Premier post de l'année sous mon (multi)pseudo de Metal Rider.
Réalisé en 1980,
Raging Bull raconte l’ascension et la déchéance d’un boxeur professionnel qui fut le héros de combats mythiques, mais autodestructeur et paranoïaque, il deviendra gérant d’une boîte, puis animateur de soirée dans les bars. Lorsque Scorsese découvre le projet
Raging Bull, il est dans une chambre d’hôpital à demi-mort. Il vit la pire période de sa vie (échec cuisant de
New York, New York, son dernier film, divorce d’avec sa seconde épouse et physiquement très usé par la consommation de drogues). Il reçoit un jour la visite de Robert de Niro venu le pousser à faire un nouveau film. L’acteur veut incarner le personnage de Jake La Motta au cinéma, et demande au cinéaste d’adapter la biographie de cet ancien champion du monde de boxe.
La pemière fois que j'aie vu
Raging Bull, je n'étais pas très enthousiaste. Je me demandais ce qu'il avait finalement de si extraordinaire à part ses combats superbement filmés et l'interprétation remarquable (dont évidemment celle de De Niro). L'état dans lequel je me trouvais contribuait à ça. Et puis, c'est en le revoyant que tout m'apparaissait plus clair. Le temps remet souvent les choses en ordre (on l'a vu avec plein d'autres films), et de mon côté il me permit d'apprécier ce film à sa juste valeur au fil des revisions...
Plusieurs choses font de ce film du grand cinéma moderne, notamment la créativité et la façon de filmer de Martin Scorsese: exceptionnelles! Le cinéaste a une façon incroyable et inégalée d’adapter une histoire à l’écran.
Raging Bull est sans conteste un des films majeurs des années 80, peut-être bien le meilleur film de Scorsese avec
After Hours et
Taxi Driver, et on le cite souvent dans les tops 10 des meilleurs films du monde. Pourtant, il faut rappeler qu’à sa sortie, les critiques étaient mitigées. Personne à l’époque ne pensait que ce film deviendrait un classique.
Ce qui est surtout fascinant, c’est que Scorsese nous force à avoir de la sympathie pour le personnage principal, Jake La Motta, qui est quelqu’un en tous points méprisable. Cela va à l’encontre de tout ce que fait Hollywood, d’autant que ce n’est pas un film agréable. Les scènes de ménage entre La Motta et son épouse sont très réalistes, et la mise en scène est orchestrée entre instants calmes et scènes de violence insupportables. La Motta est incapable de prendre du recul entre son métier et sa vie personnelle.
À l’exception du titre en lettres rouges, Scorsese a décidé de que seuls les films de famille de La Motta seraient en couleur. Il a tenu au réalisme de ces vidéos en les tournant avec du 16mm épurés de leurs couleurs pour donner un côté vieilli. Un film tourné en noir et blanc représente évidemment un risque, car cela grille les chances de réussite au box-office. Il est difficile aussi de tourner en noir et blanc, puisqu’il faut plus de profondeur de champ, et éclairer de manière différente pour créer des niveaux, alors qu’avec la couleur cela se fait automatiquement.
Un rôle en or
De Niro s’est battu pour le film parce qu’il y avait un rôle formidable mais très difficile, c’était un véritable défi. À ce stade de sa carrière, c’était exactement ce qu’il voulait. Le tournage débute en avril 1979. En août, les prises sont finies pour ce qui concerne la vie de La Motta en tant que boxeur, reste à filmer sa déchéance. De Niro refusant de porter une prothèse, va prendre trente kilos en quatre mois en s’empiffrant de nourriture. De cette prise de poids rapide il gardera des séquelles : un cou devenu plus gros qu’à l’origine. Plus tard, sur Les Incorruptibles de Brian de Palma, il demandera à porter une prothèse pour incarner Al Capone. Comme la santé de son acteur est assez compromise, Martin Scorsese réduit le planning de tournage et évite de faire trop de prises d’une même scène. Cette façon de s’investir totalement dans un rôle est devenu culte, au point que lorsque l’on parle de Raging Bull, on pense d’abord à de Niro et ses trente kilos supplémentaires. L’acteur Benicio Del Toro, à l’origine très mince, s’en est inspiré pour incarner un personnage corpulent dans
Las Vegas Parano de Terry Gilliam.
Les scènes les plus impressionnantes du film sont bien entendu les combats de boxe étonnamment bien filmés. Leur mise en scène est inouïe: jamais on avait vu ça auparavant. Les coups portés au visage sont montrés en gros plans, au ralenti, avec des projections de sang provenant du visage. La sueur, la salive et l’hémoglobine volent dans les airs, et la caméra virevolte autour des personnages, mélange entre opéra et documentaire. Le travail de la monteuse, Thelma Shoonmaker, est vraiment renversant.
Le troisième combat entre La Motta vs Robinson
Sugar Ray Robinson est un adversaire récurrent dans la carrière de Jake. Le troisième combat opposant Jake et Robinson est assez intéressant à analyser. D’abord parce qu’il s’agit de la deuxième défaite de La Motta face à son rival de toujours, ensuite parce qu’il ne ressemble visuellement pas aux autres combats du film. Scorsese a filmé la scène comme une descente aux enfers: La Motta est en plein cauchemar puisqu’il perd alors qu’il ne le mérite pas. On peut donc le voir dans chaque plan, tous sont tournés avec une caméra en-dessous de laquelle le cinéaste a mis des flammes, donnant ainsi à l’image une impression ondulante de mirage. Avec la fumée elles rendent la scène vague et floue, tel que doit être le souvenir de La Motta de ce combat.
Lorsque cette scène arrive dans l’histoire, c’est de manière tout à fait inattendue. La séquence qui la précède montre Jake dans une chambre en compagnie de sa future femme, Vickie.
Cela commence avec la caméra qui descend vers le ring enfumé.
On entend la voix d’un journaliste sur la bande-son. Les personnages sont parfois mal cadrés, et on dirait que c’est filmé caméra à l’épaule, ce qui est aux antipodes de ce film dont la mise en image est en général très travaillée esthétiquement.
On s’interroge, on se demande ce qu’il se passe. Un arbitre apparaît flou ainsi que d’autres personnages, le caméraman de Scorsese faisant le point sur l’ondulation de l’air. À un moment Jake retourne s’asseoir dans son coin du ring et on ne distingue même pas son visage car il est caché par une corde du ring. Cela contribue à donner l’impression qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Le spectateur est aussi perdu que lui.
Lorsque le gong retentit et qu’il repart se battre, au moment de porter un coup à son adversaire, on a l’impression qu’il est accompagné par un bruit de crissement de pneu, jusqu’au choc tonitruant du gant en cuir contre la tête de Robinson. Ce dernier s’écroule au bout de quelques coups. S’ensuit un silence presque total.
La Motta reste debout, le poing en l’air, prêt à se défendre. L’arbitre commence à compter mais Robinson se relève, et ils se battent à nouveau jusqu’au coup de gong final.
La Motta rejoint son frère Joey en attendant le verdict des arbitres. L’image ondule toujours autant. On annonce qu’il a perdu le match ; Joey se tourne vers son frère avec un air déchaîné. Il prend mal cette défaite.
On retrouve un thème cher du film : l’autodestruction. Dans la première scène de combat du film, Jake perdait déjà face à un adversaire qu’il a pourtant mis K.O. mais trop peu avant la fin du match. Son frère Joey ne cessera de l’insulter et de lui rappeler qu’il a mis trop de temps avant de commencer vraiment à se battre. Ici, il se passe quasiment la même chose. Il commence le match en se laissant battre. On dirait que Jake La Motta va sur un ring pour se faire punir de ce qu’il fait dans la vie. Il se laisse longtemps mener par ses adversaires avant de les rouer de coups et de les mettre à terre. Dans la scène où il est en prison, il fait face à un mur où, pour la première fois, il est confronté à son véritable ennemi : lui-même.
Le choc des poings sur les visages, les flashs incessants des appareils photos, les commentaires du journaliste, les cris de l'assistance… absolument tout nous saisit, pour nous placer à notre tour sur le ring. On y subit la violence primaire d'un combat de boxe. Le parti pris de filmer les combats de l'intérieur du ring, de façon détaillée et très élaborée, est dû au refus de Scorsese de montrer l'aspect frontal et traditionnel de ce genre de spectacle. C'est aussi une évidence qu'il souhaite par ce biais responsabiliser le spectateur quant à l'atrocité dont il est le témoin impuissant. Nous pouvons alors comprendre et excuser l'attitude de La Motta dans la vie.
Il ne faut pas oublier d’évoquer la magnifique musique revenant tout le long du film. Scorsese est le premier cinéaste à utiliser les musiques des autres (avec des paroles jamais en accord avec le thème de ses histoires) pour servir ses films. Ici, un seul thème revient tout au long du film, et il s'agit d'un air classique du compositeur italien Pietro Mascagni, Cavalleria Rusticana. C’est une des musiques les plus émouvantes utilisées au cinéma.
Le cinéaste n’avait d’abord pas comprit l’engouement que suscitait le sujet du film à Robert de Niro, d’autant qu’il ne comprenait rien à la boxe qu’il trouvait ennuyeux. Un jour, sur son lit d’hôpital, Scorsese voit en Jake La Motta sa propre autodestruction, et il peut enfin établir des liens personnels avec le personnage.
Raging Bull est un film sur la déchéance qui, paradoxalement, l’a fait remonter la pente.
Ma note: 6/6
Le film n’a reçu que deux oscars : meilleur montage (Thelma Shoonmaker) et du meilleur premier rôle masculin (Robert de Niro) sur six nominations. Scorsese n’en a pas reçu, ce qui peut paraïtre vraiment étonnant, mais de toutes façons, s’il devait recevoir un oscar un jour, ce devra être pour l’ensemble de sa carrière.
