Keith Jarrett

Pour parler de toute l'actualité des livres, de la musique et de l'art en général.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
Messages : 25906
Inscription : 15 avr. 03, 14:22
Localisation : Forêt d'Orléans

Keith Jarrett

Message par Ouf Je Respire »

Une star du jazz, un dieu au piano.

Ses combos sont excellents, et ses concerts solo à Köln et à la Scala (pour ne citer que ceux là) sont d'une splendeur.
Pour ceux qui ne connaissent pas, regardez la dernière pub BMW, la musique vient du concert de Köln.


Et vous?
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide
Avatar de l’utilisateur
Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
Messages : 25906
Inscription : 15 avr. 03, 14:22
Localisation : Forêt d'Orléans

Message par Ouf Je Respire »

Merci pour le bide... :lol:
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide
Sergius Karamzin
Invité
Messages : 5977
Inscription : 14 avr. 03, 11:54

Message par Sergius Karamzin »

Excellent pianiste.
Parmi ses albums solos, il faut aussi citer le très beau "Facing You".
Je recommande aussi les albums de son trio européen avec Garbarek, dont le meilleur reste "Survivor's suite" (et ensuite "My song").

Quant à mon album préféré c'est toujours son live au Japon avec son trio US (Peacock/De johnette) : "Changeless". Juste sublimissime.

Enfin, pour ceux qui aiment le classique, à écouter avec intérêt ses albums dédiés à Bach et à Bartok.
Atticus Finch
Electro
Messages : 956
Inscription : 15 avr. 03, 15:19

Message par Atticus Finch »

J'adore !
L'extrait du Köln Concert dans Journal Intime bien sûr, mais surtout l'album Arbor Zena en collaboration avec Jan Garbarek. Le frisson absolu !
Atticus
Sergius Karamzin
Invité
Messages : 5977
Inscription : 14 avr. 03, 11:54

Message par Sergius Karamzin »

"Arbor Zena" est très bien aussi. Mais comme dans "My song" et quelques autres, c'est souvent inégal en termes de compositions à mes yeux.

Pour moi son album le plus homogène de tous reste "Changeless" où tout est perfection.
Profiler
Assistant(e) machine à café
Messages : 201
Inscription : 9 sept. 05, 18:27

Message par Profiler »

Sergius Karamzin a écrit : Enfin, pour ceux qui aiment le classique, à écouter avec intérêt ses albums dédiés à Bach et à Bartok.
Malheureusement aucun enregistrment de Bartok de sorti, mais ne manquez pas le concerts a venir Salle Pleyel :)
Image
Avatar de l’utilisateur
Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
Messages : 25906
Inscription : 15 avr. 03, 14:22
Localisation : Forêt d'Orléans

Message par Ouf Je Respire »

Mais j'y pense, Keith Jarrett ne faisait-il pas de la bande du Cellar Door de Miles Davis?
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide
Avatar de l’utilisateur
Xavier
...
Messages : 6790
Inscription : 5 juin 03, 01:49

Message par Xavier »

Sergius Karamzin a écrit : Enfin, pour ceux qui aiment le classique, à écouter avec intérêt ses albums dédiés à Bach et à Bartok.
Qu'a-t-il enregistré de Bartok?

Ses Chostakovitch m'ont paru assez froids.
Charly
Doublure lumière
Messages : 401
Inscription : 11 sept. 03, 15:13
Localisation : Paris

Message par Charly »

Ouf le riscophile a écrit :Mais j'y pense, Keith Jarrett ne faisait-il pas de la bande du Cellar Door de Miles Davis?
Voui ...
Anorya
Laughing Ring
Messages : 11846
Inscription : 24 juin 06, 02:21
Localisation : LV426

Re: Keith Jarrett

Message par Anorya »

J'ai envie de dire d'une voie tordue par l'émotion (et pas parce que je suis encore sous le joug de mon allergie au pollen très énervante), "Non mon Ouf, tu n'es plus seul" et profiter donc d'un petit UP de ce topic dédié à ce génial pianiste avec néanmoins la certitude d'un nouveau bide fantastique. :mrgreen:
Donc je propose de parler de quelques albums que j'ai, ce sera plus simple et on évitera de lire les sempiternelles bios disponible un peu partout (wikipedia est notre ami). Bios qui, si elles évoquent la vie et le parcours du personnage haut en couleur (et doté d'un caractère de cochon pas possible apparemment), n'effleurent que rarement le domaine de sa musique.

Evidemment tout ça est très subjectif et plus d'une fois j'ai été touché par les albums de Jarrett que j'ai pu écouter. D'ailleurs disons le nettement, je n'ai jamais été indifférent à tout ce que j'ai écouté du monsieur et je dois à lui de grands chocs musicaux que je n'ai pu ressentir avec bon nombre de musiciens. Sa musique elle-même semble le plus souvent intemporelle tant bien souvent le pianiste ne se laisse jamais enfermer vraiment dans des cases (je parle pour ses disques solo et live essentiellement, ma came perso, mais je pense qu'avec ses trios et quatuor, il a aussi livré des explorations qui ne se bornaient pas qu'au jazz) et je suppose qu'on parlera encore de lui dans 10 à 20 ans. Pour ma part, depuis que je connais ce qu'il fait, sa musique fait partie intégrante de ma vie.


Image

Life between the exit signs (1967).

Un disque en trio, son premier qui plus est, à 22 ans (mais avec déjà un parcours rodé notamment chez Art Blakey and the jazz messengers). Même si l'ensemble n'est pas encore poussé à bout, on décerne à la fois le goût de son auteur pour des morceaux de hardbop à tendance free et d'autres plus classiques, comme Margot, dédié à son épouse d'alors. L'ensemble s'écoute agréablement sans toutefois qu'on s'attache de trop à la musique et c'est sans doute le reproche majeur qu'on pourrait faire à ce disque, surtout quand on connait sa discographie par la suite (en solo mais aussi chez Miles Davis par exemple). Bien mais un goût de trop peu. Trop mignon, gentil et un peu fade parfois pourrait on dire. La formule de Jarrett n'est pas encore poussée mais le bonhomme à de l'ambition et déjà un talent monstre. Au fil des réécoutes, certains morceaux s'apprivoisent encore mieux. Un album à constamment redécouvrir.
3,5/6.



Image

Solo concert - Bremen/Lausanne (1973)

Il s'agit d'abord d'un des premiers concerts solos de l'artiste, en improvisation, "sans filet".
Non pas que Jarrett ait le trac, à 28 ans il est même près à dominer le monde. Cela dit sa technique n'est pas encore tout à fait rodée et on le sent hésitant par moments quand il ne verse pas dans la pure technicité pour compenser une petite froideur. Et puis notons qu'il s'agit du premier disque live enregistré par ECM alors récemment crée par Eichman quelques années avant. La méthode n'est donc pas au point, le son baisse parfois dans l'inaudible, enregistre plus le public que les notes, un petit grésillement étouffé semble noyer ces dernières. Pour ses raisons, le concert à Lausanne pourrait être placé en seconde partie, plutôt qu'en première, histoire de ne pas décourager le curieux d'emblée. Il faut dire qu'en plus d'un concert admirablement bien joué et fascinant, l'auditeur inexpérimenté pourra être découragé par l'unique piste non scindée d'une heure qui forme le concert. Et cela pour une raison d'autant plus inconnue qu'on sent clairement bien qu'il y a deux parties avec une "scission" naturelle au bout de 30 mn où Keith ayant terminé une mélodie non-stop, fait une petite pause tandis que le public applaudit. Cela dit, le concert de Lausanne n'en reste pas moins passionnant et dans sa "seconde partie", Jarrett n'hésite pas à alterner tapes du pied et de la main tandis que les cordes du piano, pincées à la manière de la musique classique contemporaine chère à John Cage ouvrent un climat étrange et décalé.

Pourtant le clou de cet excellent double-disque, c'est le concert de Brême. Ici, l'on sent le pianiste frondeur, qui veut en découdre. C'est jubilatoire quand on sait qu'il mettra bientôt le monde à genoux avec le Köln Concert pratiquement et qu'ici l'embryon de son style et d'une puissance émotionnelle et mélodique fait déjà jour. Une première piste (partie, plutôt) de 18 mn fait monter un long crescendo qui part de notes doucement contemplatives pour alterner entre tonalités joyeuses et mélancoliques dans le même temps. Brillant, mais le meilleur est encore à venir. La seconde partie s'ouvre sur un ton plus jazzy avant de passer à la vitesse supérieure, frénétique, intense, avec ce sentiment que Jarrett met ses tripes en jeu, montre son âme à un auditeur qui a presque envie imperceptiblement de taper des mains et des pieds quand l'émotion ne l'affleure pas d'un coup au coeur. La même puissance émotionnelle que le coup de foudre en direct si vous voulez. Pas difficile au final de comprendre pourquoi ce disque est aussi apprécié que le concert de Köln, il enchante et cloue littéralement dans le même temps. Sans doute moins facile d'accès par moments que ce dernier, c'est un fait, mais un disque énorme toutefois, puissant, immense.
6/6.



Image

The Koln Concert (1975).

Celui-là est son plus connu et souvent considéré comme son meilleur, à juste titre je dois reconnaître mais à force avec les années, il est un peu devenu l'arbre qui cache un peu la forêt, propulsé comme référence sans toutefois qu'on mette aussi en valeur d'autres oeuvres piano de Jarrett toutes aussi importantes. Un peu comme le Harvest de Neil Young éternellement en soldes et promo là où je conseille plutôt un After the gold rush, un poil plus riche et bouleversant pour moi (ça ne change rien au fait que Harvest est un grand disque, hein) que son frangin. Cela dit je chipote un peu car ce disque est un pur chef-d'oeuvre et aussi la meilleure porte d'accès pour découvrir Jarrett. 4 pistes qui découpent en fait 2 grandes parties pour un disque enregistré un soir à Cologne, avec Keith et son piano. Et entièrement improvisé. Dans pareil cas, l'exercice pourrait être complètement casse-gueule et en fait ici, non. On assiste même purement à un miracle, on constate que le mec est tout bonnement un génie. Jarrett joue sur les notes, rebondit constamment, crée un rythme à travers des parties bien distinctes, crée des structures mélodiques qui semblent constamment pulser, vivre d'elles-même. Nanni Moretti réutilisera génialement un passage de la part I dans Journal Intime, part I très belle et souvent préférée de bon nombres d'auditeurs du fait que c'est sans doute la plus calme et lyrique dans le même temps. Mais pour ma part, je préfère le rythme de course de la II-B qui, dans ses changements de ton progressifs et subtils (sans doute plus que la II-A qui réserve pourtant, de 8 mn à 11mn, un passage à tomber à la renverse, foudroyé de tant de beauté pure). Vous l'aurez compris, on peut tout autant aimer le disque entier, qu'avoir ses propres préférences à travers des moments plus ou moins longs, formule que Jarrett rendra encore plus concise quelques années plus tard. Chef d'oeuvre.
6/6.



Image

Arbour Zena (1975)

Arbour Zena est une curieuse expérience qui n'a pas vraiment eu de suite. Avec Jan Garbarek de son quartet européen au saxophone, Charlie Haden, vieux complice des débuts à une basse double et les membres de l'orchestre symphonique de Stuttgart (à la baguette, Mladen Gutesha) pour tisser un fond sonore, Jarrett s'essaye à quelque chose qui tient tout autant de la musique de chambre que d'une musique contemporaine concrète à la fois minimaliste quand elle n'est pas ambiante. C'est un disque qu'on ne sait pas vraiment par quels côtés prendre car il dispose autant de bons moments que d'autres assez ennuyeux surtout quand on sait que les pistes n'obéissent à aucune logique de rythme ou de construction élaborée. Il y a des fragments évidents qui créent quelques choses, des dissonances passionnantes et parfois c'est comme si la musique s'éteignait lentement pour mourir à petit feu et ne laisser que du silence qui s'éternise un peu trop. Enfin pour ne pas faciliter l'auditeur (ce serait trop simple hein, sacré Keith), les instruments ne se chevauchent pas trop. Si la trame sonore de l'orchestre est omniprésente, c'est le plus souvent pour un instrument à la fois comme si les musiciens devaient se partager la cabine d'enregistrement une fois que l'orchestre aurait pris toute la place. Donc ce sera bien souvent orchestre + piano ou orchestre + basse mais jamais orchestre/piano/basse/saxophone. Au final on reste évasif un peu comme la musique, assez évanescente. C'était bien ? Mouais bof, oui, non, chais pas, je crois que oui mais va savoir.
3/6

Edit fin 2014 : L'album s'impose de lui-même après de nombreuses écoutes pour finir par s'installer lentement chez l'auditeur. Il m'aura donné du mal celui-là mais les déclics ont été de plus nombreux avec le temps (écoutes le soir à des heures comme minuit et une heure du matin en bus avec la route qui défile : magique) à un moment donné. Et du coup grosse réhabilitation en hausse : 5/6.



Image

Hymns / Spheres (1976)

Hymns / Spheres, à l'origine seulement Spheres (Les Hymns ont été rajoutés finalement en ouverture et fermeture du double disque), est là aussi une nouvelle expérience du pianiste fou. Mais cette fois-ci poussée à bout et réussie de parts et d'autres. Pour faire simple, disons que Keith comme à son habitude va improviser... mais à l'orgue. Pas de l'orgue hammond ou du Moog hein, non, non, de véritables orgues d'église. En l'occurrence ceux de Karl Joseph Riepp (1719-1775) à l'abbaye bénédictine Ottobeuren en Allemagne. Et pour cela il impose que le son et la profondeur pure de l'instrument comme du lieu, sa propre résonance qui donne sa force à l'orgue soient conservé. Comme l'indique fièrement Jarrett dans les courtes notes du disque, "No overdubs, technical ornamentations or additions were utilized, only the pure sound of the organ in the abbaye is heard". Il précise aussi que certains effets sonore ne sont nullement obtenu à un quelconque mixage ou autre mais seulement en variant la vitesse des pédales, des touches et des tuyaux bouchés ou non.

Et c'est impressionnant. Complètement organique, voire mystique. :shock:
A la différence d'un orgue qui serait joué tel qu'on peut l'entendre chez Bach, Jarrett joue à sa manière mais, par respect de l'instrument, varie pour faire un pont entre le moderne et le traditionnel. Il ne s'agit pas de jouer des suites de notes comme au piano qui peuvent atteindre une certaine vitesse mais de conserver comme on peut le faire à l'orgue souvent, une basse qui crée une structure qui englobe les notes qui vont venir, sachant que ce genre d'effet sonore à l'orgue "reste" dans l'espace (la fameuse résonance du son dans une église). A partir de là, le musicien peut décider de jouer sur le faisceau de son qui s'est crée et non dilué, ou pas. Des climats variés se créent, oscillant entre un état purement contemplatif quand il n'est pas d'un coup d'une rare noirceur. Grosse claque qui pourra en rebuter certains toutefois : si l'orgue c'est pas votre truc, passez votre chemin.
6/6.



Image

The survivor's suite (1977).

En plus de sa présence dans des improvisations solo au piano, l'activité de Jarrett est, dans les années 70, partagée entre ses deux quartett, l'un américain, l'autre Européen. The survivor's suite est l'unique enregistrement studio de la formation américaine, plus encline aux tournées live. Album qui aurait pu présager une musique sombre de par son titre (un hommage aux survivants des camps), il n'en est rien. Ce n'est pas même du free-jazz. Juste un jazz langoureux qui prend son temps (deux pistes de près de 20 mn), partagé de multiples changements de climats, de tempos et de sons où chacun des membres fait preuve d'un talent inégalable. Jarrett n'est pas en reste puisqu'en plus de sublimes parties de piano, il se permet aussi de faire du saxophone, du Célesta, supervise l'enregistrement ou fait des percussions. C'est dire la richesse d'une musique qui m'a fait autant penser au Köln Concert qu'a du jazz de haute volée. Bref, un disque méconnu et pourtant admirable.
5/6.



Image

Ritual (+ Dennis Russell Davies - 1977)

Keith se fait plaisir et nous offre une petite sucrerie comme ça. Ayant plusieurs fois travaillé avec le chef d'orchestre Dennis Russell Davies et charmé par son jeu de piano, Jarrett décide de composer une musique de son crû et la délègue à Davies qui ne demandait que ça, de pouvoir jouer une composition spécialement inédite. Du coup on constate avec surprise que ça ressemble à du Jarrett, que, bigre, mais c'est du Jarrett, mais que, diantre, ça n'est pas joué par Jarrett. Mais le style se reconnaît à 100 kilomètres à la ronde, pas de doute possible. On est donc en terrain connu, celui du Köln concert, du concert de Brême et Lausanne avec ce petit quelque chose d'un peu plus intimiste, moins sauvage dans ses envolées et pourtant qui pourrait facilement en faire partie. Et comme le disque est court (à peine 30 minutes), on y revient. C'est d'autant plus intimiste que la technique de Davies s'avère assez élégante. Addictif donc. Une belle surprise.
5/6.



Image

Paris concert (1988).

C'est un bloc, intense, que Jarrett va longuement sculpter en plusieurs circonvolutions précises. Depuis le Köln Concert, le jeu du monsieur a changé. De variations mélodiques qu'il suivait pour rebondir sur un genre dans les 70's, il va suivre par la suite une autre voie, quitte à frôler de plus en plus l'abstraction (Radiance et surtout Testament). Ici, une main crée un rythme, lent, profond, tandis que l'autre fait des vagues, se déploie, toujours mouvante. Au fur et à mesure, Jarrett ne faiblit pas, tout devient plus dense, une main ralentit tandis que l'autre semble accélèrer. Le tout forme l'impression étrange d'être projeté lentement vers un cyclone qui arrive de plus en plus vers nous. C'est sans doute l'un des concerts les plus durs du monsieur car moins accessible qu'auparavant et même après, presque expérimental. On peut adhérer et dans l'instant, être complètement paumé et pourtant on sent qu'il y a un maître à l'oeuvre. Les deux autres morceaux, plus court permettent de respirer alors un peu avant de finir le disque : The wind est une petite ballade impressionniste touchante là où le sobrement Blues ne trahit pas son nom et reste efficace.
Grand disque.
5,5/6.



Image

La Scala (1995).

Dans les années 80, le pianiste réduit ses épanchements lyriques mais continue de tourner et sortir des disques à la pelle. Néanmoins, c'est sur le terrain du live au piano solo qu'il reste le plus attendu. Vers la fin des années 90, il semble même atteint d'une grave fatigue chronique. Il faut dire qu'au rythme de fou qu'il s'est imposé, les concerts improvisés sont autant de surpassements physiques que s'impose Jarrett. Pour lui, se retrouver à improviser au piano impose un enfermement loin de toute idée préconçue qui pourrait le gêner durant les jours qui suivent le concert, une concentration de tous les instants. Le concert de La Scala à Milan en 1995 est un nouveau tour de force et, à nouveau, un chef d'oeuvre. Mais cette fois-ci, moins immédiatement lyrique que le Koln Concert, plus sombre. 2 longs morceaux (dont une part I de près de 44 mn) et une reprise d'Over the rainbow. La part I frappe par son enchaînement, c'est comme si l'on était entraîné dans un grand puits noir, qu'on tentait d'y voir quelque chose, d'y survivre, avant une lente et émouvante remontée vers la lumière à pleurer de bonheur. Jarrett fait évoluer son jeu constamment entre jazz, musique classique, contemporain, épure intimiste, voire musique de film, c'est tout bonnement incroyable.
5/6.



Image

Radiance (2002).

Une autre improvisation live, magistrale une fois de plus, captée lors de deux nuits d'octobre 2002 à Osaka et Tokyo, séparées par 2 jours d'intervalle et livrant matière à 2 CDs. Autant le dire tout de suite, c'est mon préféré de Jarrett en piano solo avec The Koln Concert. On touche là une sorte d'accomplissement qui va très très loin, le pianiste n'hésitant plus à se lancer dans des parties purement contemporaines où les notes semblent sortir d'une autre galaxie, sans avoir le liant et le lyrisme de La Scala. Et pourtant, l'émotion surgit au détour de différents morceaux. En créant des morceaux plus courts (enfin bon, les plus longs avoisinent autour des 10, 12 et 14 mn hein), Jarrett reconcentre sa musique avec une précision à faire peur. La part VI (CD 1) le voit déboucher sur un climat émotionnel impressionnant créant un choc et un contraste d'autant plus impressionnant que le morceau d'avant virevoltait n'importe comment. Au chaos succède l'épure et la vie. Le pianiste n'hésite pas, signe de son ouverture et de la richesse de sa musique, à créer un rythme quasi mécanique, un peu comme si le Ravel d'une barque sur l'océan s'énervait mais en ajoutant du swing (part XII - CD 2) en passant par une noirceur et un désenchantement (part V - CD 1 comme l'impressionnante et éthérée part XV - CD 2) quand ce n'est pas la puissance d'un flot parfaitement maîtrisé qui fait penser furieusement au Koln Concert (part XVII, CD 2, LA pièce de 14 mn qui me fout complètement K.O). Chapeau-bas monsieur Jarrett, encore un disque purement génial même si plus complexe et dur d'accès que les précédents.
6/6.



Image

Testament (2008).

C'est un peu sans doute le dernier disque solo piano du maître pour un bon moment, ce qui ne veut pas dire qu'il arrêtera la musique pour autant mais continuera sans doute plus à tourner en trio et quatuor dorénavant. Enregistré à Paris et Londres, le disque se veut une somme impressionnante et quasiment contemporaine de la musique de Jarrett. L'improvisation se fait ici complètement radicale, en faisant un triple disque (oui, 3 CDs) indispensable pour le néophyte mais qui demandera de nombreuses heures d'écoute et une ouverture totale afin de mieux l'appréhender. Néanmoins au bout du voyage, malgré sa difficulté, on est récompensés comme jamais. 20 titres répartis sur 3 CDs pour une durée moyenne de 6 à 8 minutes par morceaux. On a l'impression d'écouter un voyage kaléïdoscopique, un zapping constant de style à chaque piste et comme toujours, des moments purement géniaux à se damner une fois de plus. On rentre parfois aussi en pure abstraction, l'oeuvre devenant un peu plus austère que le lyrique Koln Concert ou les émouvants La Scala ou Radiance. Mais finalement, un disque immense là aussi. Toutefois à moins de vous appeler Julien et d'écouter ça comme un petit truc sympathique de tous les jours, je vous déconseille de commencer par ici l'oeuvre du pianiste. :mrgreen:
5/6.



Image

No end (2013)

Oh la grosse surprise.
On savait que Keith Jarrett savait jouer d'autres choses que du piano (sur The survivor's suite, outre le piano il fait aussi du saxo, voire de la flûte et un peu de batterie !) mais on ne l'avait jamais vu prendre une guitare électrique et enregistrer comme ça en cachette dans son propre studio pour le plaisir entre une énième tournée. Ce qui fut fait avec une poignée de morceaux à l'orée des années 80. ...Et c'est d'autant plus troublant qu'en plus de jouer de la guitare, le bonhomme choisit de créer des mélodies improvisées qui tiennent en grande partie de la transe cyclique avec re-recording (à la main, d'où un son très étouffé qui ajoute néanmoins un certain charme à l'instar du souffle de certains vinyles, Jarrett n'étant pas un ingénieur du son à la base) où il va jouer par dessus, suivant si ça nécessite un accompagnement ou pas, de la basse, de la batterie ou du piano (pourtant très très rare sur ce double disque). En résulte une expérience hermétique, étrange, fascinante, prenante voire mystique qui nous emmène vraiment ailleurs avec un son lo-fi parfois étouffé ou pas.
Et sur youtube on trouve rien, évidemment de No end. Le progrès en marche, tiens. Pfff. :evil:
4,5/6.



Image

Concerts - Bregenz/München (2013)

Les concerts de Munich et Bregenz sont une autre paire de manche. Enregistrés en 1981, les 28 mai (Bregenz) et 2 juin (Munich), ils ne sortent véritablement complets qu'en fin 2013 en 3 CDs. Auparavant, c'était le lp entier de Bregenz mais Munich demeurait soit introuvable, soit par bouts dans des compilations, et ce, sans doute parce que Jarrett ou ECM avait plus ou moins renié un peu ce concert. Non pas que ce soit mauvais au contraire, c'est même assez bon dans l'ensemble mais il faut bien comprendre que, ce disque ferme une période de l'artiste, hyper-productive mais qui le vit s'enfermer un peu dans une formule bien malgré lui. Où en est Jarrett au début des années 80 ? Et bien il en a clairement marre. Le concert de Köln et sa sortie disque a été un succès écrasant auquel le musicien ne s'était pas attendu. Une fois de plus, Keith avait tout donné avec pour anecdote à la clé de ce fameux concert des conditions au préalables assez mauvaises (Jarrett se fait plaquer par sa copine peu de temps avant, il ne dort pas de la nuit durant les deux jours qui précèdent, la nourriture au resto était infecte, bon bref, il enchaîne les malheurs comme pas possible le pauvre) et même un concert qui aurait pu s'avérer désastreux (le concert commence qu'il y a encore des gens pas rentrés dans la salle, le piano que l'artiste avait demandé n'était pas bien accordé). Sauf que Jarrett est un homme de promesse, ne se livrant que pour l'Art. Il a dit qu'il allait faire un concert et ce même s'il met à nouveau son coeur sur la table de dissection qu'est le public, alors il va le faire ce concert. A la réception, le Köln Concert est un choc, une catharsis, un moyen de s'en sortir uniquement par le biais de ce qu'il sait faire le mieux : jouer. C'est un chef d'oeuvre dont la puissance reste encore intacte aujourd'hui.

Sauf que quelques années plus tard, plein de concerts enchaînés, l'artiste commence à se traîner des critiques négatives (en plus d'un caractère de cochon qui ne doit pas arranger les choses). On lui reproche par exemple de toujours faire la même chose. C'est pas tout à fait faux mais aussi un peu inexact dans le même temps. Les concerts de Bregenz et Munich le prouvent nettement vu qu'ici l'ami Keith va battre le chaud et le froid. Il faut dire que le rapprochement de ces deux concerts ne joue pas en sa faveur. Pour le disque de concert de 73 (Brême/Lausanne), un battement de 3,4 mois était perceptible entre les deux dates, de quoi laisser au musicien l'opportunité de se ressourcer, d'emmagasiner des idées, des images, des couleurs, des sons, tout ce qui peut nourrir l'inspiration et donc l'improvisation. Ici, 5 jours seulement séparent les deux concerts. Trop peu pour ne pas faire preuve d'un petit fléchissement, un petit manque d'inspiration. Pour autre preuve, une composition non de Keith, Heartland, qui clôt sur les deux dates, les deux concerts et jouée avec peu de différences notables. Cela dit, ces concerts se laissent écouter assez bien et le musicien n'est jamais vraiment à court d'idées, permettant à nouveau de faire éclore quelques passages assez fabuleux. Ainsi de Mon coeur est rouge, touchant et entraînant. Ainsi dans la part IV de Munich (cd 3), après une délicate ouverture, le pianiste enchaîne avec ruptures de ne jouer que les touches aigües un peu comme du Erik Satie mais dont la vitesse d'exécution irait nettement plus vite. C'est assez dur à décrire mais l'impression ressentie et imagée pour moi est similaire à une chute de plusieurs gouttes d'eau retranscrite en musique. J'en reste impressionné car il y a là encore quelque chose de purement cinématographique qu'on pourrait appliquer sans mal directement à un documentaire ou un film : quelque chose qui réussit à bâtir une ambiance avec juste quelques notes et une méthode mélodique inclassable. Oui, il y a du génie chez Jarrett (et après Jarrett les qualificatifs, huhu. Bon, elle était facile celle-là. Pas taper Federico, pas taper) et ce disque en témoigne.

Mais le génie est fatigué et les ruptures de tempos montrent bien quelqu'un plus dans la recherche de note et de rythme à ce stade que la musique pure, ce qui peut s'avérer frustrant tant pour le public que l'artiste en lui-même. Jarrett n'est pas bête, il s'en aperçoit bien et ces concerts de 81 seront les derniers avant une longue période où l'artiste ne reviendra en live devant un piano qu'en 1990 avec le concert à Paris, l'album studio Dark intervals en 1988 ayant servi de tour de chauffe d'où émergera un nouveau Jarrett, plus sombre. Entre temps durant la décennie, il réapprendra l'humilité et le renouvellement de plusieurs manières : d'une part en trio, d'autre part avec de multiples expérimentations (l'inédit No end daté de 1986 mais sorti qu'en 2013 le voit aborder de la guitare électrique donc), enfin avec... de la musique classique. Jarrett consacrant l'essentiel des années 80 et 90 à reprendre les grands maîtres au piano, de Bach à Haendel sans oublier une modeste collaboration au monument Tabula Rasa d'Arvo Pärt (1984) pour ce qui de la musique contemporaine. Une manière de se ressourcer à la musique en plongeant encore plus profondément vers les racines de toutes choses pour en revenir transfiguré. Mais bon, ça, c'est une autre histoire...
4/6.



Si vous voulez parler d'autres disques de Jarrett et même en conseiller, ce topic vous ouvre joyeusement les bras. :wink:
Attention, je sens le bide.
Dernière modification par Anorya le 26 déc. 14, 18:05, modifié 7 fois.
Image
phibes
Réalisateur de seconde équipe
Messages : 5964
Inscription : 2 mai 03, 17:33

Re: Keith Jarrett

Message par phibes »

the koln concert est un monument , j'ai écouté ce disque plus de mille fois !
j'aime beaucoup également " facing you " et "survivor suite " .
Dernière modification par phibes le 6 juin 11, 16:27, modifié 1 fois.
Avatar de l’utilisateur
Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
Messages : 25906
Inscription : 15 avr. 03, 14:22
Localisation : Forêt d'Orléans

Re: Keith Jarrett

Message par Ouf Je Respire »

Tu parles d'un "petit Up". :lol:
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide
Avatar de l’utilisateur
Colqhoun
Qui a tué flanby ?
Messages : 33435
Inscription : 9 oct. 03, 21:39
Localisation : Helvetica
Contact :

Re: Keith Jarrett

Message par Colqhoun »

Je ne connais que deux albums de Jarrett.

Keith Jarrett at the blue note (complete recordings, je précise), que je peux écouter en boucle des journées entières sans jamais me lasser.
Et les Sacred Hymns. Un peu plus mélancolique, mais je peux aussi les écouter plusieurs heures de suite.

Mais je sais pas trop quoi dire de plus.
J'ai de la peine à parler de ce type de musique.
Ça me parle droit au coeur et j'ai l'impression d'être dans une bulle lorsque j'écoute ces deux disques.
Il y a peu d'artistes qui me font un tel effet (peut-être philip glass et godspeed you black emperor).

Je vais tâcher de découvrir les disques dont vous avez parlé.
"Give me all the bacon and eggs you have."
Anorya
Laughing Ring
Messages : 11846
Inscription : 24 juin 06, 02:21
Localisation : LV426

Re: Keith Jarrett

Message par Anorya »

phibes a écrit :the koln concert est un monument , j'ai écouté ce disque plus de mille fois !
:D
J'ai entendu beaucoup de bien des deux albums que tu cites, notamment the survivor's suite. je m'y pencherais prochainement dessus. Spheres (entièrement à l'orgue !) ainsi que Changeless avec son trio m'intéressent aussi beaucoup.
Il aurait fait un disque piano/orchestre symphonique nommé the celestial Hawk. Quelqu'un sait ce que ça vaut ?
Ouf, milk soup a écrit :Tu parles d'un "petit Up". :lol:
:oops: :fiou:
Colqhoun a écrit :Je ne connais que deux albums de Jarrett.

Keith Jarrett at the blue note (complete recordings, je précise), que je peux écouter en boucle des journées entières sans jamais me lasser.
Et les Sacred Hymns. Un peu plus mélancolique, mais je peux aussi les écouter plusieurs heures de suite.

Mais je sais pas trop quoi dire de plus.
J'ai de la peine à parler de ce type de musique.
Ça me parle droit au coeur et j'ai l'impression d'être dans une bulle lorsque j'écoute ces deux disques.
Il y a peu d'artistes qui me font un tel effet (peut-être philip glass et godspeed you black emperor).

Je vais tâcher de découvrir les disques dont vous avez parlé.
Je pense du coup que le Koln Concert et La Scala vont bien te plaire. :D


Voici ce que dit le Dictionnaire du Jazz (de Jean-Pierre Comolli entres autres) sur le style de Jarrett :
L'un des rares pianistes de sa génération à ne pas avoir succombé à la tentation électronique, Keith Jarrett prolonge la grande tradition du piano jazz. Il met sa connaissance de chacun de ses instruments au service de son art pianistique. Ainsi son style est-il directement inspiré de la guitare folk : pulling-off, ritardendos, appogiatures de quartes et de secondes, anticipations, ces gimmicks qui le rendent immédiatement reconnaissable sont inspirés du jeu d'accompagnement de la guitare. De même que son jeu de main gauche est le plus souvent en picking, avec un ostinato envoûtant. Les notes contrôlées dans leur attaque et leur résonnance témoignent de son art du souffle et de la respiration, transposé du saxophone au piano. Son jeu dynamique, totalement maîtrisé jusque dans les effets de pédale, fait apparaître un goût pour le décalage mélodique : il peut donner l'impression de jouer free, alors qu'il est parfaitement dans le rythme et l'harmonie.
Image
Federico
Producteur
Messages : 9462
Inscription : 9 mai 09, 12:14
Localisation : Comme Mary Henry : au fond du lac

Re: Keith Jarrett

Message par Federico »

Ça fait une éternité que je n'ai plus écouté un album de Jarrett mais certains étaient renversants. Ce type a parfois donné l'impression d'avoir un gros melon et des chevilles ad hoc (surtout si on le compare à d'autres géants du clavier comme Monk, Tristano, Bill Evans, Paul Bley, Joachim Kühn, Ran Blake, Solal ou ce génie tué dans l'oeuf que fut Dick Twardzik) mais un talent irréfutable. Je ne me rappelle plus si c'est dans un de ses albums ou dans une captation de concert (peut-être les deux ?) où je l'avais entendu/vu improviser en jouant directement sur les cordes de son piano à queue à la manière d'une harpe et c'était tout sauf n'importe quoi.
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Répondre