Frantic (Roman Polanski - 1988)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Abronsius
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Abronsius »

Merci à tous deux !
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Major Tom
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Major Tom »

Très intéressante vision des choses. Merci d'avoir apporté ce point de vue. ;)
Abronsius
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Abronsius »

Major Tom a écrit :Très intéressante vision des choses. Merci d'avoir apporté ce point de vue. ;)
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O'Malley
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par O'Malley »

En tout cas l'approche est très convaincante et permet de complexifier un film qui était déjà assez riche en références et par son univers!
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Demi-Lune
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Demi-Lune »

Entre deux pages de pub du naveton RoboCop 3, j'ai basculé sur Arte ne serait-ce que pour revoir (ce sera jamais que la 69e fois) des bouts de Frantic. Ce film est incroyable : même si on le prend en cours de route, il est absolument captivant, on n'a plus envie de le quitter. Une vision de Paris inégalée dont je ne me lasserai jamais.
Mais plutôt que ressasser des louanges, le truc que j'aimerais ajouter cette fois, c'est à quel point Polanski atteint une aisance dans l'art du détail inconscient. Prenez la scène d'échange au niveau jaune du parking souterrain Beaubourg. Polanski fait arriver Ford et Seigner en avance, la scène est très dramatique, et l'obligation d'attendre les ravisseurs dans ce lieu sordide renforce la tension. Puis les voitures arrivent et l'Oriental menace la femme de Ford avec son couteau. Ford, sous pression, se retourne alors en direction de l'endroit où Seigner s'est cachée et lui crie de venir pour leur donner le McGuffin. Et là, le contrechamp, c'est pour moi du grand Polanski : la perspective angoissante du parking et, sur la gauche, la porte de sortie vers les escaliers qui, l'espace de deux secondes, se referme (on voit nettement le rai de lumière). Un détail qui va très vite mais qui agit quand même inconsciemment sur le spectateur qui déduit automatiquement que Seigner s'est faite la belle. Sauf que sitôt la porte refermée, elle apparaît de la pénombre d'où elle était bien restée. Timing parfait. Voilà, c'est de la pignolette mais c'est typiquement le genre de détail parano dont regorge Frantic et dont Polanski est un maître absolu. Y aurait à dire sur les détails plus humoristiques aussi (la tasse de café à moitié pleine qui n'a aucune raison logique d'être en haut de l'armoire, si ce n'est de tomber sur l'Israélien et le tacher une seconde fois).
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Roy Neary
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Roy Neary »

Mi aussi, j'ai pris Frantic en route sur Arte. Film que je revoie également pour la énième fois. :lol:
La résolution de l'intrigue de l'espionnage importe peu (et les personnages d'agents secrets arabes et israéliens sont assez caricaturaux) mais tout le reste conserve son potentiel hypnotique, c'est une sacrée réussite pour un film dit mineur. En revanche le traitement des deux personnages principaux est riches de petits détails derrière les réactions classiques dans ce genre de suspense. Je viens de lire l'interprétation d'Abronisus et il m'a bluffé. :mrgreen: En effet, ça fait des années que je me demande pourquoi les deux femmes portent la même robe rouge à la fin, et voilà que sa proposition fait grandement sens. :idea:
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cinéfile
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par cinéfile »

Après sa découverte, il y a trois ou quatre ans, je tenais Frantic pour un Polanski sympathique mais relativement mineur.

Revu dimanche dernier sur ARTE (dans d'excellentes conditions), cette révision me fait l'effet d'une bombe tant le film m'a paru excellent (l'ambiance est démente). Du grand Polanski finalement.

Sur le choc des cultures et la perte de repères, j'associerais Frantic à un film que Polanski à toujours dit adorer : Le Troisième Homme. Comme Ford, Joseph Cotten ne parle pas un mot de la langue du pays (Autriche) et de nombreuses conversations lui sont traduites par une tierce personne.
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Zelda Zonk
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par Zelda Zonk »

Abronsius a écrit :
Frantic est un film qui n'a pas une réputation de premier ordre. Il est vrai que la photographie a un aspect vieillot qui place l'esthétique du film plus vers le téléfilm que vers les productions prestigieuses du cinéma. Cette dernière catégorie a valu à Polanski un bide, pour évoquer Pirates, il avait besoin de retrouver quelque chose de plus simple et de plus reposant pour son esprit. La musique de Morricone n'est pas non plus exceptionnelle, le compositeur, à l'exception d'un ou deux passages, n'est pas inspiré par ce contrat.
Et pourtant...
Le film commence comme un Hitchcock amusant, je pense à Rich and Strange, nous avons un couple à l'étranger à qui il n'arrive que des ennuis. C'est toute la séquence qui précède l'arrivée à l'hôtel jusqu'à la valise échangée par mégarde. A partir de ce moment c'est le Hitchcock de North By Northwest à qui nous avons affaire. Tout ceci est parfaitement réalisé.
Polanski ajoute à ce scénario des thèmes qui lui sont propres. Le Dr. Walker (excellent Harrison Ford) se retrouve dans Paris en territoire étranger, démuni, tout lui fait défaut, il y a la barrière de la langue, l'administration de la police française, celle de son ambassade, le quiproquo (un parmi d'autres) au Blue Parrot. Quelques plans soulignent son désarroi, notamment ceux où on le voit seul au milieu de la rue, après avoir trouvé la gourmette de son épouse, ou encore lorsqu'il est tapi dans un angle du couloir à attendre que quelqu'un rentre dans l'appartement de Dédé. Ces plans peuvent se retrouver dans de nombreux films, c'est la solitude tragique de Carol dans Repulsion, de Trelkovsky dans Le locataire et même de Szpilman dans Le Pianiste. L'humour n'est pas absent, comme dans un bon Hitchcock, lorsque Walker joue l'américain énervé par exemple...
Ce qui me semble bien plus intéressant est la manière dont Polanski investit son histoire intime dans le récit.
Un homme perd sa femme et veut la retrouver. Polanski a déjà vécu cela. Je ne veux pas faire mon Sainte-Beuve mais trop d'indices jalonnent le film pour ne pas évoquer cet aspect. Polanski ne s'est pas remis totalement de la mort de Sharon Tate. Il parle de sa disparition et de la difficulté de vivre avec elle dans le livre de Boutang, Polanski par Polanski, paru aux Editions du Chêne, et ce alors qu'il est dans l'écriture de Frantic. Les circonstances de ce meurtre et la manière dont Polanski a été traité dans la presse ne permettent pas la sérénité. Polanski est encore hanté par ce drame et Tess, dédié à Sharon Tate qui aimait le livre, n'a pas recouvert les plaies. Nous le savons aujourd'hui, Polanski vit avec Emmanuelle Seigner. Souvent dénigrée par son jeu qui manque de solidité (or elle a ce côté mutin qu'à Françoise Dorléac dans Cul de sac), l'actrice a permis à Polanski de retrouver une épouse et une famille. Frantic raconte ce passage, cette nouvelle étape. Je m'explique.
Pour vivre à nouveau il faut faire le deuil. Jamais Polanski ne parlera de la mort de Sharon Tate de cette façon. Tate et Seigner sont confondues dans les deux personnages féminins de Frantic. La mort de Michelle est frappante, le cinéaste cadre le personnage dans les bras de Walker, de manière à voir la statue de la Liberté. Polanski n'a jamais pu se rendre aux Etats-Unis, où est enterrée Tate. Michelle dit à Walker : "Me laisse pas toute seule...". Evidemment il y a une relation amoureuse qui s'est crée entre les deux personnages mais il est troublant de constater la manière dont le cinéaste filme cette scène. Et puis, plus évident encore, c'est la substitution du détonateur et de la femme de Walker, les deux personnages portent la même robe rouge. Une femme et une seule, en réalité : celle qui est perdue à jamais et celle qui vous permet de renaître. L'on pourrait contester cette lecture mais je ne peux m'empêcher de voir le film de cette façon. Walker, personnage hanté, cherche la White Lady (drogue, Sondra...), je n'y vois que la femme, celle qui permet à Polanski de revivre.
Ajoutons la chanson superbe de Grace Jones, au titre évocateur, "I've seen this face before".
Ajoutons également une date, le couple Walker est déjà venu à paris pour sa lune de miel, ils y reviennent dix-sept ans après. Le film est écrit dix-sept ans après la mort de Sharon Tate. Je ne crois pas que cela soit le fruit du hasard.
Frantic est le moment où Polanski, fait ses adieux à Tate, sur l'écran, ce qui en fait un film personnel qui va au-delà du récit hitchcockien réussi par ailleurs.
Merci Abronsius. Passionnant. C'est ce que j'ai lu de mieux sur Frantic jusqu'à présent.
Comme beaucoup, je plaçais Frantic comme un film certes bon, mais mineur, de Polanski. Or, à chaque nouvelle vision (je me suis laissé "avoir" par la diffusion sur Arte l'autre jour), je lui trouve plus de consistance, de profondeur et d'intérêt. Pourtant, c'est un film très typé 80s', une décennie qui vieillit généralement moins bien que les oeuvres des 70s.
Vous êtes dur avec la BO. Le titre de Grace Jones est parfait dans sa mélancolie poisseuse et la BO de Morricone ne trouve vraiment son apogée que dans le générique final (on y trouve même des accents de valse musette avec l'accordéon).
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odelay
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par odelay »

Dans une interview, Harrison Ford avait dit qu'il trouvait que Frantic était un titre un peu trompeur vu le rythme du film, il pensait que ça aurait dû s'appeler "moderately disturbed". La blague n'a pas fait rire Polanski.
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cinéfile
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Re: Frantic (Roman Polanski - 1988)

Message par cinéfile »

Je viens de (re)(re)(re)revoir le film.

J’aime énormément.

Je ne le placerais pas au niveau des chef d’oeuvres de Polanski (Chinatown, Rosemary’s Baby), mais disons qu’il arrive juste derrière.

Le film fonctionne sur deux registres qui se complètent merveilleusement.

D’un côté, une verve à la limite du burlesque qui nait de l’enchaînement des situations, de l’effet d’accumulation/répétition comique (Walker/H. Ford revenant à plusieurs reprises vers l’hôtel, à chaque fois dans un état vestimentaire plus précaire) dans une dépense d’énergie frénétique ("Walker" aka le Marcheur sillonne Paris, court, crapahute, se bat, ne dort jamais ou presque).

En parlant de répétition, certains lieux sont investis plusieurs fois au cours de l’histoire : la chambre d’hôtel, l’appartement de Michelle/E. Seigner, le toit, la péniche... Pour y revenir sur un détail, chercher un objet auquel on n’avait pas fait attention la première fois (la valise, la tour Eiffel miniature). Polanski est un grand cinéaste du signe (à déchiffrer), parfois léger, du décalage d’abord anodin, qui va ensuite faire tout le sel de telle ou telle scène (cadrage, dialogue, lumière). Ses films se revoient à l’infini. Des répétitions pour donner aussi à l’histoire la forme d’une boucle (le périphérique parisien), inexorable, dont le héros ne peut se délivrer. Retour à la case départ (l’hôtel). Le film s’ouvre et se ferme sur un plan des éboueurs de Paris. Tout un programme. C’est le Paris sale, glauque et puant que l’on est invité à découvrir aux côtés de Walker. Le fringuant well-off guy, quarantenaire américain modèle, chirurgien comblé dans sa vie petite-bourgeoise qui croise le milieu interlope, nocturne, la fange crapuleuse. C’est l’acteur américain installé, pépère, qui va devoir en découdre avec le style vieux continent. Un voyage, une initiation grisante (un peu) mais surtout très douloureuse.

Et cela nous amène petit à petit vers un autre registre, celui de la souffrance, de l’angoisse de la perte, de la mort - symbolique ou concrète. On voit Walker le regard perdu dans le pénombre d’une cage d’escalier (plan incroyablement expressionniste comme on y pense), sanglotant au téléphone lorsqu’il imagine ses enfants vivants encore de plein-pied dans leur vie tranquille à San Francisco, ignorants du drame qui se joue ici bas, à Paris. Mirage d’un vie de rêve qui vire au cauchemar.

Une scène fait coexister à elle seule les deux courants traversants le film (burlesque vs drame intime), et c’est la meilleure de toute. Walker tente de pénétrer dans l’appartement de Michelle. Impossible de frapper à la porte poliment, la jeune femme y subit un interrogatoire musclé par deux types pas tendres. Le chirurgien de son état doit passer par les toits en portant la fameuse valise (merveilleux MacGuffin). Le type est tellement gauche qu’il manque de se vautrer. Les éléments sont contre-lui, le vente tourbillonne, le rebord d’une cheminée lâche, il glisse et se rattrape finalement à l’antenne télé. La valise s’ouvre, son contenu bascule dans le vide. Il se reprend remonte en selle sur le sommet du toit mais souffre le martyr, son visage se déforme, sue, il doit abandonner ses chaussures. Il est seul en équilibre face au vide de l’existence, recroquevillé sur lui-même, comme un enfant désemparé. L’image est poignante, bouleversante. Magistral ! Un des plus belles scènes du cinéma de Polanski. Les résonances autobiographiques et filmo-graphiques sont inépuisables.



Mais ce parcours de souffrance est aussi l’occasion d’une rencontre improbable : Michelle. J’avoue avoir attendu quelques revisions avant d’apprécier pleinement le jeu d’E. Seigner. Mais le duo me semble finalement fonctionner merveilleusement à l’écran et dans l’écriture. Chacun évolue au contact de l’autre. Walker gagne en assurance face aux périls que le menacent, s’endurcit jusqu’à renverser le rapport de force entre lui et les ravisseurs de sa femme. Michelle, toute gouaille dehors, et montrée d’abord comme une indécrottable gourde à la vénalité exacerbée, finit par assumer ses responsabilités et prendre sa place dans ce cercle infernal, quitte à y perdre gros.

Quel voyage !
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