Bruno Cremer dans Une Histoire Simple.
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Miss Nobody
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Miss Nobody »

Ratatouille a écrit :
aurélie a écrit :Michel Piccoli/Romy schneider dans "max et les ferrailleurs"
Impossible de ne pas citer ce même couple, mais dans Les Choses de la Vie.
Très belle histoire d'amour il est vrai... mais c'est surtout à la chanson d'amour qui l'accompagne (certainement la plus dramatique du cinéma) que je me vois forcée de penser alors! :cry:
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AtCloseRange
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par AtCloseRange »

Quelques-unes me viennent à l'esprit
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LéoL
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par LéoL »

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Colqhoun
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Colqhoun »

Dracu a écrit :Sans le moindre doute possible (pour une fois), le couple Christopher Reeve/Jane Seymour dans Somewhere in Time de Jeannot Szwarc...
Pour avoir découvert le film hier soir, je rejoins totalement Dracu.
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par bronski »

AtCloseRange a écrit :Image
C'est bien de mettre le titre du film, aussi. Là à vue de nez je pencherais pour le film de Molinaro, mais je sais pas...
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Jeremy Fox
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par Jeremy Fox »

bronski a écrit :
AtCloseRange a écrit :Image
C'est bien de mettre le titre du film, aussi. Là à vue de nez je pencherais pour le film de Molinaro, mais je sais pas...
Un coeur en hiver de Sautet :idea:

Pour moi, ce serait Le Nouveau monde de Terrence Malick
angel with dirty face
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par angel with dirty face »

LéoL a écrit :Image

The Lovers de Tsui Hark
Si ça c'est pas beau...
+ 1

Film sublime
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k-chan
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Re: Votre plus belle histoire d'amour au cinéma.

Message par k-chan »

angel with dirty face a écrit :
LéoL a écrit :The Lovers de Tsui Hark
Si ça c'est pas beau...
+ 1

Film sublime
Je pourrais en citer un bon paquet (je le ferai dès que j'en aurais le temps et l'envie), mais si je devais n'en citer qu'un, ça serait définitivement celui là. Rare sont les films qui me font monter les larmes au yeux aussi facilement (rien que le menu du dvd HK vidéo me fait pleurer :lol: ).
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