Vous vous souvenez de Calimero, l'adorable poussin malchanceux qui maugréait perpétuellement que "c'est vraiment trop injuste" ? Eh bien,
1492 me donne un peu l'impression d'être le Calimero de Ridley Scott. Un film maudit, payant encore chèrement l'injustice d'un dénigrement certes pas totalement immérité - sur la base de facteurs sur lesquels nous reviendrons -, mais surtout très excessif (la plupart des interventions sur ce topic le confirme encore d'ailleurs). Un film qui ne demande qu'à être apprécié, et qui dispose de nombreux arguments pour le permettre. D'abord, comme dans tout bon film de Ridley Scott qui se respecte, le sens de l'esthétique atteint des cimes de magnificence qui chatoient la rétine et laissent pantois d'admiration. Pourtant, j'y suis habitué avec le gaillard, mais il m'a encore eu. Imparable orfèvre du cadre et des atmosphères visuelles, Scott, épaulé par le directeur photo Adrian Biddle, donne une ampleur phénoménale à chaque plan de foule, chaque plan de monument, chaque plan de mer, chaque plan de jungle. Maître de la fresque épique (bien qu'il ne le montrera définitivement, et avec plus de succès populaire, qu'avec
Gladiator en 2000), le cinéaste rend palpable à l'image chaque dollar des 47 millions de budget alloués à ce projet aussi fou que le visionnaire qui en est l'objet. Reconstitution historique de Renaissance ibérique sublime (allant jusqu'à investir le palais de l'Alhambra) côtoie donc les splendeurs naturelles d'une végétation luxuriante inviolée, dans un émerveillement comparable à celui ressenti par Colomb dans ce Paradis qu'il tente de se bâtir. Il y a d'ailleurs, chez Colomb, cette espèce de dimension
bigger-than-life, quasi messianique (ne le laisse-t-il pas lui-même entendre face aux membres de l'Université de Salamanque ?) qui n'est pas sans évoquer un autre grand personnage maudit de l'œuvre scottienne : Roy Batty. Il n'est pas tellement malaisé d'imaginer ce qui a pu motiver Scott à filmer le scénario de Roselyne Bosch tant la conclusion de
1492, nous présentant un Colomb âgé, méditant sur les souvenirs d'une vie qu'aucun du commun des mortels ne peut se targuer de posséder et qu'il ne peut de fait complètement partager (
"Je me souviens..."), fonctionne comme le prolongement de l'agonie confessionnelle de Batty dans
Blade Runner. On serait alors tenté de voir
1492 comme l'épopée de l'impossible : donner chair aux émotions qu'a pu ressentir Roy Batty dans les voyages qu'il a effectués. Nous faire pénétrer le cœur d'un homme illuminé, habité par une soif de vie et de découverte, désirant aller plus loin que tous ceux qui l'ont précédé.
La filiation avec
Blade Runner ne doit pas masquer l'intérêt intrinsèque du film. La page d'Histoire que Scott nous narre est suffisamment captivante. D'autant que le bougre sait prendre l'Histoire à bras le corps (et que la période médiévale est une de ses marottes), et que le scénario de Bosch a été scrupuleusement passé au crible par les historiens espagnols, pointilleux à ce sujet. Au final, la fresque est imposante, miraculeuse dans son absence d'artifices (point d'effets numériques : les bateaux sont réels, les décors sont réels), louable dans ses intentions. Dans le rôle-titre, Gérard Depardieu se montre véritablement habité, ce qui n'exclue une forme d'outrance passagère qu'on lui pardonnera volontiers. Pourtant, le choix du comédien ne fait toujours pas consensus à l'heure actuelle. Il est vrai que son accent français parasite quelque peu le film, surtout en ce que celui-ci souhaite se coller à une forme d'authenticité historique. La VF arrange les choses à mon sens, mais il est fort à parier qu'une partie du ressentiment envers
1492 se cristallise assez injustement autour de l'acteur. Depardieu délivre pourtant une prestation à la hauteur du gigantisme de l'entreprise (il est d'ailleurs significatif que le projet ait été, un temps, proposé à Coppola), une prestation pleine de charisme, d'emphase et de sincérité. Il est solidement entouré par un casting méritant dont on dégagera en premier lieu Sigourney Weaver, pleine de dignité et de classe dans le rôle, pourtant secondaire, d'Isabelle de Castille. Pourtant, malgré toutes ces qualités sur lesquelles je me suis épanché, malgré la superbe de l'ensemble,
1492 ne convainc pas intégralement. Pourquoi ? Difficile à dire. Depuis hier, je cherche où le bât blesse. Est-ce à cause de la grandiloquence des synthés de Vangelis ? Peut-être ; en-dehors du film, elle s'écoute bien mais par moments, la juxtaposition à l'image est franchement lourdingue. Est-ce à cause de cette suresthétisation ? Le visuel est en effet époustouflant mais certains plans filtrés évoquent plus
Top Gun que la finesse d'un
Legend ou d'un
Duellistes. Le recours plus important aux ralentis (comme dans cette scène ratée où l'indigène fonce sur Colomb, qui voit par flashs sa famille), qui deviendront bientôt une véritable marque de fabrique chez le cinéaste, ferait presque de
1492 un moment charnière, un tournant, dans le style visuel de Ridley Scott, pas forcément dans le bons sens d'ailleurs. Est-ce à cause du scénario de Roselyne Bosch ? Il est bien bâti, mais relativement classique, même s'il exploite bien la figure de Colomb. Est-ce tout simplement à cause de Scott ? Le réalisateur a, à mon sens, effectivement du mal à donner un souffle épique continu à sa fresque, qui s'embourbe parfois dans des séquences limite (la scène de l'ouragan). Les fulgurances côtoient ainsi des moments assez caricaturaux, via le personnage de Michael Wincott (quelle belle tête de méchant que voici). En résulte un film boiteux mais aussi puissant, ambitieux, fiévreux... pas un chef-d'œuvre, mais un grand film malade selon moi, méritant bien mieux que le dédain dont il souffre encore aujourd'hui. Scott du temps de sa splendeur.
Réhabilitation ?