La Vie de Jésus, 1997
Freddy, la vingtaine est au chomage dans le Nord de la France, à Bailleul plus précisément. Sa mère tient le bistrot du coin et il s'ennuie ; il passe donc son temps à regarder la télé, à faire l'amour à Marie, à faire des virées pétéradantes en mobylette avec ses potes dans la campagne environnante, à participer à l'harmonie municipale en tant que tambour. Le désœuvrement, la chaleur plombante de l'été et le racisme ambiant vont l'amener à commettre un acte meurtrier sur la personne d'un 'arabe' qu’il trouvait tourner un peu trop autour de sa copine...
Premier film remarquable d’un cinéaste qui a confirmé depuis de la plus belle des manières. Dès lors on y trouvait son style très particulier fait de plans très recherchés en cinémascope (certains sur la campagne normande notamment lors des virées en mobylette ou lors de la séquence de la remontée mécanique sont tout simplement sublimes), d’absence de musique et de dramatisation, de longues séquences au cours desquelles il ne se passe pas grand chose autre que des gestes ou des regards qui en disent plus long que bien des paroles, de scènes d’amour crues et bestiales (voire même non simulées)… J’aurais d’ailleurs pu me contenter de reprendre quasiment mot à mot mon avis sur
Flandres pour parler de
La Vie de Jésus qui possèdait déjà les mêmes caractéristiques et qualités.
La vie de Jésus est un film sans concession possédant une force assez étonnante grâce à une tension prégnante et grandissante qui se fait jour au fur et à mesure de l’avancée du film. Mais attention, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il se dégage une forte 'humanité' dans les films de Dumont. Les personnages qu’ils filment avec une patience et une précision d’entomologiste, il ne les juge pas ; ce sont d’ailleurs loin d’être des monstres (certaines scènes les montrent sur un jour assez émouvant notamment après la mort du frère sidaïque d’un des garçons de la bande). Leur quotidien est monotone, ils habitent dans une ville morte et n’ont pas de travail ; c’est la situation qui va les pousser à aller trop loin car pris individuellement, ils ne feraient certainement pas de mal à une mouche. Le couple formé par Freddy et Marie est d’ailleurs plutôt ‘fleur bleue’ ; il faut dire aussi que Bruno Dumont n’a pas son pareil pour nous proposer à chaque fois un personnage féminin lumineux, attachant et fortement humain qui hisse ses films vers des sommets d’émotion alors que l’on était loin de penser en trouver autant. Marjorie Cotreel est déjà au moins tout aussi formidable et inoubliable que Séverine Caneele dans
l’humanité, que Yekaterina Golubeva dans
29 Palms ou qu’Adélaïde Leroux dans
Flandres. Le plan qui voit Marie et Kader enlacés vers la fin du film est d’une stupéfiante beauté comme celui qui clôt
Flandres.
Film radical mais jamais ennuyeux au contraire car possédant un pouvoir quasi hypnotique (sur certains dont je fais partie) grâce à sa rythmique très particulière, le cinéaste nous plaçant à intervalles réguliers des scènes ‘redondantes’ mais superbement filmées comme les sorties en mobylettes. Direction d’acteurs impeccable, photographie splendide, mise en scène au cordeau… Un premier très grand film.