Demi-Lune a écrit :O'Malley a écrit :Sinon, le canard boiteux de l'oeuvre de Kubrick serait plutôt, pour ma part, Lolita.
Décidément, il faut que je le revoie,
Lolita. Mes souvenirs à son sujet sont bien trop confus.
Je reconnais à
Ben-Hur de nombreuses qualités, mais j'estime que le
Kubrick le supplante, parce que le film de Wyler ne peut prétendre à mon avis avoir la même richesse (les destins qui se mêlent dans la grande Histoire, ces rivalités qui opposent les sénateurs, l'obstination de Crassus à vouloir s'accaparer tous les pouvoirs, la perspective de la dictature, une certaine décadence dans la classe patricienne, la "formation" de Jules César aux intrigues, etc). On pourra objecter que
Ben-Hur ne raconte pas du tout la même histoire, ce qui est vrai... mais bon, je trouve quand même
Spartacus mieux bâti, beaucoup plus audacieux, plus profond, plus moderne.
En outre, le Wyler est un grand spectacle humaniste, mais comme le disait assez pertinemment Bartlebooth dans une autre page du topic,
Spartacus est fascinant de par son écartèlement entre les personnalités et les sensibilités très différentes de son réalisateur et de son comédien principal... ce qui donne un produit hybride, singulier, un drame d'une ampleur que n'atteint pas, selon moi, le péplum de Wyler.
Je suis totalement d'accord avec toi sur les qualités de
Spartacus, que ne possède pas
Ben Hur, mais la question que je me pose est: ces qualités font-ils de
Spartacus un film cinématographiquement plus réussi que
Ben Hur ou même
Cléopâtre (pour moi, le triumvirat du genre)? Jen suis pas sûr tant les deux films n'ont pas été conçu avec les mêmes enjeux. Et
Ben-Hur reste, visuellement, un spectacle plus
bigger than life que
Spartacus, d'une emphase visuelle qui rend encore bcp de blockbusters actuels timides, faisant succéder avec talent les morceaux de bravoure de plus en plus épiques (jusqu'à la fameuse course de char, peut-être ce que j'ai vu de plus spectaculaire dans le genre et même au cinéma, avec ce stade reconstitué quasiment gradeur nature: qui oserait ça aujourd'hui?).
Ben-Hur est du spectacle total et, de plus, intelligent dans son genre: les séquences bibliques respectent l'imagerie religieuse sans verser dans le manièrisme pompier (ce qui n'était pas évident à l'époque), les personnages ont assez de consistance (Messala est un personnage très complexe), les scènes d'amour entre Ben-Hur et Myriam sont presque aussi belles et pudiques (voir leur première entrevue) que celles opposant Spartacus et Varinia, un sous-texte sur la liberté accompagne le film...
Bref,
Ben-Hur reste un chef d'oeuvre.
Sinon, c'est clair que
Spartacus, comme tu le rappeles en faisant référence au message de Bartlebooth, possède deux films en lui: le film de Douglas et Trumbo qui se veut un hymne à la liberté des hommes, à l'égalité et à l'accès au bonheur, dont la révolte (la révolution?) est le seul moyen d'accès lorsqu'on en est privé; le film de
Kubrick qui, lui, livre une analyse froide et lucide de l'utilisation d'une révolte pour établir une dictature, analyse qui finit par vampirirser le message initial: où comment la révolution trouve toujours sur son chemin un individu plus intelligent, plus subtil qu'elle pour en tirer profit et instaurer un pouvoir personnel (cf Cromwell, Napoléon, Staline, Hitler, bref, l'aboutissement de la plupart des mouvements révolutionnaires...). C'est dans ce sens que
Spartacus devient un film passionnant et infinimment kubrickien et je me demande, lorsque Douglas dit que "
Kubrick est un sale con qui a du talent", il n'y a pas derrière cette sentence, entre autres, une certaine rancune d'avoir vu ce talenteux jeune réalisateur pervertir progressivement son bébé (au même titre que Crassus a perverti la révolte de Spartacus...)
En fait,
Spartacus reste dans sa forme très marxiste puisqu'il obéit à la dialectique hegelienne: Fast, Trumbo et Douglas offrent la thèse;
Kubrick, l'anti-thèse; le spectateur a juste à faire la synthèse.
