L'Oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1970)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Anorya
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L'Oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1970)

Message par Anorya »

J'ai cherché un certain topic fait par Mannhunter....En vain. :mrgreen:
Bon, je le crée donc avec plaisir. :D
J'en avais déjà parlé brièvement ici mais quand on aime, on compte pas, hein... :fiou:


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Un jeune écrivain américain se voit entraîné dans le sillage d'un tueur en série s'attaquant à toutes les jeunes femmes de la ville....

Pour un premier essai, c'est un coup de maître. Le réalisateur propose ici un Giallo fait main doté d'une histoire ingénieuse à tous points de vue tant dans ses cadrages (cf, les plans symétriques en champ/contrechamp dans l'escalier en capture d'écran plus bas), ses scènes déjà anthologiques (on sent que Dario a le sens du spectacle) qui se ramassent à la pelle (j'aime assez le "rasage façon ascensceur" personnellement. :mrgreen: ...D'ailleurs la scène en question est vue à travers les yeux de la victime et je ne sais si c'est moi mais j'ai l'impression que la vitesse de défilement des images et à ce stade ralentie comme si --sans trop faire de spoilers-- le champ de vision de la victime mourait lentement, affectant ses sensations) et le scénario qui se permet déjà de bien bonnes idées que le réalisateur réutilisera pour notre bonheur dans ces films à venir. Par exemple, la psychanalyse sur laquelle Argento construit judicieusement ses personnages d'assassin, héros ou victimes et la question du traumatisme (ou Trauma pour faire écho à un autre de ses films :o :mrgreen: ) qui remonte à la surface, déclenchant souvent (mais pas toujous) une certaine pulsion de meurtre, de malaise et de mort dans tous les cas et dont le réalisateur se sert à la fois d'indice dans l'enquête tant pour le héros que le spectateur.
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Une certaine chansonnette dans Profondo rosso, voire un dessin par exemple. Ici un certain tableau (cf photos plus loin).
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Et c'est sur ce jeu de l'indice caché ou découvert qu' Argento joue intelligemment sur le suspens (et le pauvre spectateur :D ). Par exemple, notre écrivain se rappelle avoir vu quelque chose d'étrange qui le hantera pendant quasiment tout le film, jusqu'a ce qu'il comprenne et que le film démarre dans une nouvelle direction, emportant notre surprise. Ici un souvenir fugace comme un étrange rêve de deux personnes luttant dans une galerie d'Art contemporain, dans un autre film, un tableau entraperçu brièvement, clé centrale au final du meurtre d'une jeune medium ("Profondo Rosso"). Ce sera encore un indice apparement maigre et presque indécelable à l'écoute (un bruit étrange sur une bande magnétique provenant d'une conversation enregistrée par le commissaire entre le héros et l'assassin) qui donnera une nouvelle direction.

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Enfin, il y a le fait que nous verrons à de nombreuses reprises le point de vue subjectif de l'assassin (tout comme dans ses films suivants) et tout est fait clairement pour qu'on le sache et qu'on s'identifie en plus du héros à l'assassin lui-même que l'on "verra" pratiquement dès le début du film (et ce pour mieux nous désorienter mais aussi pour garder le rythme et relancer continuellement le suspens). D'abord un code de reconnaissance de celui-ci : c'est quelqu'un qui aime le cuir (c'est d'ailleurs le seul à porter des gants noirs en cuir de tout le film. :mrgreen: ). On aime beaucoup le cuir chez Argento d'ailleurs mais là tout est posé pour qu'on sache ce qu'est l'assassin sans savoir à quoi il ressemble exactement. Juste une silhouette noire comme les ténèbres. Ensuite, le réalisateur établit un lien entre les futures victimes et la vision de l'assassin. Une jeune fille photographiée dès le début se retrouve ensuite en cliché noir et blanc sur le bureau du meurtrier. A partir de là on comprend que l'on aura affaire à la vue subjective de l'assassin à plusieurs reprises, comme si dans le film, comme dans d'autres films du réalisateur, le regard pouvait tuer. Et inversement, on peut tuer le regard ("Opéra" et sa méthode de supplice près des yeux....brrr...). Plus loin, une paire de jumelle fournira au montage un lien entre le champ de vision du tueur, la victime et l'appareil photo...

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L'appareil photo, yeux secondaires du tueur.

Et si l'assassin photographie ses victimes à loisir (en prenant leurs photos on pourrait même penser qu'elles sont déjà mortes à l'avance, comme si il emprisonnait leurs âmes mais peut-être que je m'avance trop...), on peut en penser qu'il a déjà tout prévu ou presque : chaque meurtre est l'occasion d'un rituel qui se poursuivra dans d'autres films d'Argento, comme si tout restait dans une certaine continuité chronologique. Par exemple, ici on ne verra jamais l'assassin mettre ses gants (dans "Profondo Rosso" si), il est déjà habillé, prêt à commettre ses meurtres. Hésite sur l'arme à utiliser (il a l'embarras du choix parmi tous ses couteaux mais bon... :mrgreen: ) dans une logique qui relève tant du sadisme que de la maniaquerie. L'assassin fait durer le plaisir. Jouissance de l'instant avant le passage à l'acte.

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La violence est plus suggérée(*) que réellement montrée dans ce premier film (on a pas le palpitant transpercé à la sauce Suspiria, si vous voyez ce que je veux dire :mrgreen: ) mais le peu vu rappelle que chaque coup donné fait mal et que la victime souffre atrocement. Quand à la musique, cette première collaboration avec Morricone se révèle des plus intéressantes notamment par le motif fredonné par des voix (enfantines ?), accentuant volontairement le malaise ou l'ambiance du film. Au final, un premier film attachant, complexe, palpitant, une enquête policière horrifique excellament bien menée.

(*)
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Pas de trace des coups sur le corps, pas de blessure sanguignolante montrée mais l'effet de gerbes de sang reste non seulement des plus efficaces et beau aussi d'une certaine manière.
4,5/6
Dernière modification par Anorya le 9 mars 08, 22:00, modifié 1 fois.
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mannhunter
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par mannhunter »

Le film matrice de toute une oeuvre! :D

Pour moi l'un des tous meilleurs films du cinéaste,en tout cas l'un de ses plus homogènes à tous les niveaux (mise en scène,scénario,casting)!
Je ne suis pas loin de le préférer à "Profondo Rosso",film certes plus sophistiqué (et aboutissement des premiers essais d'Argento ) mais qui est un peu moins tenu question rythme que cet "oiseau au plumage de cristal". :wink:
Anorya
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Anorya »

Je viens de le revoir à l'instant avec ma mère qui ne l'avait jamais vu et je suis pas loin de le penser aussi. J'adore "profondo rosso" mais il est vrai que question rythme, ici, Argento semble aller droit à l'essentiel dans son montage, il n'y a pas certaines longueurs que je peut retrouver comme dans "profondo rosso"... :D
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pol gornek
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par pol gornek »

mannhunter a écrit :Le film matrice de toute une oeuvre! :D

Pour moi l'un des tous meilleurs films du cinéaste,en tout cas l'un de ses plus homogènes à tous les niveaux (mise en scène,scénario,casting)!
Je ne suis pas loin de le préférer à "Profondo Rosso",film certes plus sophistiqué (et aboutissement des premiers essais d'Argento ) mais qui est un peu moins tenu question rythme que cet "oiseau au plumage de cristal". :wink:
Je n'aurai su mieux le dire.
Le public qui grandit devant la télé affine son regard, acquiert une compétence critique, une capacité à lire des formes compliquées. Il anticipe mieux les stéréotypes et finit par les refuser car il ne jouit plus d'aucune surprise ni curiosité, les deux moteurs de l'écoute.Il faut donc lui proposer des programmes d'un niveau esthétique plus ambitieux. La série télé s'est ainsi hissée, avec ses formes propres, au niveau de la littérature et du cinéma.
(Vincent Colonna)
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Boubakar
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Boubakar »

Critique de l'édition 2 dvd, parue récemment en Z1 :

http://www.dvdbeaver.com/film2/DVDRevie ... lumage.htm
Anorya
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Anorya »

Bel objet que voilà. Encore une fois, Blue Underground ne fait pas les choses à moitié. :o
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Outerlimits »

..
Dernière modification par Outerlimits le 7 mai 13, 01:18, modifié 1 fois.
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Message par Alphonse Tram »

Toujours pas de date chez Wild side ??
Parce que sinon, je vais passer au z1 moi
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Boubakar »

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Alphonse Tram
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Message par Alphonse Tram »

J'ai commandé le dvd, avec 4 mouches de velours gris, qui vient de sortir.
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Cosmo Vitelli »

Bon alors, il est "Zone free" ou pas ?
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Geoffrey Firmin »

Cosmo Vitelli a écrit :Bon alors, il est "Zone free" ou pas ?
Le dvd ou le blu ray?

Le blu ray est zone free.
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Cosmo Vitelli »

Geoffrey Firmin a écrit : Le blu ray est zone free.
Merci Geoffrey
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par nobody smith »

Galvanisé par la découverte du chat à neuf queues, je me suis plongé avec beaucoup d’enthousiasme dans cet oiseau au plumage de cristal. Et j’en ressors avec la désagréable impression que ce premier film d’Argento ne vole pas sa réputation d’œuvre matricielle : il contient tout ce qui me bloque chez le bonhomme. Je comprends cela dit un peu mieux pourquoi Argento a désavoué à demi-mot le chat à neuf queues et préfère exprimer son affection pour l’oiseau au plumage de cristal. Le chat à 9 queues était efficace, carré et d’un professionallisme complet. En bref, un enfer pour quelqu’un comme Argento chez qui tout doit être imprévisible et le récit fluctuant selon ses envies. L’oiseau au plumage de cristal dévoile plus volontiers la fibre artistique du bonhomme et donc ses partis pris qui n’ont guère mes faveurs. L’intrigue joue donc sans complexe sur l’improbabilité de ses situations et un certain vagabondage narratif. Argento se désintéresse de l’enquête policière et la triture au profit de ses scènes chocs souvent incongrus. Cela peut conduire à offrir des passages puissants (le meurtre d’ouverture et les tentatives pour la décrypter) et d’autres plus risibles que terrifiantes (le tueur bloqué au seuil de la porte de sa victime commet l’ultime outrage en y creusant un trou : mais quelle ordure quand même :lol: ). Reste heureusement que malgré des artifices parfois rudimentaires (mais naturels pour un premier long), le film fait preuve d’une maîtrise cinématographique toujours alléchante avec des idées brillantes à foison. Mais bon, c’est quand une déconvenue en bout de course :|
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Demi-Lune
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Re: L'oiseau au plumage de cristal (Dario Argento - 1969)

Message par Demi-Lune »

Pour ma part, j'y vois l'un des tous meilleurs Argento.
Premier essai (largement transformé à mon sens), L'Oiseau au plumage de cristal est, comme le disait mannhunter, le film matriciel de toute l'œuvre du cinéaste, aussi bien dans les figures qui seront ritualisées (l'assassin en noir, le témoin involontaire, les meurtres sexuellement connotés, une atmosphère quasi fantastique renforcée par la musique de Morricone) que dans ses quelques thématiques (le point de vue, ou, comme pour le traumatique assassinat de Kennedy cinq ans plus tôt, la frustration de ne pas avoir vu ou plutôt d'avoir vu quelque chose dont on est incapable de se souvenir). Intéressant de se replonger dans les débuts de la carrière du cinéaste pour constater qu'il n'a pas toujours été cet esthète baroque avide d'outrances en tous genres. Je trouve que c'est un film assez représentatif de ce bouillonnement de la fin des années 1960. En résulte un petit coup de maître : mise en scène débordant d'idées, cadrages impressionnants, scénario largement plus rigoureux que ceux de ses films des années 1980, suspense hitchcockien très prenant (la scène où l'assassin tente de s'introduire dans l'appartement est d'une efficacité redoutable), importance accordée à l'Art aussi bien en toile de fond que comme ressort scénaristique, tout cela s'agence dans un thriller de grande classe avec à la clé un twist malin. Une très belle ébauche au définitif Profondo Rosso, et l'un des films les plus "carrés" d'Argento.
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