Amusant cette référence à Borzage en conclusion.
Né en 1941 : la retraite en 2006

???
La Croix 07-05-2006
« Il n’y a pas
de vieux films à la télé ! »
Patrick Brion, « la » voix du cinéma sur France 3, défend la nécessité d’offrir au public une offre
de longs métrages, en couleurs mais aussi en noir et blanc
La Croix : Les téléspectateurs connaissent votre voix, qui présente « Le cinéma
de minuit », chaque dimanche sur France 3. Ils savent moins que vous dirigez l’unité cinéma
de la chaîne. En quoi se distingue sa
programmation ?
Patrick Brion : Avec différentes cases au cours
de la semaine, nous bénéficions d’une large palette
de programmation. Le jeudi, à 20 h 50, nous faisons face à la rude concurrence des autres chaînes. Nous diffusons donc des films «attractifs», plutôt récents et favorables à l’audience. Le noir et blanc est presque totalement prohibé, puisqu’on a persuadé le public qu’il ne le supportait plus ! C’est d’ailleurs un paradoxe, si l’on considère le succès
de la photographie en noir et blanc et l’estime qu’on lui porte.
Le jeudi toujours, en seconde partie
de soirée, s’ouvre la case sur le patrimoine récent du cinéma, français essentiellement. Ce sont des films déjà régulièrement diffusés à heures
de grande écoute, et qui feront les riches heures des ciné-clubs dans vingt ou trente ans : ceux
de Michel Deville, Claude Sautet, Bertrand Tavernier… S’ajoutent aussi les coproductions (environ une vingtaine par an) que France 3 assure chaque année, via sa filiale spécialisée.
– Vous disposez aussi d’une
programmation d’après-midi…
– Le lundi, vers 15 heures, ce sont
de bons films français
de qualité, souvent en noir et blanc. Ce n’est ni la place des grands classiques, ni celle des cycles thématiques mais celle des productions d’un patrimoine bien en phase avec les goûts et les pratiques du public
de l’après-midi. Le mercredi, jour des enfants, nous avons instauré une politique
de rediffusion
de films familiaux : les classiques
de l’aventure, en couleurs, comme le Robin des Bois
de Michael Curtis, Les trois Mousquetaires
de George Sydney, avec la sublime Lana Turner en Milady…
– Et, depuis 1976, le fameux « Cinéma
de minuit »…
– Réservée à l’histoire du cinéma, depuis le muet jusqu’aux années 1960 environ, l’émission se fonde sur deux principes. D’une part, une
programmation par cycles (consacrés à un acteur, un réalisateur, une période donnée dans un pays donné…), parce que je crois aux vertus pédagogiques des séries qui créent des correspondances dans le regard et l’esprit du spectateur. D’autre part, une présentation (surtout pas une critique) très courte avant chaque film, pour donner quelques clés
de compréhension, faire entendre tel ou tel propos du réalisateur.
– La diffusion n’est-elle pas bien tardive ?
– Certes, mais je me dis que cela protège peut-être le « Cinéma
de minuit »
de la concurrence avec des programmes plus « dangereux ». Tard dans la nuit, on est plus tranquille, plus à l’abri… Et, curieusement, cet horaire nocturne n’empêche pas les films d’être suivis par un public varié, mélangé, ni forcément parisien, ni forcément jeune, ni forcément très cinéphile. J’en suis heureux.
– Comment achetez-vous les films que vous diffusez ?
– France 3 dispose encore pendant deux ans, par contrat, d’un accès prioritaire au catalogue
de Warner. Le reste
de la
programmation dépend d’une multitude
de facteurs, financiers notamment. Nous n’avons pas les budgets
de TF1 ou même
de France 2. Mais nous ne nous intéressons pas non plus aux mêmes films… Je rate rarement les meilleurs longs métrages. Ce sont plutôt les œuvres les plus publiques qui m’échappent, car les concurrents les obtiennent en les surpayant ! France 3 profite du service d’achat commun
de France Télévisions, ce qui nous aide énormément.
– Comment expliquez-vous qu’il y ait si peu d’émissions
de télévision consacrées au cinéma ?
– Pour évoquer un film qui sort en salles et en diffuser des extraits, cela ne coûte rien. La télévision le fait abondamment. En revanche, dès que vous voulez proposer des extraits
de films anciens, cela devient prohibitif : une minute revient à 3 800 €. C’est un problème majeur qui empêche
de nombreux projets
de voir le jour. Dans les débuts
de la Trois, Claude Contamine, le président d’alors, souhaitait tourner une série
de portraits
de cinéastes. Nous avons vite « calé » pour une question d’argent. Je n’ai pas davantage pu mener à bien une émission sur la genèse et les coulisses des Enfants du paradis,
de Marcel Carné. C’est un grand regret car tous les protagonistes étaient encore vivants…
– N’y a-t-il pas également un désintérêt actuel pour la culture cinématographique ?
– Sans vouloir jouer les nostalgiques, je crains que oui. Il y a une véritable ignorance
de l’histoire du cinéma. Je suis sidéré
de la façon dont le muet est méconnu, mésestimé. Comme si le septième art était né en 1928 ! D’autant plus que 80 %
de ce qui a été tourné avant est irrémédiablement perdu, n’ayant pas été conservé
de manière organisée et fiable. Quand j’entends dire que l’on va voir un « vieux film », cela m’agace ! Dit-on que l’on va voir
de « vieux tableaux » quand on visite le Louvre ou Orsay ?
Il est regrettable que le cinéma ne soit pas – ou si peu – enseigné à l’école, alors que les jeunes forment un public particulièrement réceptif et curieux. Le cinéma peut toucher tout le monde, si l’on se donne la peine
de montrer aux gens les meilleurs films. Je me rappelle, il y a des années, ce coup
de fil d’un téléspectateur bourru qui voulait, maladroitement mais sincèrement, me dire combien la vision des images admirables
de The Seagirl
de Frank Borzage l’avait bouleversé. Cet homme était tout sauf un cinéphile, mais le choc du cinéma l’avait frappé…
Emmanuelle GIULIANI