« Qui trop embrasse mal étreint »
Schrader cherche à adopter un maximum de points de vue à l’intérieur de trois axes narratifs. Ainsi, dans un montage parallèle, le spectateur est baladé entre une évocation biographique, une plongée dans la pensée romanesque et l’ultime journée de l’écrivain. Le tout est encore subdivisé en quatre chapitres. Le scénario est tellement structuré qu’il s’enferme peu à peu dans une narration cérébrale, en distance du propos qu’il tient. On sent que le cinéaste cherche l’excellence, le parcours sans faute. Surtout ne pas tomber dans la subjectivité, qui prêterait le flanc à la critique. Et c’est là que se situe le talon d’Achille du scénario, qui ne réussit jamais à dépasser le processus de l’illustration, même s’il dépasse de loin le cadre du biopic.
Schrader voulait proposer un regard personnel sur un artiste avec lequel il s'identifie, c’est évident.
Dans son montage parallèle,
Schrader cherche à associer l’œuvre de Mishima et sa vie privée, pour nous indiquer à quel point la démarche était authentique, jusqu’au suicide final. On le comprend, sans vraiment le ressentir, toujours tenu à distance par la narration hyper structurée. Ca manque de fluidité et
Schrader aurait sans doute dû offrir la réalisation à son ami Scorsese, beaucoup plus doué pour se dépêtrer des difficultés de mise en scène. Et ici, la difficulté était grande, vu la complexité d’entremêlement dans laquelle voulait travailler le cinéaste.
Si la forme ne fonctionne pas tout à fait, l’idée de fond, celle de l’entremêlement narratif, était intéressante.
Schrader est un grand scénariste, consciencieux et intelligent. Ainsi, la projection à l’image de l’obsession de Mishima, à savoir l’opposition permanente entre le réel et l’artifice du réel, le « moi » et le masque du « moi », est magnifiquement étudiée. Nous comprenons bien, dès lors, l’envie de théâtralité et d’esthétisation de la part de Mishima et l’envie du cinéaste de reproduire cet aspect esthétisant, fondamental, dans sa mise en scène. Sauf que tout ça reste fort cérébral et compliqué dans son exécution. Ca manque clairement de fluidité et le scénario très riche de
Schrader méritait une approche beaucoup plus puissante.
Sur l'idée du "Moi et du masque du moi", le réel et l'artifice du réel, difficile de ne pas penser à "
Persona" de Bergman, avec il me semble, beaucoup plus de lucidité sur la question de la part du cinéaste suédois. On remarquera aussi le lien entre le suicide de Mishima et "
Persona" qui évite le suicide chez Bergman. Comme si quelque chose de profond avait été règlé chez l'un et pas chez l'autre. D'un côté (Mishima et
Schrader), une lutte permanente entre le "moi" et le réel, dans quelque chose qui ne cherche jamais à se sortir de la névrose ; et de l'autre côté, Bergman qui intègre le réel et ses horreurs dans son "Moi cinématographique", pour chercher à tout prix à se sortir de la névrose. On sent
Schrader fasciné par l'idée du suicide alors que Bergman cherche à se sortir de cette ombre. Sans doute là toute la profondeur et la gestion du réel qui séparent un cinéma et l'autre.