Bruno Dumont

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Ouf Je Respire a écrit :
Dès lors qu'en France, un cinéaste affiche un minimum d'ambition on le taxe de prétention...
Heu, avec Dumont, j'ai peur de confondre ambition avec ésotérisme... :?
:shock:
Ces films sont pourtant d'une grande fluidité : rien d'abscons dans son cinéma il me semble, n'est-ce pas Simone ? ;-) On peut tout lui reprocher sauf de faire incompréhensible.
Simone Choule
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Message par Simone Choule »

Roy Neary a écrit :
Simone Choule a écrit : Dès lors qu'en France, un cinéaste affiche un minimum d'ambition on le taxe de prétention...
Et c'est bien dommage.
Tu crois vraiment que c'est mon opinion ?...
Non.
Je sais qu'il s'agit là de notre sacro sainte "mauvaise foi" ! :lol:
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Ouf Je Respire
Charles Foster Kane
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Message par Ouf Je Respire »

Ces films sont pourtant d'une grande fluidité : rien d'abscons dans son cinéma il me semble, n'est-ce pas Simone ? On peut tout lui reprocher sauf de faire incompréhensible.
C'est plutôt sur son discours que j'ai du mal. Il me donne l'impression qu'il me donne un cours magistral de philo, limite moralisateur à sa façon, et la forme presque universitaire du propos m'agace. Il me donne l'impression, quand je vois ses films, que je suis plus con que lui.
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Simone Choule
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Message par Simone Choule »

Ouf Je Respire a écrit :Il me donne l'impression, quand je vois ses films, que je suis plus con que lui.
C'est peut-être vrai...
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Message par Troma »

Je suis sur que Bruno Dumont n'a pas vu Predator !
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Nedelweiss
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Message par Nedelweiss »

L'Humanité (Bruno Dumont) 7/10

Mes impressions sur ce film.
Quelque chose d'étrange dans ce film ne s'explique pas mais se ressent : une sorte d'émotion inéfable. La particularité du film de B. Dumont est qu'il fait la part belle aux tensions. Emotionnellement hyper-réaliste, le film mêle d'authentiques moments de poésie.
L'Humanité raconte l'histoire d'un lieutenant de Police, Pharaon de Winter, qui enquête sur le viol et le meurtre d'une gamine à Bailleul dans les Flandres (Nord).
Le premier plan du film est vraiment intéressant : il symbolise la place de L'Homme dans notre univers: un homme marche, sa petitesse accentuée par le plan large, de gauche à droite sur la ligne d'horizon entre la terre et le ciel. Comme le plan d'ouverture de Shining, celui de L'Humanité nous informe d'emblée par divers éléments le rythme que l'histoire prendra. Celui-ci suit celui là même de Pharaon, lent et difficile (on entend de manière forte la respiration de Pharaon, malgré l'éloignement dans le plan / Pharaon s'écroule dans la terre à quelques pas de l'herbe fraiche / le temps qu'il prend pour se relever). Pourtant, Pharaon, qui a l'air de subir sans cesse dans sa manière de vivre, prend le temps de contempler les choses, des choses qui semblent évoquer en lui à la fois dégout et fascination: celà commence par le coït bestial entre Domino et Joseph (une sur-vivance de Freddie de La vie de Jesus), puis tour à tour, la sueur graisseuse de son supérieur, l'horizon, la terre, les militaires partant en mission, un dealer, des inconnus qui se battent et enfin le meurtrier de la gamine. Pharaon va s'attarder sur l'animalité de l'Homme et semble incapable de la comprendre. Pharaon, c'est le Christ redescendu sur Terre et qui souffre de le voir tel qu'il est: deux scènes sont trés fortes : au moment où Pharaon pose son baiser "rédempteur" à la fois sur le dealer de drogue et sur le meurtrier à la fin du film.
Enfin, le film est découpé en long plan-séquences permettant un rapprochement -et non une identification- avec les personnages ; rapprochement accentué par la proximité des sons physiologiques des protagonistes: respiration, claquements de la peau des corps qui s'etreignent, expectoriations, salive...

Le film vascille adroitement entre émotions brutes et immobilités irréelles. C'est ce basculement dans le surnaturel qui donne cette dimension poétique. Une poésie caractérisée par l'inscription de l'Homme dans la Nature(+ explicite dans le film). Ce rapport à la Nature est rendu possible par le filmage en scope ponctuant ici la petitesse de l'Homme. Puis, il y a cette oisiveté omniprésente, cet ennui, ce spleen rendant l'atmosphère si lourde. Et que dire du malaise qu'entraîne la vue de ce vagin mutilé de la petite fille: plan qui renvoie d'ailleurs au plan sur le sexe de Domino et par delà le film à L'Origine du Monde de Courbet. De ces corps qui s'etreignent sauvagement, sans amour, presqu'avec souffrance et abnégation. Comme si le constat de L'Humanité était de nous avoir montrer l'impuissance de l'Homme face à ses désirs, ses convoitises et sa bestialité.
Pour finir une phrase du réalisateur à propos de son film:"Ne pas chercher le Beau, il n'est pas l'expression du vrai".

Qualité technique du dvd: correcte.
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Je suis tombé ce matin par hasard sur une emission de France culture "Bergson, le cinéma de la pensée" à laquelle était invité Bruno Dumont.
L'interview dure environ une heure et constitue la dernière partie d'une série d'émissions consacré à Bergson.
Pour ceux qui apprécient (ou pas) le cinéma du bonhomme, c'est très interessant. (podcast téléchargeable sur le site = 150mo)

http://www.radiofrance.fr/chaines/franc ... ma_debats/
Franz
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Message par Franz »

Ouah merci du lien, en plus de l'intervention de dumont tout le dossier semble intéressant (il n'y a pas eu de 3è épisode sur les 5 ? enfin il reste tout de même plus de 10 heures d'emission)
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Jack Griffin
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Message par Jack Griffin »

Franz a écrit :Ouah merci du lien, en plus de l'intervention de dumont tout le dossier semble intéressant (il n'y a pas eu de 3è épisode sur les 5 ? enfin il reste tout de même plus de 10 heures d'emission)
Au lien ci dessous, tout reste écoutable en format real audio, je pense :

http://www.radiofrance.fr/chaines/franc ... ssions.php
Nicolas Brulebois
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Message par Nicolas Brulebois »

Est-ce qu'il évoque son prochain film, par hasard?

Pour ma part, je n'ai vu de lui que 29 Palms, qui m'avait plutôt horripilé, à l'époque. J'aime d'ordinaire assez les films contemplatifs, mais là, pour le coup, la contemplation en quasi-continu du vide existentiel de ces 2 fous furieux m'avait ravagé la tête.

Cela dit, je le trouve quand même intéressant: sa vision du cinéma est suffisamment intrigante pour donner envie de dépasser cette première impression désagréable.
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Jeremy Fox
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Re: Bruno Dumont

Message par Jeremy Fox »

Ce soir, diffusion de Flandres sur Arte. J'en profite pour poster ici mon avis sur ce grand film et reviens très vite pour dire tout le bien que je pense de La vie de Jésus, son premier film revu hier soir enfin dans de bonnes conditions.



Flandres, 2006

Demester partage sa vie entre son travail à la ferme, ses rencontres et ses sorties avec les copains et avec Barbe, une amie d’enfance dont il est amoureux malgré ses nombreux autres amants. Tout comme dans La Vie de Jésus, Bruno Dumont, sans concession mais sans les juger non plus, commence par filmer ces gens simples dans leur quotidien terne et ennuyeux, par braquer sa caméra "d’apparent" froid entomologiste sur leurs gestes, leurs regards, leurs démarches, par tenter de capter leurs émotions bien enfouies, par montrer leurs ébats bestiaux au milieu des paysages des Flandres photographiés ici comme des tableaux de maîtres. Puis, comme dans The Deer Hunter de Michael Cimino auquel la construction et les thèmes font un peu penser, changement radical avec le départ en tant que soldat, de ces personnages "mutiques" que l’on a appris à côtoyer, pour un conflit géographiquement indéterminé. Après une sorte d’enfer du quotidien, c’est l’enfer de la guerre qui survient, abruptement. Le retour à "la vie" ne se fera pas non plus sans mal car celles qui ont attendu le retour de leurs amis, frères, époux, ont souffert tout autant... Après La Vie de Jésus, L'Humanité et 29 Palms, déjà trois grandes réussites, Dumont confirme son talent et son style unique en radicalisant encore son cinéma (aucune dramatisation traditionnelle, quasiment aucuns dialogues, plans séquences très étirés) sans pour autant le rendre plus abscons mais au contraire encore plus maîtrisé. Film exigeant, d'une force, d’une tension et d'une violence psychologique peu communes mais aussi d'une profonde humanité, interrogeant le rapport de l’homme face à sa propre sauvagerie et bestialité, et au final émouvant et lumineux (le dernier plan, celui que l’on retrouve sur l'affiche du film, est sublime). D'une maîtrise technique confondante (Dumont est certainement, avec John Carpenter, celui qui, actuellement, utilise au mieux le format large), Flandres contient parmi les plus beaux plans du cinéma français de ce début de siècle. Courtes 90 minutes viscérales, violentes mais aussi et surtout bouleversantes ! Le visage d’Adélaïde Leroux risque de vous hanter très longtemps : sa photogénie embrase littéralement la pellicule, et l’on attend non sans une certaine impatience son prochain rôle d'importance au cinéma à moins qu’il soit très difficile de s’extraire du monde très particulier de Bruno Dumont, décidément l'un des cinéastes français les plus importants apparus ces dernières décennies, l’un des plus doués de sa génération. Chef-d’œuvre exigeant et qui devrait laisser des marques dans les esprits.
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Jeremy Fox
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Re: Bruno Dumont

Message par Jeremy Fox »

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La Vie de Jésus, 1997

Freddy, la vingtaine est au chomage dans le Nord de la France, à Bailleul plus précisément. Sa mère tient le bistrot du coin et il s'ennuie ; il passe donc son temps à regarder la télé, à faire l'amour à Marie, à faire des virées pétéradantes en mobylette avec ses potes dans la campagne environnante, à participer à l'harmonie municipale en tant que tambour. Le désœuvrement, la chaleur plombante de l'été et le racisme ambiant vont l'amener à commettre un acte meurtrier sur la personne d'un 'arabe' qu’il trouvait tourner un peu trop autour de sa copine...

Premier film remarquable d’un cinéaste qui a confirmé depuis de la plus belle des manières. Dès lors on y trouvait son style très particulier fait de plans très recherchés en cinémascope (certains sur la campagne normande notamment lors des virées en mobylette ou lors de la séquence de la remontée mécanique sont tout simplement sublimes), d’absence de musique et de dramatisation, de longues séquences au cours desquelles il ne se passe pas grand chose autre que des gestes ou des regards qui en disent plus long que bien des paroles, de scènes d’amour crues et bestiales (voire même non simulées)… J’aurais d’ailleurs pu me contenter de reprendre quasiment mot à mot mon avis sur Flandres pour parler de La Vie de Jésus qui possèdait déjà les mêmes caractéristiques et qualités.

La vie de Jésus est un film sans concession possédant une force assez étonnante grâce à une tension prégnante et grandissante qui se fait jour au fur et à mesure de l’avancée du film. Mais attention, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il se dégage une forte 'humanité' dans les films de Dumont. Les personnages qu’ils filment avec une patience et une précision d’entomologiste, il ne les juge pas ; ce sont d’ailleurs loin d’être des monstres (certaines scènes les montrent sur un jour assez émouvant notamment après la mort du frère sidaïque d’un des garçons de la bande). Leur quotidien est monotone, ils habitent dans une ville morte et n’ont pas de travail ; c’est la situation qui va les pousser à aller trop loin car pris individuellement, ils ne feraient certainement pas de mal à une mouche. Le couple formé par Freddy et Marie est d’ailleurs plutôt ‘fleur bleue’ ; il faut dire aussi que Bruno Dumont n’a pas son pareil pour nous proposer à chaque fois un personnage féminin lumineux, attachant et fortement humain qui hisse ses films vers des sommets d’émotion alors que l’on était loin de penser en trouver autant. Marjorie Cotreel est déjà au moins tout aussi formidable et inoubliable que Séverine Caneele dans l’humanité, que Yekaterina Golubeva dans 29 Palms ou qu’Adélaïde Leroux dans Flandres. Le plan qui voit Marie et Kader enlacés vers la fin du film est d’une stupéfiante beauté comme celui qui clôt Flandres.

Film radical mais jamais ennuyeux au contraire car possédant un pouvoir quasi hypnotique (sur certains dont je fais partie) grâce à sa rythmique très particulière, le cinéaste nous plaçant à intervalles réguliers des scènes ‘redondantes’ mais superbement filmées comme les sorties en mobylettes. Direction d’acteurs impeccable, photographie splendide, mise en scène au cordeau… Un premier très grand film.
MrDeeds
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Re: Bruno Dumont

Message par MrDeeds »

Merci Jeremy Fox de défendre cet immense cinéaste. Je souscris à tout ce que tu dis dans ce topic. Je n'ai pas vu 29 palms mais les autres films de Dumont sont des chefs-d'oeuvre. Certains le prennent pour un philososophe abscon et misanthrope, je pense qu'il n'est rien d'autre qu'un observateur lucide mais plein de compassion de l'être humain. De plus, ses films sont porteurs d'une charge émotionnelle que l'on trouve rarement au cinéma (chez Tarkovski peut-être...) : j'en veux pour preuve 2 plans magnifiques :
- le personnage principal qui étreint le criminel dans l'Humanité ;
- le plan final de Flandres.
Dernier cliché qu'il convient de mettre en pièce : non, ses films ne sont pas incompréhensibles ! La narration est toujours simple, linéaire. Les plans ne sont pas porteurs de sens mais d'une émotion qu'il ne faut pas chercher à intellectualiser (l'interview accordé par le cinéaste à Positif lors de la sortie de Flandres -sept 2007- le prouve, Dumont se méfie des intentions souulignées au cinéma).
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Jeremy Fox
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Re: Bruno Dumont

Message par Jeremy Fox »

MrDeeds a écrit : je pense qu'il n'est rien d'autre qu'un observateur lucide mais plein de compassion de l'être humain. De plus, ses films sont porteurs d'une charge émotionnelle que l'on trouve rarement au cinéma.

Dernier cliché qu'il convient de mettre en pièce : non, ses films ne sont pas incompréhensibles ! La narration est toujours simple, linéaire.
A mon tour de souscrire. Pour la seconde assertion (incompréhensibles), ça me parait être une évidence ; je ne vois d'ailleurs pas qui aurait pu dire le contraire excepté ceux n'ayant pas vu les films.
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Re: Bruno Dumont

Message par DaveDevil666 »

Je rejoins ce qui a été dit par Jérémy Fox sur Bruno Dumont, à mes yeux l'un des cinéastes français les + intéressants actuellement (en avouant que le cinéma français,, depuis cinq/six ans, a tendance à me gonfler sérieusement).
"La Vie de Jésus" a été un choc :shock: : c'est réalisé au scalpel, c'est cru, cruel et la présence de "non" acteurs ajoute à l'ambiance très réaliste du film.

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Bruno Dumont a cette capacité à trouver et "maîtriser" des tronches (dans le Nord, on aurait tendance à dire des "babaches") : pour l'anecdote, j'avais lu dans "La Voix du Nord" il y a quelques années un article sur l'intervention d'un avocat commis d'office dans une pathétique histoire de vol de meubles chez Emmaüs. Cet avocat s'est retrouvé à la Maison d'Arrêt face à l'acteur principal du film qu'il était chargé de défendre... Un choc pour l'avocat cinéphile de retrouver enfermé celui qu'il avait apprécié à l'écran. Et finalement pas de grosse différence entre la fiction et la réalité.

Sinon, pour moi la scène qui résume le film est celle où la bande des 5 se retrouve assise sur les marches à glander sous le soleil... Une suite de gros plans, pas de discussions, le néant absolu.
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